4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » THEMATIQUES » Les lieux de Sollers » Les Voyageurs du Temps ou la résurrection spirituelle de Paris
  • > Les lieux de Sollers
Les Voyageurs du Temps ou la résurrection spirituelle de Paris

D 23 novembre 2015     A par Olivier-P. Thébault - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Paris. « Voilà la Cité sainte, assise à l’occident. » Après le 13 novembre, vendredi noir, j’ai eu envie de relire L’orgie parisienne ou Paris se repeuple de Rimbaud :

Ô lâches, la voilà ! Dégorgez dans les gares !
Le soleil essuya de ses poumons ardents
Les boulevards qu’un soir comblèrent les Barbares.
Voilà la Cité sainte, assise à l’occident !

Rimbaud a écrit cela en mai 1871, au lendemain de la Semaine sanglante. Cela résonne étrangement aujourd’hui après que de tout autres « barbares » ont sévi.
J’ai aussi repris Les Voyageurs du Temps. Il y est beaucoup question des guerres régulières et des guerres irrégulières, de la guérilla et de Lawrence qui admire, « de façons révélatrice, deux Français, le Maréchal de Saxe et Guibert ». Je suggère de relire les pages 56 et suivantes (surtout la page 58 [1]) de l’édition blanche. Mais voici Paris :

On dira ce qu’on veut, tout se passe quand même à Paris, et le plus souvent dans l’ombre. Rimbaud, en mai 1871, après la guerre franco-prussienne, appelle Paris « Cité sainte, assise à l’occident ». Il la trouve infectée par des cœurs de saleté, des bouches épouvantables de puanteurs, des « hargneux pourris », mais prédit que « la putain Paris » saura se débarrasser de tous les fous, les pantins et les ventriloques qui l’occupent. L’orage, dit-il, a sacré cette « Cité choisie » comme suprême poésie. Elle est maintenant douloureuse, cette Cité, elle est quasi morte, mais elle garde sa tête et ses seins « jetés vers l’Avenir ». C’est la ville que « le Passé sombre pour­rait bénir ».

Paris se célèbre, bouillonne, s’insurge, retombe, meurt, s’insurge à nouveau, et remeurt. En ce moment, la ville est de nouveau quasi morte, elle est dominée par l’imposture et l’affairisme, c’est déjà arrivé, le désespoir a pu en emporter certains. Et pourtant :

« À nous ! romanesques amis : ça va nous plaire,
Jamais nous ne travaillerons, ô flots de feux ! »

Qu’est-ce qu’avoir de « romanesques amis » ? Nous ne buvons plus « l’absinthe aux verts piliers », soit, mais nous ne travaillons toujours pas, et si nous sommes 12, ce sera plus qu’il n’en faut pour chanter selon des voix angéliques, « pas du tout publiques », qui sont aussi de « multiples sœurs ».
Paris a été, est, et sera. Les voyageurs du temps s’en occupent. Tout a l’air tranquille, surveillé, verrouillé, mais voici, à l’instant, une salubre rafale de vent dans les arbres. La rose a son pourquoi, elle attend d’être vue. Elle fleurit, là, devant moi, au-dessus de la haie très verte.
(p. 127-128. Je souligne.)

Olivier Thébault en parlait il y a six ans. On peut le relire aujourd’hui. — A.G.

*

Mis en ligne le 15-12-2009.

Olivier-P. Thébault nous propose, ici, une lecture des Voyageurs du Temps de Philippe Sollers sous un angle particulier, basé sur sa familiarité avec les textes bibliques, la Gnose et son expérience d’interprétation midrashique. Parti pris intéressant et éclairant qui trouve sa place à côté d’autres extraits, d’autres critiques qu’ont suscitées ce livre très riche et que l’on peut trouver ICI. Un grand livre de Philippe Sollers à l’érudition non pesante : à la fois le plaisir de la lecture et le plaisir de l’esprit. Le livre d’un passeur avec qui nous naviguons dans le grand livre de la bibliothèque universelle.

V.K.

*

« Dans un monde où l’armée dispose des moyens de tout réduire,
il est temps de mettre en oeuvre un enseignement de l’irréductible.
Le reste est anachronique. »

(Georges Bataille, Correspondance,
cité dans Les Voyageurs du Temps)

C’est d’un geste net, abolissant le hasard, que j’ouvre en une page précise cet incontournable joyau que constitue Les Voyageurs du Temps, et que je lis, en guise d’ouverture à ce bal tournoyant de pensées, d’illuminations et de fusées :

« Les arriérés d’aujourd’hui, consommateurs colonisés de la bouillie littéraire anglo-saxonne, croient qu’on fait des citations pour briller, remplir la page, s’épargner un effort, alors qu’il s’agit d’un art très ancien et très difficile. Les écrits essentiels en sont pleins, le Talmud, par exemple. »

Voilà pour l’entrée en matière, annonçant la démarche raisonnée de cette fugue de notes chiffrées. Elles constitueront une succession de « preuves », alternées et variées par mes propres contrepoints, avant que j’en vienne à conclure.

" Pour R.D.R., musicien "

JPEG - 19.2 ko
Où aller en partant de « l’Aleph kabbalistique »

« Le temps se perd, se retrouve, nous irons au bout de la nuit, et le papier bible conserve les traces, comme les manuscrits découverts à Qumrân, après la Seconde Guerre mondiale, ou ceux de toute une bibliothèque gnostique exhumée par hasard par des paysans, un peu plus tôt, en Egypte, à Nag Hammadi. Des voyageurs du temps ont pris des précautions, ils ont enterré leurs messages pour plus tard ou jamais, essayez de les voir creuser et déposer ces paquets. Les corps disparaissent, les écrits restent, c’est la musique du ciel en enfer. »

Les caches dans les grottes (dans des jarres) où sont déposés les précieux rouleaux manuscrits se nomment en hébreu des guénizoth, au singulier une guéniza, avec le double sens de cachette et de trésor ; ça ne s’invente pas, mais l’hébreu l’invente.

Il y a mieux, car la guéniza, GNYZH, qui est aussi GNZ ou GNZ’, se laisse lire, pour l’oeil exercé du kabbaliste, comme GN+ZH (gan+zeh) : « le verger-paradis (c’est) ceci » (sens concret à l’extrême : ce zeh/ZH se retrouve dans toutes les formules évangéliques au fondement de la Transsubstantiation catholique [2]). Curieuse cachette, étonnant trésor.

Si mon contemporain, mon semblable, mon frère, était occupé à tendre vers soi dans l’universalité même, plutôt que de se laisser soumettre aux horreurs économiques et aux guerres civiles atroces, ce serait la fin de tout désordre, en guerre, en économie. Car, pour citer un voyageur du Temps que Ph. Sollers met en situation dans ce roman savamment construit :

« Le jour où tout le monde ne prendra plus rien, rigoureusement, au sérieux, le Messie sera là dans l’heure qui suit. »

Ceci dit pour actualiser le propos messianique des voyageurs gnostiques du temps évangélique. Le temps est la bonne nouvelle. La seule gnose qui nous importe, à nous autres argonautes, est de le connaître, messianiquement parlant, c’est-à-dire, au fond, de savoir savourer cette parole inspirée de James Joyce dans Finnegans Wake : « Time : the pressant. »

Autre preuve ?

« Qu’est-ce qui bat ainsi sous le coeur. Respire dans les poumons ? Coule sous le sang ? Bande dans le sexe ? Embryonne dans l’embryon ? La Nature, chers amis, la Nature ! Le Graal ! La houle du temps ! »

C’est la Nature en elle qui fait que la Bête est une telle inexpugnable incarnation de l’Esprit, et réciproquement.

Les parasites qui sont légions ignorent que la Nature et l’Esprit ont un même fondement logique, vivant et souverain. Ils s’attaquent souvent au sang (comme la célèbre sangsue), c’est-à-dire à l’individualité même. Cette agressivité déraisonnable n’est pas sans raison puisqu’ils sont dénués de celle-là, ainsi impérieusement soumis à ce manque qui les gouverne. Mais la Bête sait brasser son sang, de sorte qu’elle est hors d’atteinte de tous ces parasites. Son devoir lui est remis, en elle dansent et s’éclairent la Nature, l’Esprit.

« Les couleurs, les sons, les goûts, les parfums se répondent. Voici mon échelle des couleurs : bleu, blanc, jaune, vert, violet, rouge, noir. Le bleu est lavande et piano, le blanc sel et tambour, le jaune hautbois et miel, le vert trompette et menthe, le violet contrebasse et vin, le rouge batterie et sang, le noir clarinette et huîtres. Le sel d’océan a la composition du sang (goûtez votre propre sang sur une blessure). »

Ici il faut avoir en tête le poème Correspondances des Fleurs du mal.

Voilà l’illumination des couleurs dans les sensations, à l’intérieur même du Verbe, dont chacun sait que la nature est alchimique, c’est-à-dire divinement magique — « fortune chimique personnelle », « or du temps » —, à l’opposé de la haine de la vie fomentée par les despotes occultes de la monstrueuse chimie industrielle. Si, dans ses romans précédents, l’on trouve des passages qualitativement comparables, sur le même sujet, je crois que l’auteur atteint là un véritable sommet dont nous allons tenter une modeste ascension selon le versant explicatif.

Le piano, le tambour, le hautbois, la trompette, la contrebasse, la batterie, la clarinette : quel fabuleux orchestre de jazz pour laisser les couleurs jouer et rejouer la partition de leur création harmonique. Ce n’est pas un hasard si, peu après, le nom de Johnny Dodds vient orner la page.

Notez que le noir est ici une couleur, qu’il vient en dernier dans cette échelle, et qu’il est associé au plus subtil (clarinette, huîtres), au plus élevé. Les couleurs ne se goûtent-elles pas mieux en fermant les yeux pour les ouvrir à une autre vision, c’est-à-dire en passant par l’intensité du noir ? Sollers lui-même ne voulait-il pas devenir clarinettiste de jazz ? Tiens, ne retrouve-t-on pas là Johnny Dodds [3] ?

La lavande et la menthe sont des parfums, mais pour la seconde c’est aussi un goût.

Il faut souligner l’ambiguïté du mot parfum, à la fois odeur et goût (le parfum d’un sorbet).

Le sel et le miel sont tout d’abord des goûts, mais peut-être aussi (allez-y les respirer !) des parfums. Le vin est à la fois parfum (il se respire pour s’ouvrir en bouquet de sensations pures, en nous) et goût (le palais qu’il imprègne est son lieu royal et naturel). Le sang, ce sel de mon corps, est un goût. Viennent enfin les huîtres, l’excellence mangeable, la manne des océans.

Ce bref paragraphe est un bien d’éveil, concentré et voulu, à l’éducation des sensations par le Verbe, autrement dit dans l’accord tout de jouissance et de musique entre la raison et les sens, qui comme l’a dit l’auguste comte, s’éclaircissent l’un l’autre. Pourquoi en effet ne pas préférer leur clarté réciproque au vague vulgaire de la confusion généralisée, insensible et insensée ?

En écho à l’exergue gnostique du livre — écho puissant puisque ce sont l’hébreu, gnostique et évangélique, et le français, ce souffle résurrectionnel, qui ainsi se répondent —, on trouve en plein coeur de celui-ci, cette pensée, cette clé :

« Paris a été, est, et sera. Les voyageurs du temps s’en occupent. Tout à l’air tranquille, surveillé, verrouillé, mais voici, à l’instant, une salubre rafale de vent dans les arbres. La rose a son pourquoi, elle attend d’être vue. Elle fleurit, là, devant moi, au-dessus de la haie très verte. »

Paris est une Rose de jouissances pour bienheureux, une île offensive à elle seule au coeur du monde, la proue du grand vaisseau d’or de l’Esprit chevauchant les vagues d’émeraude de l’océan du Temps. Les vrais voyageurs s’y retrouvent, chantent et se postent.

Cette ville est de toujours ; sa victoire — la liberté libre — s’en est allée partout ; l’univers a refleuri en son intérieur pour se dire ; elle sera.

« En tout cas, si « Génie » est aussi J.-C. ressuscité, il est clair que le Temps tout entier (et donc en même temps « l’éternité ») change de nature. Avant J.-C., tout va vers J.-C., après J.-C., tout vient de J.-C. Il arrive de toujours, et il s’en va partout, à travers mille tragédies, mais ce n’est pas le problème. Il est là, tout de suite, à côté de moi, sur la page, en train de la lire avec vous. Nous disposons maintenant d’un temps focal pénétrant tous les sens dans toutes les directions. Il n’en finit pas d’aller, de venir, de jaillir et de rebondir. »

J’insiste sur le « J.-C. ressuscité » : parousie permanente de la parole — cette fête mobile du désir amoureux —, l’absolu manifeste en tant qu’Esprit, le Génie, le coeur du Temps.

J’ai noté par trois fois l’expression de Ducasse sur « les turpitudes du roman » qui « s’accroupissent aux étalages ». Page 69 ; page 212 ; page 235. Chacune des occurrences est à étudier en elle-même comme dans son rapport éclairant aux deux autres. Cette triple répétition n’est-elle pas belle comme un coup de dé du biblique ? Un calme geste de calame clamant discrètement que parmi le flot marchand de livres interchangeables et morts, un livre vivant surgit parce qu’en lui surgit le Temps, affirmant la résurrection de Paris et du Génie, et qui le dit ? C’est un avis.

Tout le développement central sur la Gnose serait à étudier (mais il faudrait aussi y manier l’art du contrepoint incisif en introduisant Bernard Dubourg dans le jeu...), j’en retiens un condensé :

« Voyez l’impuissance des Ténèbres toutes-puissantes. Elles veulent et peuvent tout « saisir », mais pas la lumière qui est en elles. Echec au trou noir. Ou, si vous préférez, échec de Thanatos par rapport à Eros (le plus ancien des dieux). C’est parfaitement clair, et on se demande pourquoi ça reste incompréhensible. »

Voyez l’impuissance de l’entendement séparé pourtant tout-puissant. Multipliant toujours les modalités de son impuissante analyse et les moyens techniques de sa préhension, il veut et peut tout saisir, mais pas la lumière de la raison spéculative qui est en lui, le déborde, en dissous l’abstraction, le retourne, le transforme.

Mais voici revenir Nag Hammadi et Qumrân, inscrits avec art dans l’éducation littéraire de l’auteur, lequel est, par en dessous, ce Je multimillénaire mille fois le plus riche :

« J’ai 9 ans au moment de la découverte de Nag Hammadi, 13 au moment de celle de Qumran, 14 en lisant Baudelaire, 16 Lautréamont-Ducasse et Rimbaud, 17 Proust, 18 Kafka et Céline. J’écris d’abord très mal. Puis un peu moins mal. Puis de mieux en mieux quand je ne pense plus à écrire. Et enfin très bien quand ce souci a disparu en même temps que toute inquiétude. Je vis le maintenant, voilà tout. L’écrire n’est pas obligatoire, mais demeure une vérification, comme le tir. »

Enfin, une prière nette et décisive :

« La musique est cette échappée, elle tient les atomes, et c’est ce que le vieux Bach a saisi. Là où la pensée danse, la musique pense, les mathématiques sont la dimension la plus joyeuse qui soit ; là où le temps pense, la musique danse. Vous n’écoutez plus de la "musique", vous ne lisez pas de la "littérature", la musique et la littérature se pensent en vous. Voyez-les : ils ne sentent presque rien, ils sont sourds ou sourdes. Et ils sont sourds ou sourdes parce qu’ils, ou elles, ne veulent pas entendre. Le sexe, contrairement à ses aspirations profondes, ne les met pas à l’abri, et surtout pas la jalousie, cet organe. Comme l’oeil entend, écoutez les peintres : Dali est sourd à force de masturbation caoutchoutée, alors que Picasso regorge de musique, comme de femmes enlevées, transpercées, bercées, ossaturées, fruitées. Les documents passent, Picasso reste. C’est le grand voyageur du Temps, toutes formes et peintures avalées. Saint Bach, saint Picasso, priez pour nous, pauvres infirmes, délivrez-nous de cette vallée de larmes et de cette marée noire d’ectoplasmes, recevez-nous dans vos palais. »

Amen !

On pourrait dire, du moins m’est-il loisible de n’en pas douter, que Philippe Sollers fait avec ce roman un pas de plus dans la disparition voulue de toute narration ostensible au sens où celle-ci est couramment pervertie comme simiesque story, cette simulation spectaculaire de la vie censée remplacer celle-ci dans les corps et les têtes des mortels errants et si peu chevaleresques. La narration de la vie réinventée (à la fois roman réinventé de la vie et vie réinventée du roman), renversant cette narration de la vie fausse (le mauvais film que se racontent misérablement les serviteurs surmenés du vide), Philippe Sollers l’a déjà déployée jusqu’à épuisement (au bon sens — « Être exhaustif, c’est épuiser à fond un sujet. Si je suis exhaustif, je serai exaucé », trouve-t-on énoncé dans Les Voyageurs du Temps) depuis Femmes, ce pourquoi ces romans-là, des années 80 et 90, sont une critique systématique du spectaculaire intégré. Cette narration réclamant des formes nouvelles est écrite depuis l’intérieur du Verbe, tel qu’il met la vie en situation par l’usage des mots, selon l’idée juste (cette boussole qui donne le cap pour tout reprendre). Les parasites, toujours atteints de « la lèpre noire de l’erreur », attaqueront la forme des idées et des phrases de la Bête, lui reprochant que le roman n’en soit pas un dans les formes, tandis que c’est souverainement que croît et s’affirme le contenu solitaire, inattaquable, rayonnant.

Viva (« viva la libertà ! [...] vivan le femmine, viva il buon vino ! »), succédant à une Lila remémorée très vite, est en quelque sorte le type même du personnage féminin des romans de Philippe Sollers, quoique très atypique, puisque la première femme-soldat. Ce qui est à noter, c’est qu’en un sens elle résonne à peine dans le livre, juste ce qu’il faut toutefois pour rappeler tout le vaste choeur des personnages féminins de tous ses romans précédents. Puis survient le dégagement final, comme un rêve : Viva, vraisemblablement française puisque faisant partie de l’armée, s’éclipse en partant pour la Chine, tandis qu’une chinoise surgit, comme par enchantement, en plein Paris, arrivée « directement du 8e siècle de notre ère », femme-sésame pour voyager dans le Temps.

Ni story (comme dans les faux livres de l’époque), ni récit romanesque développé niant et retournant celle-ci (comme dans la plupart de ses ouvrages antérieurs), mais davantage le résultat de l’opposition et de la contradiction des deux, la disparition réussie, très en profondeur, de presque toute narration au sens conventionnel du terme, avec personnages plus ou moins fictifs : ainsi l’auteur laisse-t-il fleurir le massif des voyageurs du temps. Qui sont-ils ? Les types véridiques du grand roman historique dont le narrateur connaît la jouissance parce qu’il jouit de sa connaissance. Quant à ce massif, il entre en présence au fil d’une déambulation dans un Paris ressuscité, l’envers exact du musée contemporain dont le Spectacle n’est que le démoniaque gardien dérisoire. Cette déambulation pourrait d’ailleurs être poursuivie sans fin avec d’autres voyageurs du temps, ici, maintenant, chaque jour, toujours, ce qui fait l’infinité idéale de ce roman, dans la vie de qui l’écrit, de qui le lit.

L’hommage discret à Breton et à la psychogéographie situationniste mérite d’être rappelé en ce point précis.
En effet, ces Voyageurs du Temps, d’une densité de mots et de sens davantage soutenue encore que dans certains autres de ses romans parce qu’ici, comme je l’ai dit, la story a été complètement abolie, sont un renversement de l’assassinat programmé de Paris, assassinat que Guy Debord dut constater au temps jadis, après avoir tout fait contre.
Ce roman, écrit d’une pointe aiguisée à l’extrême du réel, peut être lu comme la résurrection spirituelle de Paris en tant que vérité de la psychogéographie : on entre dans une autre géographie, celle de l’Esprit lui-même, on dérive dans la ville absolument moderne de l’Infini, « Cité sainte, assise à l’occident ». Oui, voici ressuscitée, dans l’invisible — ou l’autrement visible — du son, la grande raison de l’esprit français en sa capitale, manifestant ce qu’elle est devenue :
un livre vivant, un livre de vie où les grands noms des amis passés, présents et futurs de la pensée affluent et vivent pour celui dont l’âme, toute infusée de joies, se sait douée d’une oreille absolue.

Olivier-P Thébault


A propos de l’auteur

« ... Lis Sollers passionnément depuis dix ans grâce à un ami qui me l’a fait découvrir »

Olivier-P Thébault est l’auteur d’un livre en deux tomes : Alchimie du Verbe, Le génie du judaïsme (tome 1), éd. Objectif Transmission, 07/2009 (réédition enrichie), d’inspiration midrashique, réflexion qu’il développe aussi sur le site :

http://www.lechampdumidrash.net/nigla/

Le tome 2 vient de sortir (11/2009)

(note pileface)


[1« Dans la guérilla, la répartition des compétences est claire et très inégalitaire. En haut, un service de renseignements poussé à l’extrême ; en bas, dans le sable (ou plutôt à bord), des combattants solitaires tourbillonnants, jamais de de ligne de front, des explosions par saccades. Les cerveaux malades et suicidaires d’al-Qaida ont-ils lu Lawrence ? Ben Laden amateur des Sept piliers de la sagesse ? Ce serait trop beau. En tout cas, un nouveau calendrier, se voulant absolu (toujours la même erreur), a commencé par un coup de tonnerre, le 11 septembre 2001. Stupeur de l’Empire, bon vent au pétrole, petit Hiroshima en retour.
Tout cela pour préciser avec humour que "la guerre irrégulière est beaucoup plus intellectuelle qu’une charge à la baïonnette". On peut ajouter : que des bombardements incessants ou des chars.
 »
Sollers écrit cela en 2008. En 2015, Ben Laden n’est plus, al-Qaida est relégué au second plan, mais il y a l’Etat islamique autoproclamé (ou son acronyme « Daech ») et une multiplication des actions terroristes que n’empêchent pas, jusqu’ici, les bombardements incessants.

[2Dans Portrait d’Israël en jeune fille, Sandrick Le Maguer présente ainsi cette notion : « Le terme hébraïque hazeh désigne toujours quelque chose d’absolument concret, que l’on peut toucher, tenir dans la main ou montrer du doigt. » Comme le démontre l’auteur, Rachi de Troyes à l’appui, le mot abonde particulièrement dans le livre de Josué, alors que la terre promise est enfin conquise et touchée. Dans le Nouveau Testament - ai-je noté dans Le Secret, second tome d’Alchimie du Verbe - ce zeh, « le ceci du “ ceci est mon corps ” et “ ceci est mon sang ” conjugue à la fois l’immédiateté de la certitude sensible et le savoir le plus poussé. En effet, ce “ ceci ”/ZH désigne ici le corps et le sang du Masshia(r)h/Messie, l’exotérique et l’ésotérique de Sa Thora ! »

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document


4 Messages

  • midrash | 28 mars 2010 - 15:20 1

    Je ne connaissais pas cette expression de Jouffroy que j’avoue ne pas avoir lu (si ce n’est la partie de sa correspondance avec Sollers qui figure dans Le Gué je crois...). Le rapport relève donc du hasard objectif et je vous remercie de me l’avoir signalé.


  • thelonious | 24 décembre 2009 - 17:37 2

    Très beau texte sur les Voyageurs du Temps ou la résurrection spirituelle de Paris. Narration de la vie réinventée nous dit Olivier Thébault, oui, tandis que PARIS est en train de devenir la capitale européenne du sommeil et de l’ennui ai-je lu dans un hebdo. Paris si bien lue, écrite, vécue par Sollers, et ce roman en est la preuve.
    Cette"Narration de la vie réinventée", expression utilisée par Olivier Thébault pour caractériser le projet littéraire sollersien, on la retrouve chez Alain Jouffroy et son livre lui aussi admirable "La vie réinventée", l’explosion des années 20 à Paris.
    Sollers, Jouffroy, et pileface c’est parfait pour aborder l’année 2010.


  • midrash | 18 décembre 2009 - 11:51 3

    Ceci est le premier texte où j’essaie, encore bien jeune et non sans confusion, de restituer le contenu de mes premiers travaux dubourgiennement midrashiques. Depuis, la confusion est "devenue à soi-même claire" comme dit Hegel et l’on trouvera avec le lien suivant la version clarifiée de ce texte : ici.

    Olivier-P Thébault


  • A.G. | 18 décembre 2009 - 09:00 4

    Lire de Olivier Thebault :

    MAINTENANT L’APOCALYPSE _ (Le cri de l’hébreu) _ un texte pour quelques-uns, pour tous et pour personne,

    A l’amitié,

    « Ils ne comprennent pas comment ce qui lutte avec soi-même peut s’accorder.
    L’harmonie du monde est par tensions opposées, comme pour la lyre et pour l’arc. »

    Héraclite

    « Le compte, le chiffrage, tout est là. L’Être Suprême n’intervient que lorsqu’on est fatigué de compter, on passe à l’addition sans vérifier, joli calcul, fausse algèbre. J’ai pénétré le secret, je n’en attends ni compréhension particulière ni reconnaissance, au contraire. »

    Philippe Sollers, Sade contre l’Être Suprême

    Je me propose, sans être ému, d’éclairer L’Apocalypse de Jean à la lumière de l’hébreu original de sa prime écriture. Après deux mille ans de délires, il est temps, enfin, de la lire.
    _ la suite ici >>