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Le mauvais coup fait à Sollers - Portrait psychosociologique

Le tournant (IV) par Nathalie Heinich

D 16 septembre 2009     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


A partir d’un entretien réalisé avec Philippe Sollers sur la façon dont il a vécu l’obtention du prix Médicis (1961), pour son roman Le Parc, Nathalie Heinich, une sociologue, a écrit un article intitulé : « LE MAUVAIS COUP FAIT A PHILIPPE SOLLERS » sous-titré « Contribution à une sociologie de la reconnaissance ». [1]

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Ph. Sollers, pour Le Parc, 1961

Nathalie Heinich dresse là un portrait psychosociologique de l’écrivain, contribution à une étude plus globale sur la sociologie de la reconnaissance dans le monde de l’art et de la littérature.
Nous présentons, ici, de larges extraits de ce regard perspicace porté sur l’écrivain, magiquement révélateur à la façon du développement photo à ses débuts argentiques ou comme la morsure de l’acide sur le cuivre pour une gravure à l’eau forte.

Libre iconographie et citations en exergue de pileface

« Il n’y a guère au monde un plus bel excès que celui de la reconnaissance. »
Jean De La Bruyère (1645 - 1696)

« La marque d’un mérite extraordinaire est de voir que ceux qui l’envient le plus sont contraints de le louer. »
Duc de La Rochefoucauld

Hegel aurait aussi quelque chose à dire sur le sujet, mais laissons Nathalie Heinich s’exprimer :


RENCONTRE AVEC « SOLLERS »

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à feuilleter sur amazon

« On ne peut pas dire que la notoriété de Philippe Sollers tienne au prix Médicis » précise tout de suite N. Heinich, mais il lui apparaissait intéressant dans son échantillonnage de traiter aussi « un tel cas qu’une place secondaire dans une carrière, suffisamment accomplie pour autoriser un bilan portant sur près de quarante ans. » Et de poursuivre en racontant alors sa rencontre avec « Sollers » :
« Manifestement très sollicité mais curieux, sans doute, de se prêter au jeu, il n’a fait aucune difficulté pour me recevoir, en octobre 1998, dans son petit bureau chez Gallimard, encombré de manuscrits et tapissé de livres, au milieu desquels les siens figurent en bonne place : scène familière où il se plaît à jouer avec brio, fume-cigarettes à la main, ce personnage public — « Sollers » — dont il est à la fois l’auteur et l’interprète. L’histoire du prix accordé au jeune auteur du Parc est indissociable de l’histoire de Philippe Sollers : plus même qu’une histoire, une « mise en intrigue », pourrait-on dire pour paraphraser Paul Ricoeur (1984), qui a la consistance et la cohérence d’un personnage de fiction, au point que chacun de ses éléments y prend sens, inséré dans un projet d’ensemble où la série des discontinuités révèle, une fois mise en perspective, une remarquable continuité, du début jusqu’à
aujourd’hui.

Lauréat du prix Fénéon à vingt ans pour une nouvelle, Le Défi, il connut avec son premier roman, Une curieuse solitude, un « très gros succès » (« plus de 100 000 exemplaires, je crois »), et obtint le prix Médicis à vingt-cinq ans pour son deuxième roman, Le Parc, dont la publication en 1961 suivait de peu la fondation de sa revue Tel quel. C’est donc « déjà une sorte de professionnel » que ce prix venait couronner : « C’est-à-dire que je sais parfaitement ce que je fais. Ah oui, oui. »

*

BROUILLER LES PISTES, DÉJOUER LES ATTENTES

Il sait donc que ce prix, destiné à encourager des recherches novatrices, venait aussi en compensation de celui qu’il n’avait pas reçu pour Une curieuse solitude, remarqué d’un large public et salué par des auteurs de référence tels qu’Aragon et Mauriac. [...]. [Avec Le Parc, il rompt] avec une image d’écrivain
classique pour se rapprocher de la mouvance du Nouveau Roman, qu’encourage
à l’époque le jury Médicis. Il joue ainsi, déjà, le rôle de perturbateur dans le paysage éditorial : « Ce prix Médicis est entouré d’une drôle d’histoire, parce que, en réalité, j’ai été tout de suite — enfin, dès que j’ai commencé à publier — un enjeu de rivalités, d’affrontements intra-littéraires... Au jury Médicis il y a eu cette espèce d’affrontement, je crois, entre les participants... Il y a eu plusieurs votes, enfin ça a été assez compliqué ».

Même la difficulté de son éditeur à gérer ce prix révèle ce qui, à ses yeux, relève d’un état de conflit beaucoup plus global, qui est en quelque sorte le chiffre dans lequel il a choisi d’inscrire sa vie entière : « Ce qui s’est joué là, c’est une bataille, quoi ! C’est-à-dire qu’il y avait, comme toujours, les conservateurs arriérés, et puis quelque chose qui essayait de se dégager, et qui s’est joué à tous les niveaux : en littérature, dans l’enseignement de la littérature, dans l’université et ailleurs. Donc
c’était un conflit, encore une fois, historico-politique. Je maintiens. »
Philippe Sollers jouit manifestement de ses talents de perturbateur, cherchant à brouiller les pistes : « Vous savez, vous prenez mon dossier de presse, vous le mettez dans l’ordinateur, et l’ordinateur fume ! Vous ne savez plus si je suis bon, méchant, ceci, cela, enfin ça devient complexe ! ».

Mise en oeuvre pour la première fois avec l’épisode du prix Médicis, cette volonté de déjouer les attentes se révèle très vite comme un trait constant de sa carrière et de son caractère, qu’il revendique comme une stratégie parfaitement assumée. Déjà donc, Le Parc « a l’air d’être une défection » par rapport à Une curieuse solitude, où « la critique classique est très contente d’avoir affaire à un écrivain français qui renouerait, selon eux, avec la grande tradition ». Le premier geste déceptif vise ainsi la fraction conservatrice du milieu littéraire : « Le roman a été perçu par la presse, disons plutôt réactionnaire, comme quelque chose d’inquiétant puisqu’il ne satisfaisait pas les désirs conservateurs. » Pire, il le place en porte-à-faux à l’égard de son propre éditeur, qui ne s’attendait pas à ce que lui-même qualifie rétrospectivement comme une double subversion, à la fois littéraire et politique : « Le Seuil était très déçu que j’aie publié ce livre, Le Parc, qui pour moi était très important parce qu’il faisait état de toute mon expérience, déjà, de la guerre d’Algérie, etc. Et puis c’était une recherche d’écriture...
 »

Dans cette perspective, les critiques dont il fait l’objet ne sont pas à ses yeux un échec mais, au contraire, la confirmation de la réussite de sa posture déceptive : « Là j’étais l’objet d’une critique assez virulente de la presse, de la critique littéraire, parce que j’étais sensé ne pas avoir accompli les promesses de mon précédent livre. Je devais être dans la grande tradition classique, puisque j’avais été célébré comme tel, et là j’avais l’air d’être dans la roue du Nouveau Roman, de Robbe-Grillet, etc. Donc il y avait eu trahison déjà de ma part, enfin je m’apprêtais à être un traître conséquent et constant. »

Ce thème de la traîtrise, assumée et revendiquée comme une qualité primordiale,
voire un titre de gloire, revient tel un fil rouge tout au long de l’entretien.
D’abord, Sollers estime avoir trahi les attentes des conservateurs en
écrivant Le Parc, de sorte que le prix Médicis a été, pour ainsi dire, le prix de
la traîtrise ; puis, ce sont les attentes littéraires créées avec ce prix qui, dès le
livre suivant, ont été selon lui trahies : « À partir de là j’aurais dû être un écrivain
dit du Nouveau Roman, étant donné la façon dont ce prix se positionnait,
comme on disait : logiquement, à l’époque, il fallait que je fasse un livre qui soit
recevable par la dominante en question. Mais ça a été déçu très vite. J’ai passé
mon temps à décevoir ! C’est pas ça, c’est pas ça, c’est pas ça ! C’est jamais ça ! »
En même temps, il aura trahi les attentes éditoriales qui avaient présidé à la
création de sa revue, Tel Quel.
Antérieurement même à sa carrière intellectuelle, cette identité de traître
s’enracine déjà dans sa vie familiale, où « j’avais l’air d’un traître par rapport
à toute la tradition, ça a été politique, si vous voulez. Tout de suite. Et d’ailleurs
les choses ce sont gâtées beaucoup à partir de là. C’est-à-dire que nous sommes
en pleine guerre d’Algérie. Et là, c’est la rupture. Alors ça devient politique. De
façon très virulente. C’est la raison pour laquelle on va me retrouver... de
gauche, est-ce que c’est l’expression qui convient ? Je ne crois pas. »

Ainsi la traîtrise,
ou la propension à quitter son clan pour servir le clan adverse, n’est pas
une attitude contingente à quoi l’auraient forcé les événements, ni même un
trait de caractère qu’il subirait sans en être entièrement responsable, mais une
conduite systématique, volontaire et revendiquée : « Là j’étais perçu comme un
traître. Donc je suis traître à mon milieu et à mes origines. Bon. Mais ça c’est
facile à vivre. C’est même excitant. Après quoi, et bien, je suis toujours un
traître, au fond ! »
Chez Sollers la traîtrise est un peu, à l’identité de la personne,
ce que le pseudonyme est à l’écrivain : une signature.
« Nous avons fait tout à fait autre chose que ce qui était attendu, puisque ça
a été systématiquement la réévaluation de gens comme Artaud, comme
Bataille, des gens qui n’étaient vraiment pas prévus au programme »
 : hors
programme, Sollers se définit donc comme celui qui attire l’hostilité, seule
reconnaissance qu’il accepte du milieu littéraire : « La reconnaissance du
milieu littéraire, son hostilité ! Son hostilité est très utile aussi, son hostilité militante
 ».
Au minimum, il est celui qui « intrigue » : « Qu’est-ce qu’il fait, pourquoi
il fait ça, pourquoi il est intrigant, pourquoi il ne joue pas le jeu, pourquoi il...
Dès le début ça a été ça ! »

*

ÉCHAPPER AUX CLASSIFICATIONS

« Bon, comme ça, j’intriguais... » : Sollers n’a donc jamais cessé de se plaire
à être celui qui intrigue. Et s’il peut faire de l’absence de loyauté non un
défaut mais une qualité, ce n’est pas par amoralité (il sait parfaitement jouer
avec les attentes morales d’autrui), mais par fidélité à cette éthique particulière
qui consiste à placer au-dessus de tout autre exigence l’impératif d’indétermination,
le souci constant d’échapper à toute classification, qui est le but
auquel tend son acharnement à brouiller les pistes, à déjouer les attentes.
« Vous savez, moi, mon principe a toujours été de suivre ma propre détermination,
et quand on a vraiment décidé de faire comme ça, on se faufile. On
se faufile et on se défile. C’est-à-dire qu’on évite — autant que possible, et ça, ça
m’est resté très fort — on évite autant que possible d’être assigné à résidence
dans tel ou tel étiquetage préalable, sociologique. Ce qui arrive à la plupart des
écrivains qui sont une fois pour toutes sommés de se tenir dans tel ou tel casier.
Donc, à partir de là, j’ai passé mon temps, probablement, à ça - mais en suivant
uniquement mon désir... Donc les rapports avec la société ne se sont pas
arrangés ; avec ce qu’on appelle le milieu littéraire mais qui, finalement, est
un assez fidèle reflet de l’ensemble de la société ».

Électron libre (« j’ai été probablement
perçu jusqu’en 1968, et un peu après mais pas vraiment, comme
l’électron libre le plus puissamment responsable de ce qui va changer dans
l’université »
), quitte à subir quelques malentendus (« Une curieuse solitude,
c’était un malentendu. C’est-à-dire que j’étais déjà engagé, même à l’intérieur
de ce livre, dans une recherche qui n’était pas du tout celle que les gens ont
cru »
), Sollers prône l’insurrection permanente de l’écrivain contre toute assignation
extérieure, fût-elle celle du milieu auquel il appartient, fût-elle celle
qu’il a lui-même suscitée : « Vous savez, l’histoire d’un écrivain par rapport à
son temps, c’est l’histoire d’un malentendu permanent, qu’on accompagne plus
ou moins bien. C’est-à-dire qu’il y a plus ou moins de décalage. Ce qui est premier,
c’est... la propagande sociale. Un écrivain n’est pas attendu, il fait toujours
quelque chose d’insolite par rapport à ce qui est attendu, de jamais
souhaité... Et donc à partir de là on essaie de le... C’est comme envers l’art en
général, c’est-à-dire qu’on le met comme ça dans une... dans une case, voilà !
Alors c’est à lui de savoir s’il va s’imposer en restant libre, en faisant ce qu’il a
envie de faire »
.
Aussi a-t-il pour ennemi principal tout ce qui relève de ce qu’il nomme,
avec insistance, la « sociologie », synonyme à la fois d’assignation à des catégories
collectives et d’artificialité, d’inauthenticité, voire de manoeuvres éditoriales
sans rapport avec la qualité littéraire : « Immédiatement, dès que vous
publiez quelque chose, vous êtes l’objet d’une sociologie intense, c’est-à-dire que
vous êtes pris entre les différents pions qui sont là pour assurer leur domination,
par pseudo-contradictions explicites et solidarités de fond, bien entendu »
.
L’artificialisme sociologique contre l’authenticité de la création incarnée par
l’écrivain, les déterminations extérieures contre la liberté créatrice, les collectifs
institués contre la souveraineté de l’individu, ou encore Pierre Bourdieu
contre Philippe Sollers : dans cet affrontement désormais ritualisé, la sociologie
est réduite à une version aussi caricaturale que l’est l’esthétisme dénoncé
par la sociologie critique.
« Je vais vous dire : la plupart des gens pensent que tout est social. Ils pensent ça. Et que par conséquent tout ce qu’on a acquis vous a été plus ou moins attribué, donné par la société. Que ce n’est pas conquis, conquis en quelque sorte
les armes à la main, c’est-à-dire livre après livre »
. Ainsi l’écriture, le désir et la
liberté forment un seul et même combat, lequel est connecté à la société non
par ses causes (c’est un combat auto-déterminé) mais par ses effets, ses « résultats
sociaux »,
indéniables mais irréductibles à toute action de « la société »,
donc foncièrement imprévisibles : « Ce dont je me rends compte maintenant, plus calmement, c’est que chaque fois c’était une question de pure liberté de ma part ! J’écrivais selon mon désir. Ça donnait des résultats sociaux bizarres. Mais
uniquement parce que c’était écrit comme ça, vous comprenez. Parce que
c’était écrit. L’écrit engendrait des conséquences sociales. Et ce n’était pas la
société qui déterminait... »
Dans cette éthique de la résistance à toute assignation, à toute classification, même la désignation par autrui de cette stratégie de
brouillage se voit immédiatement récusée parce que susceptible, justement, de
constituer elle-même une assignation, fût-ce l’assignation à n’être pas assignable
 ; lorsqu’on lui demande si « Le Parc c’était, d’une certaine façon déjà,
une manière un peu de brouiller les pistes, pour vous ? », il rétorque, sans un
instant d’hésitation : « Ce n’est pas une volonté de brouiller les pistes, mais c’est qu’à ce moment-là j’avais envie d’écrire ça comme ça ».
Cette volonté d’échapper aux classifications n’en remonte pas moins —
comme l’identité de traître — à l’expérience originelle de l’appartenance à un
milieu familial, à une « origine de classe », comme il l’explicite lui-même longuement : cette posture de marginalisation assumée par rapport à son propre milieu — qu’il soit familial ou professionnel — faisait elle-même partie de l’héritage reçu d’une famille bourgeoise qui cultivait, comme une bizarrerie, le goût
de la résistance. C’est donc une singularité quasiment héritée qu’il a rejouée à
l’égard de son milieu d’origine en se singularisant par l’écriture, qui est l’homologue
pour lui de ce que la résistance a pu être pour sa famille pendant l’occupation. Lorsqu’on lui suggère qu’il peut y avoir une continuité entre son activité éditoriale et son passé familial, il approuve, et renchérit : « Absolument.
C’est-à-dire que j’ai été obligé de le décaler et de le dire autrement, mais c’est
vrai, oui... »

*

LE GOÛT DE L’HÉTÉRONOMIE

[...] Échapper aux classifications implique, corrélativement, qu’on
échappe aussi à la logique de son propre milieu professionnel, en l’occurrence
l’édition. Bien qu’il s’y soit très précocement intégré — à travers ses
publications, son poste de conseiller éditorial au Seuil, et la revue Tel Quel
il ne cesse de marquer ses distances avec les enjeux qui font tant parler dans
cet univers : il ne sait plus qui étaient les autres candidats au prix Médicis
« je ne me rappelle plus bien. Moi ça m’est tombé un peu dessus, hein. Je ne faisais pas très attention ! », a quasiment tout oublié des circonstances de l’attribution (« je ne sais plus. J’ai oublié. Ce n’est pas du tout une grande journée pour moi, non »), et n’a pas fêté l’événement.
De même, il cultive à l’égard des critiques une indifférence quasi ostentatoire
(« c’est drôle, parce qu’à l’époque on ne se préoccupait pas tellement des critiques. Je voyais que je recevais des coups, mais bon... »), qui tient pour beaucoup à la nature de ses fréquentations, perçues comme éloignées du milieu des romanciers et des critiques, de sorte que s’il n’était pas affecté par ce qu’on écrivait de lui, c’est que « ce n’était pas ma vie ! Si j’avais vécu avec des gens qui me répercutaient ce genre de choses, ça aurait pu m’affecter. C’est donc une question de proximité, et de la façon dont on vit, et avec qui on vit. Si vous vivez avec des gens qui se foutent de la critique littéraire, ce qui a été
pratiquement toujours mon cas, ils ne savent même pas que ça existe ! Et,
avantage supplémentaire, vous ne passez même pas à leurs yeux pour un écrivain.
Vous passez pour quelqu’un qui se fait accepter d’après ses qualités,
disons humaines. Je n’ai jamais vécu dans ce milieu. Jamais. Non »
.
Conformément à son éthique déceptive, les critiques négatives sont même
ce qui peut le conforter le mieux dans sa démarche, surtout lorsqu’elles vont
de pair avec le soutien d’autres marginaux qui, avec le temps, se révéleront comme de grands auteurs de la modernité : « Le livre suivant est à mon avis le meilleur : Drame, qui est paru en 65 et qui a été l’objet... Alors là commencent
les vraies choses, c’est-à-dire, là encore, une critique assez négative, et puis les
premiers soutiens, alors très très fondés, hein ! Comme Barthes ou plus tard
Derrida et d’autres. »
— « Des penseurs en marge de l’université ? » — « Oui... Vous avez un grand texte de Barthes qui s’appelle “Drame, poème-roman”, il y a même deux textes de Barthes là-dessus, et là on est devenus très amis ». Même le succès public le valorise, à ses yeux, plus que la reconnaissance des
experts et des pairs : lorsqu’on lui suggère que le plus important pour lui a été
le succès d’Une curieuse solitude plutôt que le prix pour Le Parc, il acquiesce
immédiatement : « Oui, bien sûr, bien sûr, plus fort. Bien sûr ». Et pour Femmes, vingt ans plus tard : « Aucun prix. Mais gros succès. Sans prix. Je ne crois qu’au succès sans prix d’ailleurs ».

Il prend, ce faisant, le contrepied de l’impératif d’autonomie
qui normalement marque l’appartenance de droit au monde de la création,
privilégiant la reconnaissance interne des spécialistes contre le succès auprès du public. Mais il peut se permettre, telle une coquetterie, cet effet d’hétéronomie, à la fois parce que son appartenance au monde de la littérature pure est suffisamment attestée, et parce que cette impertinence à l’égard de ses pairs fait précisément partie du rôle qu’il s’est lui-même assigné.

*

UNE LOCOMOTIVE AVANT-GARDISTE

[...] le groupe [d’avant-garde Tel Quel] est ce qui lui permet de vivre une singularité qui ne soit pas « par défaut » - défaut de reconnaissance,
défaut de liens — mais par choix et par excellence. [...] c’est la revue qui permet
de faire exister, tel un manifeste institué, cette volonté de « refondation » qui animait déjà l’écriture du Parc (lui-même « sociologiquement ressenti comme un manifeste de cette nouvelle tendance ») : « C’est le roman qui correspond à ce désir de refonder l’histoire de la littérature, oui. Sur d’autres bases ». Tel quel donc, fondée en mars 1960, incarnera ce lieu où il sera possible d’être
plusieurs en étant singulier, et de reverser l’expérience individuelle dans le creuset
collectif tout en transformant les résistances en force supplémentaire, en
preuve de grandeur : « Immédiatement, ce qui sortait de là comme notoriété renforcée ou jalousie renforcée, etc., a été reversé par moi au travail collectif - c’est-à-dire à Tel Quel... Je me suis toujours défini, dans cet appareil qu’on avait construit, comme étant celui qui devait se servir de sa notoriété pour servir l’oeuvre
commune. »
— « Dont vous étiez le porte-parole ? » — « Oui. L’élément le plus dynamique, le plus visible d’une conspiration. Et c’est ce que je reste d’ailleurs ». Et tout comme son fondateur, cette revue trimestrielle — « qui va faire beaucoup parler d’elle pendant longtemps et dont je suis en quelque sorte la locomotive » — va déjouer les attentes : « Au début on pense que Tel Quel va être la revue du Nouveau
Roman. Puis après on pensera que ce sera la revue des sciences humaines, puis
après on pensera que... Et puis voilà, on traverse... on traverse l’époque ».

*

METTRE LA MARGE AU CENTRE

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Mettre la marge au centre
Beaulieu en Dordogne

À la marge du milieu éditorial, ce collectif inclut lui-même ces autres marginaux
que sont les penseurs marginalisés par l’université, et dont la progressive
institutionnalisation confirmera rétrospectivement la clairvoyance de la
revue et de son fondateur : « Ils sont tous appelés d’ailleurs à bénéficier du soutien de Tel Quel pour faire une carrière universitaire retardée : après 68 on se presse de faire élire Roland Barthes au Collège de France, et Foucault. Barthes un peu plus lentement, c’est en 75 seulement qu’il a été élu, tout de suite après
Foucault. Lacan commence à devenir quand même très célèbre, toujours très
combattu, et il l’est toujours »
 : faire en sorte que la marge devienne le centre,
c’est là le propre de la reconnaissance pour les avant-gardes, dont la réussite
consiste à élargir les frontières de l’acceptable de façon que le dehors se
retrouve dedans, et que l’à-venir se conjugue au présent.
« À peine j’aurais pu être dedans que j’ai choisi le dehors », se souvient Philippe Sollers à propos de ses débuts, alors que « ç’aurait été très simple de
s’installer à cette époque-là et de faire le jeune écrivain doué, etc. ».
Mais,
ajoute-t-il, « ça a été tout le contraire ! », puisqu’il a choisi « l’offensive », tant
envers le milieu littéraire qu’envers le monde universitaire. L’avant-garde en
effet ne peut commencer qu’à la marge, comme c’est son cas à l’époque où
il reçoit le prix : « Je fréquente des marginaux. Des marginaux qui vont faire parler d’eux plus tard. C’est-à-dire sept ans plus tard. Des gens qui sont dans l’écriture, et qui sont dans la subversion. Ça va donner quelque chose en 68,
dont on parle encore, puisque c’est un spectre qui hante les imaginations ».

Dans ce modèle avant-gardiste hérité du romantisme et, plus précisément,
du dandysme, la notoriété obtenue par la consécration littéraire n’est pas une
fin en soi mais une arme, qui va permettre, étape par étape, de décevoir les
attentes sans pour autant se faire rejeter à l’extérieur ; et, en les décevant, d’en
créer d’autres, plus proches de la marge, de ce « cutting edge », comme disent
les anglophones, cette ligne de crête entre dedans et dehors, intégration et subversion
 : « C’est-à-dire décevoir et faire servir tout ce qui était misé sur moi — d’où la déception, le problème qui dure encore, parce qu’on me le reproche toujours... Donc vous faites quelque chose, vous avez un gain, vous prenez ce gain,
vous vous tirez et vous le misez sur autre chose. Ce qui est conçu par les uns
comme une trahison... Voilà. Enfin c’est comme ça que je me suis conduit ».

Mais mieux vaut, pour gagner à ce jeu, être plusieurs à se considérer non
comme la marge mais comme le centre : non pas certes le centre du monde
tel qu’il est, mais le centre du monde à venir, celui qui intégrera ce qu’il exclut
aujourd’hui, et dont le centre se confondra avec ce qui en marque actuellement la marge. « En général, quand on fait un groupe — sauf exclusions, parce qu’on s’est amusé aussi à ça, bon — sauf problèmes internes, on a l’impression — alors là c’est le côté un peu romantique des choses — on a l’impression qu’on est le centre du monde. Que tout le reste en dépend. Enfin, vous tenez votre
ligne et vous faites sauter, tout ! »

*

SUBVERSION PAR L’ÉCRITURE, SUBVERSION PAR LE SEXE

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Desin de NA, 2001

Faire tout sauter : « On faisait un groupe terroriste [rires], il s’agissait de dégommer l’ensemble de la société. Donc on est ensemble et on essaie de dégommer tout ça... » : là encore, c’est le propre du groupe avant-gardiste que de se définir dans la subversion, où le projet de refondation littéraire ou artistique est rarement dissocié d’un projet de refondation politique, étayé sur une logique de la conspiration et de l’exclusion.
Mais c’est à l’écriture, essentiellement, que Philippe Sollers confie cette mission
subversive qui donne sens à l’ensemble de sa trajectoire. Il lui impute en effet
des pouvoirs « à la limite de la pensée magique », par les « conséquences sociales » qu’elle peut avoir : « Il est étrange de savoir et de se rendre compte qu’un livre peut avoir une influence sociale aussi forte en étant quand même, très très bizarrement, un certain nombre de mots, pas forcément faciles à lire, alignés sur des pages ». En outre, ces grands pouvoirs ont l’avantage de n’exiger que de tout petits moyens : « Je crois qu’on a quand même beaucoup embêté le monde. Avec très peu de moyens. C’est ça, c’est ça je crois, le point essentiel : très très peu de moyens... Je faisais cette petite revue qui embêtait tout le monde, sans publicité, qui ne paraissait que tous les trois mois, avec un petit bureau et un téléphone, alors que quand on lit les historiens de cette époque on a l’impression que c’était la terreur organisée dans tout Paris, dans le monde entier à la limite, ce qui est cocasse ! Donc mon seul intérêt, si je peux dire, du point de vue sociologique, c’est d’être resté cet espèce d’abcès bizarre qui est tout le temps en train de perturber le paysage ! Tout simplement, ce que personne ne vous dira de moi, parce que je suis toujours en train d’écrire ! C’est ce qui m’intéresse. C’est drôle, parce que Sollers est une image sociale, mais personne ne vous dira jamais que je passe mon temps à écrire, ce qui est le plus clair de mon temps : ça fait quelques milliers de pages ! »L’écriture et, avant elle, la découverte de la littérature, sont donc autant des
fins en soi que des instruments au service de cette libido subversive qui va de pair avec le mouvement avant-gardiste, le refus des assignations et la stratégie de la traîtrise : « C’était la littérature, la poésie, tout de suite là — j’avais quatorze, quinze ans — Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont... Il faut y aller, hein !
Georges Bataille. Oui, oui, il faut développer quelque chose qui a été violemment
nié et combattre une régression, c’est tout simple !... »

Libido de subversion, libido d’écriture, et libido sexuelle : les trois vont de
pair, formant la signature du personnage Sollers, le chiffre tridenté dont
chaque élément se noue avec les deux autres. Dès l’adolescence, la découverte de la littérature est contemporaine d’une initiation au sexe, l’une et l’autre étant aujourd’hui perçues comme indissociables : « L’art et la sexualité
sont extrêmement liés. Ça se voit. Ça se lit. C’est ma conviction »
.

*

LA RÉUSSITE DU SCHIZOPHRÈNE

Lorsqu’on lui demande s’il a le sentiment d’une continuité entre l’époque
de ses débuts et aujourd’hui, il acquiesce sans hésitation : « Ah oui, oui, oui !
C’est-à-dire que je suis le plus apte à me présenter comme un schizophrène
réussi : quelqu’un qui peut faire exactement la division du travail, hein ! C’est-à-
dire se diviser pour apparaître tout en disparaissant. Bon, c’est un don
presque musical à la limite, dont je me sers pour un certain nombre de travaux.
Premièrement, ce que j’ai à accomplir, ce que j’ai à poursuivre, et
deuxièmement - maintenant je fais L’Infini, j’aide des jeunes auteurs, des
choses comme ça - c’est une double identité, en quelque sorte. L’apparence
Sollers qui a surgi très vite a donc été pensée comme un instrument. Ce que je
continue à faire et à penser. Je me sers de Sollers ».

Le « schizophrène réussi », donc, c’est d’abord celui qui, à la différence des
paranoïaques, est indifférent à sa propre image, laquelle est pour lui, au
mieux, un instrument (« comme si moi, par exemple, j’étais intoxiqué par Sollers, dont je me fiche éperdument, ce n’est pas mon problème ! ») ; et c’est, surtout, celui qui se dédouble en permanence - le subversif et le mondain, l’avant-gardiste et l’homme de pouvoir, celui qui « intrigue » au sens d’inquiéter et celui qui « intrigue » au sens de manoeuvrer - tout en jouant de ce dédoublement, comme on jouerait d’un instrument (« un don presque musical ») ou d’une arme (« je me sers de Sollers »). C’est pourquoi il ne faut pas chercher la vérité de Sollers dans l’un de ces deux pôles antinomiques mais dans leur
alliance, autrement dit, selon ses propres termes, dans cette « double identité » dont le maintien en équilibre, au fil des années, constitue sa principale réussite : « Il y a une continuité, mais qui n’est pas perçue souvent. Ou qui ne veut pas l’être. Parce que les présupposés ne sont pas les mêmes. Si j’étais un ennemi, par exemple — y compris historico-politique — j’aurais tendance à me décrire tout le temps comme girouette, quelqu’un qui change tout le temps d’avis, etc. Donc il n’y a aucune continuité. Mais moi je suis obligé de ressentir ça comme de la propagande de l’adversaire. Que je comprends. Si j’étais l’adversaire je ferais pareil ».

Il est donc indispensable à cette continuité identitaire, gage de sa réussite, qu’il
continue à se percevoir comme tout aussi capable de subversion, arrivé au faîte
de la renommée, qu’il l’était en débutant « je ne vais pas m’amuser à ça, mais je
peux vous faire un petit bulletin ronéotypé qui serait tout de suite extrêmement
subversif... »,
tout en étant capable de faire accepter cette subversion par l’institution
éditoriale : « ...et je recevrais dix propositions d’éditeur pour en faire une
revue ! Officielle, officielle ! Peut-être que j’aurais un prix, là ! »

Et c’est dans les
prix, justement, que vient se cristalliser cette reconnaissance, forcément secondaire à ses yeux : le grand prix de la ville de Bordeaux, obtenu en 1985, est « tout
à fait sociologique, artificiel »,
de même que le grand prix de la Ville de Paris,
« tout à fait artificiel aussi », ainsi que, en 1992, le grand prix de l’Académie française,
le prix Paul Morand, « qui est une sorte d’invite à rentrer dans le rang ».
Aussi ces « propositions d’intégration » (« bien sûr, oui, quoi qu’il arrive ce sont des
propositions d’intégration. Qu’on peut accepter d’ailleurs sur le moment, pourquoi
pas ? »)
ne sont-elles acceptables qu’à condition de les minimiser (il n’a accepté
le grand prix de la Ville de Bordeaux que pour faire plaisir à sa mère, décédée
peu après), et de les détourner au service de la bonne cause : « On me donne ça,
je prends. Take the money and run ! [rires] »

C’est précisément cette position schizophrénique à l’égard des prix, marquant
une intégration qu’il lui faut alors aussitôt décevoir, déjouer, détourner,
qu’il a expérimentée dès le prix Médicis, vécu par ses proches comme une « compromission
 »
alors même qu’il s’agissait, à l’époque, du prix le plus avant-gardiste.
Décevant, donc, ceux qui sont engagés dans le combat avant-gardiste
dès lors qu’il est reconnu par le milieu littéraire, il lui faut alors décevoir ce
milieu en faisant un pas supplémentaire du côté de sa marge : « J’ai passé mon
temps à décevoir ! C’est pas ça, c’est pas ça, c’est pas ça ! C’est jamais ça ! Alors
évidemment ce sera ça après ma mort ! Enfin, on n’est pas pressé...Il faut mourir
pour que ce soit ça. Mais on n’est pas pressé ! »

*

ENTRE INTÉGRATION ET MARGINALISATION

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L’homme aux mouettes (crédit : Markarian)
Entre intégration et marginalisation

Sollers toutefois ne pousse jamais la subversion au-delà du seuil qui entraînerait
son exclusion : marginal, certes, mais toujours intégré, il ne cultive pas
le martyrologe du « grand singulier » (Heinich, 1991) sacrifié pour l’amour de
l’art ou le triomphe de la révolution. C’est là, très explicitement, l’espace en
lequel se déploie le « double jeu » qu’il revendique comme le plus « utile » : « Le
choix qui vous est proposé, c’est l’intégration complète, donc la disparition de
toute pensée, de toute indépendance, ou bien la marginalisation et le suicide.
Donc je suis de l’avis de - comme l’a dit Voltaire - “pas de martyr”, car je pense
qu’il y a un double jeu à accomplir et à tenir. C’est, nerveusement, une disposition
qu’on peut avoir, ou pas. Moi je l’ai. Donc je m’en sers. Sollers est utile »
.

Entre intégration et marginalisation, il s’y tient non seulement par ses positions
littéraires et éditoriales, mais aussi, plus trivialement, par son rapport au confort
matériel, à l’égard duquel il cultive un certain détachement, dont il sait lui-même
qu’il le doit à un privilège familial. Et c’est, enfin, son rapport aux prix littéraires
qui manifeste cette même position intermédiaire, ne l’excluant pas totalement de
la course, mais ne rendant envisageable qu’une récompense elle-même relativement
marginalisée.

Ainsi, lorsqu’on lui demande s’il aurait pu avoir le
Goncourt :
« Certainly not ! Ah non, le Goncourt jamais ! Non, bien sûr. Non, non.
En plus je n’ai aucune des caractéristiques... Enfin c’est quand même un roman
plus ou moins naturaliste qui est primé, et j’ai fait tout à fait autre chose. Ça ne
pouvait être, si vous voulez, qu’une reconnaissance de ce qui était à l’époque en
train d’être reconnu comme étant un travail plus ou moins moderniste, d’avant-garde,
patati et patata, tout ça. Donc le prix Médicis. Jamais le Goncourt ! Non.
Impossible. Je n’aurai jamais le Goncourt, de toute façon. Il faut pour ça des particularités,
j’allais dire quasiment génétiques ! »

Même le Médicis n’aurait pu, selon lui, être attribué à ses romans ultérieurs
au Parc : « Femmes n’aurait pas pu avoir non plus le Médicis à l’époque. Parce
que ça pouvait apparaître comme un livre de rupture avec un certain conformisme
d’avant-garde, que le prix Médicis veut incarner encore. De moins en
moins, mais voyez...C’est un livre qui a fait scandale...Parce que là, je donne
l’impression de trahir, alors...Le traître à répétition, ça suffit comme ça ! Voilà.
Non, non ».
Et si ce prix, à l’époque, a pu récompenser Le Parc - représentant
pour Sollers une certaine forme « d’encouragement », qui lui a « donné un
peu à respirer »
- c’était pour compenser un accueil négatif : « C’est un livre
qui était plutôt mal accueilli, c’était comme une défection... Donc le prix est
venu comme une sorte d’équilibrage par rapport à une presse assez négative, voilà
 »
. C’est pourquoi il n’y a pas grand-chose de plus à dire sur ce prix Médicis,
dont la relative indifférence participe précisément de la logique d’un personnage
singulier, se plaisant à fasciner en même temps qu’à exaspérer.

Et pour assurer, de nouveau, ce qui fait sa cohérence, il lui faut se relancer
dans cette course perpétuelle où l’on est en permanence menacé par sa
propre réussite, obligé d’avancer vers les marges, tirant le centre derrière soi
tout en se laissant tirer à lui pour mieux le séduire, l’attirer, le déplacer et, toujours,
le trahir : « Le prix Médicis, c’est un moment de difficulté qui est compensé
par l’attribution de ce prix. Voilà. Un moment de difficulté où j’ai
changé, où j’ai trahi les espoirs qu’on pouvait mettre en moi. Voilà. C’est très
clair ! »
Car de toute façon, « c’est mauvais signe, un prix ! Oui. C’est ce que dit
Cézanne, quand les prix montent : ces gens préparent un mauvais coup ! »

Nathalie Heinich

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Nathalie Heinich sur amazon
*

On pourrait ajouter cette citation, extraite de ses mémoires Un vrai roman, 2007 :

Le Clézio
« Le film que se raconte le milieu littéraire français, depuis plus de trente ans, peut d’ailleurs être décrit comme un western classique, sans cesse rejoué, avec, de temps en temps, adjonction de nouveaux acteurs. Il y a un Beau, un Bon, un Vertueux exotique, Le Clézio, et un Méchant, moi. Je m’agite en vain, Le Clézio est souverain et tranquille, il s’éloigne toujours, à la fin, droit sur son cheval, vers le soleil, tandis que je meurs dans un cimetière, la main crispée sur une poignée de dollars que je ne posséderai jamais. »

Ph. Sollers,

Un vrai roman
, 2007

C’était avant l’annonce de la décision de l’Académie suédoise du Prix Nobel 2008 de Littérature attribué à Le Clézio. On sent comme un regret dans cette citation. Un prix qu’il aurait sans doute accepté, consécration ultime justifiant son parcours. Pas comme un mauvais coup !
Sollers a rendu compte, à sa façon, de cet hommage rendu à un rival en littérature et son anti-portrait dans son Journal du mois dans le JDD de décembre 2008, après une brève mention dans son journal du mois d’octobre 2008, vite recentrée sur son « quant à moi » :
« Quant à moi, si je peux me permettre, j’attends la création imminente du prix Nobel posthume qui sera le plus convoité. Je pose déjà ma candidature pour 2058, si le prix Nobel existe encore. »
Le Clézio méritait plus. Il corrigera le tir par une entrée plus conséquente dans son Journal du mois de décembre, mais ne lui consacrera pas un article dans les pages du Nouvel Observateur comme il l’avait fait pour Claude Simon à l’occasion de sa publication en Pléiade, en 2006.

Nouvel Obs, Semaine du jeudi 16 février 2006 - n°2154 - Livres

...Humain, très humain ! Reconnaissance dis moi ton nom !

*

SURMOI

Au portrait psychosociologique, de Nathalie Heinich, on pourrait aussi ajouter celui psychanalytique de Jacques-Alain Miller publié dans Le nouvel âne n°7, d’ octobre 2007 avec un chapitre sur le surmoi de Sollers :


Sa pléiadisation soucie Sollers. Il se moque de l’Académie, a fait une croix sur le Nobel, qui le lui rend bien, mais entrer de son vivant dans cette belle collection, ça, ça le branche.
[...] Dans sa mémoire à lui, Sartre, prix Nobel pour Les mots, se vantait de n’avoir pas de surmoi, surmoi dont il avait une notion antique : c’est, croyait-il, celui qui dit non - comme lui précisément au prix Nobel ou Gracq au prix Goncourt. Sartre ne voyait nulle part son surmoi parce que c’était lui-même. Gracq a l’avantage de le savoir.
Sollers a un surmoi, un surmoi de dernière génération, lacanien : c’est un surmoi qui dit oui. Ce n’est pas Sollers qui aurait refusé le Nobel ou le Goncourt, soyez-en sûrs. Son surmoi dit : "Jouis !" , et Sollers obéit - et comment ! La volonté de jouissance poussé à ce degré-là, un si fort Ça, ça vous fait vite une vie de forçat, n’est-ce pas ? Je remarque que la jouissance de tous les grands fouteurs compulsifs, grands auteurs-fouteurs y compris, n’est jamais régie en fait que par un Tout pour la jouissance de l’Autre. Sollers et les femmes, c’est-à-dire les putes, et les cuisinières, et les cantatrices, et les vertes, et les pas mûres, et aussi les mûres, et même, en passant, quelques travestis pour pimenter le tout - "J’espère que vous faites attention à votre santé ?" lui demande tout à trac Mitterrand, qui avait des oreilles partout.
[Suivent divers développements sur Sollers et les femmes, un détour avec Montherlant : « Néanmoins, point commun : ce sont tous deux des fils de la mère. Les valeurs du père les laissent froids.[...] ]

Jacques-Alain Miller
Le nouvel âne n°7, octobre 2007
.

« En définitive, le Nobel, c’est bien, la Pléiade, c’est mieux. » avait écrit Sollers à la fin de son article sur Claude Simon évoqué plus haut.

...Quant à moi, pourrait dire Sollers «  - La Pléiade, tout de suite ? Oui, oui ! Et le Nobel post-mortem... bien sûr ! » Humain, très humain en somme... Reconnaissance dis moi ton nom.

*

LIENS :

- Le tournant (I) : « Quand le Masque et la Plume assssinait Sollers »

- Le tournant (II) : « Dans les allées du Parc », Mise en perspective : analyses et extraits du livre.

- Le tournant (III) : « Distance, Aspect, Origine » par Michel Foucault (1963)

*

[1Revue internationale de psychosociologie 2002/1 - N° 18 p. 71-86

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