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Amours (III) Le corps amoureux

par Yannick Haenel et François Meyronnis

D 22 mars 2009     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Troisième volet de la série « Amours » commencée avec

- Philippe Sollers, Le corps amoureux

- Stéphane Zagdanski, Conversations amoureuses

Ici, un extrait de l’essai récent de Yannick Haenel, François Meyronnis, Prélude à la délivrance, Gallimard/L’INFINI, 2009, initialement publié dans le numéro 1 de la revue Angst. Avec, en contrepoint, « l’amour surréaliste. »

Le corps amoureux selon Haenel & Meyronnis

ANGST. - Dans la livraison de Ligne de risque « Éros contre le nihilisme  », en analysant les pathologies de l’amour, vous faites référence aux diverses approches et conceptions quant aux pratiques sexuelles. Pensez-vous que ces pratiques soient accessibles à l’homme occidental ?

F.M. - Le corps amoureux n’est pas le même que le corps anatomique. Depuis qu’André Vésale a fait surgir, au XVIe siècle, le corps anatomique, celui-ci obnubile les cerveaux européens. C’est surtout vrai, comme le montre Foucault, à partir du XIXe siècle.

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Depuis cette époque, il devient presque impossible de lui échapper. Et dès que l’on rabat le corps amoureux sur le corps disséqué, il en résulte une sorte de lourdeur asphyxiante. L’« amoureuse humeur », comme dirait Aragon, est subordonnée à la physiologie animale, au sens le plus étroit du terme.

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Calder, Joséphine Baker III, vers 1927, fil d’acier
Exposition Centre Pompidou, jusqu’au 20 juillet 2009

On croit évident de toute éternité que l’on fait l’amour avec le corps né pour mourir, avec le corps de la vie-mort biologique. Mais ce n’est pas si sûr. La tradition chinoise et la tradition indienne, par exemple, voient les choses autrement. D’après ces traditions, un corps subtil double et redouble le corps matériel. Et sans être initié à lui, pas d’érotique. Cela induit un autre commerce avec le corps, beaucoup plus détendu, beaucoup plus léger. Ah, vraiment, l’Occidental gagnerait à ne pas être enfermé dans ses préjugés anatomiques ! S’identifier à une viande qui agonise, quelle prémisse désastreuse ! Cela aboutit à confondre la jouissance avec le plaisir d’organe, avec pour résultat la frustration. Quelle misère ! Vite, un peu de Chine ! Un peu d’Inde ... Un peu de raffinement, de civilisation ... La grande tradition courtoise, qui se prolonge très tard, jusqu’au XVIIIe siècle, avec le libertinage qui la renverse, cette tradition occidentale de l’amour n’avait pourtant rien de rustre. Mais elle est si loin, aujourd’hui. Aussi exotique, au fond, que l’art érotique des Chinois, ou celui des Indiens. L’Occident a gâté le jeu de l’amour, par le triomphe de la science. Contrairement à ce que raconte la propagande, lorsque la science prend la place de la religion chrétienne, Éros s’étiole.

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Y.H. - Pour décrire ce qui a lieu dans le monde occidental sous le nom de « rapport sexuel », Antonin Artaud a une expression amusante : il parle de « Monsieur Coït Satisfait » et de « Madame Érotique Orgasme ». Il semblerait qu’Artaud ait vu dans le sexuel le lieu même d’un envoûtement. C’est l’un des premiers à comprendre qu’entre un homme et une femme, ce qui a lieu reproduit le conditionnement social ; et que le sexuel, par conséquent, est une modalité de contrôle - une sorte de marquage, un identifiant.

Mais il existe, dans le sexuel, quelque chose d’autre qui ouvre. François vient de parler de la pensée taoïste et de la pensée védique, qui sont des opérations érotiques. Dans 1’« art de la chambre à coucher », comme disent les Chinois, vide et jouissance coïncident ; et cette rencontre dégage une réserve de libre.

Walter Benjamin essayait de trouver ce qu’il appelait « un champ de force entre la Tora et le tao ». Celui à qui apparaîtra ce champ de force sortira de l’envoûtement ; il aura accès à cette jouissance qui interrompt l’emprise - qui libère.

Cette jouissance est sexuelle, mais si elle provient du râle humain, elle ne s’y limite pas : elle est l’autre nom du réveil.



Livre difficile, avec des luminescences. (Pileface).

Table des matières

" L’élégance, la science, la violence ! "
La fin des Temps modernes
Evangile de la Baleine

Quatrième de couverture

Prélude à la délivrance

L’effroyable a déjà eu lieu et ne cesse d’avoir lieu. En un sens, il n’y a plus rien à craindre. Ce livre s’adresse à toute personne de bonne foi cherchant un accès à la délivrance au c ?ur de la catastrophe planétaire.

À chaque instant s’ouvre la possibilité du sauf. Mais qui le désire ? Vous, peut-être.

Yannick Haenel et François Meyronnis animent ensemble la revue
Ligne de risque (*)

Gallimard/L’INFINI, 2009.

(*) « Le rapport avec le sacré, depuis le début - même si cela n’a pas toujours été dit -, est l’orientation principale de Ligne de risque. Pour autant, aucune affiliation à une religion, encore moins manipulation de je ne sais quelles données occultistes. Nous ne croyons pas, par le fait même d’écrire, que le monde profane reflète une réalité ultime. »

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Car, dans le sexuel, il y a évidemment autre chose qu’une petite affaire à deux. J’aime beaucoup cette phrase, très profonde, de Gilles Deleuze : « Quelle triste idée de l’amour, qu’en faire un rapport entre deux personnes. » On sort là de l’idéologie libidinale, qui réduit les corps au balancier fastidieux de la satisfaction et du manque.

Car l’amour est précisément ce qui déborde le rapport entre un homme et une femme ; il ne se limite pas à l’ajointement entre les deux corps, mais ruisselle dans l’élément du réveil.

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Il ouvre l’existence des amants au réveil. L’amour est le nom du réveil permanent de cette jouissance qui, en vous faisant passer - comme dit Rimbaud - de la « mécanique érotique » à 1’« invention amoureuse », élargit votre existence à la dimension du champ libre.

Ici la dimension de l’amour et celle du langage coïncident. Phrases de réveil, amour de réveil. Éros et le langage sont pour moi une même chose.

Je pense qu’Éros n’est pas seulement cette divinité qui flamboie dans l’instant de la rencontre érotique ; mais qu’il est l’autre nom du temps.

L’éclair d’Éros est possible à chaque instant : Athéna, dans l’Odyssée, est toujours présente pour Ulysse, par exemple sous la forme d’une hirondelle. De même, Éros est une disponibilité du temps lui-même.

Un acte érotique consiste ainsi à se rendre disponible à cette disponibilité. Alors le langage devient une zone érogène. Je propose que nous appelions cet acte une extension du domaine de l’érotisme.

F.M. - Ce que nous remettons en cause, c’est la croyance sexuelle. Houellebecq, par exemple, piège son public en exploitant cette croyance. Tout le monde hallucine l’emprise sexuelle comme la réalité la plus intime, et ce n’est qu’un mirage : une croyance fondée sur un tour de passe-passe psychique. Un envoûtement, en somme. La capacité à résister à un tel envoûtement donne la mesure de la liberté spirituelle d’un individu.

p. 41

La « sexualité », au sens où on l’entend actuellement, remonte-t-elle à la plus haute Antiquité ? Eh bien, non. Elle ne remonte pas plus haut que le XIXe siècle, comme Michel Foucault l’a établi il y a trente ans. N’est-elle pas en train de devenir un obstacle à l’amour ? L’industrie pornographique n’exhibe-t-elle pas le lien entre compulsion sexuelle et compulsion de meurtre ? Ces questions nous semblent de véritables questions politiques. Elles demandent de nouveaux développements dans la pensée et dans la compréhension.

Sans doute faudrait-il en finir avec le « sexe » comme dogme, avec cet enkystement d’Éros dans le corps anatomique envisagé comme organisme.

Sur ce plan, la littérature peut faire quelque chose - pas seulement décrire, mais agir.

La question de l’érotisme ne peut être entièrement dissociée de celle de l’amour. La spectacularisation du « sexe » permet d’oblitérer l’amour, ou de le cantonner dans la sentimentalité bébête. L’accueil fait aux romans de Houellebecq a ici valeur de symptôme. Il y a tellement peu d’amour, et cette absence engendre un tel désarroi - une telle tristesse - que le tableau délétère de cette sous-existence s’impose comme le produit éditorial par excellence.

Ce n’est pas chez Houellebecq que l’on trouvera la phrase de réveil. Cependant le mouvement qui nous lance à la poursuite de cette phrase, peut-être est-ce lui qui nous amène à reprendre la question de l’amour. D’une certaine façon, nous devons remettre en cause la théorie sexuelle de Freud.

À son époque, elle était fondée. Freud y tenait pour faire barrage, disait-il à Jung, à la marée noire de l’occultisme.

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Il avait raison. Mais nous n’en sommes plus là. Les verrous sautent, les uns après les autres. Il est temps, sans doute, de renoncer à cette théorie sexuelle pour une érotique. Une érotique qui soit simultanément une poétique.

ANGST. - Selon Georges Bataille : « L’être aimé est l’être attendu, qui remplit le vide (l’univers n’est plus intelligible sans lui).  » Qu’en pensez-vous ?

Y. H. - La phrase de Bataille, je préfère la retourner : pour moi, l’être aimé c’est précisément celui que je n’attends pas - c’est l’inattendu. Et c’est celui qui ne va surtout pas remplir le vide, mais ouvrir au vide. Quelque chose comme l’amour se met à exister en surgissant d’un jeu avec le vide. Le corps amoureux, c’est un corps qui se dégage, qui s’épanouit hors des barrages. François a raison, en un sens il faudrait sortir de la théorie freudienne. C’est un peu lamentable que l’acte sexuel soit considéré, suivant la vulgate freudienne, comme le point qui cristallise les embarras d’un individu et condense ses névroses. Car c’est aussi - et surtout - l’instant où au contraire plus aucun embarras ne tient face à l’intensité de la rencontre. Où les barrières tombent. Où le corps bondit hors de ses déterminations. Dans l’acte sexuel, on a enfin un corps.

Autre chose : on répète un peu partout, comme un cliché, que dans la jouissance, le langage s’arrête, que la jouissance désintègre le langage. Possible si l’on n’envisage celle-ci que d’un point de vue organique. Mais ce point de vue ne tient pas. Car ce qui a lieu dans la jouissance - dans cette jouissance qui ne se limite pas à la satisfaction du coït,

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mais s’ouvre, à partir d’une étreinte, à tous les domaines de l’existence -, cela relève de cette énergie qui fait passer de la mort à la vie, énergie qui est de nature poétique.

La jouissance fait exister : elle donne la parole. Le corps amoureux est précisément celui qui s’ouvre au langage celui qui se révèle en état de langage. D’ailleurs, c’est ce corps qu’on a lorsqu’on écrit.

Ainsi la jouissance n’est-elle pas une privation momentanée de langage, mais un accès illimité à cette parole qu’il y a dans la parole.

Ce que François appelle « une érotique qui soit en même temps une poétique » a lieu pour moi entre ces trois pôles : l’être aimé, le vide, les phrases. Les livres que j’essaie d’écrire et l’existence dans laquelle j’évolue coïncident à travers le jeu d’un triangle : amour, vide, langage.

F.M. - L’être aimé est toujours celui que l’on n’attend pas. Mais pourquoi ne serait-ce pas la même personne, chaque fois ? Ce qui fait qu’on l’aime pose cet être comme singularité toujours surgissante, comme inattendu. Que cela arrive rarement ne prouve rien contre cette hypothèse, au contraire.

Par ailleurs, l’une des raisons de mon scepticisme face à une « sexualité » rabattable sur l’anatomie tient à ceci : le corps amoureux ne ressemble pas à celui que j’ai au début de l’acte sexuel. Je veux dire par là que le corps amoureux n’est pas celui de la quotidienneté ; seul l’acte me le donne, et l’être avec lequel je l’accomplis. Il faut la rencontre d’un autre corps pour qu’il surgisse : il ne préexiste pas à la rencontre. Il existe potentiellement, dans cette corpropriété

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subtile que j’évoquais tout à l’heure ; mais il ne vient au jour que par cet événement improbable : la rencontre d’un autre corps. Après, le corps amoureux se module. Et cette modulation peut emplir toute une vie, car elle prend la forme d’une spirale perpétuellement ouverte.

L’ amour est donc un faire ; mais également une connaissance.

Y.H. - Ce que tu décris là, c’est exactement la naissance du poétique, la manière dont surgit le poétique.

F.M. - Et cela excède complètement l’anatomie. L’acte, s’il a vraiment lieu, ce qui est autre chose qu’une copulation, s’apparente à ce que les linguistes désignent comme un performatif. Aimer fait être le corps qu’il met en jeu il le fait naître aussi. Le corps amoureux n’existe que dans l’acte de faire l’amour. Il n’a rien à voir avec le corps que l’on économise, qu’on lave, qu’on entretient ; et pas non plus avec celui qui fait l’objet d’un narcissisme, lequel est beaucoup plus imaginaire que subtil, n’étant que le support d’une image. Nullement le corps amoureux, celui que l’on bichonne, dont on adonise la carcasse. Une chair qui tourbillonne autour des halos de la jouissance interrompt la continuité du monde. Elle disperse les limites. Seul un événement lui donne naissance. Et cet événement, mieux vaut ne pas l’assimiler à un fait. Le coït ressortit au domaine de la factualité, pas l’acte dont je parle. En ce sens, Lacan avait raison : « Il n’y a pas de rapport sexuel. » Aucune copulation ne suffit à l’asseoir - aucun fait.

Alors, évidemment, quand on baise avec sa viande, il n’en résulte que le plaisir d’organe - et c’est ce qui fait écran à la jouissance.

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Y.H. - La plupart des romans qui se publient ne font que reproduire les énoncés de la société sur elle-même ; ils ne sont jamais que la manière dont la société se parle à travers un « monologue effréné », comme dirait Debord. Et l’unique sujet de ces romans, leur sujet universellement emmerdant, c’est le manque. Le manque à vivre. Le manque à être. La servitude du manque. Comment ça doit manquer. Se manquer, ou être manqué. Bref, comment ça n’existe qu’en termes d’impasse, dans le rétrécissement calamiteux de la consommation déçue. L’impossibilité à vivre en dehors des critères de la valeur d’échange, et même à concevoir sa vie en dehors du marché, mène au malheur le plus boursouflant, ainsi qu’à l’atermoiement le plus boueux. Ni le confort, ni l’argent, ni même le pouvoir ne sont capables de combler les inconsolés du nihilisme. Rien ne compense l’inaccès à la poésie, même pas l’abjection qui la condamne. Les inconsolés du nihilisme se sentent abandonnés, quand c’est eux-mêmes qui se sont abandonnés en recherchant ce qui, précisément, ne les comble pas : l’argent, le confort et le pouvoir ; et en se détournant de cette jouissance poétique pourtant disponible à chaque instant, et qui fait signe, là, à portée de main, dans ce petit écart scintillant qui sépare chacun de son propre salut. Le sentiment d’être berné pousse en dernier ressort les plus amochés à se venger autant qu’à désirer avidement leur sanction. Les romans de Houellebecq ne parlent que de ça, bien sûr ; mais presque tous les autres aussi : même fardés en délicate bluette, ou masqués derrière de douillets alibis culturels, ils suintent cette méchanceté du malheur qu’est le ressentiment

p. 46

Une espèce d’idéologie s’est formée autour du manque et de ce qui rate. Et sur le plan social, cette idéologie a gagné : on n’homologue la production littéraire qu’à proportion de son appartenance au langage de la névrose dominante. Un roman n’est répertorié - validé - que s’il est écrit dans le dialecte du manque. Cela n’empêche personne d’y être réfractaire. Il arrive même qu’une exception passe entre les mailles, mais le filet se resserre vite.

F.M. - Le manque, dans la métaphysique, donne la notion qu’une instance excède le plan corporel. Dans cette vallée de larmes, le suprasensible est ce qui nous fait défaut.

Quand le nihilisme s’installe comme domination universelle, le platonisme est renversé : il n’y a plus de région d’en haut, et donc aucune raison de bramer après un surplus de sens. À ce stade, la frustration prend la place du manque. C’est encore pire. La souffrance augmente, et la détresse. Il suffit de lire un roman de Houellebecq pour le comprendre. Dans la sphère privée, il s’ensuit une mutation. Un individu rencontre son semblable, qui lui tire l’ ?il. Il s’arrange pour coïter avec lui, et il s’avise aussitôt que ça laisse à désirer, voire que ça rate franchement. Que se passe-t-il ? L’individu se goberge avec un « gros bon jouir », comme dirait Lacan. Autrement dit, avec le plaisir d’organe. En soi, ce n’est pas grand-chose : un simple petit spasme. Mais avec lui, il y a une gratification narcissique. D’un côté, ça spasme ; et de l’autre, conversion dudit spasme en capital narcissique.

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Un seul problème : cette conversion repose sur un leurre. Le plaisir d’organe, sans cette conversion, s’avère parfaitement inconsistant. Il s’agit d’un secret de Polichinelle très éventé. Alors, bon, la conversion psychique s’achève en brouet d’andouilles. On cherche à la relancer par des attrapes. Le magazine féminin débite de la compote sentimentale. Du côté masculin, on joue plutôt le débridement pornographique. Mais le malaise s’amplifie. Le mirage s’écroule sur lui-même. Houellebecq montre très bien qu’au bout d’un certain laps, il faut passer à quelque chose de plus substantiel : par exemple, la mise à mort du semblable. Pente un peu savonneuse, que dévale la société occidentale, au point de devenir de moins en moins vivable. La libération des m ?urs intervenue il y a trente ans débouche sur une impasse sordide. Cet affranchissement de la « sexualité » fut peut-être la plus grande farce jamais conçue. En démocratisant ce qu’on a appelé le « sexe », on a sans doute fermé un accès à l’opulence érotique. Cette opulence, on l’a cadenassée dans l’anatomie. À partir du coït, on a rendu prégnant un état psychique totalement illusoire. D’où un chagrin blême et plat prenant l’allure d’un dégorgement venimeux
p. 48


L’amour surréaliste


Quatrième de couverture
Plutôt la vie pouvait-on lire sur les murs parisiens en 1968. C’était le titre d’un poème d’André Breton. Les surréalistes ont en effet voulu « repassionner » la vie par l’amour, clé de voûte de la révolution surréaliste. Pour ouvrir les portes de la surréalité, Breton nous invitait à vivre l’amour fou, à rendre à l’homme ses pouvoirs perdus, à approfondir la réalité par la résolution des antinomies, à guetter la Merveille, à écouter ici et maintenant l’appel du désir, à nous rendre disponible au « vent de l’éventuel », à décrypter les « coïncidences pétrifiantes », fruits du « hasard objectif »...
Ce livre propose une relecture méticuleuse des écrits de Breton afin de mettre en lumière la part capitale que tient l’amour dans sa vision du monde et de l’art. Il nous rappelle constamment que si nous savons que le rêve et la veille sont deux « vases communicants » et que la poésie, la liberté et l’imagination sans bornes sont à notre portée, c’est au surréalisme que nous le devons.

Anna Lo Giudice

Enseigne la littérature française à Viterbe (Italie). Elle est spécialiste des avant-gardes et de Paul Valéry auquel elle a consacré de nombreux travaux et dont elle a édité la correspondance avec André Fontainas.

Union libre, Breton, 1931

Je vous souhaite d’être follement aimée

Dans les entretiens de Breton avec Parinaud, au Xe entretien : la grande source d’inspiration surréaliste, l’amour ?

André Breton : « Oui : indépendamment du profond désir d’action révolutionnaire qui nous possède, tous les sujets d’exaltation propres au surréaliste convergent à ce moment vers l’amour. »

Avec Nadja, s’arrêter aussi évidemment à L’amour fou . Souvenons-nous de la fameuse dernière phrase, à sa fille : « Je vous souhaite d’être follement aimée ».

Notons que le roman de Ph S qui traite précisément de la relation d’un père à sa fille, comme par hasard, s’intitule Les Folies françaises(*)...


D. Brouttelande

(*) bien que Philippe Sollers affiche d’autres pistes : « Pourquoi Couperin a-t-il composé cette pièce de clavecin qui s’appelle Les Folies Françaises ? Quelle est la signification du chef-d’ ?uvre tardif de Manet Un bar aux Folies-Bergères ? » Et de poursuivre : « Quel est le sens de l’amour [...] ? »


De L’amour fou à Passion fixe : le nouvel amour...

Barthes lit des fragments de L’Amour fou d’André Breton (1’22) [1] :


Pour démarrer l’écoute, cliquez sur la flèche verte

Sollers parle aussi de « l’amour libre » :
« " L’amour libre " est une vieille expression française faisant très peur à la police de la société. » (Passion fixe, Gallimard, p. 65)

A rapprocher de « L’union libre » célébrée par Breton que vous pouvez écouter ici


A. G.

Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d’éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de
dernière grandeur
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d’allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de coeur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d’initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d’orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d’or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d’amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque
Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu


[1L’extrait dans son contexte : A propos des Fragments d’un discours amoureux .

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3 Messages

  • A.G | 4 juin 2009 - 16:29 1

    Comment échapper au nihilisme qui ravage le monde ? En apprivoisant le néant, en se tournant vers l’Orient : Appel aux vivants.


  • A.G. | 14 avril 2009 - 15:51 2

    Sur Prélude à la délivrance ce bel article de Yann Moix Haenel et Meyronnis :
    un livre qui délivre
    .


  • D.B. | 3 avril 2009 - 19:49 3

    A propos de Nadja, à paraître en mai aux éditions Actes Sud :

    Hester ALBACH L’Amour de Léona Delcourt, héroïne du surréalisme

    "Qui était celle qu’André Breton nomme Nadja ? A-t-elle vraiment existé ? Quels liens affectifs ou intellectuels ont pu l’unir au père du surréalisme ? Douée d’une curiosité et d’une opiniâtreté redoutables, Hester Albach a voulu en avoir le c ?ur net. Elle s’est lancée dans une enquête, dont cet ouvrage est à la fois le récit et le résultat."