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Les Voyageurs du Temps (III)

Mais que raconte donc ce roman ?

D 27 janvier 2009     A par Philippe Chauché - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


1979 {JPEG}Sollers écrivain ? qui en douterait ? Cela se vérifie une nouvelle fois aujourd’hui, dans l’allégresse rayonnante des " Voyageurs du Temps ".

Sollers écrivain du beau ? C’est une évidence ! Lisons Roland Barthes : « ... Un jour, je disais de quelque texte qu’il était beau. On se récria : comment peut-on être moderne et parler de beauté ! Notre vocabulaire est si limité (précisément là où les nouveautés surabondent) qu’il faut bien accepter que les mots tournent et reviennent. Je pars des choses et je donne des noms, même usés. Je m’entête donc, et je dis du livre de Sollers qu’il est beau.... »

Sollers romancier ? Ouvrons les yeux et les oreilles ! Accordons nous à l’Instant, et au Temps. Coulons nous dans le mouvement permanent du Verbe. Il s’agit là d’une écoute très poussée de l’écriture, une écoute très musicale, il faut être un peu musicien pour lire ce qu’écrit le bordelais trapéziste.
Il faut croire d’évidence que certains livres délivrent et que le Verbe sauve, ou l’inverse, c’est comme l’on veut.
Il faut de toute urgence retrouver la saveur du savoir romanesque, et le savoir savoureux du roman.

Questions :

Mais que raconte donc ce roman ?

Que dit-il de l’art du roman ?

Du monde ?

De de la joie ?

De la musique ?

De la Peinture ?

De la poésie ?

Des histoires qui deviennent de l’Histoire ?

De l’absolue nécessité d’écrire ?

De la Félicité ?

De la Gnose ?

Mais de quoi s’agit-il ?

Quel est ce temps romanesque que traverse ce roman là ?

Réponses :

Critique

Sarah Merteuil : Comment avez-vous reçu le fait que pour ce livre vous avez eu, dès le jour de la sortie, le 8 janvier, des critiques dans l’ensemble de la presse littéraire - à l’exception du Monde - et toutes extraordinairement positives, ce qui n’avait pas été le cas pour vos Mémoires, un livre pourtant a priori moins complexe ?

Philippe Sollers : Ça va, ça vient. Il y a eu quand même les insultes habituelles, un peu plus restreintes, mais des magazines comme L’Express ou Lire sont d’une fidélité négative à mon égard à toute épreuve. Ce que j’ai lu de plus drôle, c’est une pigiste de L’Express disant que l’élixir du révérend Père Sollers n’était pas corrosif. Est-ce que vous imaginez un élixir corrosif ? Elle aurait dû employer le "tord-boyaux". Dans Lire, même groupe de presse, le titre de l’article était : "Et le navet va". Comme c’est drôle ! J’en ris encore.

Chat Le Monde.fr 20/01/09.

« Bienheureux celui qui est avant d’avoir été. Car celui qui est a été et sera ». Peut-on trouver meilleure définition dans la bouche de Philippe, du roman de Sollers, qui a bien raison de le placer sous notre regard, deux d’ouverture de cet opéra du Verbe.


« Tout va très vite, maintenant, en plein dans la cible. Plus de temps mort, pas un moment perdu, enveloppement, lucidité, repos et vertige. Soleil nouveau chaque jour, bleu, gris, froid, chaud, pluie, vent, c’est pareil, mais derrière, à chaque instant, la lumière fait signe. »


C’est ainsi que s’ouvre ce roman. On pourrait, gagné par le silence des déesses s’en contenter : trois phrases accordées à la vie, à la musique, et à la nature !
Le narrateur écoute et voit, dans une solitude effervescente : « Comme, une fois de plus, je suis merveilleusement seul et qu’une grande étrangeté me gouverne, je vais faire un tour dans le jardin d’à côté. Je me branche sur ondes mentales ultra-courtes, j’ai besoin de visions, de sons. » C’est un oeil, une oreille, une bouche, une peau, un romancier éclairé. Il s’adonne en silence au tir de précision - le roman peut-il être autre chose ? - dans un Centre secret qui communique mentalement avec un autre Centre de tir, littéraire celui-là, une maison d’édition, qui transforme les manuscrits en or, cette maison édite l’auteur-narrateur, il y occupe une place essentielle, et sur le « plafond » luxuriant de sa tour parfumée, note à la plume d’argent les noms des auteurs qu’il édite. L’Infini, est ce Centre de Tir, placé depuis longtemps dans le viseur des "parasites" diaboliques.

Bibliothèque

Zébulon : Comment parvient-on à devenir aussi érudit que vous ? Tenez-vous des fiches ? Combien de livres y a-t-il dans votre bibliothèque ? Est-il selon vous nécessaire d’avoir beaucoup lu pour devenir écrivain ?

Philippe Sollers : Un écrivain sans bibliothèque est comme un pianiste sans mains, et il faut répéter sans arrêt la formule suivante : pour savoir écrire, il faut savoir lire, et pour savoir lire, il faut savoir vivre.

Chat Le Monde.fr 20/01/09.

Vérifications choisies et ordonnées :

Louis Althusser - Frédéric Berthet - Amélie de Bourbon Parme - Béatrice Commengé - Marcel Detienne - Alain Fleischer - Philippe Forest - Cécile Guilbert - Pierre Guyotat - Yannick Haenel - Martin Heidegger - Alain Jaubert - Julia Kristeva - François Meyronnis - Catherine Millot - David di Nota - Marcelin Pleynet - Thomas A. Ravier - Valentin Retz - Jacqueline Risset - Dominique Rolin - Clément Rosset - Jean-Jacques Schuhl - Bernard Sichère - Bernard Teyssèdre - Chantal Thomas - Stéphane Zagdanski : c’est ce que l’on pourrait appeler les noms de la pensée et de la littérature d’aujourd’hui, d’hier et de demain, il n’est pas interdit de lire leurs livres, seule condition, bien s’accorder au Temps, et à l’Instant mobile : « Mon occupation ici ? Tout sauf du travail, un grand jeu à travers la mémoire et l’archive. Je traite mon sujet, à savoir qu’il n’y en a qu’un, sous tous les noms et à travers eux. C’est une grande partie d’échecs, très violente. Son titre ? Ce pourrait être Le Combat spirituel, mais seules quatre ou cinq personnes comprendraient. Inutile de préciser que je ne m’occupe pas des publications du jour, de l’actualité, des débats sociologiques, politiques, idéologiques, c’est-à-dire de la falsification fiévreuse. Les tirages, nécessaires au fonctionnement, me sont indifférents, mais je les accueille avec joie puisqu’ils aident les arbres. » Les livres sauvent les arbres et les font s’élever, personne n’ose le dire, alors que tant et tant de livres n’en sont que leur bûcher !

Il convient à cet instant de faire une pause musicale : les Partitas de Bach par Glenn Gould (enregistrements de 1959 - 1962 ) voyez les bleus, les rouges, les gris, les noirs, les blancs, sentez la palpitation de votre oreille qui s’envole dans ce sous-bois qui s’adosse aux Monts de Vaucluse.


Glenn Gould joue Bach (Partita N°2)

Extraits de "The art of Piano" (documentaire)

Poursuivons : le narrateur-écrivain-tireur-éditeur, traverse Paris, rien à voir, vous pouvez le comprendre avec Paris-Plage, Paris-Servitude-Volontaire, Paris-Olympique, Paris-Bavardages, Paris-Art, Paris-Surdité, Paris-Aveuglement, Paris-Prix-Littéraires, Paris-Vengeance, Paris-Douleur, Paris-Etc. et retrouve ses « voyageurs du temps » : « Les livres sont-ils des armes, des messes, des sermons, des lits ? On peut l’imaginer, et ce ne sont pas les volumes des grands vivants locaux qui diront le contraire. Le temps se perd, se retourne, nous irons au bout de la nuit, et le papier bible conserve les traces, comme les manuscrits découverts à Qumrâm, après la Seconde Guerre mondiale, ou ceux de toute une bibliothèque gnostique exhumée par hasard par des paysans, un peu plus tôt, en Egypte, à Nag Hammadi. Des voyageurs du temps ont pris des précautions, ils ont enterré leurs messages pour plus tard ou jamais, essayez de les voir creuser et déposer ces paquets. Les corps disparaissent, les écrits restent, c’est la musique du ciel en enfer. » L’éditeur-écrivain-tireur-narrateur invite ses « voyageurs du temps », et ils sont là, ils n’ont pas pris une ride, légers, attentifs, vifs, les yeux dans les floraisons du temps, et sur l’écrit, dans l’Instant libéré de toutes les obscénités bien rodées, ils sont le temps du Verbe. Ce roman est leur histoire traversée par la flêche invisible de l’écrivain-narrateur-éditeur-tireur.

Musique et Verbe, Verbe et Musique, Pensée active et position du tireur debout dans la tempête :
« Voici un petit galet blanc sur la plage. J’inscris sur lui, à la peinture rouge, la date de mon choix (avril 1300, par exemple), pour en savoir plus sur tel ou tel évènement "à côté" de l’Histoire. Je le garde quelques jours devant moi, je le charge de questions, d’intentions, puis je le lance dans l’océan. La réponse viendra, elle vient toujours, crabe, crevette, dauphin ou baleine. Ça alors. J’ai ainsi lancé dans l’eau, autrefois, à Venise, au bout de la Dogana, un exemplaire d’un livre sans ponctuation, écrit pendant sept ans, sans discontinuer, Paradis. Il est là, nulle part, ultra-décomposé, enfin publié dans sa fluidité. »
Sollers est cette eau, cet océan, qui porte, transporte, absorbe, nourrit, décompose, recompose, fait fleurir, assouplit, ronge, allume, esquisse, blanchit, ensable les millions de grains de la littérature flottante.
L’écriture est une marée permanente avec ses vagues, ses creux et ses bosses, son calme et sa tempête, ses bleus, ses gris, ses noirs, ses verts, ses éclats, ses brisures, ses biffures, ses gouffres et ses transparences, pour la voir et l’entendre il faut s’embarquer !
« La poésie, dit Ducasse (très à contre-courant), est un fleuve majestueux et fertile. » Embarquons-nous donc sur le fleuve du temps, qui coule dans les deux sens. Attention au splendide mascaret, là-bas, vers l’estuaire et les vignes. L’eau, de bleue devient rouge, mélange alchimique de la douceur et du sel. Le vent de nord-est se lève, avec le voyageur du temps Hölderlin, et voici soudain le pays « où il y a beaucoup de jardins », où les habitants « s’en tiennent toujours au plus proche », où on peut aller en silence « sur les chemins couverts de fleurs ». Voilà une phrase qui faut faire tourner dans sa bouche comme un noyau d’olive, forme de méditation de la phrase, art de goûter au roman, à son goût complexe qui ne se révèle qu’ainsi dans le bain salivaire.
Sollers est dans un bateau, s’il tombe à l’eau, que reste-il ? Sollers !

Pour qui écrivez-vous ?

Pil : Pour qui écrivez-vous vraiment ? Il faudrait pour vous suivre, tenter une "complicité" d’esprit, avoir une culture encyclopédique telle que la vôtre... Nous autres, pauvres mortels.. nous nous laissons enchanter tristement conscients de tout ce qui nous échappe...

Philippe Sollers : Tant pis pour les pauvres mortels ! J’écris pour les immortels, c’est-à-dire le contraire de l’Académie française, c’est-à-dire pour les morts. Ils sont beaucoup plus vivants que les vivants.

Le Monde.fr 20/01/09.
Chat avec Philippe Sollers
« La connerie se porte bien »

Vous en doutiez ? Allons, un peu de légèreté, un rien d’esprit romanesque, un soupçon de liberté, devenez à cet instant poète-guerrier chinois, poète-musicien, poète-voyageur, poète-peintre, poète-philosophe ou tout autre. On peut d’évidence remplacer poète par écrivain. L’écrivain-guerrier-musicien-voyageur-peintre ne cesse d’écrire, dans le mouvement d’un pied qui se glisse sous le sable chaud, et le regard porté sur une fleur rare des dunes.

« Ça va tout seul : mes tableaux nocturnes sont peints, croyez-moi, je m’en étonne moi-même. Ce sont des improvisations que personne ne verra. Comment évoquer leur persuasion, leur précision, leur présence ? Même les expériences de drogues sont fades en comparaison. L’écriture automatique, les récits de rêves ("parents, racontez vos rêves à vos enfants"), les "sommeils", les collages, les "cadavres exquis", les détournements en tous genres, les dérives hallucinées dans Paris étaient de très bonnes idées, et, face à la soumission et au bavardage marchand universel, elles le restent. Présentez-moi un lit, un divan, un canapé, un fauteuil, un tapis, je m’endors immédiatement, le roman continue de plus belle. Temps perdu, temps retrouvé, le livre que je viens de lire sur les découvertes archéologiques en Chine invente de lui-même de nouvelles situations. »

Philippe Chauché


Vrai roman

« Un reproche lancinant m’est fait : je n’écrirais pas de « vrais romans ». Le vrai roman, pour la critique littéraire française, est visiblement un livre qu’on doit lire comme on voit un film, le modèle étant anglo-saxon une fois pour toutes. D’ailleurs, dès que la critique chronique un « vrai roman », il s’agit, en réalité, de raconter un film (c’est-à-dire, le plus souvent, un roman familial). Hors du roman psychologique à embarras sexuel ou parental, pas de salut. Or rien n’est plus romanesque, aujourd’hui, que de se poser la question de la vraie lecture, puisqu’on peut en constater partout la consternante dévastation. Le roman vrai, c’est l’existence plus ou moins intensément poétique et par conséquent très interdite, c’est tout. »

Philippe Sollers


Mon Journal du mois, janvier 2009


Glenn Gould joue Bach (Variations Goldberg 1-7)

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Sélection d’articles Pileface :
Les Voyageurs du Temps (II)
Glenn Gould, un aventurier du Temps

Autres liens :
Le blog de Philippe Chauché

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