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Un an déjà !

Marc Lambron, Eh bien, dansez maintenant...

D 17 juin 2008     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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« Le concis, ou le dégagé, égale, dans tel billet, la grâce du mobilier bref de l’autre siècle ; ou les accords d’Haydn. »
Et encore : « Ardeur dévorée par la joie et l’ire du trait qu’il perd, lumineux ... Jeu (avec miracle, n’est-ce pas ?) résumé, départ de flèche et vibration de corde, dans le nom idéal de — Voltaire. »

Stéphane Mallarmé, cité par Philippe Sollers dans Le principe d’ironie.


Un an déjà !

Le 6 mai 2007, élection de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française. Nous sommes dans l’année chinoise du Cochon. Le Little Caesar du 9-2 a mené une campagne brillante, niveleuse, omnidirectionnelle. Son ventriloque Henri Guaino lui concocte des stances nationales sorties des manuels de Lavisse. Des Scud visent en permanence le paquebot du Front national, bientôt coulé. Johnny Hallyday et André Glucksmann soutiennent le maire de Neuilly-sur-Seine. Expliquant à des auditoires pâmés la pensée de Jean-François Revel en version digest, le candidat de l’UMP calcine la châsse endiablée de sainte Ségolène, trop encline à pincer les cordes du Gaffophone cher à Gaston Lagaffe. L’investiture du nouveau président est de style gaullien : hommage à Clemenceau et au Général, « Chant des partisans » au bois de Boulogne, immédiat voyage ailé vers Mme Merkel, une Adenauer en jupons.
On attend de Nicolas Sarkozy un festival de pyrotechnie tricolore ? Il l’organise. Tandis que Jacques Chirac se retire dans un antre du quai Voltaire, son ancien ministre de l’Intérieur nettoie au Kärcher les soupentes de l’Elysée. Des préfets affûtés, des experts flattés, une garde de sultanes en Dior, et bientôt l’ouverture. C’est un mot qui, en musique, désigne le thème liminaire d’un opéra. Sous Sarkozy, les nouveaux ministres obéissent plutôt à la loi du karaoké : l’Elysée leur fournit la bande-son, on voit ensuite s’ils savent chanter. Miracle du téléportage politique, voici Bernard Kouchner, Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Jouyet en caryatides roses d’un temple bleu horizon. Il est vrai qu’à ce moment-là deux poilus de 1914-1918 sont encore en vie. Sous la tour Eiffel, le 14 juillet, c’est Michel Polnareff qui célèbre l’air du temps : je suis un homme, quoi de plus naturel en somme ?

D’une certaine façon, le nouveau président est alors imprenable. Appliquant au récit national le zapping des enfants de la télé, il se livre à d’extraordinaires exercices de frégolisme politique, électrique, débordant, tout schuss, sorte de génie oriental frottant lui-même sa lampe d Aladin. C est une présidence intrusive, impérieuse, vitaminée, négociée sur les jantes. Sans cesse des caméras tournent : leurs focales captent des éclats, des bonheurs, et même une robe ivoire sur le perron de l’Elysée. Tiens, une robe ? Là, arrêt sur image. Que demande le peuple ? Il veut du pain, certes, mais aussi des jeux. Le spectacle est avancé. Entre « 24 Heures chrono » et « Desperate Housewives », la chronique du nouveau règne réveille la commère universelle qui sommeille en nous. Comment vit-on sur le pont d’un yacht ? Qu’est-ce qu’une angine blanche ? Faut-il porter des gourmettes ? Doit-on vivre comme Pierre Messmer ou comme Flavio Briatore ?

Le drame bourgeois de cette étrange première année se noue probablement là. Sur un parfum de femme. Ou, plutôt, un profumo di donna. En octobre, un divorce est annoncé. Quelques semaines plus tard, une chanteuse italienne apparaît à Eurodisney entre Goofy et Mickey. L’émotion est considérable. Comme le nouveau président a mené campagne sur la critique de Mai-68, ses meilleurs partisans se formalisent de ce 68 d’alcôve. Ayant spéculé sur une image de Terminator churchillien, l’ancien ministre de l’Intérieur semble soudain lancer des pavés contre les barricades de la vieille vertu. Avec Carla, c’est du sérieux, mais aurait-on imaginé le général de Gaulle déclarant en conférence de presse : « Avec Yvonne, ça continue » ?

Ruse de la raison : l’opposition attendait Nicolas Sarkozy sur le terrain des actes liberticides, elle le trouve sur celui des échappées libertaires. Pour comprendre la droite moderne, il ne faut plus s’armer des oeuvres complètes de René Rémond, mais plutôt du téléobjectif des paparazzis. Malraux décrivait « Sanctuaire » de Faulkner comme l’intrusion du roman policier dans la tragédie grecque. Devra-t-on un jour définir la présidence Sarkozy comme la rencontre d’un bâton de CRS et d’un bâton de rouge à lèvres sur la tablette d’un Learjet ? Ce qui s’est passé dans l’opinion au début de l’année 2008 relève ainsi d’un curieux compromis historique : l’électorat sarkozyen, désorienté par les ostentations bling-bling de son champion, s’est allié à la gauche, elle-même non dénuée de tartufferie, pour affaiblir un hyperprésident trop déployé. En politique classique, les arguments s’échangent sur le terrain de la réfutation. En période de pipolisation, ils s’énoncent sur le terrain moral de la réprobation. Nicolas Sarkozy nous aura ainsi rappelé comment une société inquiète recharge ses accus au ressentiment sexuel. C’était intéressant à observer.
Nous voici déjà proches du premier anniversaire de son mandat. Sur le calendrier chinois, l’année du Rat a succédé à l’année du Cochon. Le pavillon de la Lanterne a été jumelé avec une villa du Pô. Pour son remariage, Cécilia S. était habillée par la maison Versace. Si les deux derniers poilus ont disparu, Mme Alliot-Marie est toujours ministre de l’Intérieur. Selon un récent sondage, Nicolas Sarkozy recueille un taux d’approbation de 38%. C’est moins que l’année dernière, même s’il a troqué sa Rolex pour une Patek Philippe. On parle en ce moment de « Carlamania ». La bonne dame de chez Gucci susurrerait à l’oreille présidentielle des canzonette balsamiques. Heureuse oreille. « J’aime quand ça désaxe », chantait Carla Bruni sur son premier album. En un an, cela a pas mal désaxé. Le président dit maintenant à qui veut l’entendre qu’il ne sollicitera pas un second mandat. Ciao, amore, ciao ?.

Marc Lambron, Le Nouvel Observateur du 24 avril 2008

Lire aussi Le roman de Carla

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Eh bien, dansez maintenant...

Après son Mignonne allons voir..., que Sollers avait salué l’an dernier (cf. L’avènement de Ségolène), Marc Lambron s’interroge cette fois sur la personnalité de Nicolas Sarkozy. A travers des faits curieux et anecdotiques glanés de 2004 à 2008, il décrit l’homme politique en procédant à un recueil d’événements sociaux et d’entretiens.

En avril 2007, alors qu’on lui demandait si l’on avait essayé de l’enrôler dans un camp ou un autre, Marc Lambron déclarait dans L’Est Républicain :

« — Je suis la Croix-Rouge ou le photographe de guerre. Je suis sur la ligne de front, sans armes. Ségolène Royal n’a pas réagi à mon livre (« Mignonne, allons voir... », chez Grasset). Je sais qu’elle l’a lu. Je ne suis pas sûr qu’elle l’a aimé. Je croise des sarkozystes. Je n’ai pas eu d’appel d’offre, je n’ai pas fait de proposition. VSD m’a demandé de suivre Nicolas Sarkozy pendant la dernière semaine de campagne. Je ferai le Depardon avec stylo.
— Vous aurez de la concurrence !
— Yasmina Reza le suit depuis longtemps. Michel Onfray l’a mis en charpie. Sarkozy doit chercher la variation des angles... Ma caméra est probablement plus froide que celle de Michel Onfray. La curiosité pour moi a été plus grande que l’hostilité dans cette campagne, pour l’un comme pour l’autre. »

« Pendant que je rédigeais ce libretto, des gens informés de mon projet me disaient : " La fenêtre de tir est ouverte, vas-y, l’animal perd du sang et se trouve dans la mire du fusil. " Mais mon arme était une loupe plutôt qu’une kalachnikov. Lorsque j’avais esquissé le portrait de Ségolène Royal, il ne s’agissait pas de partir en safari, mais plutôt de m’armer d’un filet à papillons. La vérité de l’intelligible est peut-être plus détersive que l’acidité des pamphlets. Si les romanciers ont encore une mission, c’est probablement de faire vivre la langue contre les lieux communs des politiques. Avec Sarkozy, j’ai repris la promenade. » (p.228)

*


Le récit commence par un flash-back.

Un déjeuner de têtes

« C’était le 5 avril 2004. Ce jour-là, le président Chirac donnait un dîner d’Etat en l’honneur de la reine d’Angleterre. Le ministre des Finances, Nicolas Sarkozy, fit savoir qu’il ne s’y rendrait pas. Avait-il mieux à faire ? En tout cas, à l’heure du déjeuner, il devait recevoir à Bercy quel-ques intellectuels parisiens. Les ruelles de Saint-Germain-des-Prés l’emportaient donc sur les salons de Buckingham Palace ? Il est vrai que la reine d’Angleterre, qui a ses préférences culinaires, s’abstient généralement de prendre parti dans les débats de la haute pensée française.
A peine nommé ministre des Finances, l’homme qui deviendrait trois ans plus tard le sixième président de la Ve République occupait désormais les fonctions de grand argentier national. L’invitation, lancée au début du mois de mars depuis la place Beauvau, fut donc honorée à Bercy. Dans l’intervalle, le gouvernement Raffarin avait été remanié après un revers aux élections régionales. " Comme un malade change ses médecins, le roi avait changé ses ministres ", écrit quelque part le duc de Saint-Simon. Jacques Chirac était-il politiquement malade ? Souffrait-il de sarkozyte aiguë ? On disait que les crises de ce mal mystérieux le paralysaient comme s’il avait été frappé par une goutte maligne. Hippocrate, dans ses anciens traités, remarque que l’enfant ne peut être atteint par la goutte avant l’âge du coït, et que les eunuques ne deviennent ni chauves ni goutteux. M. Chirac, qui était modérément chauve et avait dépassé l’âge du coït, pouvait du moins se dire que cette goutte sarkozienne lui épargnait les tourments du castrat, lesquels ne doivent jamais être sous-estimés.

Quelques jours plus tôt, un motard portant revolver d’ordonnance à la ceinture avait sonné à ma porte. Ces messagers-là ne sont pas forcément de bon augure - on se demande quelle infraction on a pu encore commettre -, mais le factionnaire se contenta de me remettre un pli. Il y a une certaine volupté à voir un agent de la force publique vous délivrer en main propre une missive parfumée, car la lettre d’invitation, pour être précis, était signée de Cécilia Sarkozy. Au jour dit, celui où le ministre des Finances allait snober le dîner d’Etat en l’honneur de la reine d’Angleterre pour maintenir son déjeuner avec les barons de la plume, une délégation de clercs se présenta donc à Bercy.

La salle à manger du ministère des Finances évoque assez les restaurants des frères Costes ou les films de John Woo : c’est du moderne en alu et bois de teck avec des fleurs dans des vases à long col. J’avais le pressentiment que Didier Barbelivien ne serait pas de la partie. Cela se vérifia. Du côté des dames, il y avait là Julia Kristeva et Sylvie Pierre-Brossolette. Du côté des messieurs, venus en majorité écrasante, Jorge Semprun et Paul Thibaud, Philippe Sollers et Alexandre Adler, André Glucksmann et Alain Finkelkraut, Pascal Bruckner et André Comte-Sponville, Denis illinac, Alain-Gérard Slama et François Sureau. De prime abord, ce casting me fit songer à ces pétitions de naguère où de belles âmes demandaient à un puissant la grâce d’un homme injustement condamné. Mais il n’y avait pas ici d’innocent, seulement des fleurs dans des vases à long col et des fourchettes d’époque Balladur flanquant des assiettes de style Francis Mer. On ne demandait la grâce de personne. [...] »

*


Il y a là :

L’ironique Sollers

« J’observais l’ironique Sollers. C’était un spécialiste du baiser qui tue. Dans sa chronique du Journal du Dimanche, il avait au fil des années prédit le prix Goncourt à Michel Houellebecq, Frédéric Beigbeder ou Amélie Nothomb. Le verdict fut toujours contraire. En politique, il avait cultivé Martine Aubry, Edouard Balladur, Lionel Jospin, et soutiendrait bientôt Ségolène Royal. Le résultat est connu. Une couche de givre s’était-elle accumulée sur la boule de cristal des éditions Gallimard ? Qu’il soit mû par le goût des bulles spéculatives ou par une stratégie d’anarchiste conséquent, toujours est-il que le Jack l’Eventreur de la politique littéraire, le serial killer de la NRF, envoyait régulièrement ses victimes au cimetière marin de l’île de Ré. L’oracle Sollers, ancien élève des bons pères, était-il missionné pour ramener à l’humilité chrétienne toutes ses ces âmes frappées par l’ivresse des sommets ? Se souvenait-il du dieu Vulcain lançant des faisceaux d’éclairs sur les mortels effrontés ? A supposer que Sollers soit un Héphaïstos de Bordeaux déguisé en père jésuite, je ne le vis pas témoigner à Nicolas Sarkozy cette sympathie enveloppante qui annonce la punition du ciel. L’auteur de Femmes fit simplement remarquer au ministre, avec une mine de diablotin à fourchette, qu’il est plus facile de partir d’un état de disgrâce que de subir l’érosion d’un état de grâce. Théologiquement, c’était impeccable. Politiquement, le ministre des Finances gardait toutes ses chances. » (p. 19-20)

*


Le medium Kristeva

« Les convives, ce jour-là, étaient surtout curieux comme des pies. On remettait tous des pièces dans le juke-box pour entendre la chanson de Nicolas. Jorge Semprun évoqua la modernité de la gauche espagnole. André Glucksmann prit la parole sur le génocide du Rwanda. Alexandre Adler vantait le courage de Tony Blair. Pascal Bruckner déplora le déprimisme français, tandis qu’Alain Finkelkraut s’interrogeait sur la notion de discrimination positive. Comme arrivait le plat de résistance, un mignon d’agneau en croûte truffée avec feuilleté niçois et fricassée printanière, Julia Kristeva mit la conversation sur le budget de la recherche et l’élitisme républicain, avant de manger le morceau, si l’on ose dire, avec cette phrase détonnante : "  Sur le divan, des gens de gauche avouent reconnaître leur désir dans le vôtre.  "
Nicolas Sarkozy leva l’oeil et rajusta sa manche de veste. Le préfet Guéant observait la scène, caméléon chauffé au soleil dont la langue va prestement avaler l’insecte. Le divan. La rive gauche. Le mignon d’agneau. L’inconscient freudien... la croûte truffée des fantasmes originaires... le feuilleté niçois de la topologie lacanienne... la fricassée printanière à la Dolto. Avait-on bien entendu ? Entre le carrefour Buci et le café des Deux Magots, des gens de gauche, oui, des gens de gauche, avouaient, dans cet entre-deux viennois où l’inconscient parle à l’horizontale, que leur désir se reconnaissait dans celui de Nicolas Sarkozy. Ils... avouent... reconnaître... leur désir... dans le vôtre. Sigmond ! Marie Bonaparte ! Oedipe ! " Moi, la vérité, je parle ", disait Lacan. Julia Kristeva pouvait être un bon Lacan.
On eut l’impression que le ministre, qui n’en demandait tant, prenait le cadeau et le glissait dans sa poche. Le moment, pour le coup, devenait hypnotique. Quasiment toute la table, s’exprimant comme dans une séance de tables tournantes par la voix du medium Kristeva, venait d’adresser à Sarkozy une question rédigée à l’encre sympathique : ce que la gauche française n’arrive pas à penser, et encore moins à faire, pourriez-vous l’accomplir ?
Nicolas Sarkozy eut soin de ne pas répondre intelligiblement à une question qui lui était posée subliminalement. » (p. 23-24)

Trois ans plus tard :

« [...] dans le tableau, quelques visages que l’on aurait pu repérer, et que parfois l’on avait vus, aux côtés de Ségolène Royal pendant la campagne. Photo-montage stalinien ? Non, ouverture.
Lorsque Bernard Kouchner et Jean-Marie Bockel gravirent les marches de l’Elysée, la prophétie analytique de Julia Kristeva me revint en mémoire. Sur le divan, des gens de gauche avouent reconnaître leur désir dans le vôtre. Quand le divan devient un ministère, on passe du désir à l’extase. Tous n’obtiendraient pas un porte-feuille. Mais c’était une chose assez fréquente, avant et après l’élection, que de rencontrer des esprits de gauche discrètement acquis à Nicolas Sarkozy. Il était le mieux préparé. Il allait faire le boulot. Une fois les écuries d’Augias nettoyées, un PS requinqué pourrait tirer les marrons du feu. La position moyenne était : vigilance, pas de reddition, mais faisons-lui crédit pour un temps. Quant à ceux qui le détestaient, nombre d’entre eux paraissaient habités, pour citer Mauriac, par « l’horrible passion d’envier ceux que l’on méprise ». » (p. 96)

*


Entretiens

avec Irène Frain

Acte I

Romancier et essayiste, critique littéraire au « Point », chroniqueur à « Madame Figaro », Marc Lambron est communément défini comme un des plus brillants esprits de la scène littéraire parisienne. Pour moi, Marc est surtout le seul homme de ma connaissance qui soit capable de parler des choses sérieuses avec légèreté, et très gravement des sujets les plus futiles. En un mot, Marc est un homme élégant. Presque dandy — le dandysme étant, bien sûr, avant tout, une forme d’esprit.
On en jugera dans les trois actes de notre dernière conversation. Tout commence, une fois de plus, par notre cher Alain Robbe-Grillet. Pourquoi « cher » ? Tout simplement parce que c’est au pape du nouveau roman que Marc et moi devons notre rencontre. A Saumur, en 1998, découvrant que nous étions identiquement intrigués par le parcours et l’aura de l’auteur des « Gommes », nous nous sommes ensemble assis à sa table, puis nous avons concocté le canular de la Chambre 17 , épisode désormais incontournable de la saga robbe-grilletienne.
Puis, comme Robbe nous aimait bien, et sa femme Catherine aussi, les années suivantes, il nous a régalés d’anecdotes. Marc a compris d’emblée comment les décrypter : sous leur apparente frivolité, les récits drolatiques et cruels de Robbe-Grillet racontaient, pour qui savait entendre, les enjeux les plus violents de la vie littéraire française des cinquante dernières années.
Cet acte I évoque une sombre affaire de refus de manuscrit, d’appartement et de château à la campagne. Autour du couple Robbe-Grillet, s’affrontent rien moins que les éditions Gallimard et les éditions de Minuit.


Marc Lambron, acte 1 par IreneFrain

*

Acte II

Robbe-Grillet a-t-il vraiment réussi son meurtre du roman français ? Marc Lambron n’en est pas sûr. Malheureusement, en cette année 2008, si le récit revient en force, ce n’est pas la forme romanesque, mais le récit politique. Raconter Sarkozy ( qui lui-même ne cesse de scénariser sa vie façon sitcom ), c’est désormais la seule façon d’entrer dans la liste des best-sellers. En somme, finie la vie du roman. Il faut donner dans le roman de la vie. A la condition exclusive qu’il s’agisse de la vie pi-politique ! Mais Marc Lambron va vous le dire beaucoup plus brillamment que moi. Un régal ! Donc, tout de suite, acte 2...


Marc Lambron, acte 2 par IreneFrain

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Acte III

Conclusion de la tragédie nommée « L’assassinat du roman français par Alain Robbe-grillet » : c’est Sarko qui ramasse la mise, avec la politique pipolisée, autrement dit la pipolitique. Marc nous résume ici son dernier essai, « Eh bien, dansez maintenant » (éditions Grasset) où, dans des chapitres réjouissants, il nous décortique la façon dont notre président a phagocyté au profit de sa propre sage notre appétit d’histoires. Et Marc Lambron est tout aussi brillant à l’oral... Heureusement, on était sortis prendre l’air pour la fin de la tragédie. J’étais accablée par son diagnostic. Envie d’aller danser, une coupe de champagne à la main, pour tout oublier...


Marc Lambron Acte 3 par IreneFrain

***


Critiques

Un Président Juke-Box

Après avoir croqué Ségolène dans « Mignonne, allons voir... », l’écrivain dévore Nicolas dans « Eh bien, dansez maintenant... »

Il brille et coupe. Marc Lambron, c’est du vif-argent. Une fine lame augmentée d’une bonne fourchette. Ne négligeons pas, chez ce Parisien aussi futé qu’affûté, les solides origines lyonnaises. Se remplir la panse, c’est déjà commencer de penser. On peut donc lire ce portrait de Sarkozy à la manière d’un guide gastronomique.

Au menu : mignon d’agneau en croûte truffée servi par Nicolas et Cécilia à Bercy, en 2004, au gratin des intellectuels germano-pratins (un préambule qui vaut son pesant de moutarde) ; pintade à la phocéenne rôtie, en 2006, pour l’invité de « la Revue des Deux Mondes » qui, ignorant les nantis, ne parla ce soir-là qu’aux serveurs ; et soles diététiques partagées, en 2007, avec « la tèlèvangèliste texane » Ségolène Royal, laquelle révèle à Lambron que Mme Jospin aurait voté Sarkozy...

Avec ce président-là, l’auteur pétaradant de « Carnet de bal » est à la fête et à son aise. Car le sarkozysme appelle la formule aussi biologiquement que le chiraquisme la décourageait. Quels écrivains, pendant douze ans, le grand Corrézien de l’Elysée a-t-il inspirés ? Aucun. Car il était d’un mortel ennui. En fait de littérature, il ne laisse que des livres de comptes trafiqués et un mémorable portrait à charge signé Franz-Olivier Giesbert.

Au contraire, le Fregoli Sarko, qui relève moins des pages politiques que de la rubrique people, et dont les facultés d’ubiquité, le talent de transformisme, les palinodies idéologiques, les hybridations successives, les frasques sentimentales paraissent inépuisables, est une mine d’or pour librettistes. Même Marc Lambron, qui dispose pourtant d’une impressionnante batterie de métaphores, de néologismes, de références, qui n’hésite pas à invoquer à la fois Salluste et David Guetta, Saint-Simon et Mimie Mathy, peine ici à saisir la bille de mercure, à attraper le furet. Sous sa plume, le feu follet est tour à tour « un djinn soucieux », « un James Brown de la soûl libérale », « un Don Corleone du Neuf-Deux », un mixte de Thierry la Fronde, de Pierre Arditi et du trépignant Louis de Funès d’« Oscar ».

Ni pamphlet ni enquête, mais plutôt impromptu, « Eh bien, dansez maintenant... » est le bilan d’une année de spectacle vivant, pyrotechnique et subventionné offert par Sarkozy aux Français dans les jardins de la République. Pour le juger, Lambron endosse tantôt le costume du conseiller d’Etat, tantôt le tee-shirt rayé (avec bandana) du rocker, et tantôt le pull du romancier. Mais c’est au Roland Barthes de « Mythologies » qu’il ressemble le plus. De même que, il y a cinquante ans, son aîné auscultait la IVe République du président Coty et l’assomption du poujadisme en palpant un steak-frites à bord d’une DS 19, Lambron décrypte le sarkozysme en se faisant sémiologue du karaoké et phénoménologue des Ray-Ban ou du SMS. Nul doute qu’on relira plus tard son livre grinçant, sécant et coruscant, afin de procéder à l’hilarant relevé des icônes dont, en 365 jours de décomposition nationale, le président Juke-Box nous a régalés, nous a accablés.

Jérôme Garcin, Bibliobs

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Le slow de Sarko

Après avoir convié Ségolène à sa comédie des pouvoirs, l’écrivain et journaliste Marc Lambron convoque Nicolas. Un festival de mots d’esprit.

Marc Lambron passe à table. Et nous raconte tout par le menu. Déjeuners secrets, dîners en ville, soupers fins. Le défilé des plats n’est qu’un procédé pour nous faire partager le gratin de la République et apporter un témoignage vécu de la comédie des sommets, dont l’acteur principal est cette fois un certain Nicolas.

Après Mignonne, allons voir..., consacré à Marie-Ségolène, l’auteur se devait de traiter le président de la République avec le même respect des classiques. Eh bien, dansez maintenant... ne doit pourtant rien à La Fontaine, puisqu’on y effleure Saint-Simon ou Thackeray. C’est surtout du vrai Lambron, mélange de sarcasme et de déférence, où tous les natifs des années 1950 trouveront leur compte. Ils apprécieront le trait fin et l’ambiance délétère qui se dégage de ces pages constellées de nostalgie narquoise, de mots d’esprit qui puisent dans un magnifique matériau fourni par l’ORTF et le Ve Plan.

Le meilleur est atteint dans l’observation parfaite de la diction sarkozyenne - « J’vais pas vous mentir, madame... » - et la description physique des personnages : « François Fillon, la raie du duc de Windsor, la mèche de Lucky Luke », « Jean-Louis Borloo, ours à miel ayant trouvé la clef de l’armoire à tafia », Rachida Dati, « l’oeil d’Audrey Hepburn et le sourire de Denise Fabre ». Ce qui ne nuit pas à une analyse très juste du héros principal : « Nicolas Sarkozy avait été vieux assez jeune, ce qui pousse ensuite à rajeunir en vieillissant. Porter des blazers à boutons dorés et des chemises blanches à col bleu... cela impliquait de jouer deux coups en retard pour arriver un jour avec trois coups d’avance. »

A dire vrai, cette édifiante plongée dans la vulgarité du pouvoir fait virevolter nos « élites », emportées par l’auteur dans un contact superficiel où les vedettes se « lâchent », révélant des postures indécentes. Marc Lambron flirte avec un moralisme blasé. Et nous offre un slow avec une génération, la sienne, la nôtre, à laquelle il semble reprocher de s’être laissé peloter.

Christian Makarian, L’Express

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