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L’inadmissible et son poème

par Pascal Boulanger

D 18 novembre 2007     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


MP3 restauré le 5 avril 2014 : Entretien avec Alain Veinstein
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Avec le présent texte, nous inaugurons une nouvelle rubrique thématique « La parole est aux témoins ».

Pascal Boulanger est de ceux-là. Dans un essai, « Fusées et paperoles » à paraître aux éditions L’Act Mem, en mai 2008, il balaie la littérature et particulièrement la poésie de ces quarante dernières années, celles qu’il a approchées, ou partagées, celles qui ont suscité, chez lui, émoi, adhésion, ou intérêt... Un essai en forme de « compil » de ses carnets, articles dans Europe, Poésie 1, puis dans Action poétique, Artpress, Java, La Polygraphe, réflexions, ses « lectures » de Sollers, ses entretiens avec Pleynet, Henric, sa pratique de Rimbaud objet d’une conférence à la Sorbonne, ainsi que sur Pleynet [1]..., des « Mémoires » avant terme, d’un combattant-poète avec pour seules armes la langue et l’écriture.

Nous avons extrait de cet essai, quelques passages plus spécifiquement liés à l’objet de ce site « sur et autour » de Sollers.
L’essai de Pascal Boulanger ne saurait être limité à ce thème - fut-il intéressant pour nous. La poésie, le sacré, etc. et de nombreux auteurs sont aussi passés au filtre de ses « travaux de lecture ».
Le premier extrait «  L’inadmissible et son poème » que nous vous présentons aujourd’hui évoque Denis Roche.

A PROPOS de l’AUTEUR

...En forme d’avant-propos

Depuis quand les textes sont-ils là, disponibles, sous mes yeux ? A la fin des années soixante-dix, j’ai vingt ans. Après les métiers pénibles, l’errance de ceux qui n’ont même pas leur bac en poche, je lis, je m’informe, j’opère des choix, j’intègre, je rejette, je m’attache à quelques singularités et à quelques titres, je découvre l’importance es collections, des revues : Action poétique, Tel Quel, Digraphe... Des questions naissent, des affinités s’affirment. Et je saisis que là où la poésie est dérisoire, la société est une société des amis du crime. Les hommes, en effet, y vivent en enfer et y meurent ensemble.
[...]
Que reste-t’il d’actuel, pour un lecteur, une fois passée l’actualité littéraire ? Comment mettre en partage ses plaisirs de lectures ? Nulle poésie n’achève la poésie, mais chacune déplace, approfondit, recrée toutes les autres. Ce livre, qui est aussi un hommage aux éditeurs et aux collections de création [...]

PASCAL BOULANGER

...Du même auteur :

L’inadmissible et son poème

(consultable aussi en format 2 colonnes, ici)

L’invisible existe (La poésie invisible par Philippe Sollers dans Le Monde des livres du 13 janvier 1995) et l’inadmissible aussi. Preuve ? La réédition, en 1995 aux éditions du Seuil, des oeuvres poétiques complètes de Denis Roche sous le titre péremptoire : La poésie est inadmissible (ce n’était, avant cette publication, que le titre d’une section du Mécrit). Forestière mazonide de Denis Roche date de 1962, Récits complets de 1963, Eros énergumène de 1968 et Le Mécrit de 1972. Toutes ces oeuvres ont été publiées dans la collection Tel Quel. En 1995, invité par Henri Deluy à participer à un fronton consacré à Denis Roche, je lui fais parvenir la lettre suivante :

« Cher Henri,

Tu m’invites à écrire sur Denis Roche, mais entre nous, fallait-il vraiment rééditer ses recueils ? Exhumer quelques méchants souvenirs ? Ranimer de vieilles querelles ? Rappeler aussi sournoisement à notre mémoire (à la tienne, surtout !), ces années (disons de1960 à 1975) de lumière, gaieté, subversion, dérèglement, provocation, jeu, insulte ? Nous signaler qu’il n’y a pas si longtemps nous n’étions pas encore dans la nuit mercantile, avec ses écrans géants, ses simulations virtuelles, ses mises à jour de fichiers policiers, ses surveillances par caméras-vidéo, ses guerres propres ? Est-il raisonnable de sortir ainsi du puits de l’analphabétisme encouragé, ces exercices de style illisibles, ces terreurs théoriques, ces prouesses de laboratoire ? Ne faut-il pas mieux feindre l’innocence ? Enterrer la hache de guerre ? Dormir enfin ? L’heure n’a-t-elle pas sonné d’un compromis historique, programme commun, pacte de non agression entre nous, frères en poésie, déjà passablement humiliés par les médias ? Ponge, Barthes, Foucault, Althusser ... ne sont-ils pas morts et enterrés avec un « ouf » de soulagement général ? Et pour conclure, cher Henri, le populaire Bobin, l’ange post-moderne maladif, la sanctification des légumes, la terre-mère, le retour à kant, la haine pour Nietzsche, l’abbé Pierre-Kouchner, l’oecuménisme, le syncrétisme et le crétinisme, tu ne trouves pas cela mille fois plus convainquant, lisible, risible, transparent, authentique et tonique que ces commentaires de commentaires subtils ?

Résumons nous. En 1960, nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Sollers, et quelques autres très vite devenus insignifiants dans le paysage littéraire, en profitent pour fonder la revue Tel Quel. Marcelin Pleynet et Denis Roche rejoignent rapidement la revue. En exergue du premier numéro, ceci de Nietzsche :

Je veux le monde et le veux TEL QUEL, et le veux encore, le veux éternellement, et je crie insatiablement : bis ! et non seulement pour moi seul, mais pour toute la pièce et pour tout le spectacle.

Affirmation donc. Immanence contre schisme platonicien. Musique et danse contre toutes mises en croix. Adhésion à la vie hasardeuse. Jubilation dans l’opposition radicale à l’Université du moment. Exaspération fébrile. Le contexte ? l’éternelle romance baveuse sur terrain plat, le psychologisme lourd, le sociologisme pesant, l’existentialisme engagé, le surréalisme tenace.

Denis Roche justement : A noter qu’une confusion au niveau de la théorie explique seule le débordement de bas lyrisme issu du surréalisme ; l’exploitation par celui-ci du fantastique inventé et du rêve réitéré (écriture soi-disant non contrôlée) servant d’alibi à une sorte de logorrhée de l’imagination supérieure (nostalgie de l’espèce de transcendance immédiate qu’on attribue avec tant d’empressement à la création poétique).. La volonté qui s’exprime avec fracas ? S’affranchir de l’emprise mortelle du social et de sa représentation codée. Subvertir, démystifier, détruire le langage éculé. Aller voir ailleurs (Denis Roche traduit, en 1965, Pound et Cummings).

Renouveler les métriques, déborder les cadres admis. Se débarrasser des exposants moraux, affectifs, sentimentaux et philosophiques du vieux bassin à sublime (Sollers dans son très beau texte : L’aréopagite). Bref, pousser l’acte d’écriture au paroxysme, déglinguer la poésie humaniste, l’idéalisme introduit dans l’écriture. Refuser le refoulement du corps et de sa symbolique, parler contre les paroles, afin de dé-figurer la convention du langage (Roche citant Ponge). La méthode ? Rien de plus explicites que les entretiens et les préfaces de Denis Roche : vitesse de l’énoncé, excès, débordement, accélération, soumission à l’urgence : j’écris des poèmes à mon insu. Pas de corrections ni de repentir, démarche baroque, datation et minutage (dans La poésie est une question de collimateur). Jeu sur les citations n’excluant pas la présence du « je ». Au récit d’une aventure opposer l’aventure du récit. Puis, intégrer au texte toute la machinerie (plus tard, dans Louve basse). Voilà, l’écriture est envisagée comme une prise : J’écris, donc je photographie. Ce qui nous ramène, par analogie un peu outrée, à cet « objectiviste » français si méconnu : Blaise Cendrars. Kodak ou Documentaires ou encore la photographie verbale réduisant au minimum le décalage entre les sensations directes et l’écriture. Avec le triomphe de l’instant et de sa notation nerveuse. Une course de vitesse là aussi, une rythmique otalisante, avec fleurs et déchets, musc, ambre et cours de la Bourse...

Marcelin Pleynet, Christian Prigent, Jean-Marie Gleize... ont su analyser avec sagacité les textes de Denis Roche. Je ne peux, pour ma part, que formuler deux ou trois observations générales. Celle-ci pour commencer : cette intelligence critique des années Tel Quel ne fut-elle qu’une simple machine de guerre sans oeuvre poétique et fictionnelle ? Avions-nous à faire à une littérature au service de la théorie ? L’inverse ? Il faudrait, pour y voir clair, différencier les étapes, les trajectoires personnelles, les avancées, les contradictions, les ruptures. Distinguer les oeuvres, les auteurs. Affirmer que parallèlement aux concepts, des poèmes et des récits ont été publiés. Qu’il y a encore aujourd’hui un enjeu à les relire, une histoire à écrire. Face au travail de Denis Roche, ce sont bien entendu nos habitudes de lecture qui sont bouleversées. Accélération du vers, succession du rythme : les sept titres aujourd’hui réédités ne me concernent pas de la même manière. Si la tension me semble maintenue entre les propositions et les poèmes dans Forestière amazonide (1962), Récits complets (1963) et Les idées centésimales de Miss Elazine (1964), se substituera par la suite une logique où ce n’est plus seulement le sens admis qui se dérobera, mais l’acte même d’écrire qui sera mis en procès. Pour aboutir à la fameuse séquence des onze poèmes : La poésie est inadmissible, d’ailleurs elle n’existe pas. La préface aux trois pourrissements poétiques (1972) contredit alors l’ouverture latérale du poème qui était l’ambition annoncée et accomplie de Récits complets  : Ouvrir latéralement le poème, à chaque début ou fin de rang pousser la clôture électrique vers une herbe plus verte... Mais dix années se sont écoulées entre ces deux livres. Le déplacement s’est bien effectué du résultat vers l’acte d’écrire. Puis de l’acte d’écrire vers le refus de la poésie. Quant à l’affirmation qui clôt cette trajectoire poétique, si elle exprime un sentiment et un désir personnels, elle n’engage en rien l’écriture qui prouve, aujourd’hui même, sa vitalité et sa capacité à s’interroger et à se renouveler.

Ce n’est pourtant pas un paradoxe d’avoir placé, dans cette réédition, La poésie est inadmissible en titre générique. Car Denis Roche est de ceux qui pensent que chaque poésie nouvelle ne se présente jamais comme la continuation des poésies antécédentes. Elle surgit dans un moment sans attache, refuse le contexte métaphorique du moment. Ou se condamne à l’autopastiche, à ce que Pierre Mertens, dans une lettre à Denis Roche, appelle l’hystériquement inoffensif. L’auteur des Dépôts de savoir et de technique a voulu la radicalité, sollicité de son aveu même par cette phrase de Maurice Blanchot : Tout écrivain qui se mettant à écrire ne se dit pas « je suis la révolution », en fait n’est pas en train d’écrire. »

Pascal BOULANGER
Fusées et paperoles
éd. L’Act Mem (mai 2008)

*


Pascal Boulanger parle de son livre avec Alain Veinstein

" Je vole selon. " Rimbaud

C’était le 20 juin 2008 lors de l’émission Du jour au lendemain (41’17).
A la fin de l’entretien P. Boulanger évoque les "singularités" et les livres qui l’ont marqué dans la collection Tel Quel : Pierre Rottenberg (Le livre partagé), Jacques Henric (Carousels), Marcelin Pleynet ("un très grand poète"), Jacqueline Risset.

*


La poésie invisible


Par PHILIPPE SOLLERS
Le Monde, 13 janvier 1995

Extrait : Etouffée, marginalisée, la poésie est victime du complot social . TOUT le monde en convient dans l’indifférence quasi générale : la poésie n’en finit pas de disparaître, elle s’éteint, elle se dissout dans le sentimentalisme ou la préciosité moisie, elle ne donne plus lieu qu’à des recueils invendables et mélancoliques, elle contemple sa propre mort avec un narcissisme sombre. C’est sans doute dommage, mais que voulez-vous - les temps sont durs, les problèmes s’accumulent. Ah ! Voici quand même un sursaut, un dernier cri, une révolte...
l’article complet

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Une épopée, c’est un poème qui inclut l’Histoire. Personne ne peut comprendre l’Histoire à moins qu’il n’ait d’abord compris ce qu’est l’Economie
Ezra Pound,Cantos

Denis Roche, premier traducteur des Cantos pisans [2], dans sa préface à l’édition française complète parue seulement en 1986 :
" C’est la langue en action d’un seul homme. La polyphonie universelle par sa seule voix."

Philippe Sollers, Le paradis brisé d’Ezra Pound
in La Guerre du Goût,

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Voir aussi

Tout est paradis dans cet enfer, un article de Denis Roche, Le Monde, janvier 1981.

Denis Roche, météore dévastateur par Josyane Savigneau, Le Monde des livres, 13/01/95.

Denis Roche et la photo-autobiographie par Josyane Savigneau, Le Monde des livres, 25/10/07.

—oOo—

[1Cette conférence (2004) est intégralement publiée dans le livre "Suspendu au récit, la question du nihilisme" (Comp’Act)

[2Ezra Pound, Cantos, Flammarion, 1986.

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