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Scott Fitzgerald

D 29 juin 2007     A par Viktor Kirtov - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


27 Juin 2007

Numéro spécial du magazine littéraire TRANSFUGE exclusivement dédié à F. Scott Fitzgerald avec un entretien de Philippe Sollers : « Fitzgerald, un innocent dans un monde d’images »

Un écrivain qui a déja retenu l’attention de Ph. Sollers dans ses recueils de textes Eloge de l’infini et la Guerre du Goût mis, ici, en regard. Aussi, une postface signée Sollers pour une édition de La Fêlure de Fitzgerald. Intérêt ancien toujours d’actualité. Mais pourquoi donc ? Visite commentée par le critique Sollers : oeil du XXème siècle velouté de XVIIIème. Parmi les thèmes abordés : l’asservissement de l’écrit à l’image, le rôle du corps et des sens dans l’écriture. Et Sollers d’illustrer ses propos avec des extraits de Fitgerald, And much more : Zelda, les relations de rivalité Hemingway-Fitgerald, le diagnostic des toilettes du restaurant Michaud, Fitgerald et Kafka etc...


Un innocent dans un monde d’images

Le mythe Fitzgerald a noyé l’écrivain de génie dans une imagerie facile. Au détriment des mots, regrette Philippe Sollers.

Tout est bon pour se débarrasser d’un écrivain qui s’impose : mythologies, photos, cinéma, roman familial.. A propos de Fitzgerald, on rejoue sans arrêt le même film composé de clichés : héros désenchanté, Musset de l’autodestruction, ivresse de la perdition, persécuteur de Zelda, persécuté par lui-même, Côte d’Azur et crise de 1929, imprévoyance, dépenses et alcool. Or, il faut lire un écrivain selon ce qu’il dit, selon ce que ses phrases expriment, et non selon ce que l’on en dit. Il faut selon moi isoler les phrases de Fitzgerald et voir comment elles fonctionnent : c’est particulièrement flagrant dans ses Carnets. En lisant les mots les uns à la suite des autres, en ne les limitant pas à la simple dimension de rouages d’une narration, d’une story, on atteint le moment où ils dérapent pour dire autre chose. De cette manière, on peut trouver des points communs insoupçonnés, paradoxaux, entre Fitzgerald et Kafka. « Un homme dans la pièce voisine avait allumé un feu. Le feu avait consumé le matelas. Peut-être aurait il mieux valu que le feu l’ait consumé lui aussi, mais il s’en était fallu de quelques centimètres. Le matelas fut emporté avec beaucoup de cérémonie. » Estee de Kafka ? Non. De Fitzgerald. Frédéric Berthet est le premier, dans son journal, à avoir établi des parallèles entre ces deux auteurs. Cela donne une profondeur qui, en général, n’est pas de mise dans le commentaire de Fitzgerald, en le plaçant dans une dimension « à la Kafka ». De l’autre côté, cela permet d’envisager la très grande liberté désinvolte de Kafka, qui n’est pas toujours relevée. Ce parallèle a l’avantage d’éclairer l’un par l’autre. On trouve chez les deux hommes un arrière-plan de culpabilité, qui rapproche Fitzgerald de l’univers d’Alfred Hitchcock, notamment de films comme La Mort aux trousses. Lors de ses entretiens avec François Truffaut, Hitchcock a eu un mot célèbre - mot sur lequel Tmffaut ne rebondit pas. Ce dernier lui demande si son éducation chez les jésuites explique l’atmosphère de culpabilité de La Loi du silence. « Comment pouvez-vous me dire ça, répond Hitchcock, puisque tous mes films décrivent un innocent dans un monde coupable.l » Cette réponse s’entend en termes métaphysiques. Fitzgerald, auquel on a refusé l’enterrement religieux, était lui aussi d’origine et de sensibilité catholique ; on retrouve dans son travail cet innocent dans un monde coupable, figure qui le rapproche de l’arrière-plan biblique de Kafka.

Fitzgerald est victime d’un film sans arrêt projeté ; or, le premier, il a compris, formulé la lutte - violente - qui allait venir et s’amplifier entre le spectacle et l’ecrit. Il l’exprime tres clairement dans La Fêlure, en 1934 : « Je compris que le roman [...] était en train de se subordonner à un art mécanique et communautaire incapable, que ce soit aux mains des marchands d’Holy’wood ou des idéalistes russes, de refléter autre chose que la pensée la plus banale, que l’émotion la plus évidente. C’était un art dans lequel les mots étaient soumis aux images, dans lequel la personnalité était arasée pour aboutir au profil bas que la collaboration impose inévitablement. » Et encore : « Il y avait une indignité écoeurante, devenue pour moi presque une obsession, dans la subordination du pouvoir du mot écrit à un autre pouvoir, à un pouvoir plus scintillant, plus grossier ... L’asservissement du mot à l’image...

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Comme Faulkner, Fitzgerald a été épuisé à Hollywood ; il a vu venir cette montée de la dictature de l’image, avec une raréfaction du langage, dans laquelle nous sommes maintenant à 2000 % ! Il faut insister là-dessus ! Les gens, de nos jours, ouvrent un livre pour assister à un film. La critique littéraire, elle-même, ne sait plus faire autre chose que ressasser une idéologie cinématographique. C’est pour cette raison qu’il faut isoler les phrases - qui sonnent parfois chez Fitzgerald comme des aphorismes - au lieu de rentrer dans la seule histoire, la narration. « Elle lui fit un sourire de côté, d’une moitié de visage comme une petite falaise blanche. » De qui est-ce ? Picasso, contrairement à la doxa de son époque, aux canons esthétiques des surréalistes ou des communistes, appréciait beaucoup Fitzgerald, ce qui pour moi n’est pas neutre : ils ont en commun leur dimension « infilmable », ils ne peuvent être réduits à une image cinématographique.

Les mots, si l’on prête attention à ce qu’ils portent, appellent à voir, ils portent des couleurs, des mouvements, des sons ; c’est sur ce point qu’il faut questionner et lire les écrivains...

« Ses yeux étaient remplis de jaune et de lavande, jaune pour le soleil à travers les stores jaunes et lavande pour la couette gonflée comme un nuage flottant mollement sur le lit. Soudain elle se souvint de son rendez-vous et, les bras jaillissant de la couverture, elle enfila un négligé violet [1], rejeta sa chevelure en arrière dans un mouvement circulaire de la tête et fondit dans la couleur· de la pièce. »

Fitzgerald, on le remarque ici, tente de convoquer le plus possible de perception et de sens à la fois. Or, à travers cet effacement des mots sous les images, nous vivons une expropriation des sensations, des corps et des mots pour dire les différents sens. Etant captée par l’optique, notre ouïe disparaît, de même que le toucher, l’odeur, la saveur, etc. L’histoire, dans la société où nous nous trouvons aujourd’hui, est évacuée ; elle commence hier ou avant-hier. Nous n’avons plus que l’image, l’image, l’image ... Mais l’écrit ?

Le concept de la société du spectacle de Guy Debord s’approfondit chaque jour : les protagonistes, les figurants de notre époque sont des enfants de ce spectacle. On en a observé une actualisation immédiate à travers la campagne présidentielle, dans laquelle les deux candidats ont tout mêlé : Blum, le pape, l’Amérique, Jaurès ... Tout cela est typique des nouvelles « générations spectaculaires », élevées dans le spectacle. Les dates disparaissent, l’Histoire est evacuee, et les perceptions du corps sont réduites à une pure et simple imagerie artistique. Il est par conséquent important de savoir lire un auteur comme Fitzgerald, dont le génie d’écrivain n’est pas assez pris au sérieux, c’est une légende parmi d’autres, dont on raconte l’imagerie avec les bons sentiments qui s’imposent. A travers cette vision de la littérature, on répand une espèce de propagande sous-jacente, en général romantico-nihiliste, qui tourne à une bien-pensance suggérée. Ce qui a évidemment une portée difficile. Hemingway avait raison de dire que dans les époques difficiles la littérature était toujours en première ligne, c’est elle qui est visée : je crois qu on y est.

Philippe Sollers

PROPOS RECUEILLIS PAR FABRICE LARDREAU.

Revue Transfuge - Hors série N°2, Eté 2007, Spécial Fitzgerald,



Éloge de l’infini - La revanche de Scott Fitzgerald

Si un écrivain, dans l’histoire de la littérature, a droit au titre de vaincu exemplaire, c’est bien, semble-t-il Francis Scott Fitzgerald. Pour obtenir cette distinction et hanter, par la suite, les imaginations, il faut plusieurs conditions. D’abord un grand succès initial, avec toutes les cartes en main : talent, jeunesse, beauté physique, charme, femme idéale et excentrique, plébiscite d’une génération affirmant sa liberté, puissant pays en pleine expansion économique. Fitzgerald a eu tout cela comme personne. Ensuite : la destruction. Celle-ci, pour devenir mythique, doit coïncider avec une crise nationale et mondiale, une avant-guerre de plus en plus menaçante, et se présenter, sur le plan individuel, comme un processus d’usure long, dramatique, lucide. Conclusion : la morale et la mélancolie, ces deux soeurs, pourront y trouver leur justification. Tantôt : voilà ce qui arrive quand on est léger, heureux, riche, superficiel, mais finalement mal marié, dissipé et alcoolique. Tantôt : ah, les années vingt, quel paradis perdu, quel gâchis, quelle tragédie. Voilà, au fond, ce que chacun pense ou répète, et cela fait un demi-siècle qu’il en est ainsi.

La biographie très fouillée de Matthew Bruccoli vient déranger ce film composé de clichés. « Il n’y a jamais eu de bonne biographie d’un bon romancier », écrivait Fitzgerald. « C’est impossible. S’il a quelque valeur il est trop de gens à la fois. » Eh bien, il s’agit précisément ici d’une bonne biographie puisqu’elle permet d’envisager tous ces « gens » que Fitzgerald aura été, et ce n’est pas peu dire. Toute l’histoire du vingtième siècle finissant est à refaire, on s’en doute. Ce sera un travail considérable, « impossible », mais la meilleure approche consistera encore à s’aider de la vie des écrivains, des artistes. Ils on moins menti que les autres, du moins certains. Les Américains, par exemple : Fitzgerald, Hemingway, Faulkner. Fitzgerald, là est la surprise, est probablement le moins menteur. Dès 1920, en pIein triomphe de L’Envers du paradis (il a vingt-quatre ans), il écrit : « L’histoire de ma vie est celle d’un conflit entre un besoin irrésistible d’écrire et un concours de circonstances acharnées à m’en empêcher. » Il a observé, au plus près, ces circonstances. Il s’est laissé couler jusqu’à leur source jusque-là cachée. « Toute vie est bien entendu un processus de démolition. » Dites-nous comment et pourquoi, s’il vous plaît, pas d’attendrissement inutile. Quand Fitzgerald, en 1936, publiera La Fêlure, ce chef-d’oeuvre, tout le monde sera gêné. The Crack-up : entendez aussi le mot qui fait peur, krach. La « banqueroute émotionnelle » suit celle de la Bourse et annonce l’ère du faux généralisé s’imposant à travers le cinéma. L’argent, l’alcool, la folie, le spectacle : tels sont les obstacles qui se dressent devant l’ écrivain en voulant sa mort. L’auteur célèbre de Gatsby le Magnifique et de Tendre est la nuit va être obligé comme tant d’autres, de travailler à des scénarios pour la plupart puritains et débiles. « Hollywood est un dépotoir. C’est une ville hideuse dont la laideur est soulignée par la splendeur insultante des jardins de ses riches habitants, une ville où fleurit la forme la plus avilie du coeur humain. » Ainsi, les années vingt, « la plus onéreuse orgie de l’histoire » ouvrent-elles sur une ère de massacres et de simplification des sensations, la même « chez les marchands de Hollywood et chez les idéalistes russes ». De temps en temps, dans ses lettres, Fitzgerald signale qu’une phrase de lui est restée intacte dans un dialogue trafiqué devenu plus ou moins anonyme. Celle-ci, par exemple : « N’effacez pas le sommeil de vos yeux : c’est un sommeil magnifique. » Des dollars, une phrase survivante au milieu de banalités ? Asservissement du mot à l’image.

L’ennemi est extérieur, social ; mais aussi intérieur, intime. Les ivresses de Fitzgerald se saoulant méthodiquement au gin, ses bagarres, ses humiliations, sa ténacité, pourtant, son goût du travail bien fait, n’arrêtent pas de composer un roman vécu contradictoire. C’est le même homme qui provoque les autres et s’abaisse devant eux (Hemingway en profitera, non sans grossièreté, pour se situer sans cesse au-dessus de son rival), et qui, pourtant, pèse chaque syllabe, se fait lire la Bible pour garder la cadence, se replie sans cesse, le crayon à la main, vers la poésie, Shelley ou Keats. C’est le même qui, tuberculeux, se suicide lentement les yeux ouverts, mais n’en finit pas de donner des conseils à Scottie, sa fille, tout en lui confiant : « le travail de tout bon écrivain est de nager sous l’eau en retenant son souffle ». C’est enfin l’incroyable histoire de son épopée avec Zelda qui, jusqu’ici, n’a pas été analysée comme elle le mérite. Rien de plus révélateur sur la guerre inlassable des sexes (ce qui n’exclut pas, bien au contraire, les moments idylliques ou de complicité profonde). Zelda était-elle folle ? Oui et non, et tout est là. « Une chose étrange est que je ne soi jamais parvenu à convaincre Zelda que j’étais un écrivain de premier plan. Elle savait que j’écrivais bien, mais elle ne connaissait pas ma vraie valeur. Lorsque je fis des efforts pour devenir un écrivain sérieux, un "grand écrivain", elle ne le comprit pas et n’essaya pas de m’aider. » Zelda, dans son duel pathétique et intelligent avec Scott, aura tout essayé, Il boit ? Elle peut boire. Il regarde une autre femme ? Elle se jette dans un escalier ou sur un autre homme. Il travaille ? Elle sera danseuse étoile. Il publie des nouvelles ? Elle peindra. Il envisage un nouveau roman ? Elle en écrira un elle aussi. Scott : « Sa théorie est qu’une fille n’a qu’à se laisser aller... Elle a un certain don de raconter, mais rien d’essentiel à dire. » Bien entendu, Zelda ne peut pas supporter Hemingway (qui le lui rend bien) et scandalise Fitzgerald par son mépris pour Joyce. Pourquoi ne l’abandonne-t-il pas, cependant ? Il l’aime ? Oui, sans doute, mais l’essentiel n’est pas là : il est sur le terrain, il enregistre, il anticipe là sur un sujet en pleine mutation. Résultat : « Ayant pris les choses de front, il y a dans mes livres une empreinte que les gens peuvent lire les yeux fermés comme du braille. » On peut donc aller jusqu’à la folie pour empêcher l’écriture. Une certaine écriture est à ce point dangereuse ? Drôle de loi.

Au moment de sa mort, en 1940, à quarante-quatre ans, Fitzgerald ne pouvait plus trouver seul exemplaire de ses livres en librairie. Son éditeur, Scribners, a vendu, depuis, plus de douze milions d’exemplaires de ses romans et nouvelles Gatsby, devenu un livre scolaire, se vend à trois cent mille exemplaires par an. Le mot de la fin appartient à John O’Hara : « Fitzgerald était un bien meilleur écrivain que nous tous. Cela tient aux mots, tout simplement. »

P 656-661

Matthew J. Bruccoli, F. Scott Fitzgerald, Une certaine grandeur épique, édition française établie par Henri Marcel, La Table Ronde.

Philippe Sollers
in Eloge de l’Infini - La revanche de Scott Fitzgerald
Editions Folio, 2003


Éloge de l’infini - Le retard érotique

Un entretien, de 1994, avec Roger Borderie dans le prolongement d’une enquête effectuée par les éditions Zulma auprès d’une soixantaine d’écrivains : « Qu’est-ce que la littérature érotique »

[...]

Roger Borderie : Mais cet écrasement des mots par l’image qui est particulièrement visible à propos de l’érotisme est valable pour tout discours.

Philippe Sollers : En effet. Je pense que l’essentiel est là, dans l’écrasement des mots sous le poids des images. J’étais en de lire une biographie de Scott Fitzgerald. C’est intéressant. Il est mort en 1940, il était obligé pour gagner sa vie de faire scénario sur scénario et parfois anonymement. C’est tout à fait extraordinaire de voir comment ces fictions étaient arrangées Hollywood. Et les Américains se sont rendu compte beaucoup plus tôt que nous de ce qui était en train d’arriver, à savoir l’asservissement du mot à l’image.

Peu après la guerre, on a assisté à la formation de cloisonnements d’activités sexuelles jusque-là marginalisées et tout à coup légitimées. Par exemple, l’homosexualité. C’est la première fois que les sociétés légitiment cette pratique. Et comme par hasard légitimée au moment même où elle est censée avoir été à l’origine d’une catastrophe biologique. Car tout ça marche ensemble. Il y a légitimation au moment où ça perd son sens de non-apparence sociale.

p.955

[...] la télévision n’intervient qu’assez tardivement. Elle n’est que la manifestation de la puissance de toute une société réglée par le spectacle. Là il faut quand même essayer de préciser les dates.
Le premier à l’avoir montré, en 1967, vient de se tuer, c’est Guy Debord. La télévision n’est qu’un instrument. Il faut aller au fond des choses et savoir ce que c’est qu’une société planétaire dans laquelle tout, peu à peu, se fait image. Et puis intervient, à un moment donné, un réglage technique particulièrement virulent qui s’appelle la télévision. Ce n’est pas par hasard, je suppose, que Debord, avant de disparaître, a fait un film pour la télévision. Il passe sur Canal + le 9 janvier, et je suppose que le lendemain il y aura un film pornographique, et ainsi de suite... C’est la grande innovation du spectacle : rendre étanche la séparation entre les sujets. Éviter toute contamination. Enfermer l’écrivain ou l’artiste dans un rôle. Tiens ! Vous, c’est l’érotisme ! Très bien ! Asseyez-vous là... Immédiatement la vraie réaction érotique serait de sortir pour faire autre chose avec quelqu’un qui ne se prétend pas érotique !

Si la télévision n’intervient qu’assez tardivement dans ce processus dont vous parlez, on ne peut plus faire remonter ses origines à une vingtaine ou une trentaine d’années, mais plutôt à près d’un demi-siècle...

C’est qu’avant d’atteindre ses dimensions planétaires, ce processus s’est d’abord précisé aux États-Unis. Je reviens à cette biographie de Fitzgerald. A lire, on comprend très bien à quoi ont été confronté les écrivains américains, beaucoup plus tôt que dans ces vieux pays comme la France. Ils ont été confrontés à une violence très précoce et très particulière. Ce n’est pas seulement l’histoire de la folie de Zelda). Mais c’est Hollywood. Et si vous mettez gent, l’alcool (ou la drogue), la folie qui menace peut être employée comme une arme contre celui Ii écrit (sa propre folie ou la folie de l’autre à son droit) et que vous ajoutez à tout cela l’irréalisation tout par le cinéma où règne précisément l’asservissement systématique des écrivains, eh bien, les dates se précisent : ça commence à se mettre en ce dans les années trente. Vous voyez très bien se dessiner à cette époque une société différente. On ’le aujourd’hui du cinéma américain comme d’un duit culturel despotique. Mais voyez déjà Fitzgerald : il note qu’il veut faire un scénario qui s’appelle « Infidélité ». Mais il ne peut pas, car plus on s’approche de la guerre et plus il est interdit de parler infidélité conjugale, ou alors il faut que ça finisse lien. Voyez l’exemple de Liaison fatale, avec cette fille que j’adore et qui s’appelle Glenn Close. Dans le scenario original elle se suicidait et puis le couple rentrait chez lui, rassuré. Mais ça n’a pas suffi, il a fallu qu’elle meure abattue à coups de revolver et plutôt dix fois qu’une ! Ça c’est une démarche qui était déjà présente dans les années 1935-1940. [...] J’ai dit trente ans pour donner la date à laquelle on a atteint le point de non-retour de puissance de ce système.
Et maintenant c’est parfaitement verrouillé.

p. 966-967

[...]

Le Magasin érotique, 1994

Philippe Sollers
in Eloge de l’Infini - Le retard érotique
Editions Folio, 2003


La Guerre du Goût - Hemingway sur le front

Papa ou Docteur. La mythologie d’Hemingway est déjà en place. Il écrit Le soleil se lève aussi, on est au coeur de son aventure avec Fitzgerald : le fameux diagnostic des toilettes du restaurant Michaud. Hemingway ne s’est pas lassé de raconter cette histoire. Résumé : E.H. pense que Zelda est folle et jalouse du talent de Scott - donc fera tout pour le démolir. Or Scott n’a jamais couché avec une autre femme que Zelda. Zelda lui a dit qu’il avait un pénis trop petit pour la satisfaire. Ernest examine le pénis de Scott et le trouve de dimension normale. Voilà quand même une des scènes primitives les plus saisissantes du roman américain. « Ah Fitz, ce que nous pouvons être profonds, nous autres manieurs de mots... »

[..]

Entre Key West et La Havane, 1932... Résumons les enjeux littéraires :

1) Joyce : « Personne ne peut écrire mieux techniquement. »

2) Pound : Les Cantos sont « pleins de plaisanteries éculées et de conneries », mais aussi d’une « poésie que personne ne peut surpasser ".

3) Gertrude Stein  : A perdu tout son bon sens de lesbienne du fait de cette bonne vieille ménopause... [...] elle s’est mis dans la tête que tous ceux qui étaient homosexuels ne pouvaient être que de bons écrivains... Elle est devenue effroyablement patriotique en ce qui concerne le sexe. »
A ma connaissance, Hemingway est l’inventeur du concept de "patriotisme sexuel" comme critère du délire humain. Clé très utile.

4) Scott Fitzgerald : bien, mais n’écrit pas assez régulièrement. « Scott, les bons écrivains s’en sortent toujours. » Toujours.

Conclusion : « La littérature est toujours de la littérature, quand elle en est, peu importe qui l’écrit et ce que croit l’écrivain. »

Deuxième conclusion (elle vise tous les alibis extralittéraires, Pound comme Dos Passos) : « Quelle que soit l’époque où j’aurais pu naître, j’aurais pu me débrouiller si je n’avais pas été tué. Un écrivain est comme un gitan... Comme un gitan, un écrivain est un éternel étranger. Il ne peut avoir une conscience de classe que si son talent est limité. S’il a assez de talent il est à l’aise dans toutes les classes. Il leur prend à toutes et ce qu’il donne est la propriété de tout le monde. »

De son côté, Faulkner : « Le meilleur lieu pour un écrivain serait d’être tenancier de bordel. »

P 504-506

Philippe Sollers
La Guerre du Goût - Hemingway sur le front
Editions Folio, 1996

La Fêlure et autres nouvelles : The Crack-Up and other short stories

Postface de Philippe Sollers

amazon.fr


[1nouvelle référence au violet. cf. l’article de A.G. : {La vérité, en un sens, est violette}

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5 Messages

  • V. Kirtov | 4 août 2015 - 15:22 1

    75 ans après la mort de Francis Scott Fitzgerald, une nouvelle inédite datant de juillet 1939 et baptisée Temperature, vient d’être publiée dans le trimestriel américain The Strand Magazine.

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    F. Scott Fitzgerald, en juin 1937
    Photo - CARL VAN VECHTEN, WIKIMEDIA COMMONS

    Un an avant que Francis Scott Fitzgerald ne meurt d’une crise cardiaque, l’auteur de Gatsby le magnifique avait écrit une nouvelle racontant l’histoire d’un écrivain alcoolique, installé à Los Angeles et qui se fait diagnostiquer une maladie du coeur. Un récit aux airs autobiographiques retrouvé par le rédacteur en chef du magazine trimestriel américain The Strand Magazine, Andrew F. Gulli, en fouillant dans les papiers de l’écrivain à l’Université de Princeton, rapporte l’agence américaine Associated Press. La nouvelle, datée officiellement de juillet 1939, est d’ores et déjà disponible dans le numéro d’été du Strand, qui la publiera également sur internet dans les prochains mois.

    Présumée perdue pendant des décennies, la nouvelle Temperature a été rédigée alors que la carrière de F. Scott Fitzgerald était au point mort. Sur le déclin, l’écrivain américain vivait à Los Angeles, tentait de se relancer dans l’écriture de scénarios pour le cinéma, et venait d’être hospitalisé deux fois à cause de son addiction à l’alcool.

    Andrew F. Gulli, le rédateur en chef du Strand Magazine, qui publie la nouvelle dans son numéro estival et qui est à l’origine de la découverte du texte, explique à l’Associated Press : " Quand nous pensons à Fitzgerald, nous avons tendance à l’associer avec des romans tragiques commeGatsbyou encoreTendre est la nuit.MaisTemperaturenous montre qu’il était également à l’aise comme nouvelliste capable de prendre sa plume pour écrire de la satire".

    Après ses années de succès, et ses publications dans Collier ou dans The Saturday evening post, F. Scott Fitzgerald, mort en décembre 1940 à l’âge de 44 ans, avait connu des dernières années difficiles. Il avait lui-même envoyé le manuscrit de Temperature aux journaux. La nouvelle avait été rejetée.

    Le trimestriel littéraire américain The Strand Magazine s’était déjà illustré l’année dernière en retrouvant et publiant une nouvelle inédite de John Steinbeck, intitulée With your wings, écrite pour Orson Welles et disparue depuis 1944.

    Pierre Georges

    Livres Hebdo , le 04.08.2015


  • Marie | 25 février 2008 - 14:51 2

    Asservissement du mot à l’image ? Pénétration de l’image par les mots de la résistance et gainage des mots (...j’aime beaucoup l’image d’une apnée donnée à Scottie, déplorant qu’il y manque celle de sa nudité associée, communiquée et transmise à l’idée que je me suis faite d’une écriture à vingt ans).


  • D. | 10 novembre 2007 - 00:10 3

    Au dossier des tentatives de noyer l’écrivain Fitzgerald, il faudra peut-être bien ajouter le Goncourt 2007, dans lequel (ô originalité !) le couple mythique de Fitzgerald est décrit à travers les yeux de la pauvre Zelda...


  • V.K. | 2 juillet 2007 - 23:23 4

    Lu il y a longtemps, un livre lumineux : Le journal d’Etty Hillesum : « Une vie bouleversée » suivie des lettres de Westerbork. Une autre innocente plongée dans un monde coupable... Plus que ça : en Enfer ! Celui des visions prémonitoires de Kafka : celui d’une jeune femme juive dans les années 1940. Eveil à la sensualité, à la sexualité - le calendrier naturel est décorrélé du calendrier de l’Histoire - combat intime contre les interdits culturels, religieux puis contre une spiritualité, qu’elle refuse d’abord, mais qui submerge tout, en même temps que la traque de ses compatriotes juifs se développe. « Les gens ne veulent pas l’admettre : un moment vient où l’on ne peut plus agir, il faut se contenter d’être et d’accepter. » Elle-même sera happée dans le flux qui conduit aux camps de la mort.
    La valeur de ce journal est dans le feu de cette vie intérieure qui illumine alors que tout brûle autour - pas seulement les matelas - ne laissant que cendres, horreur et désolation. Mais la braise luit sous la cendre. Salutaire. Un témoignage bouleversant, extraordinaire.


  • anonyme | 30 juin 2007 - 10:27 5

    Dieu met le feu au matelas, c’est sa façon paradoxale de demander pardon, pour et à l’être innocent dans un monde coupable.

    Voir en ligne : une histoire d’amour