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L’avènement de Ségolène.

Extraits du JDD de 2006, suivis d’un article sur un livre de Marc Lambron et d’un entretien de mars 2007.

D 1er janvier 2007     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


29 janvier 2006.


Ségo. « La femme est l’avenir de l’homme », disait Aragon.
Nous y sommes.
Mais Ségolène Royal aurait-elle autant de succès si elle s’appelait Ségolène Buffet ? J’en doute, et le mot royal prend ici toute sa dimension subliminale. Le vieux rêve monarchique français refait sourdement surface et Marie-Antoinette n’aura pas perdu sa tête pour rien. Oui, les femmes montent, elles convainquent, elles rayonnent. Voyez Michelle Bachelet au Chili : «  C’est le temps des femmes pour le bonheur des hommes. » Ségolène, aussitôt, prudente, met un bémol : «  Il ne faudrait pas donner le sentiment que les femmes arrivent d’un coup. » D’un coup, non, cela pourrait inquiéter l’ennemi immémorial qui craint de voir se rétrécir son empire.

A voir la tête que fait Chirac au côté de sa nouvelle partenaire d’acier, Angela Merkel, on peut en effet craindre le pire. Mais un duel futur Royal-Merkel serait fascinant. On a envie de voir ça. François Poitou et Ségolène Charentes d’un côté, la Prusse ennemie des restaurateurs français de l’autre. Ségolène en beauté rose, Merkel boudeuse. Quel match !
Pour l’instant, la pensée politique de la nouvelle star est encore dans les limbes, mais qu’importe ? Elle a une formule qui dit l’essentiel : « Ce qui est important est de donner un désir d’avenir. » Son site s’appelle d’ailleurs Désirs d’avenir. J’ai de bonnes raisons d’avoir des désirs d’avenir, j’applaudis, je m’inscris, j’adhère. D’autant plus que Laurence Parisot (autre femme d’avenir) n’a pas de mal à me convaincre que Ségolène conjugue une image protectrice (famille, éducation des enfants) et anti-précaire (socialisme sans exagération). De toute façon, là est le nouveau, l’aventure, le romanesque futur, l’ivresse des médias.

Ne nous parlez plus de déclin, de fracture, de rupture : tout est dans un sourire de force tranquille auquel tout provincial français peut avoir envie de s’identifier. Qui a oublié que la France est une grande province ?

Paix, famille, école, emploi, sécurité et stabilité, voilà le secret. C’est ce que Laurence Parisot, dans une déclaration patronale qui fera date, appelle « rendre la France lisible ».

Jarnac. Au fond, c’est le message post mortem de Mitterrand, ce grand sage de tous les villages. Ségolène n’était pas à Jarnac, mais on ne voyait qu’elle, l’absente la plus présente loin des lourds éléphants sous la pluie. Mazarine est encore un peu jeune, mais elle sera d’un secours puissant dans le style Royal. Fabius, avec son chapeau, a bien essayé de la jouer en oncle choisi, mais le coup de Jarnac était un peu gros, un peu trop téléphoné sur la tombe. Coup de vieux pour tout le monde, soudain.

Bal des fantômes. Le jeune Mitterrand, là, se réincarnait sous nos yeux dans sa fille, laquelle devra attendre son tour sous la houlette de tante Ségo. Il faut d’abord que Ségo l’emporte sur tous ses rivaux et rassemble le peuple de gauche dans un grand élan d’avenir.

Gros travail, peut-être impossible, sauf inspiration mystique dans le genre Jeanne d’Arc. Ségo contre Sarko, ensuite, ça pourrait aller, avec le soutien larvé de la chiraquie déchaînée. Mais si c’est Villepin ?
Ce dernier, après avoir pointé du doigt les « déclinologues », est-il pour autant devenu progressologue ? Il est fier d’être français, nous aussi. Mais son appel, peut-être humoristique, au passé des druides nous laisse sceptiques sur sa potion magique. Une finale Villepin - Ségo serait quand même un spectacle superbe, tendu, vibrant, cruel, haletant. Oubliés les problèmes du Clemenceau, l’épouvantable gâchis d’Outreau, la trahison de Johnny le Belge ! Oublié le pauvre Sharon maintenu à l’état de mort-vivant après une curieuse affaire d’anticoagulants ! Oublié le redoutable Gazpoutine ! Oubliée, espérons-le, la grippe aviaire venue jusqu’en Turquie nous chatouiller les narines ! L’avenir, rien que l’avenir ! Les druides, Solutré, le Chili, Jarnac, le Poitou-Charentes, la rose enrobée, l’avenir !

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26 février 2006.

Toujours Ségo... Jusqu’où pourra aller Ségolène Royal ? Ce qui est sûr, c’est qu’elle est en train de vieillir d’un coup ses partenaires socialistes. Ils pérorent, elle se tait. Ils font semblant d’avoir un programme, elle n’en a pas, d’où sa force.
On dit qu’elle n’est qu’une image, mais nous sommes définitivement dans une société d’images. Plus profondément : on a oublié la déclaration métaphysique de Mitterrand avant sa disparition : « Je crois aux forces de l’esprit, je ne vous quitterai pas. » Le miracle de Jarnac a eu lieu : Mitterrand s’est bel et bien réincarné sous nos yeux à travers sa fille, mais aussi à travers l’absente, Ségolène elle-même. Le vieux magicien avait préparé son coup fantastique : revenir en femme parmi nous, en force tranquille souriante et rassurante. Toutes les angoisses, toutes les catastrophes, toutes les violences travaillent pour Ségo.
C’est l’infirmière courageuse et chic qu’il nous faut.

Et c’est là qu’il convient d’écouter attentivement Bernadette Chirac depuis la ville sainte de Bénarès : « Ségolène Royal peut être une candidate sérieuse, elle peut même gagner. Ses petits camarades socialistes ne lui feront pas de cadeaux, mais l’heure des femmes a sonné. Regardez Angela Merkel en Allemagne. Ségolène a un look, et à l’heure actuelle ça compte beaucoup.
A l’avenir, il y aura de plus en plus de femmes pour commander les hommes. C’est bien embêtant pour eux, mais c’est ainsi.
 » Eh bien, si Bernadette le dit, c’est parti.

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30 Avril 2006.


Ségolène superstar.
Regardez une carte de l’Hexagone.
Les régions les moins touchées par l’explosion de Tchernobyl sont indubitablement à l’ouest, tenez, par exemple le Poitou Charentes. Le salut vient de là, tout le monde le sent, le pressent. Le prix du baril s’envole, le nucléaire iranien fait flamber la planète à l’horizon, le Hamas vous angoisse, Ben Laden vient de refaire coucou sur sa chaîne de télévision préférée (document audio authentifié), le tourisme en Egypte n’est pas vraiment conseillé, Katmandou a bien changé depuis son époque mystique, vous avez le bonjour du camarade Battisti en cavale quelque part dans l’hémisphère Sud, à moins qu’il ne soit passé au Nord. Les Renseignements généraux de moins en moins renseignés sont sur les dents, tiraillés par des conflits internes. La marine nationale perd son sonar très coûteux en pleine mer. L’affaire Clearstream (quel nom !) vous échappe dans les ténèbres, vous ne savez plus qui est le corbeau de qui, ni même s’il y a un vrai corbeau dans cette forêt profonde.

Avouez-le : vous êtes perdu, vous vous dirigez donc instinctivement vers le Poitou, vers les Charentes.

Et, là, miracle : vous trouvez un climat tempéré, de merveilleuses vaches sont allongées pour vous dans les prés, une claire maison apparaît, et, sur le pas de la porte, une femme en tailleur rose vous accueille avec un grand sourire qui dit oui à votre désir d’avenir. Elle vous demande gentiment ce que vous voulez, vous hésitez un peu à lui répondre, vous percevez que, derrière son affabilité attentive, se tient un vrai caractère qui n’hésitera pas à vous réprimander si votre conduite laisse à désirer.
En tout cas, elle semble vous écouter, c’est toujours ça par les temps qui courent. Vous avez entendu tout le mal que disent d’elle ses concurrents mâles de la tribu socialiste, sans parler de la jalousie féminine qu’elle déclenche presque automatiquement, vous êtes donc étonné qu’elle persiste, ou du moins son image, dans la publicité des sondages.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Peut-être, simplement, que le Spectacle a ses lois. A 80 ans, la reine Elisabeth d’Angleterre vient de vous montrer un délicieux bibi framboise. Elle est en pleine forme, et Ségolène Royal aussi. Est-ce vraiment un hasard si les Anglais s’installent de plus en plus dans le sud-ouest de la France ? Vous dites que Ségo n’a pas de programme, qu’elle n’est pas vraiment de gauche, que son féminisme est douteux, qu’elle va disparaître au creux de l’été, qu’elle va être rattrapée par la dure réalité ? C’est possible mais, pour l’instant, Ségo bat Sarko.

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28 mai 2006.


Nouvelle inquiétude : le match Ségo-Sarko ne commence-t-il pas, de la même façon, à lasser ? N’entendez-vous pas, au loin, cette rumeur à peine audible d’une possible remontée de Villepin, si courageux, si tenace, si social ? Impossible, me dites-vous, mais justement, les spectateurs sont parfois friands d’impossible.

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25 juin 2006.


Ségo. Le mieux, au point où on en est, serait une candidature de progrès bicéphale. Voilà la vraie rupture paritaire, un aigle à deux têtes et à quatre pattes, l’androgynat parfait. Donc : Royal et Hollande. Tantôt à droite, tantôt à gauche, l’union nationale, avec débordements de mariages gays. Pour l’instant, Ségo est une frégate chinoise, ou plutôt un sous-marin avec Hollande en sous-main.
Ses atouts : une enfance malheureuse dans une famille catholique de huit enfants, un père colonel très réactionnaire, une fierté et une ténacité à toute épreuve, une morale d’acier. On la soupçonne de vouloir militariser la lutte contre la délinquance ? D’avoir ainsi un retour de refoulé au père ? Elle tient bon : « Alors, quoi, le mot discipline serait un mot de droite ? » Et aussi : « Depuis quand l’uniforme des militaires, des gendarmes et des pompiers ne serait pas socialiste ? » C’est vrai, ça, et honte à ceux qui ont crié autrefois, sous les coups de matraque, « CRS-SS ! ». Un colonel socialiste n’a rien à voir avec un colonel d’extrême droite. Un policier socialiste se remarque aussitôt, malgré l’uniforme, et inspire une confiance qu’un gendarme du Front national serait incapable d’incarner. N’importe quel dissident de l’ex-URSS vous dira qu’un gardien socialiste était doux, modéré, ouvert, humaniste, cultivé.
La discipline, vous dis-je, la discipline. Une bonne équipe est une équipe disciplinée.

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30 juillet 2006.

Le dieu Zidane est redevenu humain, c’est-à-dire comme vous et moi, n’est-ce pas, qui avons le coup de boule facile. Ségolène Royal a trouvé l’attitude de Zidane « exemplaire » par « sa capacité à défendre farouchement le respect dû à sa mère, le respect dû à sa soeur ».

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23 septembre 2006.

Sarko-Ségo. Comparé à ce tourbillon tragi-comique, le petit théâtre de marionnettes présidentiables françaises fait peine à voir. Le cirque Sarko, avec Johnny Hallyday et Doc Gynéco, s’épuise en province, et une photo prise à la sauvette avec Bush fait plutôt froid dans le dos.
Quant à Ségo, elle sent quelque chose : la France, avec jeu de mots, est en train de devenir la Hollande, elle veut une grande soeur maternelle, elle a bobo.
Du simple point de vue publicitaire, si elle ne se fatigue pas trop vite, Ségo a un avantage : elle porte avec elle un avenir indiscutable de films, de magazines, de fringues, de sacs, de souliers, de bijoux, de lingerie fine, de produits de beauté, de propreté, de pureté, de dignité, de sécurité, de respect, de désirs d’enfance. Elle réprimande une petite Bretonne ? Et alors ? Elle se montre avec le play-boy Montebourg ? Pourquoi pas ? Le spectacle la veut et l’impose, face à des concurrents d’avant le 11-Septembre et le quinquennat.
Problème de la parité : combien de femmes à droite ? Et à gauche, à part la vedette ? On attend de voir. Quant à Chirac, regonflé à l’international, impossible de ne pas l’imaginer pensant à la future passation de pouvoir : Sarkozy sur le perron de l’Elysée ? L’enfer. Ségolène s’avançant vers lui tout sourire ? Bernadette fera la tête, mais tant pis.

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25 novembre 2006.

Ségostar
Voilà des mois que j’entends dire, par des gens sérieux, informés, responsables, que Ségolène Royal n’a aucune chance d’être désignée comme candidate du Parti socialiste, qu’elle va s’effondrer dès les premières confrontations, qu’elle ne tiendra pas le coup dans les débats de fond, qu’elle est une simple bulle médiatique, une boursouflure artificielle, un sourire vide, une invention des sondages et de l’opinion.
L’opinion, comme on sait, doit sans cesse être réorientée, réformée et éclairée par le clergé qui compte, celui des experts, des économistes, des banquiers, des hommes d’affaires, des vrais politiques (hommes, évidemment), des penseurs officiels. Eh bien, elle est toujours là, elle brille, elle augmente, elle tue des éléphants, elle est déjà en finale, mais c’est comme si la finale venait d’avoir lieu. Pourquoi attendre davantage ? C’est elle.
Que de mois inutiles et ennuyeux à endurer, encore des débats, des meetings, des dérapages, des torsions, des révélations, des clearstreams, des petites phrases empoisonnées, des vidéos trafiquées. Et tout ça pour quoi ? La suite est connue : Chirac maintient le suspense, laisse parler Bernadette, et s’arrange, en douce, pour faire passer Ségo, comme il a fait passer Mitterrand. Enfance de l’art.
Avec Ségo, immaculée conception, divine surprise, la France ressuscite et prend indubitablement le leadership mondial de l’image, c’est-à-dire, désormais, du réel. La presse internationale ne s’y trompe pas, elle tient sa star, son soleil permanent, son stock de rebondissements, de tirages, de surprises. Libération est sauvé, de nouveaux talents s’épanouissent. Ségo vient de dire « n’ayons pas peur des idées neuves ». C’est très bon, ça, je suis là.

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Lambron.
Il faut lire le petit livre brillant et subtil de Marc Lambron, Mignonne, allons voir..., pour comprendre en profondeur le phénomène Ségo. On n’a jamais mieux analysé, selon moi, la pseudo-énigme Mitterrand (Vichy compris), le blocage de « trois gauches exténuées, la marxiste, la libertaire et la socialiste », le spectre encore glaçant de Moscou, le fantôme de Trotski, l’inconscient de gauche de la droite (Chirac), l’inconscient de droite de la gauche (l’Ordre), la méritocratie de l’ENA, bref les caves de la République.
Vous êtes perdus ? Vous redoutez la montée de Le Pen ? Vous trouvez que Sarkozy a plutôt mauvais genre ? La solution est là : une vierge guerrière qui est aussi une mère miraculeuse, un recommencement sans passé gênant, sans culpabilité, sans repentance. Lambron parle drôlement des « orphelins de la faucille et du marteau », du coup d’Etat générationnel que représente Royal (mais aussi Sarkozy), et surtout du fait capital que Ségo « joue secrètement sur le clavier religieux d’une France en mal de croyances ». Mitterrand, dit Lambron, était un «  misanthrope relativiste, abbé frôleur, connaisseur du Malin ».
Ségolène avale ce diable et l’exorcise, de même qu’elle dissipe le long brouillard diffusé par l’axe Vichy-Moscou. Son régionalisme a un côté américain soft, sa maternance écologique peut retrouver bientôt Hillary Clinton (pendant que le sinistre Rumsfeld, celui qui parlait de «  la vieille Europe », se retrouve viré à cause du désastre en Irak), son désir de « bonne famille » est un désir immémorial d’avenir. Sur le plan subliminal (plus important qu’on ne croit), le nom de Royal était déjà un atout maître. Mais (Lambron aurait pu le souligner), dans Ségolène vous pouvez aussi entendre Gaule, et aussi de Gaulle. Ségaullène Royal, qui dit mieux ? Sur le fond, je suis d’accord : « Toute personne sensible aux charmes de l’anarchie ne peut qu’observer le processus avec intérêt. » Ceux qui sont contre Ségo ne sont donc pas anarchistes ? C’est à craindre. Vous croyez lire ici un paradoxe, mais ce n’en est pas un.

*

31 décembre.

Drôleries.
Je passe sur le départ de Johnny Halliday en Suisse, sur le redressement fiscal de Doc Gynéco (700 000 euros), sur le dérapage de Pascal Sevran sur la bite des nègres, sur la grosse migraine de Sarko qui s’ensuit. Un psychanalyste écrit, par ailleurs, probablement sous le coup d’une enfance pénible, que Ségo a tout d’une "mère sévère". Laurent Joffrin, dans Libération, vantant les mérites du philosophe plébéien Michel Onfray appelant à l’union de la gauche anti-libérale (que les communistes viennent de saboter), ne craint pas d’écrire : "Michel Onfray est nietzschéen, mais il a du bon sens."...

A suivre...

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L’essai de la semaine : " Mignonne, allons voir... "

Philippe Sollers a lu le livre de Marc Lambron

Les livres politiques sont en général ennuyeux et lourds, écrits pour la circonstance dans une absence de style journalistique. En voici un, au contraire, qui est étincelant, mais parce qu’il vient d’un écrivain et d’un romancier, spécialiste de l’observation des ombres. Lambron est très informé : il connaît l’histoire et son envers, il est cultivé en profondeur, il a de l’imagination, c’est-à-dire de la vérité, à revendre. Bref, son petit livre est tout de suite passionnant, cruel, drôle, et beaucoup mieux que méchant : inspiré et précis.
Voici la vraie fille de Mitterrand, au sens transgénétique. C’est elle, c’est enfin elle, Ségolène Royal, la « pasionaria en tailleur blanc », la « tueuse d’éléphants ». En quelques mois, elle se lève à l’horizon, elle brille, elle augmente, elle résiste à toutes les attaques, elle déclenche une tempête sur le Parti socialiste, ses vieux dossiers, ses requins, ses recoins, ses placards. Lambron, bon enquêteur discret, rencontre des notables et des propriétaires furieux : Ségolène bouscule les règles du jeu, elle leur casse la baraque. A l’idée d’être obligés de la suivre, ils sont pris d’un vertige vagal. En privé, ils la traitent de tous les noms. Elle serait « sectaire, revancharde, méchante, personnelle », et, surtout, elle détesterait « le parti ». Ah, le parti ! Il est l’objet d’un hold-up médiatique de la part de cette apparition rayonnante qui pourrait devenir, stupeur, la première présidente de la République française. Lambron n’en finit pas de voir des « apparatchiks retournés, ulcérés, catatoniques ». La « Zapaterreur » du Poitou-Charentes les met sous Prozac. Bref, elle est haïe, mais Lambron a raison d’écrire : « La haine est intéressante, ceux qui la déclenchent aussi. »
Formules : « Etre de gauche, c’est digérer lentement des vérités de droite. » Ou encore : « Ségolène Royal est la meilleure production de la droite française depuis François Mitterrand. » Ou encore : « Avec Ségolène, la gauche avoue son immense désir de droite. »« Voilà donc un putsch possible, un de ces plébiscites soudains dont la France a, semble-t-il, le secret. Il serait accompli par un « être à la fois rusé, volatil, déterminé, évasif, autoritaire, amnésique, carnassier, séduisant, revanchard, infirmier ». » Bref, une femme.

« Mignonne, allons voir... », par Marc Lambron, Grasset, 196 p. 14,90 euros.

Philippe Sollers, Le Nouvel Observateur du 23 novembre 2006.

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Ségolène Royal

« Qu’une femme soit en position d’être élue à la fonction suprême fait trembler tout le pays ».

Puisque « l’heure des femmes en politique est venue », le romancier de « Femmes » (Gallimard, Folio n° 1620, 1983) ne peut que s’intéresser au phénomène politique suscité par Ségolène Royal. Philippe Sollers, dont l’oeuvre rassemble dans un cocktail hétéroclite saint Augustin et une sexualité omniprésente, décrypte la candidate du PS.

Petit bureau pour gros fumeur. Au numéro 5 de la rue coudée Sébastien-Bottin, notre homme y a ses habitudes depuis plus de vingt ans. Au premier étage de l’immeuble Gallimard, son antre, les piles de livres (les siens) côtoient des articles qui consacrés aux Lumières pour Le Nouvel Observateur, qui consacrés à Heidegger. Le temps de cet entretien, l’étoile filante Sollers met son agitation entre parenthèses. Directeur de la revue L’Infini, éditeur — notamment du magistral Journal de trêves de Frédéric Berthet ou du prix Goncourt Ingrid Caven de Jean-Jacques Schuhl —, ce pilier de la NRF [Nouvelle revue française] est un hussard sur le toit intellectuel français. Connu comme un farfadet du petit écran, fume-cigarettes à la main et formules savoureuses à la bouche, Sollers est autre que ce personnage médiatique qu’il s’est forgé. Sous le coup d’une double actualité, les parutions conjointes de Fleurs et L’Evangile de Nietzsche, il cavale, peste, rudoie le monde des idées. Et bien évidemment se réjouit de la candidature Royal qui « met du désordre dans les vieux schémas français ». Tout naturellement, il dégaine un de ses romans dès la première question.

Femmes
« En toute absence d’humilité, je crois qu’il faut relire mon livre éponyme où tout ce qui se passe aujourd’hui en termes de guerre des sexes s’y trouve. Quand ce livre est sorti, si l’on reprend la presse de l’époque, on a beaucoup insisté sur les personnages masculins. Car j’y parlais, sans les citer, de Lacan, Barthes, Althusser... Néanmoins, ce roman contenait beaucoup de personnages de femmes. On peut le lire comme un catalogue où chacune est définie selon son ascension sociale, son corps, l’usage qu’elle en fait, l’image qu’elle offre à la société... Ce qui est aujourd’hui encore le tabou suprême. Avec l’irruption de Ségolène, une typologie de femme prend le pouvoir. »

Femme
« Il faut définir les femmes au singulier. Lacan a saisi son auditoire, lors d’une conférence, lorsqu’il énonça que â ??la femme n’existait pasâ ? . On délire beaucoup autour de ce "la" alors qu’il y en a "des" , chacune en situation particulière. Et ce que nous vivons en est l’explication type. Supposer qu’une femme soit en position d’être élue à la fonction suprême fait trembler tout le pays. Alors allons-y, qu’est-ce qui fait frissonner les Français lorsqu’on associe femme et pouvoir ? Jeanne d’Arc évidemment avec son armure. Catherine de Médicis, évidemment, tout en constatant que nous n’avons pas eu de "Queen". Idem pour Marie-Antoinette. Et si vous avez entendu Pierre Mauroy annoncer l’arrivée de la candidate des socialistes à la Mutualité, notez qu’il a déclamé son nom à la façon d’un serviteur annonçant l’arrivée d’une reine. On avait l’impression qu’il aurait pu annoncer â ??et maintenant voici Marie-Antoinette et Louis XVI ! Avançons toujours dans l’Histoire et notons que Ségolène Royal a repris les noms d’Olympe de Gouges et de Louise Michel dans ses discours.

Dernier personnage qui apparaît partout - journaux, propos éminents, etc. -, accolé à la personne de Ségolène Royal : l’Immaculée Conception. Personne ne sait de quoi il s’agit : car la Vierge conçue sans péché est un thème tardif, apparu au XIXe siècle, notamment sous la plume de Flaubert. La Vierge de Lourdes qui apparaît dans sa grotte, c’est français et c’est récent. Message subliminal que déversent les médias : Ségolène est l’Immaculée Conception, à ceci près qu’on ne parle pas de la même chose. La plupart confondent avec l’Incarnation. »

Le temps des femmes est venu.
« Faux. On oublie qu’il y a eu Thatcher, Golda Meir, Benazir Butto au Pakistan, bref de glorieuses ancêtres. Nous assistons aujourd’hui à un phénomène d’accumulation : Mme Merkel en Allemagne, Michelle Bachelet au Chili... Ségolène Royal arrive à un moment opportun. Et cela suffit pour mettre du désordre dans les vieux schémas. »

Nicolas Sarkozy
« On ne peut pas imaginer Jacques Chirac acceptant d’accueillir sur le perron de l’Elysée ce Sarkozy qu’il n’aime guère. Ce serait rajouter l’humiliation à l’humiliation. Par contre, voyez Chirac conduisant une femme à la plus haute fonction française : le cliché restera à jamais dans l’Histoire. La France reprend alors le leadership international de l’image puisque nous vivons dans la société du spectacle. Imaginez l’aura qui rejaillirait sur notre vieille nation : une femme de blanc vêtue, marchant sur le tapis rouge qui mène au perron de l’Elysée, recevant l’accolade de Jacques Chirac. Et ce couple de circonstance entrant dans le palais, comme deux futurs mariés s’engouffrant dans une église pour recevoir la bénédiction... Ça aurait de la gueule après douze années de règne chiraquien. »

Quatre enfants
« Là tout le monde dérape. L’Immaculée Conception avec quatre enfants, ça n’est pas très sérieux. Elle peut faire au mieux la mère qui est restée pure, sécurisante, autoritaire. Ce que ne pourrait pas incarner Christine Boutin, qui incarne la droite catholique, et qui a l’air délurée, qui représente la face lubrique du catholicisme. Ségolène ne se présente pas comme catholique mais oblige tout le monde à fantasmer autour de ce thème. Très forte. »

Séduction
« Attention, je dis attention : séduction oui mais dénuée de sexualité. On ne peut pas lui faire le moindre procès en dévergondage. Le mot séduction ne lui convient pas : il s’agit d’une présence réelle qui nous vient d’ailleurs. Tel un gourou, elle plane au-dessus des instincts. Ce qui lui confère une certaine autorité. Et réfute l’industrialisation de la sexualité. Ce qui n’obère pas un déchaînement de fantasmes dans les mois à venir. »

Inculte ?
« Peu importe. Marc Lambron pointe, dans ce qui est à mes yeux son meilleur livre Mignonne, allons voir... (Grasset), cet aspect qui frapperait Mme Royal. De Chirac et son goût affiché pour les arts primitifs et les chinoiseries à ses confrères de la classe politique, le niveau n’est pas élevé en la matière. Mitterrand a peut-être été le dernier à faire étalage de ses goûts littéraires. Que des écrivains de droite d’ailleurs : Chardonne, Morand, Drieu... Dans le contexte actuel, cela ne compte pas. Ségolène Royal est une énarque, formatée, qui cherche à sortir des cases traditionnelles de la politique. Ce n’est certainement pas sur sa culture ou son inculture qu’elle sera élue ou battue. »

Le quinquennat, assassin de la monarchie
« Ce que personne ne semble voir, c’est l’impact du quinquennat qui marque la fin de la monarchie française. Désormais, nous votons pour un manager pour une durée de cinq ans. Cela change la donne de la République française. On change de régime, de fonctionnement. Va-t-on vers la démocratie participative ? Je ne sais pas mais ce qui est sûr, c’est que ce qui se passe est aussi important que la création de la Ve République. Elle correspond à cela. Une rupture générationnelle, comme Sarkozy, en phase avec son époque. Cela sera intéressant de savoir qui l’emporte selon cette nouvelle donne. Fini les longs règnes des rois Chirac et Mitterrand. Fini les quatorze ans de pouvoir : maintenant ce sera au mieux dix ans de pouvoir. Dans ce hiatus nouveau, qu’une femme apparaisse n’a rien d’étonnant. Cela aurait pu être Martine Aubry, ce sera â ??Mme Royaaal...â ? selon l’intonation de Pierre Mauroy. »

Proche-Orient
« Peu importe qu’elle ait commis des bourdes lors de son périple libano-israëlien. Pour une bonne raison : les Français se foutent de la politique internationale. Qu’elle soit compétente ou non en la matière n’a strictement aucune importance pour l’électorat. On glose beaucoup sur une candidature Chirac justifiée par une crise internationale majeure. Coup de grisou au Liban, coups de menton en Iran, provocations syriennes... Je n’y crois pas beaucoup. En partie à cause de la force d’inertie de l’Europe. »

Ordre juste
« Du Benoît XVI appliqué au PS français ! Mais, tout comme les jurys citoyens, les encadrements militaires, elle lance des idées, soupèse les retombées, puis un pas en avant deux pas en arrière, elle fait preuve d’un pragmatisme forcené. Chirac a fonctionné ainsi avec la fracture sociale. »

François Hollande, prince consort
« J’entends les ricanements sur son passage, style Monsieur Pièces jaunes, la première dame de France. C’est con ! C’est minable ! C’est honteux ! La décomposition du système monarchique français arrive à son terme avec cette situation. C’est ce que je retiens plus que le "qui est-ce qui va garder les enfants" ou autres conneries de comptoir ! »

Par Benoît Delmas, Le Nouvel Economiste, N° 1377 - Du 1er au 7 mars 2007.

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