4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » SUR DES OEUVRES DE SOLLERS » "Paradis" de Philippe Sollers : oracle parfait, sommet de l’hybris (...)
  • > SUR DES OEUVRES DE SOLLERS
"Paradis" de Philippe Sollers : oracle parfait, sommet de l’hybris romanesque

par Mathias Enard

D 27 mai 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


JPEG - 59.5 ko
Philippe Sollers à son domicile parisien
©Getty - Sophie Bassouls/Sygma/Corbis

Les Incipits de Mathias Enard

vendredi 26 mai 2023

VOIR SUR PILEFACE

Publié en 1981, "Paradis" est l’un des textes les plus fascinants de Philippe Sollers. Sans aucune ponctuation ni majuscule ni paragraphe : une masse textuelle qu’on ne peut lire qu’en rétablissant soi-même la ponctuation, ce "métronome" comme l’appelait Roland Barthes dont il faudrait s’émanciper.

GIF

Le 5 mai 2023, Philippe Sollers est allé rejoindre son ami Casanova à Venise, dans une lagune brumeuse. L’amoureux des femmes et de Dante a rejoint la Divine comédie – où le trouvera-t-on, dans lequel des trois livres de l’Alighieri ? Dans un cercle de l’enfer, dans un purgatoire amoureux ?

Paradis, sommet de l’hybris romanesque

Un des romans les plus célèbres de l’écrivain bordelais s’intitule justement Paradis : c’est rien de moins qu’un chef d’œuvre, sans nul doute un des textes les plus fascinants de Sollers, publié en 1981 aux éditions du Seuil, dans cette collection Tel Quel qu’il y avait fondée avec la revue du même nom. Paradis c’est l’histoire de 100.000 histoires, c’est un développement et un renoncement, un moment tournant, un passage. Paradis, ou du moins sa première partie, car Philippe Sollers en publiera une deuxième, Paradis 2, en chiffres romains [dans l’édition folio. A.G.], cinq ans plus tard, cette fois-ci chez Gallimard.

Serpents vifs et chaînes de sens

Voici comment s’ouvre le premier Paradis, de cette manière neuve qui plonge le chroniqueur d’incipits dans un certain désarroi : voix fleurs lumières échos des lumières cascades jeté dans le noir chanvre écorcé filet dès le début c’est perdu plus bas je serrais ses mains fermées de sommeil et le courant s’engorgea redevint starter le fleuve la cité des saules soie d’argent sortie du papier jute lin roseau riz plume coton dans l’écume 325 lumen de lumine en 900 remplacement des monnaies 1 294 extension persane après c’est tout droit jusqu’à nos deltas ma fantaisie pour l’instant est de tout arrêter de passer les lignes à la nage

"La ponctuation, c’est comme un métronome bloqué ; défaites le corset, le sens explose" écrivait Roland Barthes

Et je pourrais continuer ainsi jusqu’au bout du livre parce qu’il n’y a pas un seul signe de ponctuation, pas plus que de majuscules, de saut de paragraphe ni de chapitres en belle page, rien qu’une suite de mots qu’on pourrait lire d’égal à égal, l’un après l’autre sans hiérarchie et c’est justement dans cette masse textuelle que se forment des serpents vifs, des chaînes de sens qui dépendent totalement de la façon de les lire comme à haute voix. Roland Barthes, ami de Philippe Sollers, écrivait ceci : "Paradis est lisible (et drôle, et percutant, et riche, et remuant des tas de choses dans toutes les directions), si vous rétablissez en vous-même, dans votre œil ou votre souffle, la ponctuation. La ponctuation, ajoutait-il, la ponctuation, parfois, c’est comme un métronome bloqué ; défaites le corset, le sens explose."

Mais quelle est cette explosion du sens ? Cet amas, cette montagne avant la mine, c’est pour y chercher quel or ? Que racontent ces milliers d’histoires, en Paradis ? Voici comment résumait l’entreprise Philippe Sollers lui-même :

il n’y a plus à simuler et à encadrer, mais à faire déferler, le plus amplement, minutieusement et rapidement possible, la narration, et sa mémoire qui vont de l’horreur au comique, du constat de mort répété à l’état mystique, de l’information critique à la méditation catastrophique, du biologique au métaphysique en passant, kabbalistement, par la dérision, l’obscénité et, bien entendu, le tragique.

Voilà le roman. De la kabbale à l’obscène pour parvenir au tragique, Sollers avait touché dans Paradis, une forme d’hybris romanesque – non pas parce qu’il se méprenait sur ses forces à lui, courrouçant ainsi les Dieux, non, mais parce que c’est au roman lui-même qu’il confiait les clés de la vie, les clés de cet absolu que nous pourrions parcourir comme le Tao te king, comme l’oracle parfait : c’est le roman qui se hissait, par Philippe Sollers, au-dessus de sa condition romanesque. Longue vie, Philippe.

GIF
JPEG - 34.3 ko
Mathias Enard ©AFP - JOEL SAGET

Radio France

LIRE AUSSI : Une histoire de la ponctuation : au commencement était le “.”

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document