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Aliocha Wald Lasowski : Secret et dévoilement le legs de Philippe Sollers

Série Témoignages

D 20 mai 2023     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


A chacune de nos rencontres, s’installe une atmosphère d’intense concentration dans le silence partagé
AWL

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A propos de l’auteur

Enseignant-chercheur en littérature, philosophie, sciences politiques et esthétique musicale
Docteur de l’Université de Paris VIII-Vincennes-Saint-Denis.
Auteur notamment de "Philippe Sollers, l’art du sublime", Pocket, collection « Agora », 2012.

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1 Messages

  • Albert Gauvin | 20 mai 2023 - 14:43 1

    "Philippe Sollers déjouait la pesanteur et l’amertume"

    Hommage

    Par Aliocha Wald Lasowski

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    Dans une tribune, Aliocha Wald Lasowski, enseignant chercheur et auteur de « Philippe Sollers, l’art du sublime » (Pocket), rend hommage à l’écrivain disparu ce 5 mai.

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    En 1973, Roland Barthes rapporte l’anecdote suivante : il vient de s’offrir une machine à écrire électronique dernier cri. Tous les jours il s’exerce à taper, dans l’espoir d’arriver à une écriture plus dactylographique. Mais, explique-t-il, il ne ressent que gêne et contrainte devant le nouvel instrument moderne. Philippe Sollers vient lui trouver la solution : Sollers explique à son aîné, qui a vingt et un ans de plus que lui, comment réussir à taper à une vitesse suffisante. Une fois le rythme acquis à la machine, l’écriture directe crée une spontanéité particulière, qui a sa beauté propre.

    À LIRE AUSSI : Philippe Sollers, 28 novembre 1936 – 5 mai 2023

    Promesse de liberté, expérience de vitesse, ferveur et passion : Sollers est tout entier dans cette anecdote. Puissance libératrice de l’écriture, effervescence particulière, jaillissement sans retombée. L’écriture de Sollers se caractérise par la fluidité, le mouvement et l’ouverture. Ici, l’allure, la fougue et le contretemps sont les éléments déterminants pour celui qui cherche à « imposer sa musique des mots dans l’histoire des mots » (« Portrait de l’artiste en voyageur humain », L’Infini, n° 85, 2003).

    La rapidité en étendard

    Francis Ponge ne s’y trompe pas, lorsqu’en 1957, il voit déjà en Sollers «  l’un des plus grands écrivains de sa génération ». L’auteur du Parti pris des choses perçoit ce qui caractérise le style en devenir du jeune écrivain : « Cela gonfle, cela prend l’allure, la grande, la noble allure – joyeuse mais grave à la fois – d’une lame de fond. » Vingt ans plus tard, Sollers a gardé le même tempo, lui qui annonce en mot d’ordre, en leitmotiv : « Il faut faire du neuf, en tout, partout, et très vite » (lettre de 1976). On pense aussi à Voltaire, dont Sollers dit justement qu’«  il est précis, sans interruption, poudroyant » (L’Infini n° 25, 1989), déplaçant sans cesse nos modes de voir et de penser.

    Face à la morosité ambiante, au déclinisme triste et à la plainte du monde, Sollers déjoue la pesanteur et l’amertume. Il s’agit de ne pas céder, de surgir dans le temps contemporain. Cette puissance de vitalité fonde la rythmique de l’hymne à l’écriture. Dès le premier numéro de Tel Quel, dans un article consacré à Albert Camus, Sollers se lance un défi, en affirmant que «  la pensée la plus audacieuse » n’est possible que «  par la recherche du langage ». Dans Théorie des Exceptions (1986), il touche au vif : à la question posée sur le principal trait de son caractère, il répond : « La rapidité.  » Chaque roman de Sollers est le récit de son propre surgissement, dans une course de vitesse avec le langage. Drame joué de la coïncidence entre l’acte d’écriture et le récit, Lois est l’élaboration littéraire d’une construction géométrique, H révèle l’inscription de la lecture dans la récitation.

    Sollers et le féminin

    En 1971, dans Sur le matérialisme, Sollers en appelle à se défaire de la répétition mécaniste, piège d’une histoire anachronique et dépassée. Au contraire, aimer, vivre, découvrir ou voyager, tout cela expérimente le temps à venir, visée de l’écrivain : « J’ai un peu d’avance sur les évènements, c’est tout.  » (L’Infini, n° 23, 1988). Tout se joue à la suite de Nietzsche dans le contrecoup rythmique du corps et de la pensée : « Fraction à saisir, retour sur soi, récapitulation, désillusion, guérison et affirmation » (« Nietzsche et l’esprit français », La Guerre du Goût).

    Il y a aussi les femmes, la rencontre amoureuse, l’élaboration d’une politique de l’amour. « Si vous enlevez les femmes de mes romans, ça revient à dire que je n’ai rien écrit depuis trente ans. » Dès les premiers romans, Le Défi (1957) et Une curieuse solitude (1958), une femme est à l’origine de l’écriture. La disparition d’une femme, dans Le Parc (1961), mène à la tentation du suicide. Paradis (1981) ouvre l’entrée du labyrinthe : « Ce qui s’incarne dans la femme terrifie l’homme, ce qui meurt dans l’homme terrifie la femme. » La femme se démultiplie pour devenir Femmes (1983). Il y a aussi les héroïnes de Portrait du Joueur (1984)… Tant de personnages féminins, jusqu’à ce que vienne Minna, la caresse stendhalienne.

    Essentiellement multiple, le personnage féminin s’inscrit chez Sollers dans la quête du mouvement, dans la volonté de renouveau. Vie et œuvre, il s’agit à travers la passion amoureuse de se laisser affecter dans son identité. En somme, un écrivain n’a d’identité qu’intermittente. « Pardonnez-moi, vous êtes bien Philippe Sollers ? – Ça m’arrive. » L’œuvre, le corps, l’existence pivotent. L’écriture – c’est la leçon du joueur – relance la partie.

    Vitesse et puissance

    L’expérience de la musique est inséparable de ce rapport au féminin. Pas un sens qui n’y soit impliqué. Réveil de l’émotion, surrection des images. Un autre langage se met en place, un usage inédit des affects, de nouvelles formes de temporalité. La musique est le meilleur antidote à la pesanteur et à la bêtise des hommes. Voyez chez Nietzsche sa passion pour l’opéra de Carmen, l’amour de Lou Salomé, l’écriture de Zarathoustra et le chant du bel canto : ils créent ensemble un nouveau rapport à la terre et au monde.

    Associant rêveries, hallucinations et expériences intérieures, Sollers se donne à la puissance et à la vitesse de l’écriture. Ce sont elles qui assurent une vision nouvelle de l’existence. L’écriture surprend l’écrivain, explique-t-il dans Vision à New York (1981) : « La page d’écriture s’agite […], détonation de bouchon qui saute, effet de tourbillon terrible et comique.  » Il s’agit de réinventer des manières d’écrire, comme autant de chants de l’ivresse, livrés dans l’extase. « Me laisse écrire », confie Sollers, puisque l’écrivain n’est lui-même qu’un tissage du Temps, engagé dans l’expérience de ses limites, signataire de «  la page infinie, flottante, emportée, consumée » (Vision à New York).

    Auteur féerique ?

    Laboratoire poétique et théorique, l’œuvre de Sollers se porte à l’assaut, à contre-courant des ignorances et des oublis de notre temps. Il revient sur la puissance des maîtres de la subversion (Dante, Sade, Voltaire, Lautréamont, Céline), relance le surgissement surréaliste (Breton, Leiris, Ponge), interroge les lois du sacrifice aux bords de la folie (Artaud, Bataille), s’engage dans le combat du discours philosophique, politique et psychanalytique (Nietzsche, Marx, Freud), mobilise les enjeux du structuralisme (Foucault, Derrida, Lacan). Sollers accompagne et amplifie les débordements du sens et les excès de la signification, dans sa proximité fidèle avec Barthes.

    Radicalité esthétique, puissance poétique, détour politique : tout se tient dans le même geste, qui forme, déforme et recompose l’espace littéraire. Ce sont aussi les voix des fées : le petit tumulte des voix qui s’entremêlent et veillent aux opérations de la pensée, de l’art, de l’écriture. La féerie guide Sollers. La magie est sa muse. Comme en témoigne cette dédicace d’André Breton pour une nouvelle édition des Manifestes du Surréalisme, en 1962 : « A Philippe Sollers, aimé des fées. »

    Aliocha Wald Lasowski, Marianne, le 09/05/2023.