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Jean-Paul Enthoven : Sollers l’étincelant

Série Témoignages

D 10 mai 2023     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Poursuite de la série « Témoignages », avec Jean-Paul Enthoven
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Par Jean-Paul Enthoven
Le Point, 06/05/2023


Philippe Sollers est décédé le 5 mai 2023 (portrait de2002).© DANIEL JANIN / AFP

Son ami Jean-Paul Enthoven lui rend hommage :

Il était, sans conteste, l’écrivain français le plus vivant, le plus étincelant, le plus enjoué, le plus mystérieux…

À chaque rencontre, j’avais droit à son théorème de base – sa morale, son protocole tactique, son mantra toujours murmuré à cause des espions possiblement aux aguets dans les parages : « pour vivre cachés, vivons heureux… » – et fusait alors son rire magnifique, sollersien…

Car Sollers, l’ami de l’intelligence et du plaisir avait compris, comme certains de ses complices du temps jadis, que le bonheur, son affichage, son expérience, est, par définition, intolérable au « système » – qui, lui, préférera à jamais, et ô combien, la tradition peine-à-jouir, celle des écrivains qui souffrent, qui mélancolisent, qui dépriment (ajouter ici les noms qui conviennent…).

Des livres rapides et dansants

C’est pour cette raison, et au nom de sa religion de l’allégresse perpétuelle, que Sollers– Ah, ce masque admirable, ulysséen, prélevé chez Homère, pour supplanter son natif patronyme de « Joyaux », qui n’était pourtant pas si mal pour un prosateur aussi précieux que lui – que Sollers, dis-je, avait choisi, une fois pour toutes, de s’installer en plein XVIIIe siècle, en compagnie de Vivant Denon, de Mozart, de Casanova (à ne pas confondre avec Don Juan, cet ennemi des femmes…). Il écrivait alors des livres rapides et dansants. Il éblouissait, rafraîchissait, instruisait, se moquait. Au nom du seul devoir de créer et d’être.

Le « système », toujours lui, avait mal pris, c’était inévitable, certaines de ses métamorphoses publiques : n’avait-il pas, cet irresponsable, été vaguement maoïste, communiste, papiste, vénitien ? Rares, très rares, furent ceux (Barthes, Lacan, tout de même…) qui devinèrent que ces diverses postures n’étaient que des défroques endossées sans conviction, à la va-vite, (sauf en ce qui concerne le catholicisme et Venise), et à la seule fin d’amuser la galerie – qui n’aime rien tant que d’assigner à résidence idéologique.

Sa Passion fixe (un chef-d’œuvre pour qui aime les belles histoires d’amour) se tenait ailleurs, du côté de Bordeaux, du claret, de quelques femmes adorées, de son fils, des églises silencieuses où, en fin de journée, résonnent parfois des accords de Bach ou de Haendel.

Pour l’essentiel, la France l’avait déçu. Trop de promptes affinités, lassantes à la longue, avec ce fameux « moisi » dont la composition chimique varie selon les circonstances. Ces derniers temps, le dosage pétainoïde ambiant, combiné avec le demain-on-rase-gratis des nouveaux sans-culottes sans style, n’était pas à son goût débordant d’escarpolettes et de « folies » nichées dans les meilleurs sous-bois de l’esprit…

Depuis peu, bousculé par les déferlantes #MeToo, le Sollers séducteur avait préféré se mettre un peu en retrait afin de ne point faire l’objet d’une féministe fatwa. Mais relisez vite son livre le plus célébré, Femmes, et vous y trouverez la plupart des arguments décisifs en faveur d’une vraie libération du Deuxième Sexe. Hélas, si les gens lisaient vraiment les livres, ça se saurait…

Le Sollers stratège

Reste alors le Sollers qu’on a eu le privilège de côtoyer. Avec qui on a pu partager des œufs mayonnaise à la Closerie des Lilas. Le Sollers de l’allégresse perpétuelle, des bagues aux doigts, des Camel avidement fumées, des mots en cascade – je me demandais parfois ce que son éloquence trop débordante cherchait à ne pas me dire… Le Sollers stratège toujours attentif aux rapports de force parisiens, aux alliances mouvantes, à la fausse modernité qui avance à reculons…


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Cet homme-là – qui écrivit Portrait du joueur,

Le Cœur absolu et une trentaine d’inégales merveilles – est devenu, à la diable, un inestimable morceau du patrimoine français. Certains (dont l’auteur de ces lignes) sauront s’en réjouir. Les autres (provisoirement plus nombreux…) devront s’y faire.
Il faut encore savoir que le roman, pour cet écrivain de grande race, n’était pas, ne pouvait plus être, un roman. C’était, ce devrait être, une promenade, un récitatif, une excursion, une variation, une narration – mais, à coup sûr, pas un roman. Ainsi, à la manière charmante de Montaigne (bordelais, comme lui…), il allait et venait dans sa bibliothèque, se saisissait d’un volume de Saint-Simon, de Nietzsche, de Shakespeare, de Molière, de Rimbaud, et il brodait autour d’eux des tapisseries bizarres, très dentelées, où un narrateur (lui ? Son double ? Un « je » ami et ressemblant ?) commentait, éclairait, obscurcissait, y incrustant son état d’esprit du jour, en extrayant quelques fumantes citations tamisées par un brio vagabond et rusé. Un festin, chaque fois, pour qui aime les mots, les idées, le rythme, l’érudition, la conversation. D’autant que, mis bout à bout, ces non-romans romanesques, j’en suis certain, composeront un jour une autobiographie intellectuelle hors normes.C’est ce compagnon délicieux, cet irremplaçable camarade de vie, cet aîné bienveillant et exigeant, qui vient de s’éteindre, poussant sa légendaire anglophilie à sortir de scène le jour du couronnement d’un roi de l’United Kingdom.

Désormais, un seul mot d’ordre : vite, vite, Sollers en Pléiade ! La littérature l’exige. Sollers le mérite.

1936 : Naissance, le 28novembre, à Talence, sous le nom de Philippe Joyaux.
1958 : Une curieuse solitude.
1960 : Création de la revueTel quel.
1961 : Le Parc (prix Médicis).
1971 : Commente les Quatre Essais philosophiques de Mao dans Tel quel.
1981 : Paradis.
1983 : Femmes.
1986 : Paradis II.
1991 : La Fête à Venise.
1994 : La Guerre du goût.
2000 : Passion fixe.

lepoint.fr/


A propos de l’auteur

Jean-Paul Enthoven est né le 11 janvier 1949 à Mascara près d’Oran en Algérie. Licence d’histoire à La Sorbonne, ainsi qu’un DES de droit public et de sciences politiques à la faculté de droit de Paris. Il est également diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris.

En 1973, Jean-Paul Enthoven devient assistant du juriste et politologue Maurice Duverger à La Sorbonne, et fait la connaissance de Bernard-Henri Lévy. Parallèlement,il entre auNouvel Observateurcomme critique de livres de philosophie et de sciences humaines puis, à partir de 1975 il devient adjoint à la rédaction du magazine. Il commente l’actualité du monde intellectuel et participe à la création du mouvement Les nouveaux philosophes, incarné par son complice Bernard-Henri Lévy.

Il quitte le Nouvel Observateur en 1984 pour devenir directeur d’Hachette Littérature. Deux ans plus tard, il devient directeur éditorial au sein des éditions Grasset.

En 1993, il est nommé conseiller éditorial de la rédaction du Point, où il publie régulièrement des critiques littéraires. Il est l’auteur de plusieurs essais et romans parmi lesquels ; Les enfants de Saturne (1996), Aurore (2001), La dernière femme(2006), ou encore L’hypothèse des sentiments (2012).

En 2013, il écrit avec son fils Raphaël, un Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, qui reçoit le prix Femina Essai.

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Jean-Paul Enthoven est chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres.

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