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Marc Pautrel : « Mon activité d’écriture n’est ni prévisible ni rentable »

D 30 avril 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


J’ai déjà évoqué cette amie qui, de passage chez moi, à Reims, avait découvert, puis dévoré un à un les livres de Marc Pautrel. Eh bien, figurez-vous que la scène vient de se reproduire, cette semaine, avec le même enthousiasme et le même envoûtement, à la lecture d’Un merveilleux souvenir, son dernier récit. Dans le même temps, Philippe Chauché, fin lecteur, me fait parvenir sa recension du livre précisant : « Comme vous, je le lis [Marc Pautrel] avec toujours un très grand plaisir depuis de nombreuses années. » Comme un hasard en appelle toujours un autre, je regarde si le web ne donne pas quelques nouvelles de l’écrivain et je vois qu’une collaboratrice du Monde des livres lui consacre, aujourd’hui même, un très bel article... De quoi enrichir le dossier très documenté que VK a fait, en son temps.

30 avril 2023

Dès que j’aurai écrit ce que je voulais écrire, je plierai bagage, adieu monde fini, re-bonjour cher petit Paradis.

*

Ne jamais s’ennuyer, première règle de vie.

*

Le grand soleil de l’été, le grand océan, la grande plage et tous les grands voiliers, pour toi seul.

LE CARNET DE MARC PAUTREL

Un merveilleux souvenir, Marc Pautrel

par Philippe Chauché

« J’ai la chance de travailler avec l’un des plus grands romanciers vivants, tout à la fois auteur et éditeur depuis soixante-ans, un cas unique dans l’histoire littéraire, d’ailleurs célébrissime, et un homme de si précieux conseils pour moi depuis une quinzaine d’années que nous nous connaissons ».

« J’ai comme perdu ma sœur. Je ne sais pas si je la reverrai un jour. Je l’espère, mais je n’y crois pas vraiment. Trop de petits drames de l’enfance handicapent les adultes. J’ai été sauvé par miracle, enlevé par les phrases et protégé par elles, celles des autres puis les miennes. Elle, elle a dû se battre dix fois plus, et contre des dangers bien plus grands ».

Un merveilleux souvenir est publié par Philippe Sollers, dont le nom n’est jamais nommé dans ce merveilleux petit roman, mais dont la présence l’irrigue. Il accompagne l’écrivain depuis bien longtemps dans L’Infini, la Collection qu’il dirige avec toute la finesse d’un capitaine de corvette et d’un grand lecteur de la haute mer, depuis L’homme pacifique en 2009 – C’est un homme qui parle sans arrêt, et sans doute même parle-t-il tout seul chez lui. Mais il ne veut pas seulement parler, il veut raconter des histoires –, en passant par Un voyage humain, Polaire ou encore Le peuple de Manet, son petit livre sur Ozu [1], jusqu’à ce très vif roman familial où un drame ancien rôde et nous échappe.

Un drame qui ne sera jamais dit, jamais raconté, jamais romancé ; son éditeur protecteur, y voyant un risque majeur pour l’auteur et l’éditeur, le risque d’un procès et d’une condamnation, pour « injure », « diffamation » ou « atteinte à la vie privée ». Marc Pautrel racontera cette histoire de famille, de ses grands-parents, de sa sœur, de ses nièces, en faisant disparaître les profondes raisons de la séparation d’avec sa sœur, de l’absence de ses nièces, en gommant le Mal qui est secrètement au travail dans cette histoire. Libre à nous de l’imaginer, d’écrire entre les lignes du roman, celui qui est resté à quai. Ce qui s’offre à nous c’est le bonheur, la trace heureuse des souvenirs merveilleux, d’instants partagés avec la sœur du narrateur, instants paisibles dans la maison qui va elle aussi disparaître, emportée par la sauvagerie du temps. Les familles perdent souvent leur raison quand elles perdent leur maison – Une maison, c’est important, c’est comme un second corps entourant son propre corps. Merveilleux souvenirs également d’instants d’heureuses complicités partagées avec les nièces du narrateur, et instants miraculeux offerts par ses grands-parents, et puis la dégradation des corps vieillissants, l’éloignement, la chute, et les cicatrices qui ne refermeront jamais.

« C’est ainsi que les choses se sont passées, en quelque sorte, le bulldozer avançait contre toutes les personnes qui étaient reliées à moi par les liens du sang, et contre toutes les choses qui leur appartenaient, et ce bulldozer écrasait tout, écartait le moindre obstacle, les pierres, les arbres, les remblais de terre, les personnes, la joie ».

Marc Pautrel est un écrivain bien singulier, qui ne se laisse aller à aucun relâchement littéraire, à aucune manœuvre nombriliste et racoleuse, mais qui œuvre en musicien, en compositeur, c’est-à-dire en romancier [2]. Un écrivain qui pèse chaque phrase, chaque accord, chaque mot, chaque note, qui croit à l’œuvre claire, à la ligne juste affûtée comme une lame d’acier de Tolède, au muscle fin de la phrase qui la rend plus forte, plus précise, merveilleusement concise et romanesque. Son dernier roman est très court, et très intense. L’écrivain a misé sur la vie heureuse, comme l’on fuit le malheur [3], misé sur les souvenirs romanesques les plus enchanteurs, laissant l’empreinte du Mal se deviner, sans que l’on ne puisse le dessiner avec précision, c’est cela qui fait aussi la force et la grâce de ce roman, qui le protège du malheur. Les romans inspirés œuvrent ainsi pour la beauté, et la vie heureuse, ils sauvent l’écrivain et ses lecteurs.

Philippe Chauché

Marc Pautrel a notamment publié Le métier de dormir (Editions Confluences), Je suis une surprise (Editions In8), et chez Gallimard dans la Collection L’Infini notamment : L’homme pacifique, Une jeunesse de Blaise Pascal, La vie princière, La sainte réalité. Vie de Jean-Siméon Chardin, L’éternel printemps, Le peuple de Manet.

Marc Pautrel : « Mon activité d’écriture n’est ni prévisible ni rentable »

Ecrivain depuis trente ans, il élabore une œuvre qui relève tout entière du réel. Certains de ses romans sont issus de sa propre vie, comme « Un merveilleux souvenir », dans lequel il explore l’acte d’écrire.

Par Virginie François (Collaboratrice du « Monde des livres »)
Publié aujourd’hui à 08h00


L’écrivain Marc Pautrel, à Paris, en 2021.
FRANCESCA MANTOVANI/GALLIMARD. ZOOM : cliquer sur l’image.

Marc Pautrel a connu son quart d’heure de célébrité. C’était le 3 février 2018, dans cette arène médiatico-people du samedi soir que fut, de 2006 à 2020, « On n’est pas couché ». Invité par Laurent Ruquier sur une suggestion de Christine Angot, chroniqueuse littéraire de l’émission, l’écrivain, auteur de livres confi­dentiels, détonne – les auteurs habituellement conviés, étrillés par des piques assassines, sont des vedettes. Ce soir-là, rien. Auteur d’une œuvre exigeante, le romancier fait l’objet d’un éloge sans ombre. Le lendemain, les ventes de La Vie princière (Gallimard, 2018) s’envolent pour atteindre les 20 000 exemplaires.

ONPC, 3 février 2018.

Un passage sous les projecteurs dont le pourtant discret Marc Pautrel garde « un très bon souvenir » – à deux mots près, le titre de son nouvel ouvrage, Un merveilleux souvenir. Ce roman subjuguant file le motif de la perte, et les conséquences littéraires et personnelles d’une histoire familiale impossible à raconter.

Quand on l’appelle en vidéo, dans son studio bordelais, il apparaît en chemise bleu ciel, pull marine – l’élégance de l’avocat qu’il aurait pu devenir (il est titulaire d’une double maîtrise de droit). On retrouve, comme à la télévision, cette réserve teintée de malice. Il parle de lui sans s’étendre, bottant en touche avec le sourire. Comme dans ses romans, Marc Pautrel manie l’ellipse avec brio. Il refuse que l’on mentionne la ville où il est né – il « y est resté quinze jours » –, passe vite sur sa jeunesse, ses « déménagements tous les trois ans » au gré des mutations de son père. Il énumère les villes où il a vécu comme si ces noms étaient interchangeables, à l’image de ses récits, dénués de repères géographiques ou temporels.

Un père qui « s’est fait tout seul, comme c’était encore possible dans les années 1960-1970, gravissant les échelons, de coursier à sous-directeur  ». Une mère sténodactylo. De son frère, de quatre ans son cadet, Marc Pautrel préfère ne pas parler. On suppose que ce silence n’est pas sans rapport avec l’histoire douloureuse d’Un merveilleux souvenir, qui ­évoque, sur fond d’un probable désaccord autour d’un héritage, la rupture des liens entre le narrateur et une «  sœur cadette » qu’il a pourtant « toujours aimée ». On n’en saura pas plus sur ses ressorts intimes, le romancier privilégiant les conséquences sur les causes. Les motifs du conflit qui aboutit à la perte d’une maison familiale, soubassement de tout le livre, conçu, selon l’auteur, comme « une psychanalyse à l’envers », ne sont donc jamais exposés.

Comme dans les textes de loi

Marc Pautrel a créé une langue bâtie sur «  les termes les plus précis possibles », comme dans les textes de loi. Un « esprit de logique, de méthode », qu’il a tiré de son cursus de droit, seul moment où il a aimé les études. « Ma démarche est souvent à l’inverse de la poésie, où les mots ont une pluralité de sens », dit-il. Il a, néanmoins, échoué aux concours du barreau et de la magistrature. Sa culture littéraire s’est forgée par la lecture des auteurs classiques et contemporains, mais aussi du « Monde des livres » et des chroniques qu’y rédigeait celui qui allait devenir son éditeur, Philippe Sollers. « Ses articles guidaient mes choix », précise-t-il. S’il n’est pas nommé dans Un merveilleux souvenir, on reconnaît l’éditeur, personnage le moins romancé du récit, ainsi que son bureau aux éditions Gallimard.

En 1993, il décide de devenir écrivain. Rien d’autre. Si on excepte des stages dans la banque de son père, Marc Pautrel n’a jamais rien fait d’autre, pas même un job alimentaire. Quand on s’étonne de la radicalité d’un tel choix, il renvoie à « la nécessité absolue de temps libre ». Là s’est produit le premier de ses « miracles » : le soutien des assistantes sociales. « Pour bénéficier du RMI, il fallait avoir un projet d’insertion. Elles ont accepté que ce soit l’écriture », se souvient-il.

Il commence à publier dans de petites revues et chez des éditeurs régionaux. Son premier livre, Le Métier de dormir, recueil de récits oniriques, paraît en 2005 chez l’éditeur bordelais Confluences. Pendant la dizaine d’années où il a touché les minima sociaux, il «  sort[ait] peu, ne voy[ait] quasiment personne et viv[ait] comme un ascète dans une grotte ». Des années « difficiles mais exaltantes », vouées à la langue, aux mots, à la grammaire. Aujourd’hui, même s’il vit de son écriture grâce aux à-valoir et aides publiques, son mode de vie n’a guère changé. « Mon activité d’écriture n’est ni prévisible ni rentable  », s’amuse-t-il. Dans Un merveilleux souvenir, il croque, à travers la difficulté pour le narrateur de renoncer à son histoire, « un instantané du travail d’écrivain ».

Le deuxième « miracle  » fut donc sa rencontre avec Philippe Sollers, écrivain, fondateur de la revue L’Infini et de la collection du même nom, chez Gallimard. «  J’ai toujours rencontré les bonnes personnes à des moments-clés », explique celui que des années de lettres de refus des éditeurs n’avaient pas découragé, et qui considère son parcours comme un «  mélange de chance et d’opiniâtreté ». Le lien se fait par le truchement du « Monde des livres » – Le Métier de dormir y est recensé à sa parution par ­Patrick Kéchichian. Philippe Sollers lit la critique puis le livre, lui propose de collaborer à « L’Infini ». «  Solidarité entre Bordelais », plaisante Marc Pautrel. En 2009, L’Homme pacifique, son premier roman, hommage à un oncle décédé, est publié par l’éditeur, qu’il n’a pas quitté depuis. Un texte qu’il envoie, comme les suivants, à Christine Angot, dont il aime le travail.

Autofiction et exofiction

Marc Pautrel creuse deux sillons. D’un côté, l’autofiction, Un voyage humain (2011), Polaire (2013), Orpheline (2014), La Vie princière (2018), L’Eternel Printemps (2019) – portraits de femmes, histoires d’amour douloureuses ou inabouties. De l’autre, l’exofiction, romans consacrés à des personnages historiques – Blaise Pascal, Jean Siméon Chardin ou le cinéaste japonais Yasujiro Ozu –, abordés sous un angle spécifique, parfois en résonance avec l’actualité. Ainsi Le Peuple de Manet (Gallimard, 2021), qui se déroule pendant la Commune de Paris, fait écho aux « gilets ­jaunes », à la violence policière.

Des deux genres, qui relèvent d’un réel sans lequel il est « incapable d’écrire », sa préférence va au premier, dont il parle « comme d’histoires qui lui sont arrivées et qu’il écrit de façon romanesque », sans chercher à minimiser la dimension personnelle – mais sans exhibitionnisme. Ainsi ses textes sont des modèles de délicatesse et de sobriété – il le dit lui-même, «  il ne veut pas blesser les personnes dont il s’inspire ».

Dans Un merveilleux souvenir, qui marque une rupture dans son œuvre par sa dimension familiale et la mise en abyme littéraire qu’il met en jeu, ses personnages restent des silhouettes qui existent par leurs actes ou leurs sentiments. Tout y part du corps du narrateur, relié comme par un fil à celui de ses proches.

Ses livres, tels des systèmes vivants resserrés à l’extrême, pulsent de chair et de sang, et vibrent d’une grande justesse. Des romans très courts – rarement plus de 150 pages –, qu’il aime comparer à des flip books, ouvrages dessinés qui, feuilletés rapidement, donnent l’illusion d’une séquence animée. « Je rédige un texte d’abord pour moi, dans un geste thérapeutique, puis je l’oublie dans un tiroir. Quelques années plus tard, je le relis. S’il m’émeut, il se détache de moi, et alors j’ai envie de le partager  », explique-t-il. Chaque livre écrit, achevé et publié – là est son dernier « miracle  ». Celui qui surpasse tous les autres.

PARCOURS

1967 Naissance de Marc Pautrel.

2005 Le Métier de dormir ­ (Confluences), remarqué par ­Philippe Sollers.

2009 L’Homme pacifique, son premier roman, publié à ­ « L’Infini », que dirige Sollers, chez Gallimard.

2018 La Vie princière. Passage dans l’émission « On n’est pas ­couché ».

CRITIQUE

Le roman impossible

« Un merveilleux souvenir », de Marc Pautrel, Gallimard, « L’Infini », 88 p., 12 €, numérique 8,50 €.

Un merveilleux souvenir est un livre en creux. Il ­raconte, sans en relater ni les causes ni les détails, une histoire de famille qui aurait pu valoir un procès au romancier si elle avait été publiée dans sa vérité d’origine. Son éditeur l’en a averti tout de go : «  C’est parfait, c’est excellent (…), mais voilà, ce n’est pas publiable. Impossible. Sinon, on va droit à la procédure, on sera traînés en justice.  »

Tout part d’un conflit familial, qui mène le narrateur à la perte d’une maison, « second corps entourant [son] propre corps », à laquelle il était très attaché ; au placement en Ehpad – contre son gré – de grands-parents adorés ; à la rupture, enfin, avec des proches : « Tout ce qui n’était pas à moi m’a été enlevé, les lieux, les êtres.  »

Marc Pautrel analyse avec subtilité les conséquences d’une perte qui en entraîne d’autres – les effets et effets des effets –, sur fond d’un confinement sanitaire qui accentue le malaise. Ce prodigieux roman, construit sur le manque et autres privations, réussit pourtant le tour de force de tenir le lecteur en haleine jusqu’au bout.

Au-delà de l’histoire d’un roman impossible, Un merveilleux souvenir est aussi un livre qui explore l’acte même d’écrire, et le prix qu’on est prêt à payer : se fâcher avec ses proches, aller au procès, renoncer à un texte auquel on ­tenait. Ce que l’incipit résume en une formule aussi belle que ­lapidaire, quand l’éditeur dit au narrateur : « Partout le chaos ­règne, mais ne vous en souciez pas, continuez d’écrire.  »

Lire un extrait sur le site des éditions Gallimard.

Virginie François (Collaboratrice du « Monde des livres »), 30 avril 2023.



Rome, le Forum.
Photo A.G., 26 juin 2015. ZOOM : cliquer sur l’image.

[2« Je reçois dix ou douze manuscrits par semaine. Je vous assure que c’est vite vu. Il y a une voix ou pas premièrement, deuxièmement, il y a une composition latente qui se reconnaît, ce n’est pas seulement de savoir si c’est bien écrit, c’est de savoir si c’est composé comme en musique », La Cause de Philippe Sollers (entretien avec Philippe Chauché, 2017).

[3« Le vent est toujours favorable quand on fuit le malheur » Sophocle, citation qui ouvre ce roman.

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