4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » SUR DES OEUVRES DE TIERS » Yannick Haenel, chroniques de mars 2023
  • > SUR DES OEUVRES DE TIERS
Yannick Haenel, chroniques de mars 2023

Allumer le feu

D 29 mars 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


GIF

Ça a eu lieu

Yannick Haenel

Mis en ligne le 15 mars 2023
Paru dans l’édition 1599 du 15 mars

C’est un film sidérant, nécessaire, magnifique – un acte de ­mémoire qu’il faut aller voir toutes affaires cessantes. Ça s’appelle À pas aveugles, c’est réalisé par Christophe Cognet, et dans les salles aujourd’hui.

Christophe Cognet a eu accès à des photographies clandestines prises au péril de leur vie par des déportés dans les camps de concentration et d’extermination nazis. Il avait publié en 2019 un livre passionnant : Éclats. Prises de vue clandestines des camps nazis (éd. Seuil), qui nous montrait ces archives extraordinaires et en analysait les enjeux complexes autant que déchirants.

À LIRE AUSSI : Nazisme et sémantique

Dans À pas aveugles, Christophe Cognet nous entraîne sur les lieux mêmes où ces photographies ont été prises. Le caractère stupéfiant du film résulte de la manière opiniâtre et passionnée avec laquelle il parvient à retrouver l’endroit exact, à Dachau, Buchen­wald, Mittelbau-Dora, Ravensbrück et Auschwitz-Birkenau, où chacune d’elles a été faite.

Pas besoin de mots

Accompagné par des historiens et des archivistes des camps, il arpente inlassablement ces travées de baraquements, ces forêts de bouleaux, ces mares, ces étangs, ces immenses espaces vides où le rien de l’absence nous prend à la gorge  ; et tout en racontant l’histoire bouleversante de ces photographes clandestins, Rudolf ­Cisar, Jean Brichaux, Georges Angéli, Wenzel Polak, Joanna Szydlowska ou Alberto Errera, tout en précisant comment ils ont pu voler un appareil, se procurer une pellicule, prendre la photo et cacher tout cela, il identifie l’emplacement exact de leur regard et nous fait revivre l’instant fou qui a rendu possible qu’il y ait ces traces.

À LIRE AUSSI : À la mémoire de Simone Veil

Il faut aller voir ce film où Christophe Cognet transporte à bout de bras des photographies qu’il a fixées sur un cadre de verre parce qu’ il cherche à voir comment quelqu’un, en 1943 ou en 1944, a vu. Lorsqu’il pense avoir reconnu l’endroit correspondant à la perspective de l’image, endroit où la plupart du temps il n’y a que des ruines, celles d’un Revier (l’infirmerie des camps) ou d’un crématorium, plus rien que de la terre morte, le voici qui pose la photographie sur un trépied.

Alors surgit, par transparence, en même temps que la photographie en noir et blanc, ce qu’on voit derrière, aujourd’hui, en surimpression. «  Là d’où provient son regard, ça a eu lieu », dit le film. ­Comment dire la gratitude qui nous étreint alors  ? La vie est là, le temps nous est rendu. Ces portraits de déportés, ces installations de mort, ces preuves du processus d’extermination dans les chambres à gaz sont des documents sur l’infamie, mais constituent aussi la donation d’une présence qui résiste au temps parce qu’elle témoigne pour le temps et ses couches archéologiques, pour le cœur qui bat en chacune d’elles.

Je ne veux pas parler de ce qu’on voit sur les photos. C’est trop pour moi. Pas besoin de mots, allez voir le film, c’est très important.

GIF

À pas aveugles

Dans des camps de concentration et d’extermination de la Seconde Guerre mondiale, une poignée de déportés ont risqué leur vie pour prendre des photos clandestines et tenter de documenter l’enfer que les nazis cachaient au monde. En arpentant les vestiges de ces camps, le cinéaste Christophe Cognet recompose les traces de ces hommes et femmes au courage inouï, pour exhumer les circonstances et les histoires de leurs photographies. Pas à pas, le film compose ainsi une archéologie des images comme actes de sédition et puissance d’attestation.

GIF
*

Christophe Cognet, réalisateur de « A pas aveugles » : « Le film propose un exercice de regard »

Le cinéaste explique comment il a travaillé pour réaliser un film à partir des images clandestines des camps nazis.
GIF

Le Monde.
Publié le 15 mars 2023

JPEG - 122.3 ko
Photo de tournage
Le documentaire A pas aveugles, de Christophe Cognet, se penche sur les photographies prises clandestinement par les prisonniers dans les camps nazis. Dans une démarche sensible, le cinéaste tente de reconstituer l’histoire de ces prises de vue.
GIF

Qu’attendiez-vous de ces photographies ?

Je ne cherchais pas dans ces images un savoir nouveau, mais je voulais me servir du savoir à disposition pour regarder ces images et avoir une connaissance sensible des camps, une perception. Avec mon équipe, on nous voit tâtonner. C’est une manière d’inviter le spectateur à regarder avec nous. Le film propose un exercice de regard. Je ne voulais pas qu’il soit l’exposé d’un savoir déjà acquis.

La photographie et le cinéma sont de faux amis. Comment faire un film à partir d’images inanimées ?

L’idée est de prendre la photographie autant comme un acte que comme une image, ce qui nous ramène à une question de corps et de dramaturgie. Par ailleurs, le dispositif qui a consisté à reproduire des photographies sur des plaques en verre transparentes, positionnées à l’endroit où elles avaient été prises, permet de voir les décors bouger, parce qu’il y a du vent, des visiteurs… Je souhaitais faire se rejoindre deux temporalités en un même plan, une manière de créer l’illusion et ce que j’appelle le tremblement de temps.

Le documentaire revient sur des photographies prises dans des camps de concentration (Dachau, Buchenwald, Dora, Ravensbrück) et un camp d’extermination (Birkenau). Comment avez-vous pensé cette distinction ?

Le film est très rigoureux sur cette partition. D’abord, il est structuré en plusieurs parties, avec des cartons qui précisent l’endroit où l’on est, et puis il fait une boucle : le prégénérique et la séquence finale sont tous les deux situés à Birkenau. Du point de vue de l’existence de la photographie, il y eut des liens entre l’univers concentrationnaire et la Shoah : les photographies du Sonderkommando [déporté forcé de travailler dans les chambres à gaz] faites autour du Krematorium 5 [dans un même bâtiment étaient associés chambres à gaz et crématorium] des zones d’extermination de Birkenau n’ont pu être sorties du camp et visibles que parce qu’il y avait à côté un espace concentrationnaire à Auschwitz, et parce qu’il y avait un lien entre des réseaux de résistance. Dans les endroits où il n’y a eu que des lieux d’extermination, comme Treblinka – 900 000 morts et une soixantaine de survivants –, s’il y a des photographies, elles ont brûlé.

LIRE : « A pas aveugles » : sur la piste des photos clandestines prises dans les camps nazis

En 2001, une polémique avait éclaté entre Claude Lanzmann, selon qui aucune photographie ne peut représenter l’horreur des camps, et Georges Didi-Huberman, qui considérait l’image comme une source de savoir. Vous en parlez dans votre livre « Éclats. Prises de vue clandestines des camps nazis » (Seuil, 2019). Pourquoi n’y revenez-vous pas dans le film ?

Il m’importait qu’un livre soit un livre – réflexion et théorie – et qu’un film soit un film – dramaturgie et perception. Je pense aussi que cette polémique qui a vingt ans est un peu dépassée. A l’époque, par exemple, on ne connaissait pas encore bien l’histoire des Sonderkommandos. De plus, je n’attends pas de ces images une preuve, ce qui était le grand risque pointé par Lanzmann, mais je remarque qu’elles attestent. Elles viennent après le savoir, pas avant. On veut trop souvent qu’une image dise le tout, or ce n’est pas possible. Elles apportent une perception labile et fragmentaire. Par exemple, à Buchenwald, les photographies n’ont pu être prises que le dimanche après-midi, jour de repos, quand les cadavres étaient déjà sortis des blocks et ramassés par une charrette pour être conduits au crématorium. Au début du film, je crée une image sans forme, une abstraction, une non-image, à partir de la pluie qui fait remonter de minuscules fragments d’ossements humains dans la terre de Birkenau. C’est pour moi une manière de poser la question de l’irreprésentable. Le film est une louange faite à ces photographes, presque comme une prière.

Propos recueillis par Maroussia Dubreuil

*

L’image manquante

Que faire des images qui nous manquent  ? Le cinéma n’a cessé de tourner autour de la question. La fiction s’est souvent retrouvée impuissante, incapable de nous restituer quelque chose du réel, de son poids tragique, sans que la tentative de reconstitution ne se révèle obscène. C’est en empruntant les chemins de traverse qu’offre justement le réel que le cinéma documentaire, lui, a pu regarder l’Holocauste, filmer ses stigmates, ses victimes, ses lieux d’extermination, ces «  paysages tranquilles  » transformés en lieu de l’horreur. «  Puisque ces hommes et ces femmes se sont acharnés à nous transmettre ces images, il nous faut les regarder.  » C’est ce pacte que nous propose À pas aveugles.

Pour son nouveau documentaire, après Parce que j’étais peintre, qui s’intéressait aux peintures réalisées clandestinement dans les camps nazis, Christophe Cognet a récolté les photographies prises par six prisonniers et prisonnières des camps de concentration et d’extermination. Plutôt que de nous mettre face à l’évidence insupportable de ces documents, le cinéaste choisit de conduire son film sur les voies d’une enquête, de joindre à la fixité de ces images le mouvement d’une recherche, et avec elle celui d’un dispositif de cinéma. Se glissant dans la peau d’un investigateur, Cognet, accompagné par des chercheuses et chercheurs, épie ces images volées à la recherche du moindre indice, avant de se rendre sur les lieux où elles ont été prises. Retrouver l’emplacement exact, la posture du corps au moment de la photographie, l’angle de vue adopté devient alors l’obsession du film, l’énigme à résoudre. Pour ce faire, Cognet superpose les clichés, tirés pour l’occasion sur des plaques transparentes, aux lieux tels qu’ils sont devenus, c’est-à-dire des lieux de mémoire arpentés par des visiteurs.

C’est comme si le film, par le corps de ses interprètes vivants, de ces passeurs animés, redonnait vie aux disparus, présence, humanité. La mise en scène de soi devient alors la mise en scène de l’autre et la simple expérience d’un corps qui se déplace dans un champ d’herbes fanées, une expérience partageable par toutes et tous dans la matérialité concrète d’un geste éternellement identique. Les fantômes sont partout dans À pas aveugles, ils cohabitent, et, plus encore que leur présence, c’est leurs regards que le film parvient à ressusciter. (troiscouleurs.fr)

Deux extraits

GIF
GIF

Ce film a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

GIF

Il y a cinquante ans déjà, l’excellent Reiser (1941-1983)...

JPEG - 162 ko
Charlie Hebdo n° 122, mars 1973.

Reprendre vie

Yannick Haenel

Mis en ligne le 29 mars 2023
Paru dans l’édition 1601

Quelqu’un, un révolutionnaire dont je tairai le nom, a dit un jour que chacun de nous est défini par ce qu’il entend, pratiquement, par poésie  ; et par ce dont il se contente sous ce nom.

Eh bien, je pense comme lui. Celles et ceux qui n’entendent pas dans la protestation politique contre la réforme des retraites un ­désir de poésie ne comprennent rien à ce qu’est devenue la révolte aujourd’hui. J’appelle poésie l’aspiration à l’existence elle-même, à ce qu’elle possède de politiquement éblouissant, et dont la société – organisée par l’avilissement autoritaire d’un gouvernement qui se croit respectable – nous prive.

À LIRE AUSSI : Le feu, la politique, l’espérance

Nous crevons sous les difficultés, nous mettons des heures le matin pour aller à notre travail à cause des décisions débiles de l’urbanisme corrompu, nous n’arrivons pas à boucler nos fins de mois, nous ployons sous la mélancolie qui nous bouffe la tête depuis le Covid, nous sommes déprimés par l’horreur de la guerre en Ukraine  ; mais nous mourons aussi de la petite vie qu’on nous impose, de la pauvreté des rêves qu’elle nous laisse, de l’absence radicale de poésie.

On nous a promis la vie

La mise à mort de la poésie – de la poésie vécue dans la vie quotidienne, de cette perspective chavirante de s’ouvrir à l’effervescence de vivre – est le dernier acte du projet de mise au pas de la vie commune initiée avec l’ordre de confinement général en mars 2020.

Nous voici trois ans plus tard, complè­tement lessivés, sans espoir, et sans autre désir que celui de cracher à la gueule des représentants politiques, dont le rôle devrait être de nous procurer une vie meilleure, et de veiller à ce qu’elle ne se réduise pas à de la survie.

Non seulement ils ne nous protègent plus, mais ils s’organisent contre nous – ils nous agressent. Et une fois qu’ils ont promulgué par la force des lois scélérates en faveur des marchés financiers, une fois qu’ils ont transgressé le pacte politique qui nous les avait fait élire, ils ont encore l’ignominie de nous reprocher de ne pas être démocratiques parce que nous protestons et incendions des poubelles – parce que nous ne nous plions pas à leur absence de vote.

Qui doit-on reconnaître aujourd’hui  ? Est-il raisonnable de persister à se focaliser électoralement sur de tels gestionnaires de l’infamie  ? Que plus personne ne vote, que l’absence de vote généralisée devienne le grand acte politique par lequel cette Ve République s’effondre enfin, j’en rêve. Non pas s’abstenir, mais décider qu’on n’acquiesce plus à une telle mascarade. Les élections ne sont pas, comme on nous le fait croire, les seuls moments où nous disposons de notre liberté. On peut tout renverser en faisant la grève électorale. Ce sera le commencement d’une nouvelle manière de vivre politiquement, et pour chacun de nous, un réveil de la poésie. C’est avec le feu qu’on reprend vie.

LIRE AUSSI : Réforme des retraites : ce que l’entêtement d’Emmanuel Macron coûte à la France

GIF

Allumer le feu

Vous n’êtes pas obligés de me croire, mais, pas plus tard qu’hier, à Reims, lors d’une manifestation bon enfant contre la réforme des retraites, j’ai entendu ça provenant de la voiture-sono d’un syndicat « réformiste ». Personne ne semble s’en être offusqué. Où va-t-on, je vous le demande !...

GIF
GIF

Ne vous fiez pas aux apparences ! Après la manif, excédé par l’image, toujours à charge (n’est-ce pas ?), que les médias renvoie des policiers, l’un d’entre eux, voyant ma fatigue, m’a aidé à faire mes courses...

GIF

Toutes les chroniques de Yannick Haenel dans Charlie.

Toutes les chroniques de Yannick Haenel dans Pileface

GIF

Un message, un commentaire ?

Ce forum est modéré. Votre contribution apparaîtra après validation par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
  • NOM (obligatoire)
  • EMAIL (souhaitable)
Titre

RACCOURCIS SPIP : {{{Titre}}} {{gras}}, {iitalique}, {{ {gras et italique} }}, [LIEN->URL]

Ajouter un document