4 5

  Sur et autour de Sollers
vous etes ici : Accueil » SUR DES OEUVRES DE TIERS » Extra pure. Voyage dans l’économie de la cocaïne
  • > SUR DES OEUVRES DE TIERS
Extra pure. Voyage dans l’économie de la cocaïne

Roberto Saviano lu par Yannick Haenel

D 2 mars 2023     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



« La cocaïne est le dernier bien qui permet l’accumulation primitive du capital. »

Roberto Saviano, Extra pure.

Dans le dernier numéro de Charlie Hebdo Riss revient sur « l’affaire Palmade » [1] qui a remis au coût du jour l’analyse de l’exploitation capitalistique et mafieuse qui sous-tend le trafic mondial de la drogue. Yannick Haenel nous invite à relire Extra pure. Voyage dans l’économie de la cocaïne de Roberto Saviano, un essai publié en 2014 auquel j’avais consacré une longue note en mars 2015. Une nouvelle facette de l’économie du mal.

Citons le début de « l’Édito d’un raté » signé Riss :

L’affaire Palmade a remis sur le devant de la scène la question de la drogue. De sa consommation, de sa place dans la société, de ce qu’elle est supposée apporter ou détruire. En janvier 2015, Charlie devait publier un numéro consacré au cannabis. Mais les événements ont empêché de mettre en vente ce numéro, qui resta dans les placards. Les débats sur les pétards et la beuh (prononcez « beuh » comme le « meuh » de la vache) semblent aujourd’hui complètement dépassés. En 2023, on parle de cocaïne, de crack, ­d’héroïne, et la baisse des prix de ces produits les a rendus accessibles à de nouvelles catégories de consommateurs. La drogue se serait démocratisée, dit-on. N’importe quel démocrate peut donc, en achetant sa dose, faire avancer la démocratie. Si j’ai bien compris.
Devenue la cible des cartels, l’Europe est inondée par la coke, et le port d’Anvers voit passer tant de containers de came que la police belge n’a plus assez d’incinérateurs pour détruire toutes les prises. En Afrique, une classe moyenne a émergé, constituant un nouveau vivier de consommateurs, comme en Côte d’Ivoire, submergée par la poudre blanche. Les États-Unis, longtemps premier pays consommateur de stupéfiants, sont aujourd’hui devancés par l’Europe.

Le pétrole blanc

Yannick Haenel

Paru dans l’édition 1597 du 1 mars

Le sexe et l’argent mènent-ils encore le monde  ? Ce bon vieux couple n’est-il pas périmé  ? La vérité du vice mondial, aujourd’hui, c’est la drogue – les puissances d’addiction. Drogues dures, drogues douces, drogue des écrans, drogue établie à tous les secteurs du vivant : plus rien n’échappe désormais à la structure anthropo­logique de la drogue qui, en aliénant chacun de nous, nous contrôle.

Vous allez me dire : je ne me drogue pas. Je vous répondrai : moi non plus. Mais c’est un gentil mensonge : même si nous ne sniffons pas de cocaïne, ne fumons pas de marijuana, ne prenons pas d’héroïne, nous sommes drogués. La société ne cesse d’inventer de quoi nous tenir.

La coke, richesse du siècle

Pour écrire cette chronique, je rouvre Extra pure, de Roberto Saviano (éd. Gallimard, 2014), sous-titré Voyage dans l’économie de la cocaïne : « Avant, écrit-il, c’était la coke qui gravitait autour de l’argent, à présent c’est l’argent qui est entré dans l’orbite de la coke. »

LIRE AUSSI : Édito d’un raté

C’est un livre stupéfiant, que je vous recommande. Ouvrez-le à n’importe quelle page, vous serez au fait du fonctionnement du marché mondial de la destruction. Vous comprendrez comment les cartels massacrent et blanchissent, mais aussi comment de « nouvelles bourgeoisies mafieuses » gèrent les affaires du monde. La cocaïne, écrit Saviano, fonctionne comme une carte de crédit : « Un centre commercial à acheter  ? Une campagne électorale sur laquelle on veut peser  ? On importe de la coke, et au bout d’un mois on a les fonds […] La cocaïne est la réponse universelle au besoin de liquidités. »

Ainsi le trajet qui mène des feuilles colombiennes aux narines des consommateurs se révèle-t-il le marché mondial lui-même, et ses profits illimités. Le marché nous veut drogués, c’est-à-dire asservis à son fonctionnement. Le marché organise notre addiction. Son but : que nous ne pensions plus, que nous soyons ses esclaves, que nous consommions.

La drogue contrôle

Les systèmes de contrôle ont pris l’eau : la Bank of America elle-même a recyclé, selon le FBI, des narcodollars, et, comme l’écrit Saviano : « HSBC (la 5e banque du monde) a exposé le système financier américain au blanchiment, au financement du terrorisme, au narcotrafic.  » Autrement dit, le crime et la finance coïncident. L’idée même de croissance a implosé, et la démocratie n’est plus qu’un fantoche. Dérive du monde global  ? Plutôt vérité de son fonctionnement : c’est l’économie de la drogue qui non seulement structure le monde, mais le gouverne (c’est-à-dire le contrôle, en profite et le détruit). Une expression allemande vend la mèche : Killerkapitalismus (« capitalisme de tueurs »).

LIRE AUSSI : Faut-il sauver les camés  ?

« La carte du monde était dessinée par le pétrole, le noir », écrit Saviano. Aujourd’hui, elle est redessinée par ce que les mafieux nigé­rians nomment le « pétrole blanc ». Ainsi le carburant mène-t-il le monde. Celui des moteurs est le pétrole, celui des corps : la coke.

LIRE AUSSI : La mafia intégrée (extrait de Yannick Haenel Je cherche l’Italie)

PILEFACE a traité la question de la drogue dans divers articles et notes. VOIR ICI.

Extra pure. Voyage dans l’économie de la cocaïne

Trad. de l’italien par Vincent Raynaud
Hors série Connaissance, Gallimard
Parution : 16-10-2014

« Se plonger dans les histoires de drogue est l’unique point de vue qui m’ait permis de comprendre vraiment les choses. Observer les faiblesses humaines, la physiologie du pouvoir, la fragilité des relations, l’inconsistance des liens, la force colossale de l’argent et de la férocité. L’impuissance absolue de tous les enseignements mettant en valeur la beauté et la justice, ceux dont je me suis nourri. Je me suis aperçu que la coke était l’axe autour duquel tout tournait. La blessure avait un seul nom. Cocaïne. La carte du monde était certes dessinée par le pétrole, le noir, celui dont nous sommes habitués à parler, mais aussi par le pétrole blanc, comme l’appellent les parains nigérians. La carte du monde est tracée par le carburant, celui des mœurs et des corps. Le pétrole est le carburant des moteurs, la coke celui des corps. »

Après Gomorra, Roberto Saviano poursuit son travail d’enquête et de réflexion sur le crime organisé. Mais, cette fois, il sort du cadre italien pour penser à l’échelle mondiale. D’où le crime tire-t-il sa force ? Comment l’économie mondiale a-t-elle surmonté la crise financière de 2008 ? Une seule et même réponse : grâce à l’argent de la cocaïne, le pétrole blanc. Pour le comprendre, Extra pure nous convie à un voyage du Mexique à la Russie, de la Colombie au Nigeria, en passant par les États-Unis, l’Espagne, la France et, bien sûr, l’Italie de la ’ndrangheta calabraise. Au fil de cette exploration, l’auteur raconte avec une puissance épique inégalée ce que sont les clans criminels partout dans le monde. Et il va plus loin encore, car c’est tout le fonctionnement de l’économie qu’il démonte impitoyablement.
Extra pure n’est ni une enquête ni un essai, ni un roman ni un récit autobiographique, mais tout cela à la fois et bien plus encore. Pour Roberto Saviano, c’est aussi l’occasion de s’ouvrir, de se confier, d’évoquer avec gravité et sincérité le danger et la solitude, le désir de mener une vie comme celle des autres et la détermination à poursuivre son combat.

Extrait :

« La cocaïne est une valeur refuge. La cocaïne est un bien anticyclique. La cocaïne est le bien qui ne craint ni l’épuisement des ressources ni l’inflation. De nombreux endroits du monde vivent sans hôpitaux, sans Internet ni eau courante. Mais pas sans coke. L’ONU affirme que, en 2009 l’Afrique en a consommé 21 tonnes, l’Asie 14, et l’Océanie 2. Plus de 100 pour l’ensemble de l’Amérique latine et des Caraïbes. Tout le monde en veut, tout le monde en consomme, tous ceux qui ont commencé à en prendre en ont besoin. Les dépenses sont minimes, la vendre est immédiat, les marges réalisées énormes. La cocaïne se vend plus facilement que l’or, et ses bénéfices peuvent dépasser ceux du pétrole. L’or a besoin d’intermédiaires et les négociations prennent du temps. Le pétrole, lui, nécessite des puits, des raffineries, des oléoducs. La cocaïne est le dernier bien qui permet l’accumulation primitive du capital. » Extra pure, pages 99-100.

FEUILLETER LE LIVRE pdf

Entretiens avec Roberto Saviano

Les journalistes sont-ils vraiment libres d’enquêter ?

Les Matins de France Culture.


Les Matins par France Culture

Roberto Saviano à Strasbourg

Roberto Saviano auteur de Gomorra était à la librairie Kléber à Strasbourg pour son nouvel ouvrage, Extra Pure : voyage dans l’économie de la cocaïne, paru aux Editions Gallimard.
Il parle ici avec humour et simplicité de ses conditions de vie et du rôle des livres pour changer les choses.

Extra Pure est présenté par son auteur comme une « vengeance » vis-à-vis de la mafia qui l’a contraint à vivre caché pendant toutes ces années. A partir de rapports de police, Roberto Saviano y poursuit la quête qu’il a décidé de mener huit ans plus tôt : mettre au jour le fonctionnement des clans criminels et leur poids dans l’économie mondiale. La thèse qu’il défend est la suivante : l’économie est aujourd’hui entièrement dominée par le marché de la cocaïne – qualifiée, et ce n’est pas anodin, de pétrole blanc – qui fait figure à la fois de symbole et de moteur du capitalisme. Le trafic international de cocaïne, estimé à plusieurs centaines de milliards d’euros, aurait ainsi sauvé de nombreuses banques de la crise économique de 2008.


Entretien avec Roberto Saviano

Nicolas Demorand, Un jour dans le monde, jeudi 16 octobre 2014.

« Se plonger dans les histoires de drogue est l’unique point de vue qui m’ait permis de comprendre vraiment les choses. Observer les faiblesses humaines, la physiologie du pouvoir, la fragilité des relations, l’inconsistance des liens, la force colossale de l’argent et de la férocité. L’impuissance absolue de tous les enseignements mettant en valeur la beauté et la justice, ceux dont je me suis nourri. Je me suis aperçu que la coke était l’axe autour duquel tout tournait. La blessure avait un seul nom. Cocaïne. La carte du monde était certes dessinée par le pétrole, le noir, celui dont nous sommes habitués à parler, mais aussi par le pétrole blanc, comme l’appellent les parains nigérians. La carte du monde est tracée par le carburant, celui des mœurs et des corps. Le pétrole est le carburant des moteurs, la coke celui des corps. »

Traduction de l’entretien par Christine Favart Lorenzi.

France Inter

Entretien avec Vincent Raynaud, son éditeur et traducteur.

La critique de François Busnel, Extra Saviano
La critique de Télérama.
Éditions Gallimard.

A.G., 24 mars 2015.

Roberto Saviano, bête noire de la mafia... et du nouveau pouvoir italien

JPEG - 21.1 ko
Roberto Saviano ©Getty - Mondadori Portfolio

L’Invité(e) des Matins. Vendredi 10 février 2023.

On le connaissait pour son travail sur les mafias, on le connaît désormais comme figure d’opposition du gouvernement post-fasciste italien de Giorgia Meloni, arrivée au pouvoir il y a près de 100 jours.

Avec Roberto Saviano Ecrivain et journaliste.

Les dirigeants populistes et les intellectuels italiens

Giorgia Meloni a deux façons de faire politiquement. En Europe, elle parle de manière libérale pour être aidée économiquement ; en Italie, elle parle de manière nationaliste et souverainiste”, explique Roberto Saviano. “La propagande politique de sa campagne était une propagande de haine, mais elle doit trouver un équilibre pour obtenir l’argent de l’Europe en maintenant le consensus de sa base politique et c’est pour cette raison que les gouvernements populistes visent les intellectuels comme ennemis". En d’autres termes, "ils ont besoin d’une opposition”, souligne l’écrivain. "Lorsque l’intellectuel plaide en faveur de la solidarité, on ne conserve que la haine dont on déclare que le seul objectif est de créer du profit”.

À réécouter : Roberto Saviano, l’homme qui ne sait pas se taire

LIRE AUSSI : Roberto Saviano : « Loin d’être l’anti-Etat, aujourd’hui Cosa Nostra est partie intégrante de l’Etat » (Le Monde, 28 janvier 2023)


[1Tous les médias s’en repaissent. Une heure sur la célébrité, trente secondes sur les victimes.