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« La Septième Fonction du langage » en bande dessinée

Enquête et ramdam au pays du langage

D 19 février 2023     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


18 février 2023

1980. Roland Barthes, le célèbre sémiologue est renversé en traversant la rue. Est-ce le langage que l’on assassine, ou une fonction secrète aux pouvoirs insoupçonnés cachée dans l’esprit de l’intellectuel français ?

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© 2022 Steinkis / Bétaucourt / Perret
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Langage en cases
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La Septième Fonction du langage est l’adaptation en BD du roman du même nom à la fois drôle et foisonnant de Laurent Binet publié en 2015, ICI, dont l’intrigue fondamentalement littéraire fait traverser les années 1980-1981 et sa faune intellectuelle.

Permettre à ce roman de trouver une expression en bande dessinée n’allait pas de soi, tant le langage y est au premier plan. C’était sans compter sur l’inventivité des auteurs qui permettent de recentrer l’histoire sur l’enquête policière, entre James Bond et OSS 117, avec un soupçon de La Chèvre pour un tandem improbable formé à la hâte entre un policier baroudeur réac et d’un jeune prof sémiologue intellectuel de gauche. La septième fonction du langage se trouve ainsi mise en cases en usant d’astuces narratives qui offrent une mise en abyme à l’histoire, avec une légèreté habile qui prodigue sans forcer réflexion et sourire. Car si le décor est sérieux, celui de la réflexion sur le pouvoir du langage, l’enquête apporte son lot de rebondissements improbables mettant en scène des personnages de la vie réelle. Mais au fond, comme le rappellent les auteurs, qu’est-ce que le réel ?

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Exquises eighties

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L’intrigue démarre comme une Renault 16 lancée dans les rues de Paris et offre un voyage en classe internationale de l’Italie aux États-Unis pour y croiser les intellectuels de l’époque parmi lesquels Umberto Eco, Michel Foucault, Julia Kristeva, Philippe Sollers, Michel Derrida, Françoise Sagan et les politiques Valéry Giscard d’Estaing, Jack Lang, François Mitterrand parmi d’autres. Il manque juste pour un tableau parfait Jacques Lacan qui figure dans le roman et pas dans la BD, mais son absence pourra à défaut illustrer la notion de manque chère au psychanalyste. Nous sommes alors plongés au milieu des années 80 et 81 dans ce petit théâtre de la scène intellectuelle internationale, offrant d’inspirantes envolées théoriques comme des moments allant du pathétique au comique. Nul doute, cette BD parle bien de l’être humain, avec ses éclairs de génie et ses ambitions rabougries. Les personnages invoqués agissent à la fois potentiellement comme dans le monde réel et comme des marionnettes que les auteurs agitent sous nos yeux, véritable petit théâtre ancré dans cette période charnière où Giscard d’Estaing cède la place à Mitterrand, dans un foisonnement des idées, d’une audace dans la pensée et de la politique comme projet. Nul doute qu’il s’agit bien d’un retour dans le passé ! Sans passéisme aucun, cette scène de fond rappelle la pensée vivifiante d’alors, toujours mentionnée dans les réflexions universitaires ou philosophiques. Côté décor, l’ambiance de la BD reflète cette période dans le choix des couleurs comme dans le design des personnages.

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Chacun cherche sa langue au Chat

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Parler du langage à l’heure où une intelligence artificielle se met à inventer des dialogues et des histoires montre bien l’actualité de l’affaire. L’enquête du duo policier et sémiologue illustre à merveille que le langage n’est l’apanage de personne. Tout le monde parle, et ce qu’il dit, montre, comment il se comporte, est langage et fait signe. Quelle meilleure enquête que celle bardée de signes linguistiques ? Les corps parlent aussi dans cette BD aux traits juste grossis pour les faire apparaître comme évidents. La carrure et les sourcils épais du policer, l’allure frêle et les lunettes comme deux fenêtres d’yeux pour le professeur de sémiologie confèrent à ce duo une allure parlante d’emblée. Qui dit langage dit pouvoir et sexe (si, si, puisque je vous le dis), et de ce côté aussi les personnages sont servis dans des scènes où se démêlent les langues, chacun cherchant cette étrange septième fonction du langage pour des raisons qui lui sont propres. Car le langage a un pouvoir. Comme les auteurs le rappellent par la bulle d’Umberto Eco, il est bien question de « la maîtrise de l’arme la plus puissante : le langage ». Cette arme de discussion massive est ainsi au cœur de l’intrigue menée avec une légèreté grinçante, ramenant les figures intellectuelles à leurs petits travers, avec un humour qui ne cède rien à la réflexion. Si ce n’est pas une preuve d’intelligence, je ne m’y connais pas !

Anthony Huard

LA SEPTIÈME FONCTION DU LANGAGE
Scénario : Xavier Bétaucourt
Dessins : Olivier Perret
Couleur : Paul Bona
Éditeur : Steinkis
144 pages – 23 Euros
Parution : 10/11/2022

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LA SEPTIÈME FONCTION DU LANGAGE – Extrait :


© 2022 Steinkis / Bétaucourt / Perret
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Crédit : benzinemag.net

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1 Messages

  • Albert Gauvin | 20 février 2023 - 13:41 1

    Je n’ai pas lu la BD, je me garderai bien d’en parler. Par contre, je découvre dans l’article reproduit ci-dessus qu’il est question d’un Michel Derrida dont j’ignorais l’existence et que Lacan est absent (de la BD, pas du roman). Lacan aurait sans doute eu bien des choses à dire du roman et de certains fantasmes qui l’animent et ont réjoui la critique (François Busnel : « Laurent Binet s’en donne à coeur joie et c’est un épatant jeu de massacre : on coupe des mains, parfois même des couilles (celles du plus grand écrivain français - autoproclamé »)... Sollers, lui, en a parlé à plusieurs reprises. Citons l’entretien qu’il a donné à Transfuge en 2016. Le titre était :

    « Vous avez aimé mon émasculation ? Ça a plu à tout le monde »

    Vous avez lu le livre de Laurent Binet, La Septième fonction du langage ? Vous y êtes le seul écrivain attaqué. Comment l’expliquez-vous ?

    Oui, attentivement. Il fallait que je laisse croire que je ferais un procès. Ça fait partie de la casuistique. Vous avez aimé mon émasculation ? Ça a plu à tout le monde. Dans ce livre, tout ce qui a pu être effervescent dans la pensée est à éradiquer. (Ce que Forest appelle aujourd’hui "la querelle du woke" est lancé.) D’abord le spectre de 68, Sarkozy a commencé, et ça se suit, tout se tient. Foucault est protégé par son église, mais Barthes, Lacan sont plus vulnérables. Derrida aussi est protégé, il y a l’Algérie, c’est plus difficile. Tout est fait pour ramener une nouvelle version de l’histoire, politiquement correcte, fondée sur le bien. On recherche donc un saint laïc. Péguy ! Péguy, c’est vachement plus fort que Barthes. Et ne parlons pas de Bataille ! C’est dégoûtant, Bataille ! J’adore le mot d’Hemingway : « Quand ça va très mal, la littérature est en première ligne. » Pourquoi pas. C’est la lutte à mort. C’est raisonnable, au sens hégélien. Je m’enchante de ça, c’est la guerre. La poésie, c’est la guerre, comme disait Mandelstam. Sauf qu’une émasculation, tout de même, avec la pauvre Julia Kristeva qui porte mes couilles, c’est très, très raciste, au bord du fascisme, et ça personne n’a voulu le voir, sauf elle... (Transfuge N° 96, mars 2016)

    Rappelons que Kristeva elle-même est présentée dans le roman comme une agent secret bulgare. Quand on sait la campagne néostalinienne diffamatoire (initiée par L’OBS !) dont elle fut ensuite l’objet (cf. Julia Kristeva, Une autre vie que la mienne)...

    LIRE AUSSI : Julia Kristeva, La voix de Barthes (28 août 2015)
    Yannick Haenel, La véritable septième fonction du langage (8 novembre 2015)