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« Sollers : Tout est détruit, mais rien ne l’est »

Graal, par Guillaume Basquin

D 13 avril 2022     A par Albert Gauvin - Guillaume Basquin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Voici donc Graal, dernier roman en date de Philippe Sollers, soit un scandale qui passera probablement inaperçu par les bientôt huit milliards d’humanoïdes qui peuplent cette planète. Il y a les somnambules, et les quelques autres, solitaires, chanceux, régnant sur leur propre royaume : « Vous êtes l’unique roi de votre royaume, et vous le suivez de nuit comme de jour. »

Comment, après plus de soixante-cinq livres (nous avons compté sa bibliographie), Philippe Sollers, ogre des lettres françaises, pourrait-il avoir quelque chose de nouveau (titre de l’un de ses romans, d’ailleurs) à nous dire ? Comment ne pas se répéter ? lasser le lecteur ? Oui, Sollers compose un assez court ouvrage sur ses thèmes de prédilection, qu’il semble recycler (la gnose, les Mystères catholiques, les amours entre un adolescent mâle et une femme plus âgée, de la famille ou pas) ; mais il compose désormais ses « romans » comme des variations du dernier Beethoven : des quatuors, après nous avoir déjà donné ses grandes symphonies (Lois, H, Paradis, Femmes, Une vie divine, Les voyageurs du temps, etc.).

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Philippe Sollers © Jean-Luc Bertini

Peu d’instruments (une clarinette, un violoncelle, peut-être une flûte), mais du pur concentré d’attaques légères à la plume (avec son éternelle encre bleue de Venise, dont il est encore une fois fait mention dans ce livre, comme private joke ou talisman). Concentration. Poing en plein dans le mille, l’un des derniers tabous de nos sociétés occidentales : « Heureux le garçon de 15 ans qui a été initié sexuellement par une femme atlante, dont le corps a été élu à ce sujet par la Parole Suprême. » Précision du tableau : « Elle accomplit là, souvent sans le savoir, un rite millénaire de l’Égypte antique ou des hétaïres grecques qu’on peut admirer sur des vases d’avant notre ère.  » (Mais qui le sait encore ?)

Cette éducation décisive (qui rendra l’écrivain non religieux et non-croyant en matière de sexualité) nous vaut ici deux nouvelles incarnations de l’ogre : en Atlante, puis en Migrant. Premier mouvement : en Atlante très tôt capable de sauver son âme grâce à la gnose, cette philosophie selon laquelle il est possible de connaître les choses divines. Cette philosophie étant ésotérique, sa connaissance se doit d’être initiatique ; raison pour laquelle Sollers affirme, en y insistant, que ce sont trois femmes atlantes qu’il a eu la chance de connaître qui l’ont initié aux « continents disparus » et à « leurs stabilités inaccessibles  » : « Les femmes atlantes apprennent très tôt aux jeunes garçons à se caresser pour imiter les femmes en train de se donner du plaisir.  » Initiation et raison sont donc indissociables. Et fascisme et bêtise sexuelle tout autant, de façon symétrique.

En bon Atlante, Sollers vit encore dans une réincarnation réelle (pour lui) de l’île mythique de l’Atlantide, sous forme de fragment, soit l’île de Ré – où le navigateur du temps à l’encre bleue de Venise sera enterré, dans le cimetière des aviateurs anglais d’Ars-en-Ré. Au milieu de l’écoulement immobile du temps, c’est l’éternel retour du même : « Au bord de l’Atlantique, je bois un verre de vin à la gloire de cette île et de son passé fastueux. » Second mouvement : en Migrant primordial (d’où le M majuscule) qui ne se laisse enfermer dans aucune case, aucun parti : «  La plupart du temps, le Migrant ne dort pas, ou à peine. » Il n’est « pas repérable, et ferait un terroriste parfait  » ; « il ne croit pas aux complots […]. Il semble surtout vouloir préserver sa vie et pouvoir se déplacer dans des identités multiples » (ce qu’autrefois l’écrivain appelait ses IRM, pour « Identités Rapprochées Multiples »).

La gnose (du grec gnôsis, connaissance) est une doctrine philosophico-religieuse selon laquelle le salut de l’âme passe par une connaissance (expérience ou révélation) directe de la divinité, et donc par une connaissance de soi. D’où cette déclaration : «  Toute sa vie, un descendant des Atlantes recherchera ce Graal perdu, avant de s’apercevoir qu’il l’a en lui, et qu’il n’y a aucune séparation à faire entre intérieur et extérieur. » On sait que Paul de Tarse fut l’un des premiers penseurs chrétiens à utiliser le terme : le gnostique est un chrétien accompli. C’est pourquoi Sollers aime affronter les Mystères chrétiens dans ses romans (on le lui a suffisamment reproché (« papiste ! », etc.) ; sur la dernière page de Graal, on peut lire : « le tombeau est vide  » ; « et tout est dit  ».

Le Graal, indiqué par le titre, est à la fois la recherche du Saint Calice, et la connaissance de soi. On le sait, le Graal est un objet mythique de la légende arthurienne, objet de la quête des chevaliers de la Table ronde ; à partir du XIIIe siècle, il est assimilé au Saint Calice (la coupe utilisée par Jésus-Christ et ses douze disciples au cours de la Cène, et qui a recueilli le sang du Christ) et prend le nom de Saint Graal. Mais qu’est-ce vraiment que le Graal pour Sollers ? un calice ? une coupe ? un vase ? ou encore une illusion, une chimère, un fantasme ? Non, c’est, pour l’écrivain, le Verbe absolu et créateur de monde, cette Parole primordiale : en passant au présent le début de l’évangile de Jean, cela donne ceci : « Le Verbe est avec Dieu, / et le Verbe est Dieu. » Déclaration stupéfiante pour tout écrivain conséquent, n’est-ce pas ?

Sollers va jusqu’à inventer (puis s’attribuer) une œuvre d’un auteur anonyme du XVIIIe siècle, « publiée, comme beaucoup de livres de cette époque, “à Cythère” en mai 1789  » : Les Mystères sexuels de l’Atlantide. Bien sûr, ce volume, « quasiment introuvable et, par conséquent, recherché par les amateurs », n’existe pas et doit être attribué à l’imagination de Sollers lui-même : « L’auteur de ce livre ahurissant va même jusqu’à appeler Graal les séances incestueuses qui ont lieu dans une improbable Villa des Mystères. » (À Bordeaux, donc, pour les connaisseurs de l’œuvre.) C’est là que les jeunes mâles «  sont ensuite livrés au choix des femmes, ce qui, on s’en doute, produit une civilisation absolument contraire à la nôtre, embarrassée depuis toujours, dans le contresens sexuel ».

Résumons : trois femmes atlantes (une tante, une servante basque espagnole [«  les partenaires ne parlent pas forcément la même langue, mais les gestes sont là  »], une femme-écrivain plus âgée), une île réelle qui redouble une île engloutie, un réfugié du Temps en exil perpétuel : roman !

Guillaume Basquin, 12 avril 2022.

Note : ce texte a été publié dans En attendant Nadeau. Je l’ai repris avec le titre et l’illustration voulus initialement par l’auteur. A.G.

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