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« Marcel Proust, un roman parisien », au Musée Carnavalet

Au Musée Carnavalet, la « Joconde » des proustiens

D 27 décembre 2021     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Exposition : Marcel Proust, un Parisien au Musée Carnavalet

L’auteur d’« A la recherche du temps perdu » a passé la plus grande partie de sa vie dans la capitale. Pour la première fois, une exposition s’intéresse aux liens étroits entre la ville et l’écrivain.

Par Cédric Pietralunga


Le docteur Robert Proust et Adrien Proust, sur le balcon de leur appartement de la rue de Courcelles, entre 1900-1903. Photo anonyme. SÃO PAULO, COLLECTION PEDRO CORRÊA DO LAGO
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Si incongru que cela puisse paraître, aucune exposition ne s’était jusqu’ici penchée sur les liens qui unissent Marcel Proust à la ville de Paris, où l’écrivain a vu le jour et où il a passé la plus grande partie des cinquante et unans de son existence. « Les choses évidentes mettent parfois du temps à se faire », concède Anne-Laure Sol, conservatrice en chef du patrimoine au Musée Carnavalet-Histoire de Paris, qui profite du 150e anniversaire de la naissance de l’auteur de La Recherche pour réparer cet oubli.

L’intérêt d’avoir attendu autant, c’est que l’exposition « Marcel Proust, un roman parisien » est riche, très riche. Photos d’époque, peintures, documents manuscrits, affiches publicitaires, mobilier, accessoires de mode…

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Au total, 280 pièces sont présentées, dont certaines jamais montrées au public, comme cette touchante photo du jeune Marcel à 15ans, l’œil déjà charbonneux et le duvet sur la lèvre. « Nous avons sollicité 35 institutions et 19 prêteurs privés. Mais un tiers des œuvres provient aussi de nos collections », précise Valérie Guillaume, directrice du Musée Carnavalet.

Destinée aux connaisseurs de l’œuvre de Proust mais aussi aux néophytes, l’exposition est scindée en deux. La première partie se penche sur le Paris où l’auteur a vécu. De l’appartement d’Auteuil, où il est né, en1871, jusqu’à celui de la rue Hamelin, non loin de l’Arc de triomphe, où il est mort, en1922, l’écrivain n’a jamais quitté la rive droite de la capitale. « Il a connu sept domiciles, tous situés dans les 16e et 8e arrondissements, où se déroulait l’essentiel de la vie mondaine. Proust était fondamentalement un Parisien », assure Jean-Yves Tadié, écrivain et vice-président de la Société des amis de Marcel Proust.

Influence sur l’œuvre

L’une des pièces maîtresses de cette partie de l’exposition est la chambre de Proust, avec le lit en laiton dans lequel l’auteur travaillait – et où il a rendu l’âme –, sa chaise longue, sa pelisse et sa canne… Un morceau du liège qui tapissait les murs de l’alcôve est aussi exposé. « Proust vivait les rideaux tirés, écrivait dans son lit la nuit, n’aérait jamais parce qu’il avait une peur maladive du froid… On a même retrouvé sur les montants du lit des traces de datura, une plante toxique qu’il fumigeait dans sa chambre pour soigner son asthme », précise Mme Sol, qui assure aussi le commissariat scientifique de l’exposition.


Mobilier ayant appartenu à Marcel Proust présenté au Musée Carnavalet, dans le cadre de l’exposition« Marcel Proust, un roman parisien ». PIERRE ANTOINE/PARIS MUSÉES/MUSÉE CARNAVALET ? HISTOIRE DE PARIS
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La seconde partie s’attache davantage à l’influence que la ville de Paris a eue sur l’œuvre de Proust. Chroniqueur mondain au début de sa carrière, le dandy écumait les soirées chics et fréquentait la haute société et les artistes, Jean Cocteau, André Breton, Alphonse Daudet, Colette… Autant de rencontres qui ont nourri les personnages de La Recherche. « Mais il connaissait aussi les milieux populaires, à travers les domestiques qu’il employait », assure M. Tadié. De nombreux documents permettent de se replonger dans ce Paris de la fin du Second Empire jusqu’aux bombardements de la première guerre mondiale, que Proust endurait en se réfugiant au Ritz.

Parmi les peintures exposées, il y a bien sûr le très connu portrait de Proust réalisé par Jacques-Emile Blanche en1892, prêté par le Musée d’Orsay. Une huile où l’on voit l’écrivain âgé de 21ans, en queue-de-pie, qui impressionne par ses contrastes. Mais il y a aussi des œuvres de Caillebotte, Monet, Pissarro, Vuillard, un dessin à la mine de plomb de Picasso, un joli paravent décoré par Bonnard, un plâtre de Rodin, des photographies de Nadar, Atget, Brassaï… N’en jetez plus.

Seul bémol, l’exposition ne présente qu’un seul petit manuscrit d’A la recherche du temps perdu : un cahier de moleskine noire de 67 feuillets, utilisé pour rédiger le brouillon de Du côté de chez Swann, premier volume de l’œuvre maîtresse de l’écrivain dandy. La Bibliothèque nationale de France (BNF), qui détient la quasi-totalité des écrits de l’auteur, a en effet prévu d’organiser elle-même une exposition en octobre2022 sur « la fabrique de l’œuvre » de Proust pour le centième anniversaire de sa mort. L’institution a dû faire des choix.

Mais que les graphologues se rassurent, Carnavalet présente deux des fameux « placards » sur lesquels Proust corrigeait les épreuves imprimées de ses livres, témoignages de son obsession pour le style. En quête de perfection, l’écrivain reprenait en effet sans cesse ses écrits, même après l’impression des premières pages.

« Il raturait, ajoutait, retranchait, corrigeait à nouveau. Le célèbre passage de la madeleine dans Du côté de chez Swanna connu dix-sept versions, et l’incipit “Longtemps, je me suis couché de bonne heure”, qui ouvre LaRecherche, n’est apparu qu’à la quatrième version », dit en souriant Jean-Marc Quaranta, maître de conférences à Aix-Marseille Université et spécialiste de Proust. « L’inspiration existe, mais il faut qu’elle vous trouve au travail », disait Pablo Picasso.

Marcel Proust, un roman parisien, Musée Carnavalet. 23, rue de Sévigné, Paris 3e. Du mardi au dimanche de 10 heures à 18 heures Jusqu’au 10 avril 2022. www.carnavalet.paris.fr

Cédric Pietralunga


Au Musée Carnavalet, la « Joconde » des proustiens

Ce portrait est devenu l’image la plus connue et partagée de l’auteur d’« A la recherche du temps perdu ». Montré dans le cadre de l’exposition « Marcel Proust, un roman parisien », ce tableau de Jacques-Emile Blanche séduit par sa représentation de l’écrivain saisi dans une éternelle jeunesse.

Par Clément Ghys

25 décembre 2021


Le portrait de Marcel Proust peint par Jacques-Emile Blanche en 1892, au Musée Carnavalet, à Paris, le 17 décembre 2021. MARINE BILLET POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
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Son généraliste lui avait ordonné de rester chez elle, à cause de cinq côtes cassées quelques jours plus tôt, lors d’une mauvaise chute dans ses escaliers, mais elle est venue quand même. Ce matin du samedi 18décembre, Emmanuèle, professeur d’allemand de 51ans, a traversé Paris pour être parmi les premières à l’ouverture du Musée Carnavalet, dans le 3earrondissement. « Je voulais voir mon Marcel », dit-elle dans un sour. Son Marcel, son Proust, qu’elle lit et relit depuis l’adolescence et auquel l’institution dédiée à l’histoire de Paris consacre une très belle exposition sur les lieux de la capitale où il a vécu, flâné et qui ont inspiré sa Recherche du temps perdu.

A peine est-elle entrée dans les salles de « Marcel Proust, un roman parisien », qu’Emmanuèle a rejoint un petit groupe qui s’est improvisé devant le portrait de l’écrivain à l’âge de 21ans, peint en1892 par Jacques-Emile Blanche. Il est représenté en costume et gilet noirs, une chemise blanche au col cassé et une orchidée à la boutonnière. Elle lui trouve « un air de premier communiant, moustachu, certes, mais quand même ». Autour, les autres visiteurs approuvent, et certains se rapprochent du visage auquel, tel qu’il était ainsi peint, Jean Cocteau trouvait un air de ressemblance avec « un œuf de Pâques ».

La toile voyage beaucoup

Cette peinture, la seule pour laquelle l’auteur a posé de son vivant, est « la Joconde des proustiens », selon l’universitaire Jean-Yves Tadié, auteur d’une biographie de référence. Elle est reproduite en couverture d’innombrables traductions de la Recherche dans le monde, sur les jaquettes de livres audio, dans les revues spécialisées ou grand public, et même sur des boîtes de thé et des sachets de madeleine. Quand elle n’est pas accrochée au Musée d’Orsay, qui la possède, la toile voyage beaucoup.

Au cours du dernier quart de siècle, elle a été exposée dans plusieurs institutions françaises, mais aussi en Espagne, aux Pays-Bas, en Russie ou encore au Japon. « Il s’agit d’une des œuvres les plus demandées de toute notre collection, estime Paul Perrin, conservateur peinture au musée parisien dédié à l’art du XIXesiècle, les institutions la veulent pour des expositions consacrées à Proust, évidemment, mais aussi à Paris, à la Belle Epoque, à la littérature et, depuis peu, à la mode ou au dandysme. »

L’année 2021 a marqué le 150e anniversaire de la naissance de l’écrivain, 2022 célébrera les 100 ans de sa mort. Les publications, conférences, analyses se succéderont. « L’intérêt pour La Recherche et pour le personnage ne se tarit pas depuis des décennies », souligne Jérôme Bastianelli, président de la Société des amis de Marcel Proust. Les divers confinements auraient même, esquisse-t-il, donné le temps à certains de se plonger dans l’œuvre du modèle sur le tableau.

Photographié par Nadar, puis Man Ray

Alors pourquoi cette image précise ? Pourquoi cette peinture, et non un cliché, fige-t-elle l’imaginaire autour d’un homme qui avait, selon Anne-Laure Sol, commissaire de l’exposition à Carnavalet, « un rapport très compulsif à la photographie » ? Car Proust aura, toute sa vie, été beaucoup photographié : enfant, par Nadar, jusque sur son lit de mort par le surréaliste Man Ray. Régulièrement, des images de Marcel Proust ravissent les réseaux sociaux.

« Ce qui est émouvant dans la peinture de Blanche, et qui fait sans aucun doute son succès, c’est que [Marcel Proust] y est présenté en éternel jeune homme. » Anne-Laure Sol, commissaire de l’exposition

Une photographie (exposée à Carnavalet) le présente en jeune mondain tenant une raquette de tennis comme s’il s’agissait d’une guitare. En 2017 avait surgi des archives du CNC un film sur lequel certains pensaient le voir apparaître dans un mariage – ce qui en aurait été la première image en mouvement de l’auteur. En réalité, il s’agissait d’un autre, et l’enthousiasme des proustiens fut douché.

« D’une photographie à une autre, on le voit évoluer, assure Anne-Laure Sol, ses traits changent, se creusent. Ce qui est émouvant dans la peinture de Blanche, et qui fait sans aucun doute son succès, c’est qu’il y est présenté en éternel jeune homme, lui dont on sait qu’il a beaucoup souffert, de son asthme mais également de son immense sensibilité, lui qui a été alité pendant des années, est ici figé dans sa jeunesse. » Dans ses 21 ans précisément.


Man Ray, Marcel Proust sur son lit de mort, 20 novembre 1922 © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2021 / RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski
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Un destin exceptionnel

Proust est alors un jeune homme qui, comme le dit l’expression de l’époque, vient de « faire son entrée dans le monde ». C’est-à-dire qu’il fréquente les salons de la haute société. Il n’a pas autant d’argent que les autres convives, n’a pas de nom aristocratique et n’est pas particulièrement beau. Mais, comme le raconteront ses amis dans un film datant de 1962, Portrait souvenir, tous lui prédisent un destin exceptionnel. C’est ce que saisit le peintre Jacques-Emile Blanche, auteur de nombreux portraits mondains. La toile était plus grande et l’artiste, la jugeant « exécrable », avait commencé à la détruire.


Cette rare photo de l’appartement de Marcel Proust où il vécut de 1919 à sa mort, en 1922, présente dans l’exposition, montre que l’écrivain conservait au mur son portrait par Blanche. MARINE BILLET POUR M LE MAGAZINE DU MONDE
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Proust lui-même la sauvera. Et la gardera toute sa vie, comme le prouve une très rare photographie de son appartement de la rue de l’Amiral-Hamelin, dans le 16earrondissement, prêtée par un collectionneur brésilien, Pedro Corrêa do Lago, et dont la présentation au Musée Carnavalet est inédite. « C’est d’autant plus bouleversant, précise Jean-Yves Tadié, que celui qui a écrit sur le passage du temps a pu le contempler chaque jour grâce à cette œuvre. Ce tableau, c’est Le Portrait de Dorian Gray. »

D’autant que les sept tomes de la Recherche ont justement pour personnage principal un jeune homme, dont on ignore le nom, et que c’est au prisme de ce narrateur que le lecteur suit la découverte de différents mondes (cercles aristocratiques, stations balnéaires ou bordels masculins), des sentiments amoureux, de la jalousie, du deuil, de l’amitié et, enfin et surtout, de la vocation littéraire. Ce Proust peint serait l’équivalent de la photographie d’Arthur Rimbaud à l’âge de 17 ans par Etienne Carjat en1871. Une image d’écrivain qui suscite une (relative) dévotion et qui séduit même ceux qui ne l’ont pas lu.

« C’est un portrait de face, et non de trois quarts, ce qui est rare à l’époque, et la gamme de couleurs est très simple. Il y a là quelque chose de religieux, d’une icône. » Paul Perrin, conservateur au Musée d’Orsay

La peinture de Blanche est devenue un totem fétichiste parmi d’autres. Car, dans ce petit monde, on chérit les objets. Le Musée Carnavalet possède ainsi dans ses collections permanentes la chambre de Proust, son lit et un peu du liège qui couvrait ses murs pour étouffer les bruits des voisins. Quand le musée avait fermé pour travaux, diverses personnalités s’étaient affolées du sort que l’institution donnerait à ces meubles. Pour être ensuite rassurées à la réouverture, en2021.

L’œuvre de Blanche est matière à débat, à érudition et peut-être même à snobisme. Au Musée d’Orsay, Paul Perrin affirme beaucoup l’aimer : « C’est un portrait de face, et non de trois quarts, ce qui est rare à l’époque, et la gamme de couleurs est très simple. Il y a là quelque chose de religieux, d’une icône. » Mais Jean-Yves Tadié, lui, le trouve « plat » : « Je ne l’aime pas du tout. A contrario d’une étude dessinée par Blanche pour ce tableau, où le regard de Proust est vivant et intense. »

Et d’ajouter que ce qui en fait une Joconde est « autant sa célébrité que le fait que celui qui la regarde y projette ce qu’il veut, à l’instar du modèle inexpressif de Vinci ». Soit l’image d’un jeune homme qu’on peut voir tour à tour en mondain méprisant, en un garçon timide dont le calme prédit une douleur future, en l’auteur d’une œuvre unique et dévorante. En bref, en une personnalité sondée mille fois et toujours énigmatique.

« Marcel Proust, un roman parisien », au Musée Carnavalet, Paris 3e. Jusqu’au 10 avril 2022.

Clément Ghys

lemonde.fr/

À LIRE AUSSI  : "La recherche" illustrée  : l’œuvre de Marcel Proust se décline un peu plus en bande dessinée

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