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L’Enfer de Dante illustré par Miquel Barcelo

Traduction de Danièle Robert

D 27 novembre 2021     A par Viktor Kirtov - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Ce mois de novembre, les éditions Actes Sud publient en grand format (24,4 x 32,8 cm) une édition richement illustrée de l’Enfer de Dante par Miquel Barceló, Traduction, préface et notes de Danièle Robert.
Un beau livre pour Noël !
Qui satisfait l’œil par les nombreuses aquarelles de Miquel Barceló, pleine page ou double page, et l’esprit, par la préface de Danièle Robert et ses notes en fin d’ouvrage, contextualisant les vers dans l’époque de Dante, ce Moyen Age nourri de références symboliques, avec l’importance des Nombres que l’on retrouve dans la construction du poème et l’œuvre elle-même.

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le livre sur amazon.fr
Dante Alighieri (Auteur), Miquel Barceló (Illustrations) Danièle Robert (Traduction)
Paru le 17 novembre 2021
Beau livre (broché)
176 pages
Grand format : ‎ 24.4 x 2 x 32.8 cm
1.24 kg
Actes Sud

La rencontre féconde du peintre et du poète."L’Enfer" de Miquel Barceló  [1]

Dès 2003, l’artiste majorquin Miquel Barceló, après ses célèbres prédécesseurs Boticelli et Dalí notamment, avait relevé à son tour le défi d’illustrer le texte mythique deDante dans ses versions espagnole d’Angel Crespo et catalane de Josep Maria de Sagarra Les aquarelles de l’artiste majorquin commentent le poème en choisissant librement les épisodes et les personnages. Ici, contrairement aux versions espagnole et catalane, pas de petits formats. Que des dessins pleine page et double page.

Chaque chant occupe une seule page de texte grand format suivie de plusieurs pages de dessins c’est dire si cette édition met l’accent sur le dessin traité en mode majeur. Si le texte proprement dit utilise une fonte de petite taille pour tenir sur une page, le texte est néanmoins parfaitement lisible. On peut seulement regretter que les notes de fin de volume utilisent, quant à elles, une fonte si petite que la lecture en est difficile pour des yeux un peu fatigués.
Miquel Barceló ne se contente pas de représenter le monde de Dante : ce qu’il veut, c’est s’y identifier. Et il nous propose cette vision que nous faisons vite nôtre, grâce au texte en regard, indispensable pour « lire » ses dessins.


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Un des quatre dessins double page d’ouverture du livre avant la préface.

La préface de Danièle Robert : « Entrelacs Musaïques »

EXTRAITS

(sous-titrages : pileface V.K.)

L’œuvre est tout entière placée sous le signe des chiffres 1, 3, et de leurs multiples : trois parties intitulées cantiches (Inferno, Purgatorio, Paradiso), comportant chacune trente trois chants avec un prologue à l’ensemble qui est le chant I de l’Enfer, lequel s’ajoute ainsi aux quatre-vingt-dix-neuf autres chants pour que la totalité du poème aboutisse au nombre 100. Et l’on sait que Dante situe la « vision » du voyage qui l’ a conduit de l’ombre vers la lumière en 1300, soit à l’orée du Trecento.nous rappelle Danièle Robert.

Et si l’on détaille rapidement la structure de chacun des trois règnes, on constate que l’enfer est composés de neuf cercles, qu’au purgatoire il faut gravir neuf niveaux avant d’accéder au paradis terrestre, dixième étape ; et que « le paradis proprement dit comporte neufs ciels qui conduisent le poète jusqu’au dixième, L’Empyrée, lieu où se contemple l’unité de la Trinité définie avec force en trois vers (28-30) au chant XIV du Paradis :

Le chiffre 3

« Le chiffre 3 se rencontre tout au long des chants : citons, à titre d’exemple, les trois bêtes qui, dès la sortie de la foret obscure, viennent s’interposer entre Dante et la colline qu’il cherche à gravir, ou les trois dames qui incitent Virgile, au chant II, à lui venir en aide ; Béatrice, Lucie, Marie, ainsi que les trois faces de Lucifer qui dévorent dans l’éternité les trois pires traîtres : Judas, Brutus et Cassius ; et surtout les deux rencontres avec Béatrice pour elle comme pour Dante à neuf ans puis à dix-huit ans. Charles S. Singleton a mis en évidence d’autres aspects de la numérologie complexe à l’œuvre dans le poème dans un essai intitulé « The Poet’s Number at the Center » [2] »

La terzina et la terza rima

Qr,.l’élément immédiatement visible de ce symbolisme aumérique.se trouve dans le choix de la cellule de base : la terzina ; strophe de trois hendécasyllabes. soit trente-trois syllabes - liés par un jeu de rimes entrelacées par trois et constituant un "moteur" qui propulse le texte selon une rythmique véritablement créatrice de sens :. c’est le principe de la terza rima, , enchaînement inspiré par le sirventès des troubadours (dont Bertran.de Born, figure emblématique qui apparaît au chant XXVIII de l’Enfer, fut l’un des plus illustres représentants) mais que Dante a repensé en l’adaptant à la terzina et en faisant de ce système rimique le fil conducteur du poème entier, un fil qu1il déroule sur 1423 vers, ce que personne n’avait tenté auparavant.

La terzina est donc bien, avec la terza rima qui en est l’ élément constitutif, la matrice à partir de laquelle naît et se développe le poème dantesque ; et chaque étape du cheminement de la forêt obscure vers la Iumière se termine par un vers dont le dernier mot est stelle [étoiles] :

E quindi uscimmo a riueder le stelle (Inferno)
puro e disposto a.salire a le stelle. (Purgatorio)
l’amor che moue il sole e l’altre stelle (Paradiso),

triple reprise en forme de· point d’orgue qui relance à l’infini la quête, ainsi que le souligne Ossip Mandelstam : "La Divine Comédie ne se contente pas d’arracher le lecteur au temps, elle amplifie le. temps comme fait une oeuvre musicale lorsqu’on la joue. À mesure qu’il se. prolonge, le poème nous éloigne de son achèvement, 1a fin elle-même survient-à l’improviste et sonne comme un commencement ! "

En outre, la relation du 3 au 1 se retrouve à la fin de chaque chant sous la. forme d’un vers isolé qui ouvre la voie (la.voix) au chant suivant. Par là, et par Ie rythme de valse qu’elle induit ("un, due, tre... nascità ; copula ; morte", ainsi traduit avec humour par Vittorio Gassman dans le commentaire qu’il a ajouté à sa lecture de la. Commedia), la terzina est comparable à la cellule mélodico-rythmique enregistrée par l’ ethnomusicologue Simha Arom chez les Pygmées Aka et désignée par eux comme ngue wa lembo, "la mère du chant", où.l’on entend s’instaurer, à une voix et sur un mode répétitif, un rythme - soubassement régulateur du temps - qui ouvre progressivement au chant polyphonique dans lequel la liberté d’expression va pouvoir se déployer. La terzina est, quant à elle, le rythme initial "pensé, calculé", qui donne au poème l’impulsion : d’où jaillit et se déploie le souffle poétique - na lege ni, "selon le chemin’", disent les Aka ; et le tressage des rimes qui lie.les terzine les unes aux autres dans un tournoiement sans cesse renouvelé dessine et fait éprouver la lente descente de Dante· et Virgile au fond de l’enfer par cercles concentriques, puis l’ascension de la montagne du purgatoire et enfin celle des ciels tournant à l’infini, jusqu’à l’immobilité sereine de l’ empyrée et de la Rose mystique.

Géniale structure, à la fois rigoureuse, voire contraignante, et, paradoxalement, libératrice dans la mesure où elle se situe à l’opposé de ce que l’on pourrait considérer comme un monotone retour du même, le rythme ternaire des rimes introduisant au cœur de chaque terzina un son nouveau, une rupture aussitôt reprise par deux rimes qui lui font écho dans la terzina suivante. Par ce jeu entre le même et l’autre, -Dante imprime au poème l’essence de ce qui fonde son inspiration, le marque dans sa chair et va jusqu’à en faire un élément dé du développement logique de sa pensée.

Or, cet ordre mûrement réfléchi ; méticuleusement calculé, n’est pas sans créer un certain nombre de difficultés que le poète doit affronter, .en cours d’écriture, afin de contourner les écueils - analogues à ceux de sa longue quête- que la structure lui impose, tant sun.le plan métrique et prosodique que linguistique ; et l’on découvre alors que les contraintes qu’il s’est imposées deviennent pour lui une source inépuisable de, créativité : ainsi, il a recours, pour respecter le jeu des.rimes, à de multiples inventions verbales, puisant dans le latin ; la langue d’oc et les divers dialectes des régions où il a séjourné la matrice des mots dont il a besoin et n’hésitant pas à Ïes charger de sens inusités selon des déplacements sémantiques qui enrichissent le lexique et créent la langue italienne que nous connaissons. En voici deux exemples, situés au chant VII de l’ Enfer : d’une part, le détournement que Dante opère sur le verbe burli (v. 33), lui donnant le sens de "gaspiller" au lieu de "se moquer" pour pouvoir l’utiliser comme troisième rime ,- peu commune - après urli et purli  ; d’autre part, l’invention du verbe appuiera (v. 63) au sens d’"embellir’’, qu’il forge sur le latin pulcher, ce qui lui permet, là aussi, de compléter un jeu de rimes rares avec sepulcro et pulcro. On trouve tout au long du texte de nombreux exemples du même type […]

Il va sans dire que l’extraordinaire invention verbale dont Dante est l’artisan ne se limite. pas aux seules rimes ; c’est toutefois là que sa place est la plus marquée. […] La poésie est en soi un chant ; à ce titre, toutes les règles érigées "mathématiquement" en système doivent se plier à une règle supérieure, celle de l’harmonie, et à la dimension éminemment orale du poème. Pour ce qui.concerne le.vers d’une extrême souplesse· qu’est l’ endecasillabo, l’orthographe fluctuante de l’italien médiéval permet d’innombrables variantes ’’homme" peut tour à tour s’écrire : omo ou ‘om ; ’’chemin" cammino ou cammin ; l’élision offre de multiples moyens pour réduire le mètre au nombre de sons, voulus alors que de très nombreux vers, sans ce recours, auraient douze, treize, voire quinze syllables ; témoin le vers 9. du chant I : dire l’autre case ch’i’ v’ho scorte, qui donnerait, sans les élisions : diro delle altre cose che io uibo scorie<Pour aalonger le vers, en revanche, on peut pratiquer là diérèse (par exemple dans scienzia, grazia, Marzïa). Dans le. même esprit, Dante emploie parfois fa. simple assonanœ (consonanzia),.ou la rime "sicilienne"-. que 1’ on rencontre dès le chant I. […]
L’ordre est donc fait pour être dérangé, la règle pour être contournée au nom d’une valeur plus haute qui est la liberté créatrice par laquelle le poète retrouve l’âme de toute parole, la langue originelle. Et cette langue mère ne se redécouvre que dans l’ oralité du vers, dans la pulsation qui est la manière unique dont ce· musicien du langage qu’ est le poète compose une œuvre, c’ est-à-dire "lie" les mots de sa langue par ce qu’il appelle l’arte musaica- à la fois musaet musica, poésie et musique et recrée ainsi le monde : "Par le vers rimé, un monde se déploie ; qui n’est plus contingence, mais rosace des pouvoirs de l’esprit.et possibilité universelle des conjonctions cosmiques et affectives [3] .

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Les autres traductions rimées dans le temps

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Comment aborder, dans ces conditions, une nouvelle traduction du poème dantesque, comment en donner une lecture moderne sinon en prenant en compte La structure voulue par le poète, c’est-à-dire toutes les composantes de 1’ œuvre et, au premier chef, la tierce rime qui est le germe à partir duquel elle. s’épanouit en une arborescence vertigineuse ? De nombreux traducteurs étrangers - ceux, du moins, des pays où existe une tradition de la rime - n’ont pas craint de s’affronter à cette question : on doit ainsi à Andreu Febrer, dès 1429, une traduction intégrale de la Comédie en catalan ; beaucoup plus près de nous, on peut noter également celle de l’Argentin Bartolomé Mitre à la fin du XIXe siècle (1891-1897), celle de Babits Mihaly en hongrois au début des années 1920, celle de Mikhaïl Lozinsky en russe dans les années 1940, celle d’Angel Crespo en espagnol dans les années 1970 et 1980 - celui-ci ayant intitulé une de ses conférences : "Translating Dante’s Commedia : terza rima or nothing", celle de Peter Dale en anglais, en 1996,et enfin, en 2004,.celle de Thomas Vornbaum en allemand.

Or, en France, si l’on excepte la tentative d’un anonyme du XVe siècle et celle de François Bergaigne au XVIe siècle ; dont il ne reste que deux fragments du Paradis, on ne note que celles, au XIXe siècle, de Louis Ratisbonne - et de Hyacinthe Vinson. Le premier a eu le mérite-de proposer une traduction complète en vers rimés mais selon un schéma aab, ccb, dde, ffe donnant une forte impression de monotonie - contraire à la vivacité du vers et de la terzina dantesques - qu’accroît encore le rythme ample de l’alexandrin. Le second aura donné en tierces rimes le seul Enfer, "évidemment" en alexandrins - son entreprise relevant par ailleurs plus de la paraphrase que de la traduction ,à proprement parler. IL faut également mentionner, plus près de nous, l’ autopublication du poète bosniaque Kolja Micèvic qui a, tenté de réaliser en fiançais ce qu’il appelle une "intraduction" de l’Enfer, puis une "interprétation sur les instruments d’époque" pour sa traduction du Purgatoire, puis une "réorchestration française" pour celle du Paradis - en adoptant la tierce rime de bout en bout. On serait admiratif-devant-un tel tour de force (lui-même dit avoir été constamment tiraillé entre trois langues : l’italien, le français et sa langue maternelle, jusqu’à en devenir fou) si ses choix métriques et prosodiques étaient cohérents - c’est loin d’être le cas. Quant à celui des rimes, il n’est pas plus probant, le tout étant écrit dans une langue qui, elle, est bien problématique.

Si l’on excepte ces tentatives partielles, avortées ou encore irrecevables, aucun traducteur de langue française ne s’est résolu à prendre en compte la question de la tierce rime, pour des motifs divers et plus ou moins sujets à caution •. Il n’est pas dans mon intention de critiquer les traductions françaises existantes’ et les diverses prises de position qu’elles assument, parfaitement respectables ; je partage à cet égard la déclaration de Léon Robel : "Un texte est l’ensemble de toutes ses traductions significativement différentes ." Il est bien évident qu’un monument tel que la Commedia - qui a connu depuis sept· cents ans tant de controverses sur les plans philologique, historique, idéologique, politique, philosophique, tant d’analyses multiples tour à tour réfutées, du fait de son caractère volontairement ambivalent, complexe et difficile d’accès impose à chaque époque et même à chaque génération une voire plusieurs relectures, de nouvelles réponses, de nouvelles interprétations, chaque traducteur abordant l’œuvre sous un angle particulier en fonction de sa sensibilité et de ses propres préoccupations "intellectuelles. Et de fait, malgré ce qu’on peut lire ou entendre, et pas uniquement dans les médias ; il n’existe pas, pour ce type d’ouvrage, .de. traduction de référence exclusive de toute autre, car cette notion n’a aucun caractère pertinent. En réalité, plus l’œuvre d’art est grande, plus "les interprétations auxquelles elle donne lieu-multiplient la possibilité qu’elle a de durer", écritA nne Cauquelin. […] Il y a cependant, pour ce qui concerne la traduction de la Commedia, deux partis pris qui sont à mes yeux intenables, et d’abord celui de la prose qui, bien que pouvant être acceptable stylistiquement, ampute l’ œuvre de sa dimension essentielle, c’ est-à-dire ce qui sépare la langue .du poème de celle de fout autre texte, comme le note Bruno Pinchard :"Dans le vers repose une langue d’avant la langue de la communication vérifiable, une langue plus qu’affecrive. Intuitive parce que colorée de mille sons, dont la langue française n’est pas avare en ses combinaisons infinies","

Le second parti pris, bien plus indéfendable ; est celui qui consiste à supprimer délibérément des pans entiers du texte original- des terzine entières ! - auprétexte qu’ils contiennent "des noms inutiles ou des références fastidieuses", en prétendant par là "offrir un vrai poème dont la marche jamais n’est en rien cntravée’". On ne peut parler ici d’interprétation, mais de grave atteinte à l’intégrité de l’ oeuvre.

Cela posé, on peut s’étonner de la contradiction qu’il y a à reconnaître le caractère primordial - et non accessoire ou ornemental - de la tierce rime dans la construction du poème dantesque et dans le même temps refuser de la prendre. en compte dans la traduction comme si, passant dans une autre langue, elle perdait tout à coup la valeur que Dante lui a conférée et dont chacun est bien conscient.

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Les arguments des détracteurs d’une traduction rimée de Dante

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Les critiques qui concernent l’emploi de.la rime touchent au fait qu’il serait rétrograde, obsolète, obligerait le traducteur à des contorsions nuisibles à la fidélité qu’il doit au texte ou encore imposerait au poème un ton répétitif, lassant ; d’autres s’appuient sur l’hypothèse que la langue française serait impuissante à rendre la musicalité de l’italien, l’accentuation et la prosodie des deux langues étant différentes. Autant d’arguments qui tombent un à un lorsqu’on se met .à l’épreuve du texte original avec le souci d’être au plus près de ce qu’il donne à entendre, c’est-à-dire du souffle poétique qui s’en dégage, et de tenter de s’accorder à lui, j’entends par là : à sa profonde modernité.

Fort heureusement, d’autres voix apparaissent, à notre époque, venues de traducteurs dont la réflexion et l’expérience à la fois de l’écriture poétique et du traduire s’exercent dans des domaines. voisins de celui qui nous occupe : celle de Jacques Ancet, par exemple, qui a proposé voici plusieurs années "une véritable traduction moderne de Jean de la Croix, c’est-à-dire qui l’écoute, l’entende et qui donc le restitue dans sa dimension foncièrement poétique !", Et il souligne l’erreur qui consiste, pour certains, à prétendre être plus fidèles au texte en s’attachant à le reproduire à la lettre alors que c’est par cette courte vue, en réalité, qu’ils s’en éloignent, la traduction ne devant pas être un "transport" mais un "rapport" de l’une à l’autre langue, soit "l’interpénétration des deux langues réalisée de telle sorte que la langue d’accueil fasse entendre quelque chose de la langue d’origine. Traduire, ce n’est pas faire passer, comme on le répète trop souvent, c’est "faire se rencontrer".

C’est dans cet esprit et à la suite de la traduction et de l’ édition critique que j’ai données des Rime de Guido Cavalcanti que j’ai entrepris une traduction de la Commedia, nouvelle dans sa forme donc son sens, comme j’ai pu le faire pour l’ œuvre du "premier ami" de Dante : il m’est apparu essentiel de montrer que non seulement l’entreprise, si elle est difficile, n’est pas impossible, mais qu’elle permet au contraire d’aller plus avant dans la redécouverte de ce chef-d’œuvre universel, qu’elle offre au traducteur un champ immense d’exploration de sa propre langue sans que cela se fasse au détriment du texte original puisqu’elle puise au cœur même de la création dantesque les éléments caractéristiques de son écriture afin de les transposer en français tout en respectant les spécificités des deux langues.

La traduction, un art de la perte

J’ai voulu par là donner à entendre quelque chose de l’autre langue. à l’ombre de laquelle se situe tout traducteur qui, "pour pouvoir reconstruire, dans sa propre langue, les sens et les sons, formes et rythmes qui étaient propres à l’autre langue, cherche des équivalences et des correspondances qui soient en mesure de remplacer dignement ce qui a été perdu [4]". Car on ne peut nier que l’acte de traduire soit un art de la perte et ’induise une prise de risque que tout .traducteur affronte avec inquiétude, conscient qu’il est du fait que la musique de chaque langue est unique et intransmissible selon ses propres canons. Dante lui-même y insiste ; "Et par conséquent que chacun sache qu’aucun objet dont l’harmonie repose surl’entrelacs musaïque ne se peut transrnuer de sa langue. en une autre sans rompre toute sa douceur et son harmonie.

Mais penser qu’il condamne, par ces lignes, toute entreprise de traduction serait erroné, si affûtée est sa réflexion sur les langues, si vive et profonde la connaissance qu’il en a. En réalité, il ne s’agit nullement, pour le traducteur d’un texte poétique, de produire un décalque du poème original qui rendrait celui-ci exsangue, mais de saisir à la fois dans la texture dont il est fait et dans sa langue propre la matière d’un entrelacs [5] créateur .d’une nouvelle harmonie qui ne sera ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre ; une perte, oui, mais avec une compensation et c’est à ce prix que l’ œuvre originale peut vivre à d’autres langues et défier le temps : "Il s’agit manifestement, en traduction, note Jean-Charles Vegliante, d’une fidélité dans le changement, voire la métamorphose, et sans doute d’une fidélité telle parce que transformée, sans paradoxe [6]

Sur l’hendécasyllabe et plus

.Comnpte tenu de la grande variété-rythmique de l’endecasillabo qui n’a. pas son équivalent en français, et du caractère vif, concis du vers dantesque, j’ai choisi une alternance souple de décasyllabes et d’hendécasyllabes en jouant sur l’entrelacs du pair et de l’impair et surtout .sur l’utilisation due qui peut être muet ou sonore à l’intérieur du vers, en fonction de sa liaison avec le mot qui suit. Ce dispositif se substitue à l’élision ou à la diérèse largement utlisées par Dante,. En voici un exemple pris dans la première terzina du chant I :

Nel mezzo del cammin di nostra vita
mi
ritrouai per una selva oscura,
cbé. la diritta via era smarrita.

Il faut remarquer que, pour obtenir. onze syllabes, dans · le premier vers le mot cammino est contracté graphiquement en cammin, dans le deuxième le a est oralement lié au o entre selua et oscura, ainsi que dans le troisième le a au e entre via et era.

Étant â mi-chemin de notre vie,
je me trouvai dans une forêt obscure,
la route droite ayant été gauchie.

Le rythme des décasyllabes français est : 2 4 4 /4 4.2 / 4 4 2, si l’on élide le e devant "forêt", et en faisant naturellement la Iiaison devant "ayant",

Pour ce qui est de la diérèse, on en trouve une dès le début de la septième terzina : "La peur alors me devint plus qui/ète."

Quant au système rimique, il est construit avec la rigueur et les libertés telles que préconisées par Dante et les stilnovistes, comme on l’a vu, ces dernières étant guidées par le discernement. (discretio), que Dante considère comme l’activité la plus noble de la raison : "De.la part du poète, la discretio présuppose une sorte d’ouïe spirituelle attentive à ce qui vient du logos lui-même ;··Il ne s’agit donc pas d’analyser rationnellement les éléments poétiques d’une matière linguistique, ou pas seulement, mais de les sentir". J’ai donc de temps en temps employé une rime unique sur deux ou trois terzine comme l’a fait Dante lui-même à plusieurs reprises, afin de produire un effet d’insistance en accord avec le climat du passage ; j’ai, par .ailleurs, toujours privilégié l’oralité, comme par exemple dans le chant VI où l’on trouve ces trois assonances que le classicisme français n’aurait certes pas acceptées en tant que rimes : "sac", "Ciacco", "cloaque" (v. 50-54).

[…] Quant aux tournures qui scandent le texte comme un leitmotiv, du type : "et lui à moi", "et moi à lui", je les ai respectées du-mieux possible car elles s’inscrivent dans l’écriture dantesque ; cependant elles font office, aussi, par moments, de "chevilles" auxquelles Dante a recours sur le plan métrique ; , et lorsqu’ elles devenaient pour ma propre métrique une gêne, je les ai raccourcies en : "et moi", "alors lui", ou modifiées de la même façon qu’il le fait selon les cas. En ce qui concerne l’inversion du sujet extrêmement fréquente en italien, je l’ai respectée le plus souvent possible comme étant précisément l’une des caractéristiques de la langue. Enfin, j’ai conservé abso¬lument les changements de temps impromptus qui marquent chez Dante la concomitance entre le passé relaté et le présent de narration, ou un présent intemporel qu’il utilise alternativement en tant qu’auteur du poème ou acteur des événements. Pour ce qui concerne les noms propres, je les ai traduits dans la grande majorité des cas ; comme, notamment, dans le passage du plus haut comique qui, au chant XXI, met en scène le peuple des démons, et partout où le jeu des rimes le rendait nécessaire. Ailleurs, au contraire, j’ai conservé le nom italien des personnages.

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Un appareil de notes

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Penser que Ia Divine Comédie est une. œuvre dont on peut jouir à la simple lecture est un leurre. Du reste, Dante et ses amis stilnovistes - à l’instar des troubadours adeptes du trobarclus - voulaient que le sens de leurs. œuvres ne soit pas immédiatement dévoilé, nécessite une attention soutenue et un effort de réflexion permettant d’y accéder ; c’est ce que signifie le verbe entrebescar qui y est lié : emmêler, embrouiller, .entremêler. La difficulté est encore plus grande pour les lecteurs d’aujourd’hui, même italiens, et c’est la raison pour laquelle j’ai ajouté --- en fin de volume, afin de ne pas gêner une lecture cursive - un appareil de notes consultable selon les nécessités ou désirs de chacun.

Il ne faudrait pas penser pour autant que la Commedia ne s’adressait qu’à une élite de gens cultivés ; en effet, très vite le poème s’est transmis de bouche à oreille, par fragments, à toutes les couches sociales, tous les milieux, les uns retenant ce qui avait trait à la navigation, les autres à l’agriculture, d’autres encore à l’observation du ciel, au vol des oiseaux, etc. Et une anecdote a circulé, racontant que Dante, marchant un jour sur un chemin, entendit un ânier réciter, presque psalmodier, des passages de son poème au rythme de sa déambulation ; lorsque son âne s’écartait du chemin, l’ânier criait : "Arri  ! Arri  !" puis reprenait son chant. Dante, alors, lui aurait lancé malicieusement en passant : "Cela, ce n’est pas moi qui l’ai écrit [7]."

Que l’histoire soit vraie ou fausse, elle traduit de toute façon l’immense popularité de l’œuvre, et l’on comprend pourquoi celle-ci imprègne depuis lors, avec autant de force, non seulement la langue mais toute la culture italiennes. Ainsi que le note très justement Paul Renucci : "La Comédie est <à la fois le plus ouvert et le plus secret des livres. Rien de plus clair que sa narration, rien de plus instantané que son premier effet poétique. Ce n’est pas sans raison qu’elle fut si populaire, au sens propre du mot, en Toscane sinon ailleurs. Mais il faut accepter l’idée que, sujette au régime de la pluralité des sens, ce qu’elle recèle sous sa prodigieuse façade n’a pas moins de valeur que ce qui éclate aux yeux. De cette idée ne dépend pas seulement l’harmonieuse complexité de son ordre, mais la profondeur de sa poésie [8]

La traduction, comme l’écriture, est une alchimie dont Antonio Prete, poète et auteur d’une impressionnante traduction des Fleurs du mal en vers rimés [9], écrit : "Il y a, dans cette alchimie, quelque chose qui s’apparente à l’expérience amoureuse, ou du moins à sa tension : comment pouvoir dire l’autre de façon que mon accent ne le déforme pas, ne le masque ni ne le censure et, d’autre part, comment me laisser dire par l’autre de façon que sa voix n’évacue pas la mienne, que son timbre n’altère pas le mien, que sa singularité ne rende pas opaque ma singularité [10] " De même que l’expérience à laquelle nous convie Dante a pour but l’amour " che move il sole e l’altre stelle". Béatrice étant, entre autres, la métaphore de la parole poétique – celle qui consiste à traduire son œuvre ne peut être à son tour que joy d’amor.

DANIELE ROBERT

Enfer


Dante par Miquel Barceló
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Je parlerai des choses que j’ai vues. (I,9)
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C’est une expérience intérieure que Dante nous invite à partager, sous la forme d’un voyage long et "tourmenteux", empli de risques, d’angoisses de découvertes effrayantes, analogue à celle qu’il a effectuée sur lui-même et qu’il relate à partir d’une vision que l’on a qualifiée soit de visio per somnum soit de rêve éveillé ; une construction mentale, en tout cas, d’une puissance poétique hors du commun où l’imaginaire et le réalisme sont étroitenent mêlés et où l’exploration de toutes les ressources du langage a pour but de permettre à chacun d’atteindre sa vérité profonde. Et pour cela pour retrouver la pureté de l’innocence première il est nécessaire de plonger au cœur de tout ce qui la nie ou l’a niée, de tout ce qui nous a fait dévier de la diritta via, la "route droite" que nous n’aurions pas dû quitter. D’où l’importance capitale de la première strophe de la cantica, qui oppose les deux adjectifs, diritta et smartita :

Nel maza del cammin di nostra vita,
mi ritrovai per una selva oscura
chi la diritta via era smartita.

Étant à mi-chemin de notre vie,
je me trouvai dans une forêt obscure,
la route droite ayant été gauchie.

Cette opposition est le point de départ et le fil conducteur de toute l’œuvre car elle sera reprise de chant en chant avec quelques nuances, rappelant constamment le caractère inconciliable de ce qui est droit, pur, bon, vrai, juste avec ce qui est gauche, impur, mauvais, faux, injuste ; mais dans la conscience, aussi, du fait que l’on peut à tout moment dévier du premier état vers le second à cause de la faiblesse inhérente à la nature humaine. Et c’est bien ainsi que Dante se présente à nous, non pas en héros, non pas en champion d’une cause à défendre ou à faire triompher, mais en simple mortel habité par le doute et la peur, alourdi par les chaînes dont il s’est lui-même chargé. L’image du chemin qui ouvre le premier chant - prélude aux trente-trois autres de cette cantica - est la métaphore fondamentale de tout le poème scandé par le retour de la rime, elle-même accordée aux pas de Dante, d’abord seul et hésitant puis plus assuré pour suivre Virgile : "Alors il s’avança et moi derrière." Virgile, qui incarne la parole poétique ainsi l’aider à opérer une descente dans l’enfer du mal, au plus profond du gouffre, condition nécessaire pour accéder enfin à l’espoir d’opérer sur soi le changement complet qui lui ouvrira à nouveau les portes du vrai et lui permettra d’accomplir la mission d’en témoigner devant les autres hommes.

Le monde dans lequel les deux protagonistes s’enfoncent et que Dante nous fait découvrir est le règne de l’obscurité ("le lieu où le Soleil se tait") et de l’absence de couleurs, où les âmes des damnés vont et viennent le long des différents cercles sans but apparent et où aucun son ne résonne sinon les cris de douleur ou de révolte, gémissements et invectives mêlés ; monde aveugle de ceux qui ont commis l’irréparable car ils ne se sont pas repentis, d’où le désespoir qui les écrase et la certitude de vivre pour l’éternité dans ce lieu d’expiation forcée voulu par Dieu non à cause du péché originel mais conçu par lui dès avant la création, comme instrument de la justice. Les personnages de l’Enfer sont ainsi soit des damnés, soit des auxiliaires de la justice divine, souvent les deux à la fois ; les contemporains de Dante y côtoient des personnages tant historiques que mythologiques : c’est Charon, par exemple, qui fait passer le Styx aux âmes damnées ; c’est Minos qui exécute les sentences, et ce juge des enfers, que la mythologie gréco-latine nous a présenté comme un personnage grave, pondéré dans sa sévérité, une image de sagesse, est ici complètement transformé par l’imagination dantesque en une sorte de bête vulgaire et pleine de hargne. Qµant aux personnages historiques ou contemporains de Dante, Ils constituent une vaste fresque qui inscrit l’œuvre dans son époque - ô combien troublée - et, en même temps, dans l’intemporalité. Car les individus qui émergent de la foule des damnés sont choisis par lui et mis en exergue comme ayant valeur d’exemple pour le lecteur, représentant chacun des vices de l’âme humaine et les péchés qu’ils entraînent.

Il faut noter le double rôle que Dante joue dans le poème : acteur du voyage initiatique entrepris avec Virgile, il découvre en spectateur les situations qui s’offrent à ses yeux, compatit à la douleur des uns - dont il partage l’humanité, tels Paolo et Francesca -, reste insensible à celle des autres, parfois même s’en réjouit et laisse éclater sa colère, comme avec Filippo Argenti. En tant qu’auteur du poème, il est le maître d’œuvre :c’est lui qui décide de la présence des personnages en enfer, lui qui imagine leur châtiment ; c’est lui qui en décide de faire de Francesca, Ulysse, Brunetto Latini, Frédéric II des exempla. Peut-on dire que, faisant cela, il se substitue à Dieu ? En tout cas, il est convaincu d’être investi d’une mission sacrée par le pouvoir du verbe qui lui a été accordé, d’où le sentiment d’avoir à expier lui-même le péché d’orgueil dont il se sait coupable. Cette conviction s’accompagne de sa difficulté, voire de son impuissance à mettre en vers ce qu’il a vu, la réalité de faits dépassant de loin ce que le langage est capable, de dire : "Même en prose, qui donc pourrait jamais / parler exactement des plaies et du sang / que je vis alors, à cent fois le narrer ?" Il y a là une conception très moderne de la fragilité du langage, face à la nécessité de nommer l’innommable, que l’on retrouvera tout au long des deux autres cantiche. Cet autre aspect de l’intervention de l’auteur à l’intérieur de ce dont il dit avoir été acteur est un ressort très puissant pour plonger le lecteur dans l’expérience inouïe à laquelle il est convié.

Certes, Dante a conscience de toucher le lecteur sur le plan émotionnel en décrivant des scènes épouvantables mais il ne s’en tient pas là et établit avec lui un dialogue fictif, imaginant et devançant ses réactions de doute ou d’incrédulité : "Lecteur, à toi de juger "tu vas connaître un tour plus fort", ce qui relance le récit, marque une pause ou crée le suspense.
Cela donne au poème une vigueur et une respiration qui nous placent au cœur même de l’action, dans l’intimité du poète, et nous embarquent ans son aventure personnelle.

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Quatrième de couverture de l’Enfer illustré par Miquel Barcelo

Chant I

La forêt obscure : proœmium.
Nuit de pleine lune et lever du Soleil.

La première strophe :

Nel mezzo del cammin di nostra vita
ni ritrovai per una selva oscura
ché la diritta via era smarrita

Traduction littérale :

Au milieu du voyage de notre vie
Je me suis retrouvé dans une forêt sombre
Car le droit chemin était perdu

Traduction de Danièle Robert

Étant à mi-chemin de notre vie,
Je me trouvai dans une forêt obscure,
la route droite ayant été gauchie.

C’est ainsi que D. Robert reconstitue en français, une métrique et une prosodie, ce qui apparaît plus nettement quand on restitue les premiers tercets au-delà du premier, avec leurs rimes entrelacées. On pourra aussi y voir un exemple de trois premières notes relatives au texte.

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Voici une panthère au pelage moucheté

I-31 Voici, presque au début de la montée,
une panthère fine et preste à la fois,
couverte d’un pelage moucheté :

sans s’écarter elle était face à moi
et même me bouchait tant le chemin
que je fis volte-face plusieurs fois.

C’était alors le début du matin,
le Soleil avec les étoiles montait
qui l’accompagnaient quand l’amour divin

mit en mouvement toutes ces beautés,
tant qu’à bien augurer me donnaient raison
de cette bête au pelage jaspé

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Je vis apparaître un lion

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I-43 l’heure du jour et la douce saison,
mais sans que la frayeur me fût ôtée
lorsque je vis apparaître un lion.

Il me semblait que vers moi il venait,
la tête haute, affamé et rageur
au point que l’ air paraissait en trembler ;

et une louve qui, dans sa maigreur
semblait chargée de tous les appétits
dont tant de gens ont vécu les malheurs.

Je fus si entravé par celle-ci
et par la peur issue de son aspect
que tout espoir des hauteurs je perdis

Et tel celui qui acquiert volontiers
et quand le temps de perdre est arrivé
pleure, profondément désespéré,

tel me rendit cette bête excitée
qui, s avançant peu a peu contre moi,
me renvoyait où le soleil se tait.

Chant V


DEUXIÈME CERCLE ; LES LUXURIEUX

et les victimes de la passion amoureuse : Paolo et Francesca

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Le souffle infernal qui jamais ne s’arrête


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V-31. Le souffle infernal, qui jamais ne s’arrête,
avec violence emporte les esprits ;
tournoyant et frappant il les maltraite.

*

Des ombres


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V-46. Et comme les grues passent chantant leur lai [11],
formant dans le ciel une longue série,
ainsi je vis venir, tout éplorées,

des ombres entraînées par cette furie ;
et donc je dis : “Maître, mais qui sont-elles,
ces ombres que le vent noir ainsi châtie ?”

Il répondit : “La première d’entre elles
dont tu voudrais connaître le récit
fut une impératrice universelle [12],

du vice de luxure si pétrie
que le désir licite elle rendit
pour échapper au blâme qu’on lui fit [13]

*

Paolo et Francesca


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VOIR ICI : l’intégrale du Chant V avec ses commentaires

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Paolo et Francesca

Avant Roméo et Juliette, Paolo et Francesca ont incarné les amoureux tragiques de la littérature. Nous pouvons les retrouver notamment dans le chant V de la Divine Comédie. Les deux personnages y incarnent des âmes condamnées à la peine de l’enfer dantesque. Ayant commis le péché de chair, ils rencontrent Virgile et Dante dans le deuxième cercle de l’enfer.

Toutefois, si les deux amants ont une place importante dans le chant V de l’oeuvre de Dante Alighieri, les spécialistes ne savent toujours pas si l’aventure évoquée dans la Divine Comédie a réellement eu lieu.

Notons cependant que Paolo et Francesca sont aussi évoqués dans d’autres oeuvres comme la sculpture Paolo et Francesca d’Auguste Rodin, la série de tableaux Paolo et Francesca de Jean-Auguste-Dominique Ingres ou encore le film américain de James Stuart Blackton, Francesca da Rimini, sorti en 1908.

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D’autres dessins. Quelques exemples


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Les géants Neuvième cercle autour du puits de l’enfer (chant XXXI)
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le livre sur amazon.fr

Ces quelques exemples - très parcellaires - juste pour rappeler que les aquarelles de Miquel Barceló sont au cœur de cette édition mais ils s’apprécieront mieux, et en totalité, dans l’édition illustrée que sur un écran d’ordinateur.

Toutefois, dans l’édition illustrée, le texte n’y est qu’en appui des dessins. Mais si vous vous intéressez également au texte, et à son appareil de notes, nous vous invitons à découvrir les aquarelles de Miquel Barceló avec en parallèle l’édition textuelle d’Actes Sud. Outre que les notes y seront plus lisibles, le texte bilingue vous permettra de mieux apprécier les considérations de traduction évoquées dans la préface.

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VOIR AUSSI :

Dans la forêt divine de Dante Alighieri

Dante de nouveau : Enfer traduit par Danièle Robert

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Chronologie

1265 .- Naissance de, Dante à Florence, entre mai et juin, sous le signe des Gémeaux, dans une famille de petite noblesse, appartenant au parti guelfe. Études solides.

1270-1273. -Mort de sa mère et remariage de son père :

1274. - Première rencontrede Bice Portinari (Béatrice).Tous deux ont neuf ans.

1277. - Promesse de mariage avec Gemma di Manetto Donati. Il sera conclu en 1285, et en naîtront quatre enfants : Giovanni, Pietro, Jacopo et Antonia ..

1281. -Mort de son père, dont il hérite. Entre dans la viepubli. que.

1283. - Entrée dans le cercle des Fidèles l’Amour, grâce à Guido Cavalcanti qu’il nommera son primo amico. Seconde rencontre de Béatrice, qui épousera Simone de’ Bardi par la suite. Dante écrit les premières rimes de la ½ta Nova.

1287. =Séjour à Bologne.

1289. - Prend part à la bataille de Campaldino, puis au siège de Caprona .

1290. - Mort de Béatrice le 8 juin. Grave crise qui conduit Dante à fréquenter l’école des franciscains de Santa Croce et celle des dominicains de Santa Maria Novella.

1294-1296. - Darite rédige la VitaNova ; entre dans la corporation des médecins et apothicaires, puis au Conseil du capitaine du peuple, au Conseil des sages et au Conseil des Cent.

1300. - Ambassade à San Gimignano. Décision est prise, pour sauvegarder la paix, de bannir les chefs des deux factions, guelfes et gibelins. Mort de Cavalcanti à Florence le 29 août, des suites de la malaria contractée en exil.

1301. - Ambassade de Dante à Rome, où le pape Boniface VIII le retient. Il ne reverra plus Florence.

1302-1303. - Dante s’enfuit de Rome ; il est condamné par contumace à une amende et à deux ans de résidence surveillée puis au bûcher car il ne s’est pas présenté devant le tribunal. Exil à Forli puis à Vérone auprès de Cangrande della Scala.

1303-1304. - Dante compose le De vulgari eloquentia. En 1304, il rentre en Toscane, probablement à Arezzo. Puis repart on ne sait exactement où mais peut-être en Vénétie, comme en témoignent plusieurs références dans l’Enfer.

1304-1307 - Rédige le Convivio (inachevé, comme le précédent ouvrage), un autre ensemble de Rime et enfin l’ Enfer, qu’il achèvera en 1309, durant un séjour à Lucques.

1309-1310. - Hypothétique séjour à Paris, attesté par certains anciens seulement. Les références à Arles, au Rhône (dans l’Enfer, au chant IX), donnent à penser qu’il a effectué un voyage en France.

1310-1313. - De retour dans le Casentin, compose et achève le Purgatoire.

1313-1318 - Écrit la Monarchia. En 1315 ; une amnistie est offerte à tous les exilés de Florence, Dante la refuse. Lui et.ses fils sont condamnés à mort et à la confiscation de tous leurs biens. Dès 1315, l’Enfer et le Purgatoire commencent à circuler. Début de la rédaction du Paradis.

1318-1321. - Vit à Ravenne chez Guido Novella da Polenta, où le rejoignent ses fils Pietro et jacopo. Sa fille Antonia entre dans les ordres. Dante achève le Paradis.

1321. —Après un rapide voyage à Venise, il tombe malade et meurt à Ravenne le 13 ou le 14septembre. Guido Novella organise des funérailles solennelles et il est enterré dans la basilique San Francesco.


[1D’après, Rafaele Pinto, Courrier international 01/10/2003

[2Préface, Danièle Robert

[3Bruno Pinchard, "Pour Dante", art. cité, p. 14,

[4Antonio Prete, À l’ombre de l’autre langue. Pour un art de la traduction, traduit de l’italien par Danièle Robert, Cadenet, les éditions chemin de ronde, coll .. "Stilnovo", 2013

[5Mot. que, dans ce contexte, je préfère à "Iien" pour rendre <legame.

[6Charles Vegliante, "Traduire la forme", CIRCE/LECEMO, Paris Ill-Sorbonne Nouvelle, http://circe.univ-paris3.fr/ED 122-Traduire%20la%20forme.pdf.

[7Vittorio Gassman, op. cit., p. 25.

[8Paul Renucci, Dante, Paris, Hatier, coll. "Connaissance des lettres",n°51, 1958,p.136.

[9Charles Baudelaire, 1.fiori del male [Les Fleurs du mal, 1861], traduzione dal francese e cura di Antonio Prete, Milano, Feltrlnelli, 2003.

[10Antonio Prete, <op. cit.,

[11Le lai désigne au Moyen Âge, et plus particulièrement· au XIIe siècle, une composition musicale et poétique largement pratiquée par les troubadours, à la fois narrative et d’inspiration amoureuse. On sait que Marie de France s’y est particulièrement illustrée.

[12Par di molte favelle, il faut entendre “de nombreuses langues”, soit de nombreux peuples. Les Assyriens avaient en effet tenté de bâtir un véritable empire “universel” en Asie Mineure.

[13Séminaris était soupçonnée d’avoir des relations incestueuses avec son fils

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2 Messages

  • Viktor Kirtov | 5 octobre 2023 - 17:03 1

    Dante Alighieri (Auteur), Miquel Barceló (Illustrations) Danièle Robert (Traduction)

    Après L’Enfer de Dante illustré par Miquel Barcelo et publié par Actes Sud, en novembre 2021, (VOIR ICI), voici Le Purgatoire, publié ce 4 octobre 2023.


    A l’occasion des 700 ans de Dante et de la nouvelle traduction de la Divine Comédie par Daniele Robert, une nouvelle édition de ce texte emblématique avec les dessins de Miquel Barcelo est publiée. Cette édition en trois volumes reprend la structure du texte de Dante Alighieri.
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    Grand format : ‎ 24.4 x 2 x 32.8 cm


  • Viktor Kirtov | 14 décembre 2021 - 14:57 2

    Une exposition aux Ecuries du Quirinal rend hommage au chef-d’œuvre du poète italien, dont on commémore les 700 ans de la disparition.

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    Par Jérôme Gautheret (Rome, correspondant)
    Publié le 14/12/2021

    LETTRE DE ROME

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    La Carte de l’Enfer » (1480 - 1490) de Sandro Botticelli, à voir à l’occasion de l’exposition « Inferno », à Rome ,jusqu’au 9 janvier2022.
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    (« Au milieu du chemin de notre vie/Je me retrouvai par une forêt obscure/Car la route droite était perdue »). Ces quelques lignes ne diront certainement rien à un lecteur français. En revanche, toute personne ayant fait une partie de sa scolarité de l’autre côté des Alpes aura instantanément reconnu les premiers mots de la Divine Comédie,de Dante Alighieri, qui continuent à être un passage obligé dans les écoles italiennes. Et beaucoup seront capables, même à des dizaines d’années de distance, d’en réciter plusieurs passages par cœur.

    Aussi la célébration du 700e anniversaire de la disparition de Dante a-t-elle pris toute l’année des allures de commémoration nationale en Italie. Né à Florence en1265 et mort à Ravenne en1321, après près de vingt années d’exil, le poète considéré comme le « père » de la langue italienne n’a passé que peu de temps à Rome au cours de sa vie. C’est pourtant là que s’est tenu le point d’orgue de cette année de festivités, par le biais d’une magistrale exposition consacrée aux images de l’Enfer, dont l’auteur de la Divine Comédie est le pivot ainsi que le personnage central.

    Lire aussi Enfer, purgatoire, paradis : comment Dante et sa « Divine Comédie » ont modelé l’imaginaire de l’Occident
    archive (pdf)

    Un an après la rétrospective consacrée au peintre Raphaël pour les 500ans de sa disparition, c’était donc à un autre monument national italien d’avoir les honneurs des Ecuries du Quirinal – l’exposition est visible jusqu’au 9 janvier2022. Mais, cette fois, l’hommage est rendu de manière indirecte, et ce qui est donné à admirer est la trace profonde que la Divine Comédie a laissée dans l’imaginaire collectif, à travers 235 œuvres issues de 87 musées, institutions publiques ou collections particulières.

    Pensé et construit par un couple franco-italien (l’historien de l’art et académicien Jean Clair et la neurologue et historienne des sciences Laura Bossi), l’exposition « Inferno » ne s’arrête pas à l’évocation de l’œuvre du génie florentin. Elle la resitue dans le temps pour lui rendre sa force novatrice, puis explore sa postérité tout en l’inscrivant comme un jalon décisif dans l’histoire des mentalités.

    Dans la tradition judéo-chrétienne, tout commence par des anges déchus, bannis des cieux et précipités dans les profondeurs pour avoir voulu égaler Dieu. Et c’est la vision de cette chute originelle qui marque l’entrée dans l’exposition, à travers deux œuvres saisissantes de vivacité, une peinture d’Andrea Commodi (1560-1638), et un marbre du XVIIIe siècle aujourd’hui attribué à Francesco Bertos. Face à elles, un monumental modèle en plâtre des années 1880 de La Porte de l’Enfer, d’Auguste Rodin (plus de 6 mètres de haut), marque le début symbolique du parcours.

    Lire aussi Une « Divine Comédie » pour le XXIe sièc le

    Dans l’esprit de Dante, l’Enfer n’est pas le chaos, c’est même au contraire un espace très ordonné. Ainsi les trente-trois chants (plus un chant préliminaire) qui constituent cette première partie de la Divine Comédie. Dans le récit, l’auteur chemine au côté du poète Virgile et parcourt un monde régi par la géométrie, formé de neuf cercles concentriques, descendant en spirale vers le centre de la Terre, où Lucifer est emprisonné, immergé jusqu’au buste dans un lac gelé. Aussi ce monde a-t-il été très tôt cartographié, notamment par l’immense Sandro Botticelli : le dessin de la carte de l’Enfer qu’il avait réalisé étant trop fragile pour être exposé plus de quelques jours, celui-ci est bien vite retourné dans les collections du Vatican, qui semblent les mieux pourvues de toutes en matière d’images de l’Enfer.

    Cohortes de malheureux

    Les représentations du poète, toujours vêtu d’un manteau rouge et coiffé de lauriers, ne manquent pas. Mais plus qu’elles, ce sont surtout les images de damnés qui frappent. Au long de son périple, Dante entre en contact avec des cohortes de malheureux, célèbres ou anonymes, qui éprouvent les pires tortures physiques et morales. Certaines de ces scènes ont été des sources d’inspiration particulièrement fécondes pour la peinture, comme Paolo et Francesca, ce couple adultérin tué par un mari jaloux que Dante rencontre dans le cinquième cercle. Ou comme le malheureux comte Ugolino della Gherardesca, enfermé dans une tour où il mourut de faim en1289 (après avoir, selon la légende, dévoré ses propres enfants), à qui l’auteur a réservé le terrible sort des traîtres dans le dernier cercle de l’Enfer.

    Lire aussi (2020) : Dante : toute la poésie de « Paradis »
    archive (pdf)

    Ces images terribles de damnés et de suppliciés montrent bien l’incroyable pouvoir évocateur du monde imaginaire dépeint par Dante, qui perdurera durant des siècles après la mort de l’auteur de laDivine Comédie. Mais, peu à peu, à partir du XIXe siècle et avec la montée du rationalisme des Lumières, la peur du diable et de la damnation recule, même chez les croyants les plus fervents.

    L’Enfer, pourtant, survivra à tout, même à la disparition du diable. Seulement ses représentations quittent les entrailles de la Terre pour se situer désormais à la surface, dans le monde réel. Dans sa deuxième partie, l’exposition change de nature. Désormais, ce sont des Enfers bien tangibles qui sont dépeints, dans des visions horrifiées de la révolution industrielle, de la guerre de masse ou des camps d’extermination nazis. Au XXe siècle, il n’est plus besoin du diable pour faire peur, les images d’actualité suffisent. Et plus que les supplices de l’au-delà, ce sont les tourments intérieurs qui font frissonner.

    Le dernier portrait du parcours n’a plus rien de surnaturel, il est même terriblement humain. Intitulé Le Miroir, la cendre, les excréments, l’alpha et l’oméga sur le front (David Rebreda, 1989), il contient une image bien plus inquiétante que toutes les créatures infernales que l’on vient de visiter : le regard absent d’un dément décharné se regardant dans un miroir.

    Lire aussi « L’Enfer de Botticelli », sur Histoire TV : la renaissance de Dante
    Retrouvez ici toutes les lettres de nos correspondants

    Jérôme Gautheret (Rome, correspondant)

    Crédit : le monde.fr