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« Liberté du derrière » suivi de « The Great Cimino » par Yannick Haenel

"L’Odalisque brune" de Boucher qui a inspiré Haenel

D 24 juin 2021     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Liberté du derrière

J’aime le mot « derrière ». Il est plus joli que « cul » et plus malicieux que « fesses ».

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J’ai bien conscience que le puritanisme ambiant pourrait nous le confisquer. Mais est-ce vraiment un mot offensant ? Je ne crois pas : il n’est pas excluant, il déborde les communautarismes, son universalisme nous rassemble : n’avons-nous pas tous un derrière ?

Eh bien, cher·e·s amateur·trice·s de beaux et voluptueux derrières – et de derrières en tous genres, sachez-le (aussi bien d’hommes que de femmes) –, soyez heureux : il est possible actuellement d’en voir beaucoup, en plein Paris, au musée Cognacq-Jay, un merveilleux petit endroit situé dans le quartier du Marais, rue Elzévir, qui propose une exposition intitulée « L’Empire des sens », sous-titrée « De Boucher à Greuze ».


ZOOM : cliquer l’image
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« Oreiller de chair fraîche » : c’est du Baudelaire. Il écrit ces mots à propos de Rubens, mais ils décrivent très bien l’abondance sensuelle des peintures de François Boucher (1703–1770), qu’on connaît pour ses tableaux de bergers et de bergères se pâmant dans des scènes bucoliques, mais dont l’originalité éclate dès que son oeil libertin se précise.

Des nu·e·s par dizaines, des étreintes, des joies de hanches et des baisers fougueux, « jambes deçà, jambes delà », comme dit Diderot. Les Lumières ne sont pas que politiques : le désir invente sa liberté. Les secrets de l’intimité se révèlent : la vérité des êtres, ce sont les corps en feu.

La vérité des êtres, ce sont les corps en feu

Clou de l’exposition, L’Odalisque brune, de Boucher, emplit tout l’espace, nue, allongée sur le ventre, cuisses écartées, exhibant sur un fond de draperies bleues son merveilleux fessier.

Un aussi ample derrière, bien en cuisses, ne vous offre-t-il pas le monde ? Une odalisque remonte sa chemise de nuit sur ses hanches pour vous. Nous venons de tomber les masques et de nous libérer du couvre-feu : Français, encore un effort pour faire un bond complet hors de la névrose sécuritaire. Cette odalisque nous indique la voie : la joie implique le désir, le bonheur est dans le sexe.

Vous allez me dire qu’il s’agit d’un regard dominateur masculin sur le corps nu des femmes. Mais non, il y a des jeunes filles qui se pâment entre elles, il y a une bergère qui regarde un homme nu sortant d’une rivière. Et puis, dans un petit cabinet « Erotica » tout au bout de l’exposition, où l’on nous dévoile, dans des vitrines clandestines, d’innocentes débauches et des orgies fantaisistes appartenant au collectionneur Mony Vibescu (tout lecteur des Onze Mille Verges, d’Apollinaire, aura reconnu le prince) ; dans ce boudoir où l’on nous fait entendre la truculence de Foutromanie, un poème grivois hilarant, il y a l’humour, qui va plus loin que les genres, ce grand humour qui n’appartient ni aux hommes ni aux femmes, mais au plaisir qui sait rire de lui-même. Tout est bon, heureux et drôle dans l’art du désir partagé. ?

Crédit : Charlie Hebdo, 23 juin 2021


The Great Cimino

Par Yannick Haenel

Je vous recommande un merveilleux documentaire qu’on peut voir en ce moment sur le site d’Arte et jusqu’au 29 juillet : "Michael Cimino, God Bless America", réalisé par Jean-Baptiste Thoret.

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Le film commence en 1979 avec John Wayne remettant un oscar à Michael Cimino pour The Deer Hunter (Voyage au bout de l’enfer). Puis voici d’immenses paysages, les ciels, les montagnes, les lacs et les déserts du Wyoming, de l’Arizona et du Montana, filmés depuis une voiture, à travers un pare-brise devenu, par la grâce du road-movie, écran de cinéma. On entend avec émotion la voix de Michael Cimino enregistrée par Thoret en 2010, lorsqu’il était venu le rencontrer. Cimino lui avait alors proposé de faire avec lui un grand voyage à travers les États-Unis, qui a donné lieu à la publication d’un livre, Michael Cimino. Les voix perdues de l’Amérique (éd. Flammarion, 2013),

et qui m’avait permis d’écrire Tiens ferme ta couronne, le roman dont je rêvais depuis des années autour de la figure mythique de Cimino.

Cimino est mort en 2016. Sa légende ne cesse de croître. Thoret a repris la route, et en revenant sur les lieux, le « fantôme bien vivant » de Cimino lui apparaît partout. Plans superbes de l’Amérique d’aujourd’hui, voix enregistrée de Cimino qui semble venir d’un outre-tombe mélancolique et souriant, extraits de films (Le Canardeur et sa lumière, avec Eastwood, L’Année du dragon et sa violence, avec Mickey Rourke), entretiens avec Quentin Tarantino (enthousiaste) et Oliver Stone (jaloux) : ce documentaire vous comblera.

Thoret retrouve le tunnel du premier plan de The Deer Hunter, lorsque le camion entre à toute blinde à Mingo Junction, dans l’Ohio sidérurgique des hauts-fourneaux. Il retrouve aussi le figurant dont Robert De Niro s’était inspiré pour la façon de se tenir au bar et de commander un verre (la vérité d’un homme se donne ici). Ce sont des instants de cinéma : la nécessité qui les anime rassasie notre amour infini pour le récit.

Pourquoi le cinéma de Cimino nous fait-il (me fait-il) pleurer ? « Ne pas recréer l’Histoire, mais en révéler les outrages », dit-il. C’est exactement ça : l’horreur du Vietnam, le massacre des émigrants dans le comté de Johnson sont filmés comme des épopées mélancoliques. La Porte du paradis, je le dis pour les bienheureux qui ne l’ont pas encore vu, est le plus beau des films :« Le fantôme de Karl Marx sur les terres du Wyoming », dit Thoret.
La blessure qui fait saigner le cœur des hommes leur ouvre à la fois les chemins de l’exil et de l’amour : « Je poursuis une chose qui n’existe pas », dit Cimino. Le capitaine Achab cherche toujours la baleine blanche. C’est le sens de la grande poésie. •

Crédit : Charlie Hebdo

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1 Messages

  • Albert Gauvin | 24 juin 2021 - 17:58 1

    « Les Lumières ne sont pas que politiques : le désir invente sa liberté » écrit Haenel. Voici les Lumières, honnies par les auteurs de Tout est accompli, en partie réhabilitées ! Un lecteur de Pileface ne peut que s’en réjouir (cf. dans le dico : Lumières). Mais n’ayons pas peur des mots, on peut aussi aimer le cul. C’est que fit Sollers en célébrant ceux de Claude Alexandre.
    Quant au Great Cimino (very great !), de peur que vous ne vous perdiez dans un dossier rappelé dans cet article (merci !), vous en découvrirez les différents visages en allant directement ICI.