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Code Sollers

par Philippe Lançon

D 20 mars 2021     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Libération du 20 mars 2021.
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A 84 ans, Sollers prépare son envol, et ses pieds sont ailés. Dans Agent secret, il écrit : « Comme l’éternité a disparu, comme le siècle n’est pas épouvanté par autre chose que par la destruction probable de la vie humaine sur cette planète, je peux recourir à une frivolité absolument irréductible, et qui n’aura absolument pas de fin, même si elle est détruite. » Le livre donne un poids intime à cette frivolité par temps de panique, de vertu et de plomb. On le lit avec d’autant plus de plaisir, et librement, que Sollers n’est plus au cœur de la comédie sociale. Tant mieux, le voilà rendu à la clandestinité : « Voilà ce que c’est que d’être tout le temps en état d’urgence et de se sentir clandestin dans le monde où l’on a été jeté. Non seulement clandestin, parce qu’on est innocent dans un monde coupable, mais parce que tout est mensonger, et on ne sait pas du tout pourquoi on devrait payer ce mensonge social, sexuel, financier. »

Poussin. Les thèmes, les idées, les souvenirs, les situations, les lectures, les peintures, on les a déjà croisés dans ses autres livres sous une forme tantôt critique, tantôt imaginaire, tantôt autobiographique, trois formes qu’il est absurde d’opposer, tant son travail vit de les faire communiquer. Le livre qu’il publie parallèlement à ce texte autobiographique, Légende, est ainsi « plutôt » imaginaire, comme l’étaient Désir, Centre, Beauté, Mouvement. Mais on y lit des réflexions, des analyses, des perspectives, qui font écho à celles d’Agent secret. L’héroïne de Légende s’appelle Daphné : les Amours d’Apollon et de Daphné, le dernier tableau de Poussin, inachevé, sont un chapitre d’Agent secret. Si on aime Sollers, on aime ces échos. Si on ne l’aime pas, l’absence d’échos n’y changerait rien. Ce sont des variations qui circulent comme les phrases musicales de ses compositeurs préférés, Bach, Mozart, Vivaldi : un motif entendu dans une œuvre revient dans l’autre, orchestré un peu différemment. J’ai déjà entendu ça quelque part, se dit-on, et on est content de le retrouver. C’est cela que l’écrivain recherche et que, en particulier dans Agent secret, il obtient : des lecteurs qui ne soient plus que des happy few ; ses vieux compagnons de route et d’oreille ; ses mélomanes ; ses êtres singuliers. « Singularité » est le trésor qui rayonne dans les deux livres, comme un principe de vie et de survie.
Ce qui change dans Agent secret, en particulier par rapport à ses mémoires datant de 2007, Un vrai roman, c’est que si Sollers persévère comme toujours dans l’être Sollers, dans ce plaisir militaire, enfantin et aristocratique d’être soi malgré tout, malgré tous, il ne fait quasiment plus le malin. Agent secret est écrit sur un ton de confidence, presque de confession, comme dicté à un ami, à une amie, ou à un prêtre qui saurait déjà à peu près tout de lui et voudrait, avant la mort, l’écouter une dernière fois. Des photos accompagnent le texte, lui servent d’amers : l’enfant Sollers et sa mère, avec la bonne espagnole qui lui fit découvrir l’amour à 15 ans, Julia Kristeva, Dominique Rolin, Roland Barthes, Lacan, un portrait de Hegel, des tableaux de Manet, le tableau de Poussin. Son fils, David, est aussi là, et les pages qu’il consacre à cet enfant très tôt malade, sont aussi pleines d’amour que de discrétion. « Les adultes sont des enfants ratés », écrit Sollers. Dans Agent secret, l’adulte est un enfant réussi et il regarde son propre fils à hauteur d’homme, c’est-à-dire d’enfance : le berceau se confond, dans la joie ouverte et le chagrin couvert, avec le tombeau. Sur l’île de Ré, où il a hérité de la maison de sa mère, où il a tant vécu et écrit, la tombe de Sollers est préparée. Il a fait sculpter pour elle une phrase de Hegel : « La Rose de la Raison dans la Croix du Présent. »
Sur tout ce qu’il aime et qu’il rassemble ici d’un souffle, sans insister, l’écrivain passe comme un nuage poussé par le vent sur une suite de paysages. Une fois le nuage passé, les paysages éclatent et le promeneur n’a qu’une envie, y entrer et s’y perdre. Paysages de l’Agent secret : quelques Illuminations de Rimbaud, quelques vers de Mallarmé, de Hölderlin, de La Fontaine, une pensée de Heidegger, le massacre des prétendants par Ulysse dans l’Odyssée, Le Rideau déchiré de Hitchcock, et, donc, Apollon amoureux de Daphné, de Poussin. En 1958, Sollers avait 22 ans et François Mauriac écrivait de lui : il « appartient à l’espèce qui n’aspire pas à changer la vie, mais à la dominer : On ne la domine pas sans se dominer soi-même : ce petit chrétien évadé le sait. » Est-il parvenu à dominer la vie en se dominant lui-même ? C’est ce qu’il veut croire, nous faire croire, et c’est en tout cas, soixante-deux ans après,ce qu’il continue d’écrire : « Je suis le titre de tous mes livres. Tel titre, tel fragment de moi. Autrement dit, un écrivain, au sens où j’emploie ce terme, est un corps spécial qui poursuit sa liberté. Par une façon spécifique de vivre du matin au soir, du soir au matin. Une façon de dormir, de se réveiller ; d’avoir des insomnies, de noter ses rêves. L’application dans la vie est constante. On écrit exactement de la façon dont on vit, il n’y a rien à faire. Dans tout livre, on peut découvrir la façon dont vit l’auteur ou plutôt, dans la plupart des cas dont il ne vit pas. Ou il ne vit pas assez ou pas assez suffisamment pour être exceptionnel dans l’art de vivre. C’est un projet déterminé. La poésie, c’est la guerre. » Et il voudrait en être l’agent secret. Il définit souvent l’expression, mais c’est dans Légende qu’elle apparaît le plus clairement, le plus mystérieusement, sous les mots de Sunzi, l’auteur de l’Art de la guerre que Sollers a si souvent cité : «  il existe cinq sortes d’agents : les agents indigènes, les agents intérieurs, les agents retournés, les agents sacrifiés, les agents préservés. Lorsque ces cinq sortes d’espions sont simultanément à l’œuvre, sans éveiller les soupçons, le souverain a tissé un réseau magique, lequel constitue son plus précieux trésor. » Une autre phrase, dans l’Agent secret, unit cet agent, l’écrivain et l’enfant : « L’âge d’or n’est ni le passé ni le futur, il est là, dans la profondeur du bois. »

Injonction. Dans Un vrai roman, Sollers dressait la liste des écrivains qui, selon lui, faisaient déjà l’objet d’une « purification rétroactive », bientôt « radiés de la mémoire pour cause de péché majeur » : « Gide, le pédophile Nobel ; Marx, le massacreur de l’humanité que l’on sait ; Nietzsche, la brute aux moustaches blondes ; Freud, l’anti-Moïse libidinal ; Heidegger ; le génocideur parlant grec ; Céline, le vociférateur abject ; Genet, le pédé ami des terroristes ; Henry Miller, le misogyne sénile ; Georges Bataille, l’extatique pornographique à tendance fasciste... », etc. La liste était longue, et finissait par cette injonction : « Continuez ». Il rêvait qu’on y ajoute son nom. Mais avec quelle qualification ? Il est encore trop vif, plus vif que jamais, pour qu’on puisse imaginer celle qui le radierait d’une époque sinistre, qu’il survole d’un pas léger, entre mémoire et oubli, comme un héros joyeux, comme un enfant triste, comme un oiseau.

Philippe Lançon, Libération du 20 mars.

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Code Sollers et code Mozart.
Cf. Légende et Agent secret.

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