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Légende : Elsa Dreisig dans Cosi fan tutte de Mozart

D 17 mars 2021     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Cosi fan tutte ou L’École des amants est l’un de ses opéras préférés. Dès 1984, Sollers participe à une émission radiophonique sur Cosi (cf. Ainsi font-elles toutes. Autour de « Cosi fan tutte » de Mozart). Dans Mystérieux Mozart, il lui consacre de nombreuses pages (2001, folio 3845, p. 262-279). On connaît aussi l’admiration de Sollers pour les musiciennes et certaines cantatrices. Deux noms reviennent souvent sous sa plume : Cecilia Bartoli, bien sûr, mais aussi Elisabeth Schwarzkopf (1915-2006), l’inoubliable Fiordiligi des années 1950-1960. De Cosi, il est à nouveau question dans son dernier roman Légende. J’en ai déjà parlé dans ma première approche du roman (cf. Philippe Sollers, Légende et Agent secret). Dans un des derniers chapitres apparaît une nouvelle musicienne : la jeune soprano Elsa Dreisig. Elle interprétait le rôle de Fiordiligi dans une version épurée sur le plan scénique de « Cosi fan tutte » (covid oblige) que vous avez pu voir sur arte le 2 août 2020.

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Légende

Tout récemment, j’ouvre la télévision, dans mon île, et je tombe sur mon opéra préféré de Mozart, Cosi fan tutte, joué à Salzbourg. Stupeur : l’une des chanteuses, blonde et pulpeuse, est la sosie de Daphné. C’est une soprano veloutée et puissante de 31 ans, elle incarne la plus résistante des deux sœurs, Fiordiligi. Elle est franco-danoise, et elle a choisi le nom de sa mère, elle s’appelle donc Elsa Dreisig. La mise en scène de cet opéra virtuose évite, par sa sobriété et ses costumes jeunes d’aujourd’hui, les boursouflures sinistres de l’art moderne. L’Orchestre philharmonique de Vienne est dirigé fermement par une femme allemande, Joana Mallwitz. Le résultat, très animé, est vif et précis. En plus de sa beauté, et de la qualité supérieurement émouvante de sa voix, Fiordiligi, en courant souvent d’un bout à l’autre du plateau, ou en se déguisant, pour un temps, en homme, est très sympathique. Elle souffre d’aimer, elle souffre de trahir son amour, et on sent qu’elle en rit, comme elles le font toutes.

Mozart, en 1790, vit en plein drame financier. Qu’importe, il s’amuse beaucoup en écrivant Cosi, il se joue de toutes les difficultés techniques, comme faire chanter six voix différentes en même temps, lesquelles disent d’ailleurs des choses contradictoires. C’est un féministe convaincu, qui veut émanciper les femmes de l’hypocrisie et du puritanisme de l’ancien monde, en montrant que la vie sentimentale et sexuelle est une illusion, et le mariage une comédie, pas forcément nécessaire. Elsa Dreisig a aussi chanté le rôle de Pamina, dans La Flûte enchantée, elle est née pour Mozart, la transmission a donc lieu à travers les siècles. En pleine épidémie mondiale d’un virus inconnu, en attendant une catastrophe économique, l’Esprit souffle son ironie dans le concert des voix.

La position philosophique de Mozart est claire : il croit, en dépit de toutes les illusions et de tous les déchirements, à une réconciliation générale. L’être humain, homme ou femme, qui prend les choses du bon côté et avec raison, trouvera forcément un « beau calme ». Le dernier mot italien de l’opéra est trovera. Il tombe à pic pour ce livre. Le présent est trop prisonnier du passé, surtout pour les femmes, la révolution reste à retrouver. On s’est trompés, on se pardonne, on accepte les désaccords, on boit à l’harmonisation des différences, c’est-à-dire à une toute nouvelle Raison.

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À une raison

Dans Mystérieux Mozart, le chapitre sur Cosi fan tutte se termine sur l’illumination de Rimbaud A une raison.

L’italien dit plus exactement : « bella calma troverà ». Ce sont les derniers mots. « Il trouvera un beau calme ». Calme, en italien, est au féminin. [...]
De quelle raison Mozart nous parle-t-il ici ? Sûrement pas de celle de son temps. Quelque chose de plus héroïque, de plus tendu, annonce un nouvel amour. [...]
Une nouvelle raison, un nouvel amour.
« Un couple de jeunesse s’isole sur l’arche. »

Encore les Illuminations pour signifier la révolution de Mozart :

À UNE RAISON
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Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.

Un pas de toi, c’est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche.

Ta tête se détourne : le nouvel amour !
Ta tête se retourne, — le nouvel amour !

« Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le temps », te chantent ces enfants. « Élève n’importe où la substance de nos fortunes et de nos vœux » on t’en prie.

Arrivée de toujours, qui t’en iras partout.

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Voici le manuscrit de Rimbaud. Il est écrit et précède sur le même feuillet Matinée d’ivresse.

« Arrivée de toujours, qui t’en iras partout » : cette phrase figure dès l’exergue de l’essai publié en 1963 sur Francis Ponge et À une raison est sans doute la poésie de Rimbaud la plus citée par Sollers. Sa meilleure illustration est pour moi L’amant couronné (1771-1773) de Fragonard.

Ouvrez Illuminations à travers les textes sacrés, simplement appelé Illuminations en hommage explicite à Rimbaud dans la réédition folio (2003, folio 4189, p. 37). Je ne cite qu’un passage :

« Arrivée de toujours qui t’en iras partout », on rêverait de le voir inscrit au fronton de tous les édifices importants de la planète, en lieu et place de « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». Avec lui, il n’est question que de temps et d’espace, et ainsi du mystère de la pluralité et de l’unité de tous les êtres, du mouvement éternel du flux et du reflux, de la mer mêlée au soleil. Elle vient de toujours, cette nouvelle raison, de tous les toujours, elle est « toujourisante » selon l’expression forgée par Dante. Qu’arrive-t-il avec elle ? Des lendemains qui chantent ? Non, parce qu’il n’y a plus de lendemains, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il n’y ait plus d’histoire ni de futur. Le présent, désormais, voit arriver du toujours, qui s’en va aller partout. Ce qui arrivera avec elle ? La transfiguration de l’univers, disons-le. « Alors le cœur comprend que Celui qu’il voit / N’a jamais cessé de l’appeler vers Lui », serais-je tenté d’ajouter, citant ces deux paroles d’lbn Arabi.

Dans Agent secret, publié dans le même temps que Légende, Sollers commente la poésie ainsi (Mercure de France, p. 97). :

La nouvelle Raison (révolutionnaire) est donc susceptible d’être appelée « le nouvel amour ». Et cette magnifique conclusion : « Arrivée de toujours, qui t’en iras partout. » Il est clair que c’est là une définition de l’amour tout à fait subversive que donne Rimbaud, révolutionnaire lui-même (Verlaine ne comprend rien à ce que Rimbaud dit là) : « arrivée de toujours », c’est le temps, et « tu t’en iras partout », c’est l’espace. L’espace-temps. Nous sommes là ou pas. C’est cela la nouvelle raison, la rose de la Raison. Comprise comme ça, ce n’est évidemment pas la raison raisonnable, mais la raison en tant que nouvel amour. Et « arrivée de toujours, qui t’en iras partout », c’est la définition même de ce que j’appelle la Révolution française. C’est en français que ça a été écrit, par un poète, Rimbaud.

« La rose de la Raison » fait explicitement référence à Hegel, le seul, selon Sollers, à avoir compris la Révolution française : « La rose de la Raison dans la Croix du présent ». C’est l’inscription que Sollers a fait inscrire sur sa tombe de l’île de Ré.

CQFD.

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Revenons à Cosi fan tutte et à l’interprétation de l’été dernier (pour la 100ème édition du festival de Salzbourg).


Arte Magazine. Elsa Dreisig. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.


Concert
Association of the Vienna State Opera Chorus
Orchestre Philharmonique de Vienne
Joanna Mallwitz, direction
Christoph Loy, mise en scène

Elsa Dreisig (Fiordiligi), soprano
Marianne Crebassa (Dorabella), mezzo-soprano
Andrè Schuen (Guglielmo), baryton
Bogdan Volkov (Ferrando), ténor
Lea Desandre (Despina), mezzo-soprano
Johannes Martin Kränzle (Don Alfonso), baryton

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Interview de Joana Mallwitz et extraits de Cosi.

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Extraits de Cosi fan tutte

Voici les deux airs les plus célèbres.

Acte I : « Come scoglio » (Comme un roc)

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Mystérieux Mozart, 2001, folio, p. 268-269 :

Quand Fiordiligi chante le fameux "Come scoglio immoto resta" (ici il est conseillé d’écouter dix fois de suite la version d’Elisabeth Schwarzkopf avec Karajan et celle de Cecilia Bartoli dans Mozart portraits), elle est entièrement vraie, nous l’admirons, mais nous la soupçonnons quand même.
L’innocence trop appuyée conduit à la faute ? Peut-être, mais tout dépend des situations. La musique est relativiste, la vérité d’un moment n’est pas celle d’un autre, il faut être théologien moraliste ou militant politique pour penser autrement, et Mozart ne se lasse pas de le faire sentir. Ce qui ne conduit à aucun relâchement ni à aucun scepticisme : c’est chaque fois vrai, comme la sensation :

Comme un roc demeure immobile
contre les vents et la tempête
ainsi pour toujours cette âme est forte
dans sa fidélité et son amour.

Ce roc résistera juste ce qu’il faut pour se transformer en plume. De cette façon, le roc est réellement un roc, et la plume une plume. C’est la même femme, pourtant.
L’amour, la mort : Mozart se moque déjà de tout le romantisme à venir, lequel associera systématiquement l’un à l’autre. On parle beaucoup de fidélité jusqu’à la mort, dans Cosi, on y fait même semblant de mourir.

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Acte II : « Per pietà, ben mio, perdona » (Par pitié, mon bien-aimé, pardonne-moi)

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Ce qu’on reproche le plus au XVIIIe siècle, qui n’est pas un lieu ou une époque du temps mais une dimension de l’espace-temps, c’est précisément ce Cosi.
Comme rien n’est simple (heureusement), Fiordiligi, maintenant, a des états d’âme. La trahison possible (tradimento) lui fait honte et horreur.
L’air est splendide, les sentiments sincères, la forêt mouvante du cor, des clarinettes et des bassons nous l’assure. Mozart voit le mot furor, et c’est une couleur, comme vergogna et horror. Il les traite, mais il traite aussi leurs contraires. Cette femme désire trahir, et elle fait monter son désir par la sensation de sa faute. Le plaisir sera d’autant plus fort que la honte et l’horreur auront été plus violentes. Ce n’est plus le Vésuve, c’est l’Etna.
(MM, p. 274-275)

Autre extrait

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Interview d’Elsa Dreisig à propos de Cosi.

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LIRE AUSSI :
Elsa Dreisig : « J’essaye de ne pas me laisser affecter par les circonstances sur lesquelles je n’ai aucun pouvoir » (15 avril 2020).

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Entretien avec Elsa Dreisig (2019)

Pour mieux connaître une cantatrice qui se compare à un « bulldozer » et qui, à n’en pas douter, a toute sa raison et, n’ayant peur de rien, ira loin.
Ses déclarations, à 24 ans, en 2016, lors des Victoires de la musique classique (« Révélation lyrique de l’année ») en témoignent :

« Je sais qu’il est d’usage, lorsqu’on se trouve à cette place d’élue, de remercier tout le monde, beaucoup de monde. Non pas que je ne sois pas reconnaissante des gens qui m’aident et m’entourent, loin de là, et les personnes dans ma vie le savent. Je ne souhaite pas formuler de remerciements particuliers ce soir, parce que tout simplement, cela me rendrait obéissante. »

« Cette Victoire n’est en aucun cas un aboutissement ou une fin en soi, au contraire, elle est un tremplin pour mon travail, une aide pour continuer à chercher, et à chanter sur scène. Et pour ça, je vous remercie infiniment. Mais, je tenais aussi à dire ce soir que jamais je ne me soumettrai ni aux avis extérieurs ni aux certitudes toutes faites dictées par une loi venue de je ne sais où et qui ne peuvent, à mon sens, que ruiner la création. »

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Elsa Dreisig, Morgen

Nommée aux victoires de la musique classique 2020 dans la catégorie Artiste Lyrique, la soprano franco-danoise Elsa Dreisig est au micro de France Musique, le 28 janvier 2020. Elle parle également de son tout nouveau disque solo "Morgen", sorti le 17 janvier. Un tout autre registre vocal.

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Extraits musicaux.
Elsa Dreisig, soprano, Jonathan Ware, piano

Henri Duparc : L’invitation au voyage (de Baudelaire)
Richard Strauss : Vier letzte Lieder, op. 150, TrV 296 : I. Frühling (Printemps)
Sergueï Rachmaninov : Six Poèmes, op. 38, n°6 : A-u ! (Vers les cimes)
+ Un extrait de Manon Lescaut de Giacomo Puccini (du disque Miroirs, 2018)

J’expérimente à ma façon, comme un peintre qui prend une toile et essaie de réaliser son œuvre, je fais la même chose. Elsa Dreisig

France Musique (28 janvier 2020)

Le site d’Elsa Dreisig

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