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En couverture de Légende : « Apollon amoureux de Daphné », 1664 (détail ), par Nicolas Poussin (1994-1665). Le tableau mesure 155 x 200 cm et est actuellement exposé au musée du Louvre à Paris,
Nicolas Poussin a puisé dans les Métamorphoses d’Ovide pour peindre son tableau. Daphné est une nymphe, Apollon, quant à lui, est le dieu des arts, du chant, de la beauté masculine… Le mythe qui lie ces deux personnages est une histoire d’amour.
Dès les premiers plans du film « Légende Agent secret » de G.K. Galabov et Sophie Zhang, les vidéaste et photographe officiels de Sollers, apparaît Apollon amoureux de Daphné peint par Nicolas Poussin un an avant sa mort.
PLUS ICI : Premières clés
La couverture d’Agent secret est un autoportrait d’Arthur Rimbaud qu’il a envoyé à sa mère le 6 mai 1883, avec la mention : « ci-inclus, deux photographies de moi-même par moi-même »
Agent secret, comme la collection l’y oblige, se présente comme un autoportrait accompagné de photographies mises en valeur par les propos tenus.
Arthur Rimbaud, poète, voyageur, aventurier, trafiquant qui se fait aussi photographe est en ce sens, raccord avec le livre de Sollers, une porte magistrale pour entrer dans le monde et l’art poétique de Sollers.
S’il s’agit d’un autoportrait, le voici. En chair, en os, en musique, en poésie .
Ph. Sollers
L’agent secret tel que l’imagine l’écrivain est un être des marges condamné à un perpétuel face-à-face avec la société , une guerre soulignons-le comme Sollers aime le répéter.
Agent secret, c’est s’exposer à une extrême solitude. Isolé absolu, indéfendable. On risque beaucoup. Être contre le mensonge social, le mensonge humain en général. Contre la résignation, contre la soumission….
[…]
…en tant qu’agent secret, je me dissimule, je me mets à l’écart. À l’écart toujours, toujours. Pleinement engagé, pleinement à l’écart
De quoi développer quelques affinités électives avec Rimbaud, que cette photo de couverture veut sans soute souligner
PLUS ICI : Arthur Rimbaud, poète et photographe
02/03/2021 : Ajout section "Dans « Agent secret » , Philippe Sollers évoque sa relation avec la mort" + VIDEO de "L’entretien du week-end" du dimanche 28 février 2021 sur France Inter, et la transcription des passages concernés
05/03/2021 : ; Ajout "Agent secret" ; entretien avec son éditrice Coliette Fellous
ENTRETIEN - À 85 ans, l’auteur de Femmes, vieil enfant terrible des lettres françaises, se livre dans un récit de souvenirs. Rencontre.
Par Thierry Clermont
Le Figaro 24§02/2021

« Il était important de montrer mon univers avant que je ne devienne écrivain », confie Philippe Sollers à propos de son livre « Agent secret ». Francesca Mantovani/Gallimard
LE FIGARO.- Dans Agent secret, vous vous dévoilez, revenant sur votre enfance. C’était le moment d’un retour sur vos premières années ?
Philippe SOLLERS.- Il était important de montrer mon univers avant que je ne devienne écrivain. Je ne suis pas né en publiant en 1958 mon premier roman : j’ai vécu avant. On y voit un petit garçon un peu triste, marqué par l’occupation allemande, avec au rez-de-chaussée de la maison familiale à Bordeaux les soldats de la Wehrmacht. Les photos familiales ont aussi leur importance : le portrait de ma mère qui y figure, sur une photo de 1938, avec son visage incroyablement moderne. Oui, je voulais revenir sur cette enfance magique, enchantée, comme La Flûte de Mozart. D’où cet ouvrage, plus intime, plus profond, enrichi d’images que je montre pour la première fois.
L’heure du bilan aurait-elle sonné ?
Après bientôt 85 ans de vie, et plus de 60 ans de création littéraire, je suis désormais dans la rétrospective, ou plutôt, car je n’aime pas le préfixe « rétro » qui me gêne, je dirais que je suis dans une mémoire perpétuelle.
En ouverture d’Agent secret, vous reprenez ce mot de Samuel Beckett : « J’ai toujours écrit pour une voix », déjà cité dans La Guerre du goût. Quelle est cette voix, et à qui s’adresse-t-elle ?
Par la voix et pour la voix. La voix, c’est tout simplement le corps et l’âme. Henri Meschonnic disait qu’elle était « l’intime extérieur ». Dans un monde marqué par la dévastation généralisée, pas même masquée, par la communication à tout-va et l’expression régressive, les voix singulières, celles qui m’intéressent, deviennent rares, car l’ignorance est omniprésente. Le danger, c’est l’effacement de la bibliothèque, des grandes voix d’hier. Et qui aujourd’hui peut se vanter d’avoir eu un destin, une voix exprimée par-dessus celle des autres ?

« Agent secret », de Philippe Sollers, Mercure de France, 200 p., 18 €.
En librairie le 4 mars.Mercure de France
Une nouvelle fois, vous affirmez : « Je suis un hors-la-loi. Un réfractaire radical. Un anarchiste absolument organisé, un agent secret. » Vous le pensez vraiment ? On peut donc être rebelle dans le cadre d’une institution comme Gallimard par exemple, tout en ayant eu tous les honneurs, ou presque ?
Oui, justement ! Réfractaire dans le cadre d’une institution, sinon ça ne sert à rien. Être anarchiste dans le désert n’a aucun intérêt. Donc, je suis au cœur du système, avec des pas de côté. Ne nous le cachons pas : les adultes mentent et les enfants le savent. Et aujourd’hui, le mensonge est permanent et palpable, pas seulement sur les réseaux sociaux, dans les discours des hommes politiques. Et tout est devenu « social » : les plans de licenciements, les réseaux… Dieu même est devenu sociétal.
Le monde d’aujourd’hui est ennuyeux. Je n’aimerais pas avoir 22 ans de nos jours, car toute perspective est fermée, interdite. Du coup, le passé nous apparaît comme miraculeux.
Philippe Sollers
Quel regard portez-vous sur le monde ?
Le monde d’aujourd’hui est ennuyeux. Je n’aimerais pas avoir 22 ans de nos jours, car toute perspective est fermée, interdite. Du coup, le passé nous apparaît comme miraculeux. Et ça ne me fait même pas enrager. Je préfère réagir par l’ironie. C’est une arme considérable mais qui n’est plus comprise. Elle est en train de disparaître, comme l’esprit français et l’esprit des Lumières. Ne trouvez-vous pas que nous sommes en plein détraquage humain, avec ce post-empire numérique ? Comme je le dis dans Agent secret, nous voilà dans une période extrêmement tendue, qui montre par tous les côtés ce qui ressemble à un désir de totalitarisme. On en revient encore et toujours à Rimbaud, ce remarquable camarade de combat, comme je l’ai dit dans mes entretiens avec mon amie Josyane Savigneau (Une conversation infinie).
Rimbaud, donc, que vous citez, parmi tant d’autres, à la fin de votre nouveau roman, Légende. On ne compte plus d’ailleurs dans votre œuvre les épigraphes, les exergues, les hommages, les emprunts, les commentaires, les démarquages…
C’est que chez moi, tout est œuvre ! Donc, La Fontaine, que je reprends à mon compte : « J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique… » Et Hugo, qu’on ne lit plus guère : « Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe… »

« Légende », de Philippe Sollers, Gallimard, 126 p., 12,50 €. En librairie le 4 mars.Gallimard
Ailleurs, vous citez Ezra Pound, le proscrit, qui a fini ses jours à Venise et qui écrivait en français : « J’aime donc je suis », ou en latin : « Amo ergo sum »….
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Superbe, n’est-ce pas ? J’avais croisé Pound à plusieurs reprises à Venise, ce comble de la splendeur catholique. Tintoret, Véronèse, Vivaldi, Stravinsky… À partir de 1963, j’y passais le mois de juin et de septembre, chaque année, avec Dominique Rolin, sur la Giudecca.
Et cette Venise est au centre du Cœur absolu… Vous manque-t-elle, aujourd’hui ?
Venise a été le pôle magnétique de mon existence. Depuis la disparition de Dominique Rolin en 2012, je n’y suis plus retourné.
Comment considérez-vous la publication de votre correspondance choisie avec Dominique Rolin, par rapport à vos autres livres ?
Je me répète : tout est œuvre. Dominique est restée ma jeunesse jusqu’au bout. C’est elle qui a enchanté Venise. C’était la féerie qui dure, à l’écart, comme je l’ai écrit.
Dans Agent secret, on lit : « Je suis venu, j’ai vécu, j’ai rêvé. Vivre, ainsi, c’est comme si j’avais déjà vécu. » Ça ressemble à un épilogue, non ?
Ma tombe est déjà là, sur l’île de Ré, près de la maison familiale d’Ars. J’y ai fait sculpter ces mots de Hegel : « La rose de la Raison dans la croix du présent », car la rose est un motif de réconciliation. Je serai à côté du carré des aviateurs alliés abattus pendant la guerre.
Enfin, puisqu’on est dans cette mémoire perpétuelle, auriez-vous des regrets, des amertumes ? De la résipiscence ?
Non. Pas du tout. On a essayé de m’inculquer le sentiment de culpabilité dès l’enfance, mais je connais le film. Non, merci : ni remords ni erreurs. Assez de « moraline ». Je ne suis pas dans la morale, et je ne l’ai jamais été.
Bio express
1936. Naissance à Talence, près de Bordeaux.
1958. Premier roman :Une curieuse solitude. Rencontre Dominique Rolin.
1960. Fondation de la revue Tel Quel.
1983. Femmes. Création de la revue et de la collection L’Infini.
2017. Début de la publication en quatre volumes de la correspondance croisée (1958-2008) avec Dominique Rolin.
L’écrivain était l’invité d’Eric Delvaux dans l’émission L’invité du week-end dimanche 28 février 2021 (France Inter). Voici la vidéo de l’émission intitulée "Nous vivons dans une société de l’indiscrétion générale"
De cette vidéo, nous avons transcrit ,ci-après, les passages qui évoquent la relation de Philippe Sollers avec la mort :
- Son attraction ancienne pour le suicide
- Il a fait graver sur le marbre de sa tombe au cimetière d’Ars en Ré, une rose et une croix ;
Sur la mort et le suicide
Extrait du dialogue lors de l’entretien :
- …« Etre agent secret, pour son propre compte… », comme vous le précisez…
- Ph. S. : Pour sa liberté…
- …c’est avoir, écrivez-vous, « une perception extrêmement vive de la mort ». A quoi peut ressembler votre perception extrêmement vive de la mort ?
- Ph. S. : Eh bien, parce que c’est là où le mensonge social et familial éclate à quelqu’un d’un peu réveillé. La mort, c’est tabou. La mort c’est un secret honteux. C’est quelque chose qu’il faut dissimuler et oh combien actuelle, c’est-à dire que la mort c’est vraiment quelque chose qui, en principe, renvoyait à un au-delà religieux etc., une vie éternelle. Là, il n’y a plus de vie éternelle, il n’y a plus rien, la mort est devant nous, et est-ce que vous la regardez en face ? Et à quoi vous oblige-t-elle, cette vision de la mort ? A vous rassembler sur l’essentiel et l’essentiel c’est, pour moi, la littérature, l’art et comme a dit André Breton que j’aime de plus en plus : « la liberté, l’amour, la poésie ». Voilà, il n’y a rien d’autre tout de suite.
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- Philippe Sollers, vous racontez dans ce livre que longtemps dans votre vie vous avez pensé précéder - enfin la forcer - cette mort, et vous n’y pensez plus à çà maintenant. Vous la laisserez venir naturellement.
- Ph. S. : Si, si [mais] j’y pense d’une façon moins tragique
- Oui, vous pensiez à un moment donné…
- Ph. S. : Constamment…
- …que vous pouviez vous suicider…
- Ph. S. : Ah, constamment !
- Encore maintenant ?
- Ph. S. : . Oh oui bien sûr ! Ca dépend s’il y avait une douleur intolérable par exemple. Je n’ai plus d’état d’âme par rapport au suicide.
C’est une liberté considérable laissée à l’être humain. Mourir dans la dignité me paraît être la moindre des choses.
Sur la rose et la croix
- Vous écrivez que sous avez fait sculpter une rose et une croix pour votre tombe réservée au cimetière d’Ars-en-Ré. Pourquoi une rose et une croix en même temps ?
- Ph. S. : … Parce que cà c’est une formule…
- De Hegel…
- Ph. S. : Oui, une formule d’un philosophe qui a tout compris, à mon avis. Hegel qui parle dans une formule que je trouve sublime de « La rose de la raison dans la croix du présent » - dans les Rose-Croix, donc c’est aussi un signal ésotérique bien entendu. La croix du présent c’est tout ce qu’on voit comme abomination dans le présent. Mais la rose le lève quand même, dans la mort…
Entretien avec Claire Chazal dans "Passage des Arts"
« Agent secret ». Entretien avec son éditrice Colette Fellous
Philippe Sollers présente son ouvrage "Agent secret". Entretien avec Colette Fellous éditrice de la collection "Traits et portraits" au Mercure de France.
7 Messages
Par Raouldebourges
6 juin 2021
Agents secret, Philippe Sollers, Mercure de France, 200 pages, 18 €.
En vrac : son enfance à Bordeaux pendant la guerre, sa famille issue de la bourgeoisie éclairée, son itinéraire d’écrivain, ses rencontres avec Lacan ou Barthes, la Chine et la pensée taoïste, sa fréquentation des poètes Rimbaud, Hölderlin, le pape et la messe catholique, les femmes de sa vie, l’espagnole Eugenia San Miguel, « la juive polonaise passée par la Hollande » Dominique Rolin, la bulgare Julia Kristeva, son fils David tant chéri. Et puis, encore ? Mozart et Bartoli, les mouettes de l’île de Ré, l’acacia du jardin, le secrétaire où il travaille… Cet Agent secret, qui a une connaissance particulière de l’espace-temps, est une variation autobiographique de plus. On ne s’en lasse pas. Ecriture fluide, bleue, abstraite, musicale, poétique. Sollers nous prévient : « Le bonheur est possible. Je répète. Le bonheur est possible. »
Laetitia Cénac
madame.lefigaro.fr, le 14 avril 2021
Philippe Sollers présente son ouvrage "Agent secret". Entretien avec Colette Fellous éditrice de la collection "Traits et portraits" au Mercure de France.
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02/03/2021, Philippe Sollers est l’invité de Claire Chazal à l’occasion de la parution de « Agent secret » et « Légende »
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Surprenant comment à 85 ans Sollers ressemble à Benoit XVI...
Ce matin dans L’invité du WE sur France Inter, Philippe Sollers : "Nous vivons dans une société de l’indiscrétion générale"
Une vitalité réjouissante !