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JLG neuf zéro

Forever Godard

D 8 décembre 2020     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Bon anniversaire Monsieur Godard. C’est sur arte. L’occasion, nous dit la chaîne, de (re)voir son dernier film Le livre d’image – Palme d’or spéciale à Cannes en 2018 – une expérience qui s’achève par un appel : "Il doit y avoir une révolution". L’occasion de parcourir sa filmographie, de découvrir quelles sont les musiques qui traversent son cinéma, de parler des génériques et du mouvement de la Nouvelle Vague. A voir sur arte.

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La Radio Télévision Suisse, évidemment, n’est pas en reste et consacre, elle aussi, un excellent dossier à « Godard, cinéaste punk » avec, entre autres, « un documentaire en forme d’autoportrait, tout en ruptures, d’images et de sons »

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et un extrait du film du groupe Dziga Vertov (Godard/Gorin), Le vent d’est (1969-1970), « western spaghetti gauchiste » où « les structures, les clichés et les stéréotypes du western traditionnel servent de support à une réflexion sur la lutte des classes, la théorie et la pratique révolutionnaire, la démystification du cinéma bourgeois », et dans lequel intervient Daniel Cohn-Bendit, également co-scénariste [1].

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lequel Cohn-Bendit, désormais ancien député européen écologiste, est, le 4 décembre 2020, sur Europe 1, l’invité de Sébastien Krebs à l’occasion des 90 ans de Jean-Luc Godard.

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Dans l’impitoyable actualité

TENNIS.
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Giscard et Godard

JLG 90 - VGE 0. Giscard et Godard sont dans un bateau, sous le vent d’est, le socialisme. C’est l’après-Mai 68, l’après-grand soir, les petits matins pompidoliens. Ils ont quatre ans de différence, le cadet a déjà réalisé environ 25 longs métrages. Giscard tombe à l’eau, récupéré à bord du paquebot social-démocratie. Godard se tait et rame, brouillé avec tout le monde, avec Truffaut qui le traite de diva, le groupe Dziga Vertov n’est plus et c’est encore loin, la révolution. Sauve qui peut la décennie, en vidéo, comme JLG, ou en 2CV sous la caméra de Depardon pour VGE (Une partie de campagne, commandité par le candidat Giscard puis, après réflexion, subtilisé à nos regards, censuré par le président en fonction, interdit de sortie jusqu’en 2002). Dans cette seconde moitié des années 70, il y a une France godardienne comme il y a un cinéma giscardien.

Celui qui a le plus changé la France n’est pas celui qu’on dit depuis mercredi soir. Jeudi, celui-là était vivant et fêtait ses 90 ans. A une époque, le Raymond Barre de Godard s’est appelé Jean-Pierre Beauviala. A une époque, Godard aurait gracié Ranucci, Carrein, Djandoubi, pas comme Giscard qui, bien qu’opposé en conscience à la peine de mort, préféra s’adonner à d’obscures martingales électoralistes, laissa ces hommes marcher vers la guillotine, et les élections, les perdit. La tête d’un homme c’est un autre grand cinéaste vivant et aîné de sept mois de Godard qui en fit un film, Paul Vecchiali, la Machine (1977). C’est Vecchiali aussi qui réalisa un film pornographique, Change pas de main, en 1975, juste avant que ne retombe avec un bruit sec le marteau du « classement X », sous un Giscard accordant d’un côté à la liberté d’expression et à la « modernité » (relâchement de la censure au début de son septennat) ce dont il les privait après réflexion de l’autre : inconséquence parfois, tiédeur souvent, et opportunisme toujours du centrisme qui navigue à vue, comme l’actuel gouvernement.

Ainsi la loi sur le X est giscardienne, n’oublions pas cela non plus, avec un ciné porno surtaXé, handicap législatif qui l’a refoulé du reste des films mainstream, laissé aux circuits parallèles vaguement honteux, aux seuls fantasmes libertins et crapoteux d’amateurs d’interdits, des transgressions de préférence de ces messieurs. La loi Veil à la ville n’a pas empêché dans les fictions, au cinéma, l’Homo giscardus de se révéler bourgeois, misogyne qui s’encanaille, mou médiocre (Christian Clavier chez Leconte ou Leterrier a admirablement incarné cet homme-là), capitaliste du sexe, et Godard revenant à ses films plus classiques, en fera la description la plus décisive, la plus scandaleuse enfin.


Sauve qui peut (la Vie)
Isabelle Huppert et Fred Personne.
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C’est bien Sauve qui peut (la vie), en 1980, qui change le monde, la vision du monde, du cul en production-prostitution du capital — la grande scène entre Isabelle Huppert et Fred Personne de travail à la chaîne du sexe et du plaisir soldé — et aucun homme président, ni ministre, avant ou après. Le X est ainsi aussi la lettre interdite commune à JLG et VGE. C’est dans Détective qu’il y a le dialogue scandé en rengaine autour de cette lettre solitaire, étoile-enseigne lumineuse clignotant au dehors, dont il nous est dit qu’elle est la seule de l’alphabet qu’on peut lire dans tous les sens et à l’envers. La lettre d’une inconnue. JLG neuf zéro, la main de Dieu du Livre d’image et au doigt pointé de Vinci, un rapprochement avec un autre destin que D’Estaing est finalement préférable : le 10 de der de Maradona. Bon anniversaire et longue vie.

Camille Nevers, Libération, 3 décembre.

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Godard pendant le tournage du « Mépris », en 1963.
Photo Jean-Louis Swiners. Gamma-Rapho. Getty Images. ZOOM : cliquer sur l’image.
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G comme Jean-Luc Godard

« C’est merveilleux le cinéma ! On voit des femmes, elles ont des robes ; elles font du cinéma, et crac, on voit leur cul ! » Michel Piccoli dans Le Mépris.

G comme Jean-Luc Godard, chapitre I : les années 1960

G comme Jean-Luc Godard, chapitre II : les années 1970

G comme Jean-Luc Godard, chapitre III : les années 1980

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Godard, Histoire(s) de musique.
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La musique de Jean-Luc Godard

« Ce qui m’a toujours intéressé, c’est le fait que les musiques n’aient pas besoin d’image alors que les gens qui font des images ont besoin de musique. » JLG.

François-Xavier Szymczak rend hommage à la musique de Jean-Luc Godard à l’occasion de ses 90 ans

Les débuts (1955-1965), des Cahiers du cinéma à Pierrot le fou (1/5)

"De Chantal Goya à Anne-Marie Miéville" (1966-1976) (2/5)

Le retour (1979-1985), de Sauve qui peut (la vie) à Je vous salue Marie (3/5)

Johnny, Delon, Depardieu (1986-1993), de Détective à Hélas pour moi (4/5)

Le XXIème siècle (1996-2018), de For ever Mozart au Livre d’image (5/5)

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Vient de paraître

Antoine de Baecque et Gilles Mouëllic (dir.),
Godard/Machines

Jean-Luc Godard est sans doute le cinéaste dont l’œuvre a interrogé avec le plus de constance et de lucidité la place des machines dans le monde du cinéma. Godard devant la fameuse table de montage Steenbeck, Godard devant un banc de montage vidéo ou face à la machine à écrire des Histoire(s) du cinéma : nombreuses sont les représentations du cinéaste en technicien manipulant les appareils.

Mais, au-delà de la photogénie de Godard en artisan solitaire, ses films semblent parcourir et interroger sans cesse les liens entre cinéma et machines, de l’imposante caméra Mitchell NBC qui ouvre Le Mépris (1963) à l’installation vidéo de Numéro deux (1975), du ballet de caméras montées sur des grues devant les tableaux de Passion (1982) aux images de défilement de la pellicule qui ponctuent les Histoire(s) du cinéma (1988-1998). Quand, dans Soigne ta droite (1987), il filme les Rita Mitsouko en plein enregistrement de leur nouveau disque, vingt années après avoir passé trois nuits avec les Rolling Stones à l’Olympic Studio de Londres pour One + One (1968), il s’agit encore pour Godard d’observer des musiciens face à des machines, fasciné sans doute par une forme d’autonomie qu’il va lui-même conquérir peu à peu jusqu’au Livre d’image (2019), entièrement réalisé à partir d’images et de sons préexistants.

Si les relations entre machines et création font l’objet d’une attention particulière, la présence récurrente d’autres machines ne manque pas de susciter l’intérêt des auteurs. Parmi celles-ci, la voiture tient une place très ambiguë, à la fois symbole de la modernité et emblème d’une civilisation des loisirs dont Godard perçoit très vite les limites. Dans le même ordre d’idées, l’omniprésence appareils d’enregistrement et de diffusion de la musique (tourne-disques, poste de radio, juke-box) témoigne de l’avènement d’une société de consommation prête à tout pour soumettre la culture au capitalisme le plus débridé. Si la machine permet de penser ensemble techniques et esthétiques, elle nourrit aussi chez Godard, avec une remarquable diversité, une vision politique du monde.

Sommaire :

Antoine de Baecque et Gilles Mouëllic. Introduction
Benoît Turquety. . Places de la caméra (Godard international).
Vincent Sorrel. L’instant fatal où la lame se brise (À propos de la caméra 8-35).
Hugues Ryffel. à la recherche d’une caméra qui fait des images…
Antoine de Baecque. Le Studio­Godard. L’homme-machines du cinéma (1973-1988).
David Faroult. Pourquoi la vidéo ?
Gilles Mouëllic. Godard/Musique(s). Des muses aux machines.
Laurent Guido. Rythmes à la chaîne. Figures critiques de l’écoute musicale chez Godard.
Marcos Uzal. Le bistrot, salle des machines.
André Habib. Défilements (dans tous les sens). Godard et la Steenbeck.
François Albera. JLG, machine à écrire.
Alain Bergala. Petite philosophie de la voiture dans le cinéma de Jean-Luc Godard.
Simon Daniellou. Adieu au langage. Un film en trois " dé- ".
Dominique Païni. I Want to Be a Photocopier.
Stephan Crasneanscki. What We Leave Behind - Archives de Jean-Luc Godard.

http://www.yellownow.be/livre_detail.php?ItemID=302

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JLG huit zéro
Il y a dix ans, Godard réalisait
Film socialisme.

France, Suisse / 2010 / 97 min
Avec Catherine Tanvier, Christian Sinniger, Jean-Marc Stehlé et... Alain Badiou.

« Nous travaillons dans la nuit
Nous faisons ce que nous pouvons
Nous donnons ce que nous avons » (JLG, 2010)

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Godard présente Film socialisme à Paris

17 juin 2010.

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Le scénario de Film Socialisme par JLG pdf
Extraits du livre Film Socialisme par JLG (POL) pdf
Entretien avec Jean-Luc Godard à propos de Film Socialisme
Mediapart : Jean-Luc Godard parle de Film Socialisme
Film socialisme : De dissonances en résonances pdf

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Présentation de Film Socialisme par Jean Narboni
Jean-Luc Mouvement Godard par Jean Douchet et Fernando Ganzo

Jean Douchet : Lorsque l’on regarde Film Socialisme, on a en tête quelques informations clés qu’on ne peut dénigrer. On sent non seulement que l’on se trouve face à une nouvelle création de Godard, mais également, que l’on est face à un film qu’il a mis trois ans à réaliser, un film important à ses yeux, à la fois de recherche, de mise au point, de mise en place, et cetera. On sait que l’on va voir un film totalement nouveau, et certainement, de grand intérêt. Une fois les yeux rivés sur le film, on ne peut échapper à l’émerveillement suscité par la beauté des images, et par un rythme insaisissable mais que l’on sait fondamental.
On ne cherche pas immédiatement à comprendre ce que l’on voit, ce que raconte l’histoire, parce que l’histoire n’est pas une simple histoire, il s’agit de l’Histoire en général, telle qu’elle est traversée elle-même par des particules d’histoires. C’est un travail de rupture, fondé sur la continuité de l’identification. C’est un parcellement parfaitement fluide et homogène qui donne naissance à un film très étrange, facile à voir, mais, en revanche, difficile à conceptualiser. Il est ardu de savoir où l’on se trouve exactement, et ce que signifie exactement ce film. Mais en même temps, je ne pense pas qu’il soit primordial de se poser ce genre de questions, car selon moi, l’interrogation fondamentale reste « comment est-ce que moi je perçois le film ? ». Il est nécessaire d’analyser les effets que Godard produit en nous, ces effets qu’il a tant travaillés. Comment nous lient-ils au film. Quoi qu’il en soit, comme c’est d’ailleurs souvent le cas chez Godard, et plus encore avec ce film, il ne faut pas absolument chercher à donner de réponses à ces questions. Ici, tout n’est qu’interrogation. Point. Enfin, nous pourrions tout de même dire qu’il existe une réponse finale au film, une solution : celle du devoir de défendre des valeurs fondamentales, telles que la justice.
[...] S’il fallait donner une signification « au » Film Socialisme, elle résiderait dans la volonté de montrer qu’aujourd’hui s’est enfin réalisée la conjonction historique entre capitalisme et socialisme : l’un et l’autre ne font qu’un. Nous nous trouvons à bord d’un navire, et le capitalisme qui organise la croisière est en fait une merveilleuse illustration de la beauté socialiste. En fin de compte, quelle est la différence entre capitalisme et socialisme ? L’un comme l’autre ont exactement le même but : celui de mettre tout le monde à égalité face au fric. Les deux courants inverses ont les mêmes fins. Il s’agit d’une simple inversion de termes.

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Jean-Luc Godard à Daniel Cohn-Bendit :
“Qu’est-ce qui t’intéresse dans mon film ?”


Jean-Luc Godard et Daniel Cohn-Bendit en mai 2010.
ZOOM : cliquer sur l’image.
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Chaque 22 mars, Dany le Vert et l’ermite de Rolle ont une pensée l’un pour l’autre. Ce qui les rapproche ? Une estime mutuelle et “Vent d’est”, “western spaghetti gauchiste” signé JLG, tourné ensemble il y a quarante ans. Et de quoi discutent deux personnalités si différentes lorsqu’elles renouent le dialogue ? D’Europe, d’écologie et de cinéma, bien sûr. Mais aussi de Palestine, de lamas, de Bulgares… et de “Film socialisme”, dernière œuvre de JLG, présenté à Un certain regard lundi 17. Ci-dessous, un morceau sonore de cette discussion entre le trublion et le cinéaste.

« Plus populaire que le pape, donc juste un peu moins que les Beatles », disait de lui François Truffaut en 1967. Cette année-là, Jean-Luc Godard virait vaguement « mao » avec La Chinoise. Un an plus tard, il se faisait voler la vedette par un jeune anar narquois qui lançait depuis Nanterre son « appel du 22 mars » : Daniel Cohn-Bendit répétait son mois de mai. Le joli mois envolé, et l’anar interdit de séjour, nos deux compères s’en allèrent en Italie tourner Le Vent d’est, « western spaghetti gauchiste » aujourd’hui oublié. Quarante ans ont passé, Jean-Luc et Daniel « se sont connus, se sont reconnus, se sont perdus de vue »...

Perdus de vue ? Des dizaines de films plus tard pour l’un et un virage euro-écolo-libéral-libertaire pour l’autre, voilà qu’on apprend que chaque 22 mars ils pensent un peu l’un à l’autre. Et qu’à l’occasion de la sortie de Film socialisme, Jean-Luc Godard, depuis son ermitage de Rolle, sur les bords du Léman, souhaitait débattre de l’Europe à Strasbourg avec l’ami Dany.

L’Europe est au cœur de Film socialisme, qui nous mène en croisière sur la Méditerranée avec des retraités qui ont connu la guerre et les affaires. « Pauvre Europe !  », dit une Africaine, accoudée au bastingage. « Je ne veux pas mourir sans avoir revu l’Europe heureuse », lui fait écho une jeune Russe. Toutes deux suffisamment énigmatiques pour donner à Dany l’envie de retrouver Jean-Luc, mais sur les bords du Léman. JLG, 79 ans, l’œil malin, nous attend avec une drôle de mauvaise surprise : il s’apprête à liquider l’antre où il travaille depuis quarante ans. Silence, on ne tourne plus ? Dany, fâché avec le titre du film (« Socialisme », « Cinéma socialisme »...), a cherché pendant deux heures quarante à tirer cette histoire au clair. Extraits.

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Le cinéma est mort

Daniel Cohn-Bendit : Ces écrans, ce matériel, ces vidéos, ces livres... tu vas vraiment tout bazarder ?

Jean-Luc Godard : Mais ce n’est pas bazarder, c’est une époque révolue. Anne-Marie [2] l’a fait avant moi. C’est fini, on peut à peine créer. Le cinéma est une petite société qui s’est formée il y a cent ans, dans laquelle il y avait tous les rapports humains, d’argent, de femmes, et qui disparaît. L’histoire du cinéma n’est pas celle des films, comme l’histoire de la peinture n’est pas celle des tableaux. Le cinéma a à peine existé. Moi, j’ai essayé d’en faire autre chose. Mais aujourd’hui, je marche sur un seul piston...

DCB : Ce n’est pas vrai, il y a une énergie incroyable dans ton film. Ce qui m’a émerveillé, c’est que tu décris plusieurs couches, tu es sur la Méditerranée, et puis tu montes des strates...

JLG : La production a été très heureuse. Mais après, tu tombes dans la distribution, la diffusion, et c’est un autre monde. Je voulais distribuer mon film sur la même durée que celle de la production, c’est-à-dire quatre ans...

DCB : Celui-là, tu as mis quatre ans ?

JLG : Oui, je leur ai dit : on va mettre quatre ans à le faire – enfin, plutôt, je ne leur ai pas dit. Et je souhaiterais qu’on le distribue comme ça : vous prenez un garçon et une fille, ou deux ou trois petits groupes, vous leur donnez des copies vidéo, vous les lâchez en parachute, ils ont une carte de France, ils ne savent pas où ils atterrissent, et qu’ils se débrouillent, qu’ils aillent dans les cafés, qu’ils fassent des centaines de visionnages... Ensuite on regarde ce qui se passe, ils connaissent le terrain, ils savent ce que les gens pensent du film. La deuxième année, vous le montrez dans quelques salles de petits festivals. Après, vous n’avez même plus besoin de le sortir, vous aurez tout récupéré, d’autant que les producteurs ont donné très peu, 300 000 €, mais ça aura pris quatre ans. Au lieu de ça, on est distribué dans un monde pour lequel on n’a pas produit...

DCB : Mais le film va à Cannes ?

JLG : « Eux » l’envoient à Cannes.

DCB : Tu n’iras pas ? A Berlin, on t’a attendu toute une soirée, tu devais recevoir le Prix du film européen.

JLG : Mais j’avais dit non.

DCB : Ils ont dit que tu avais dit oui.

JLG : Mais je n’ai jamais dit oui.

DCB : Je savais que tu ne viendrais pas et je le leur avais écrit. Wenders avait fait un beau texte...

JLG : Mais je lui ai répondu, à Wim, que je n’y allais pas. C’est fini tout ça. On a le très net sentiment, avec Anne-Marie, qu’on ne peut plus faire grand-chose. Quoi faire pour trouver un petit public, gagner sa vie ? Avant 68, mon public à Paris, c’était 100 000 personnes.

DCB : Pour A bout de souffle, bien davantage !

JLG : Mais dix ans après A bout de souffle, ça avait beaucoup baissé. On s’est toujours fixé 100 000 entrées parce que c’était le nombre de personnes à l’enterrement de Pierre Overney [3]. On s’est dit : ça, on les trouvera toujours. L’ennui, c’est que ces 100 000 ne sont plus à Paris, mais dans le monde entier. On peut en atteindre au mieux 10 %. J’essaie de faire quelque chose, mais je ne peux plus m’occuper de tout, l’Urssaf, les redevances...

DCB : Tu ne veux ou tu ne peux plus ?

JLG : Je ne peux plus.

DCB : Parce que tu en as assez ?

JLG : Non, parce que les règles ont changé. On a fait une projection de Film socialisme le 22 mars dernier. Tu n’es pas venu.

DCB : Tu aurais dû me prévenir...

JLG : Ben, on t’a écrit, mais tu n’as pas reçu le truc. Tu étais en train de te disputer avec Cécile Duflot. J’en parlais avec Anne-Marie hier, je lui disais : je suis un peu troublé de voir Dany. Je ne sais pas pourquoi il veut bien me voir. On s’est vus de temps en temps. C’est plutôt moi qui suis allé te voir, depuis l’époque de Nanterre...


Jean-Luc Godard et Daniel Cohn-Bendit en mai 2010.
Patrick Swirc pour Télérama. ZOOM : cliquer sur l’image.
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Nous nous sommes tant aimés

DCB : Dans ton film, là, Socialisme...

JLG : Non, Film socialisme.

DCB : Pardon, Film socialisme. Il y a une phrase : « L’un est dans l’autre et l’autre est dans l’un, et ce sont les trois personnes...  » En 1969, je me souviens que tu avais fait un dessin pour Anne Wiazemsky, avec un kangourou ; tu étais dans la poche, et tu avais écrit cette même phrase sous le dessin. Alors, de l’entendre à nouveau dans ce film, c’est très émouvant, parce que tu représentes pour moi une continuité...

JLG : Toi aussi pour moi, c’est pour cela que j’étais troublé de te revoir. Quand je t’ai vu pour la première fois, en 1966 ou 1967, tu étais inconnu, moi j’étais un peu connu, c’était l’époque de la fac de Nanterre, du texte des situationnistes de Strasbourg De la misère en milieu étudiant, je préparais La Chinoise. La deuxième fois que je t’ai vu, c’était le 20 février 1968, à la seconde manifestation pour Henri Langlois à la Cinémathèque, rue de Courcelles, tu nous as rejoints parce que tu étais intéressé, tu voyais qu’il y avait un mouvement. Les éléments fondateurs de Mai 68, ce sont les mouvements ouvriers à Caen et à Redon, et les enfants de Langlois. Eh bien toi, tu y étais...

DCB : J’étais impressionné par le petit, celui des 400 Coups, Jean-Pierre Léaud, qui a fait un discours grandiloquent devant la Cinémathèque : il disait un texte, on croyait que c’était 1789. Puis il y a eu notre aventure italienne, Le Vent d’est. Comme j’étais interdit de séjour en France, j’étais dans ma folie de faire n’importe quoi autour de l’idée de collectif.

JLG : On a décidé d’aller en Italie où il y avait tous ces militants gauchistes. Il fallait gagner sa vie, on avait de l’argent, un jeune producteur italien sympathique. On faisait des AG le matin pour décider quoi tourner l’après-midi. Mais tout le monde s’en foutait du film que j’essayais de faire, il n’y avait que toi, Dany, qui te sentais un peu responsable... Aujourd’hui, je me dis : je suis devenu inconnu, et lui est devenu plus que connu, mais je ne sais pas ce qui l’anime. Le fait de te voir parlementaire européen, tu me fais l’effet d’être de parti pris si l’on peut dire, ou plutôt pris par le parti.

DCB : Ma femme me dit depuis deux jours : pourquoi es-tu nerveux ? Notre dernière rencontre, en 1996, à Strasbourg, pour l’avant-première de ton film sur Sarajevo, Forever Mozart, ne s’était pas très bien passée...

JLG : Là, tu n’y étais pour rien, je m’étais disputé avec une actrice parce qu’elle ne voulait pas parler du film. Chaque 22 mars, pendant longtemps, je t’ai envoyé un petit mot. Au bout d’un moment, quand on porte la valise longtemps, on ne la porte plus. J’y ai repensé quand on a fait cette projection, le 22 mars dernier. Je me suis souvenu que, après Mai 68, alors que tu étais interdit de séjour, je suis allé voir Deleuze ; tu revenais de chez lui, on s’est croisés sur un trottoir, et je ne t’ai pas reconnu, parce que tu avais une pipe. Tu m’as dit : « C’est pour ne pas être reconnu. »

Europe année zéro

DCB : Pour revenir à « Cinéma socialisme » (sic), c’est un film qui me touche. Quand tu dis «  les Américains ont libéré l’Europe en la rendant dépendante »...

JLG : C’est Malaparte, c’est pas moi.

DCB : On est tous partis de quelque chose...

JLG : Le film peut donner des idées. Prends la Grèce, c’était ce qu’on appelait autrefois une de nos humanités. Et maintenant on ne parle que de la dette de la Grèce.


Film socialisme (2010) de Jean-Luc Godard : "Démocratie et tragédie sont nées à Athènes".
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DCB : Alors qu’on a une dette envers la Grèce...

JLG : Tu as raison, c’est bien normal que les Grecs n’aient rien foutu depuis trente ans puisque les touristes allemands, qui ont tout saccagé, leur apportaient de l’argent.

DCB : Il y avait aussi pas mal de Suisses...

JLG : Oui, mais les Suisses sont très allemands... Je plaisante. Mais la Grèce, on ne peut pas en parler de la façon dont les politiques en parlent. Ils ne font que des rapports, ne vont pas sur le terrain, ils n’enquêtent pas.

DCB : Je ne me définis pas comme un politique classique. Je suis de ce monde, j’en fais partie, mais je n’ai jamais fait un rapport de ma vie.

JLG : C’est pour cela que ça me plaît de suivre ta traversée, parce que tu es dans la politique ce que j’ai été dans ce qu’on appelait le cinéma.

DCB : Tu y es toujours, dans le cinéma.

JLG : Non, je suis dans les films, dans la fabrication des films.

DCB : Oui, mais dans notre imaginaire cinéma, dans notre culture européenne, dans la tête des gens, tu existes en très grand. Un jeune cinéaste qui débute aujourd’hui voit tes films, en discute, c’est une réalité !

JLG : Peut-être, peut-être... Moi, je vois qu’il y a des films, il y a de la télévision, il y a encore de la littérature, il n’y a plus de peinture, seulement des dispositifs, et c’est faible. C’est très difficile d’en parler, sinon pour contredire. On m’accuse souvent de contredire, mais c’est pas pour le plaisir de contredire.

DCB : Ça peut faire plaisir...

JLG : Oui, un peu plaisir, mais c’est pour provoquer une dispute, au sens où l’entendaient les Grecs.

DCB : C’est en cela que « Cinéma socialisme » est intéressant, parce qu’il provoque des disputes.

JLG : Non, il provoquera de l’oubli assez vite. J’espère toujours une contradiction intéressante. Qu’est-ce qui t’intéresse dans ce film ?

DCB : Plusieurs choses, à commencer par le rapport que tu as à l’Europe, qui est pour toi une grande déception.

JLG : Telle qu’elle est faite ! Ils ont commencé par le charbon et l’acier. Ils auraient pu commencer par autre chose.

DCB : C’était à cause de la guerre, qu’ils disaient...

JLG : La guerre était finie ! Mais Truman disait : on va faire la paix comme on a fait la guerre. Il n’entendait pas ce qu’il disait, nous dirait un psy.

DCB : Tu interpelles l’Europe en disant : je voudrais que ce soit autre chose.

JLG : J’aurais voulu que ça soit autre chose ! Mais tu ne peux pas. Même dans le cinéma, tu n’es pas grand-chose, tu es cinq ou dix mille personnes en France. Une équipe de film, ça va de deux à quarante. Ça existe pendant quelques mois. Bachelard dit qu’il y a deux sortes d’images, l’image explicite et l’image implicite. J’essaie de faire une image implicite. Il faut faire avec l’inconscient.

DCB : Mais ce que tu fais dans Socialisme, en posant le problème de l’Europe, c’est parler de la Méditerranée, avec des histoires.

JLG : J’ai mis les cinq ou six lieux qui m’ont fondé. L’Afrique, la Palestine, la Révolution russe, Odessa, la Grèce, l’Italie. Et l’Espagne pour finir. J’ai rajouté des histoires en allemand, car l’Allemagne a été quelque chose d’important dans ma vie.

Les trois couronnes du matelot

DCB : L’argent revient beaucoup dans cette croisière avec ces Européens, ces Blancs...

JLG : Ces retraités...

DCB : C’est entre touchant et méchant. Ces retraités dans cet immense bateau, cette société complètement dingue.

JLG : On ne l’a pas inventé, le monde des retraités. On parle du problème des retraites en ce moment en France. Eh ben si vous voulez des retraites comme ça, comme cette croisière, allez-y, continuez !


Film socialisme (2010) de Jean-Luc Godard : "Le silence est d’or".
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DCB : Pourquoi toutes ces histoires d’argent ? Cet or du Komintern ?

JLG : J’avais pris un café avec Jacques Tati, alors qu’il était ruiné. Au moment de payer, il avait sorti une vieille pièce d’or, un doublon du temps de l’Amérique, des Incas. Je lui ai payé son café, il a gardé sa pièce. Et puis je me suis demandé : comment ça se fait que Tati ait une pièce d’or comme ça ? Et j’ai imaginé un truc plausible : son dernier producteur, Louis Dolivet, avait produit en Espagne Mister Arkadin, d’Orson Welles, mais auparavant, il avait été le secrétaire de Willi Münzenberg...

DCB : Münzenberg, le propagandiste du Parti communiste allemand dans les années 30...

JLG : Louis Dolivet faisait aussi partie du Komintern. Après l’invasion de la France par les Allemands, le Komintern a fait transférer en Russie l’or de la banque espagnole, ils l’ont embarqué à Barcelone sur la compagnie France Navigation, qui appartenait au Parti communiste français. Mais à l’arrivée à Odessa, un tiers de l’or avait disparu, et un deuxième tiers a encore disparu avant d’arriver à Moscou... J’ai imaginé que les Allemands s’étaient infiltrés sur le bateau, qu’ils en avaient pris une partie, c’est ce que dit le vieux policier français dans le film. Mais la jeune Russe qui fouille dans les archives se dit : le tiers qui est parti, c’est le Komintern qui l’a pris, et le reste a fini dans les poches de Louis Dolivet, dont on ne peut pas s’expliquer la fortune autrement...

Filmer la Palestine

DCB : Tu montres aussi que la tache originelle de l’Europe, c’est la Palestine. Tu la projettes avec deux trois images et une très vieille photo.

JLG : C’est une des premières photos qu’on ait de la Palestine, et c’est Elias Sanbar qui raconte : Daguerre a présenté en 1839 son invention, le daguerréotype, à l’Académie des sciences. Une nuée de photographes s’est alors ruée sur les Lieux saints, et pas ailleurs. Probablement parce qu’il y avait un désir de voir si les mots de la Bible étaient vrais.

DCB : Il y a des gens obsédés par les Juifs, et quand on leur dit, comme Shlomo Sand, qu’il y a des Juifs mais que le peuple juif est une création juridique des années 40, ils deviennent dingues et n’acceptent pas ce débat. Et il y en a d’autres qui sont obsédés par les Palestiniens. Les deux me tapent autant sur le système. Ils cherchent la victime ultime, nous l’envoient à la gueule. Moi je dis : arrêtez, je n’y suis pour rien, essayons de discuter... Pourquoi chez toi cette obsession de la Palestine ?

JLG : La Palestine, c’est comme le cinéma, c’est chercher une indépendance. J’ai mis dix ou quinze ans à dire au producteur : vous êtes d’accord pour dépenser tel argent, donnez-le-moi, c’est moi qui le gère. Ça a été une bagarre, même avec Jean-Pierre Rassam, pour avoir le contrôle du film. Comme avec mon père : tu es d’accord pour me donner ça, ne me demande pas ce que je vais en faire, fais-moi confiance. Nicolas Seydoux, de la Gaumont, me disait : Ah bon alors l’argent que je vous donne, vous le dépensez ?

DCB : Si quelqu’un te proposait de partir en Israël et en Palestine avec tes nouvelles petites caméras, tu irais ?

JLG : Mais on ne filme pas comme ça ! Certains le font, ce sont des documents, parfois intéressants. Je regarde beaucoup les émissions-débats, comme C dans l’air, mais plutôt pour m’entraîner, pour voir si j’ai encore de la repartie.

DCB : Comme au tennis, contre un mur...

JLG : Oui. On ne peut pas filmer comme ça. J’essaie de montrer des choses en relation avec la paix au Moyen-Orient, par exemple, si elle m’en donne le droit, je prends un joli plan d’Agnès Varda où on voit deux trapézistes, puis t’entends une voix de fille qui chante le Talmud et une voix de fille qui chante le Coran. Je ne suis pas au pouvoir, je ne peux rien faire d’autre.

“Film socialisme”/Film écologie

DCB : Quand j’ai vu le lama dans ton film, je me suis dit : ce lama, c’est Jean-Luc !

JLG : Mais non, ce lama habitait à côté du garage, je le voyais tous les jours, je me suis dit : on va le faire venir. Il y avait l’âne aussi. Je pouvais mettre quelques animaux, ce monde dont on n’a pas trop conscience, qui n’a prétendument pas de langage alors qu’il en a un, prétendument pas de visage alors qu’il en a un : Levinas s’est trompé [4]. En tout cas, c’est plausible, ce lama.

DCB : Comme ce T-shirt de l’URSS porté par un enfant ?

JLG : Je l’avais rapporté d’Allemagne autrefois. Probablement que l’enfant ne sait pas ce que c’est. Dans un film qui s’appelle Film socialisme, on peut quand même mettre les symboles dudit socialisme.


Film socialisme (2010) de Jean-Luc Godard : "J’attaquerai aussi le soleil si un jour il m’attaquerait".
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DCB : « Socialisme », pour toi, c’est encore quelque chose qui a du sens ?

JLG : Si on parle du fond des choses, du fond de la mer, de Rousseau, oui. Ce film, je l’avais d’abord appelé Socialisme, mais cela me semblait trop connoté. Film socialisme, c’est différent : un philosophe m’a écrit douze pages en disant c’est merveilleux d’avoir vu « film » avec « socialisme », parce que ça dit autre chose, ça veut dire « espoir » quand même.

DCB : Moi, j’aurais mis écologie...

JLG : Film écologie ?

DCB : Oui, si on me demandait ma conception de la société, du fond de la mer comme tu dis, aujourd’hui, ça ne serait plus socialisme.

JLG : L’Europe et l’écologie, j’admire, et ça me fait de la peine de te voir là, c’est touchant au fond.

DCB : Pourquoi de la peine ? De me voir dans ces milieux-là ?

JLG : Non, parce que rien ne peut marcher. Tandis que faire un film, écrire un livre, on peut encore. Je reste dans mon domaine, je constate que les seuls qui aient voulu faire un cinéma européen, ce sont les Allemands en 1933.

DCB : Mais ça ne t’intéresse pas, l’idée de créer un espace en Europe où le cinéma peut exister ? Couper les ponts de la dépendance culturelle américaine ?

JLG : Mais elle est là à 150 % ! Et si vous voulez faire un film avec Eurimages [5], il faut des tonnes de papiers, et tout est fait sur des mensonges, des faux devis. Mon film est déclaré pour 25 millions, alors qu’il coûte 300 000 €. Pourquoi ?

DCB : Ce sont les mensonges du système, comme le mensonge grec...

JLG : ... et la Grèce continue à mentir, et à dire sa vérité aussi. Tu ne crées pas un système de peinture européenne, de musique européenne, pourquoi le cinéma ? Ils aident le cinéma, la pêche, l’agriculture, et ils n’y arrivent pas... Il faut ralentir, se restreindre. Je ne suis pas pour la décroissance, mais pour des moments de croissance et des moments de décroissance.

DCB : Tout à fait d’accord.

JLG : Quand on s’est rencontrés pour la première fois, à Nanterre, on n’avait pas de point commun, mais on a vécu des situations communes. On ne s’est pas éloignés, parce qu’il y a un côté fraternel, bien que nous soyons aux antipodes. Quand je pense que tu as annoncé que tu feras une grande fête quand tu auras 68 ans !

DCB : Parce que je serai enfin un soixante-huitard ! Il faut que tu viennes.

JLG : J’ai jamais été dans une boîte de nuit de ma vie.

DCB : Mais ça ne sera pas ça ! D’abord on montrera des films...

JLG : Et après ta fête, tu feras quoi, des conférences ?

DCB : J’aurai des contrats avec L’Équipe : il y aura suffisamment d’événements sportifs à couvrir de manière intelligente, on ira ensemble au Brésil pour la Coupe du monde, tu viendras avec ta caméra, et on proposera ça à Arte.

JLG : Non, c’est des coups, tout ça, et je ne veux plus être dans le coup. Je l’ai été trop souvent, et à mon détriment. Chardin disait à la fin de sa vie : la peinture est une île dont je me rapproche peu à peu, pour l’instant je la vois très floue. Moi, je ferai toujours de la peinture à ma façon. Que ce soit avec un crayon caméra ou trois photos.


Jean-Luc Godard.
Patrick Swirc pour Télérama. ZOOM : cliquer sur l’image.
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DCB : Ça revient souvent, chez toi. Les gens sont responsables de ce qui est. Ils n’ont pas le droit de se plaindre.

JLG : Ils ont le courage de vivre leur vie, mais ils n’ont pas le courage de l’imaginer.

DCB : Et toi, tu as le courage de l’imaginer mais pas de la vivre...

JLG : Hélas, je ne fais que trop l’imaginer.

DCB : Mais quand tu fais un film comme « Cinéma socialiste », tu la vis, ce sont trois années intenses.

JLG : Oui, comme n’importe quelle création. Mais je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas utiliser de vieilles personnes pour travailler, il y a un désintérêt de l’autre alors qu’on y gagnerait.

DCB : Tu dis que tu veux revendre, ou tu as revendu, je ne sais pas, tout ton matériel, tes livres, tes vidéos...

JLG : J’aimerais que ça s’arrête. J’ai arrêté ma société de production parce que, bien que je paie mes impôts en France, l’Etat ne sait pas très bien faire les choses. Notre comptable qui s’appelle Fada, et il l’est, il est super fort, mais il faut le payer, ça fait trop. Je veux bien avoir un domestique, pas un comptable.

DCB : Mais quand on voit tes trois rayons, là, où tu as toute la documentation du film, ces deux cents livres accumulés pour « Cinéma socialisme », je trouve aberrant de dire : voilà, on dissout tout ça.

JLG : Non, ça a fait son temps.

DCB : Mais des tas de choses ont fait leur temps ; des tableaux ont fait leur temps, tu les regardes quand même. Et ça, c’est un tableau. Walter Benjamin dirait : « Es ist eine Kunstwerk an sich », c’est une œuvre d’art en soi.

JLG : Eh bien quelqu’un me l’achètera et disséminera mes trucs.

DCB : Mais il ne faut pas laisser disséminer cette œuvre d’art.

JLG : J’ai pas besoin d’images... euh... d’héritage.

DCB : Ce n’est pas une question d’héritage. Quand j’étais jeune, je venais à Lausanne parce qu’il y avait le Cira, Centre d’archives, d’information et de recherche anarchiste. C’était une vieille Bulgare qui tenait ces documents sur l’anarchie. Dispersés, ils n’auraient eu aucun sens.

JLG : Eh bien, vive les vieilles Bulgares ! Tout ce que j’ai trouvé c’est un jeune Egyptien. Moi, j’adore les archéologues.

DCB : Tes collections de livres et de films, ça parle. Jean-Luc Godard, ce sont tes films, et ces documents. Ils parlent !

JLG : Ils m’ont parlé, et c’est bien. Mais on ne va pas faire un musée. C’est une machine mi-matérielle, mi-intellectuelle qui a fonctionné avec moi. On arrête ! Ce qu’on me donne me permet de vivre un an.

DCB : L’Egyptien t’a dit ce qu’il veut en faire ?

JLG : Ça ne m’intéresse pas. Ce lieu redeviendra des bureaux, ils seront remis en location au mois de juillet. Et les suivants n’auront pas à payer l’installation. Il n’y a pas de reprise en Suisse.

Propos recueillis par Vincent Remy, Télérama, 14/05/10.

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« Godard est un scandale qui dure, à la grande surprise des cons, parce qu’il ne cède pas sur sa sensation intime, donc sur son désir. C’est, tout simplement, un des plus grands artistes de notre temps. » (Ph. S., 1985)

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Godard face à Sollers

Godard / Sollers : L’entretien (1984)

JLG/JLG, un cinéma de l’être-là (1995)

Godard « au mieux de sa forme » (1996)

Il y a des fantômes plein l’écran (1997)

2016


Lettre de Jean-Luc Godard à G.K. Galabov et Sophie Zhang, après réception du film Mouvement, pour la parution du roman de Philippe Sollers.
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Dernier photogramme du volume 3 des Histoire(s) du cinéma.
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[1Le film est disponible dans un coffret « Jean-Luc Godard politique » édité par Gaumont. Coffret qui comprend tous les films « politiques » de Godard (8 DVD), de La Chinoise (1967) à... Film socialisme (2010), mais dont on se demande bien comment le consommateur contemporain peut s’en approprier la signification en l’absence de toute analyse historique et théorique, excepté dans certains interviews publiés en « bonus ».
En 2004, un dialogue eut lieu entre Godard et le regretté Jean Douchet sur Vent d’est. VOIR ICI.
LIRE AUSSI : Le vent d’est.

[2La cinéaste Anne-Marie Miéville, compagne de Jean-Luc Godard.

[3Militant maoïste tué par un vigile de Renault le 25 février 1972.

[4Le philosophe Emmanuel Levinas a développé ses réflexions sur le visage dans “Ethique et infini” et “Totalité et infini”, éd. Le Livre de Poche.

[5Eurimages est le fonds de soutien à la coproduction du Conseil de l’Europe.

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1 Messages

  • Albert Gauvin | 9 décembre 2020 - 19:49 1

    Jean-Luc Godard fête ses 90 ans ! Nous l’avions rencontré en 2015 chez lui, en Suisse, à Rolle. Adieu au langage, son dernier film, avait rencontré un certain succès aux États-Unis et venait d’être couronné meilleur film de l’année par la critique américaine. Le cinéaste légendaire est là, terriblement présent, commentant l’actualité avec cette dent dure qu’on lui connait. Il fait inlassablement des liens entre le passé et l’avenir, l’ici et l’ailleurs : la dette grecque, Charlie Hebdo, Marine Le Pen, les salauds sincères, le devoir d’aimer… Il met les choses ensemble. Pas spécialement optimiste, mais pas non plus désespéré. Comme il le dit lui-même, à partir d’un moment, le zéro peut reprendre vie. Par Thierry Lounas, à Rolle. LIRE ICI.