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« Le 17 Avril » – un inédit de Yannick Haenel

Suivi de "Disparaître pour renaïtre"

D 13 avril 2020     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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« Le 17 Avril »

Nous sommes, Mesdames et Messieurs, le 17 avril (ou presque – note pileface) , et le 17 avril est l’objet de ce texte.

Yannick Haenel

Qu’a donc de si particulier ce 17 avril ?
Le 32e jour du grand confinement de l’année du Covid 19 ?

- Non, pas du tout ! Je hais ce grand cirque sanitaire (apocryphe).

- Mais alors quoi ? Dans chacun de vos livres, Yannick Haenel, la quête de vérité du héros-narrateur commence un 17 avril. Un hasard ? C’est aussi à cette date que des chercheurs/chercheuses, exégètes de votre oeuvre, se sont réunis en 2018, à Louvain-la-Neuve. Encore un hasard ?


https://uclouvain.be/
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- J’ai beau chercher dans ma mémoire, j’ai beau feuilleter mes agendas, à part cet épisode de l’horodateur mystique (cf. l’intégrale de mon texte), il ne s’est jamais rien passé de spécial dans ma vie un 17 avril. Et pourtant, dès que je commence un roman, c’est cette date qui vient : lorsque le narrateur de Cercle décide de ne pas monter dans le train de 8h07, c’est un 17 avril ; lorsque le narrateur des Renards pâles entre dans sa voiture garée rue de la Chine et décide de ne pas démarrer, c’est également un 17 avril ; lorsque le narrateur de Tiens ferme ta couronne prend l’avion pour rencontrer Michael Cimino, à New-York, c’est encore et toujours un 17 avril.

Je pourrais dire que je ne l’ai pas fait exprès, mais à ce point ce ne serait pas crédible : ce 17 avril doit bien avoir un sens. Il ne cesse de revenir à chaque livre, comme un anniversaire. Ce n’est pourtant pas le mien. Alors l’anniversaire de qui ?

Je vous jure que je n’y ai jamais vraiment pensé, car même si j’aime y voir clair, même si le désir de savoir me guide comme il entraîne chaque adepte dans son initiation, une certaine obscurité me semble nécessaire, afin que les sortilèges du roman se développent librement, qu’un certain non-savoir inscrive dans la fiction son sourire fou, et puisse y faire briller à la fois sa séduction et sa menace.

- Bon, acceptons cette obscurité comme point de départ. Mais qu’avez-vous pensé lorsque Myriam Watthee et Corentm Lahouste vous ont contacté pour vous annoncer qu’ils organisaient, à cette date, un colloque autour de votre œuvre. L’objectif : dans un parcours analytique des différents intervenants, « plonger dans votre univers, mettre à l’épreuve l’aura bénéfique de cette date-talisman » ?

- Bref, lorsque Myriam Watthee et Corenti Lahouste m’ont dit que ce colloque aurait lieu un 17 avril, j’ai pensé que l’occasion m’était enfin donnée de penser à la signification de cette · date. Je ne peux plus faire comme si de rien n’était […].

Je laisserai Myriam et Corentin répondre eux-mêmes à la question de la date de ce colloque : est-ce un hasard du calendrier, ou un hommage discret (ou alors les deux) ? En tous les cas, l’importance de cette date m’apparaît grâce à eux comme une évidence, et je vais profiter de ce jour secrètement férié pour continuer un peu devant vous mes recherches - pour écrire à voix haute.

Je l’ai dit : il ne s’est jamais rien passé de spécial dans ma vie un 17 avril. Non seulement cette date est une fiction - et sans doute· l’ai-je choisie parce que le double signifiant « 17  » et « avril  » me semble rond, limpide, prometteur, comme l’énoncé d’une chance -, non seulement cette date constitue à elle seule un condensé symbolique - disons : la date heureuse, celle d’un nouveau printemps -, mais cette date accomplit le passage à l’acte, le déclenchement de l’écriture, l’événement des phrases.

- Oui, cette date-talisman qui coînciderait chez vous au déclenchement de l’écriture et promesse de tous les possibles, c’est bien ce que soulignent Myriam Watthee et Corenti Lahouste ; « Yannick Haenel est venu nous rejoindre : Il a ouvert les débats en s’interrogeant sur cette date qui est pour lui ‘’un jour sacré – un jour de fête’’, celui de ‘’lévénement des phrases’’. L’occasion d’’affirmer, une fois encore, ‘’cette provision d’avenir qu’il y a dans chaque étincelle de poésie’’ : La littérature comme transport de forces, comme une irréducible circulation d’énergie »  [1]


LIRE ICI « Le 17 avril » par Yannick Haenel (texte inédit reproduit ici en facsimilé.


Haenel « Disparaître pour renaître »

En ces lendemains de dimanche pascal signe de résurrection pour le monde chrétien, nous vous proposons une réflexion littéraire de Yannick Haenel sur le thème « Disparaître pour renaître » à partir d’extraits d’un entretien réalisé à Paris par Corentin Lahouste en mars 2017, dont le thème était plus large : « Rencontrer l’indemne, toucher l’irréductible », publié sous ce titre dans « Yannick Haenel, la littérature pour absolu [2] »

EXTRAIT

Plusieurs éléments de l’œuvre de Yannick Haenel font directement écho à la question du DISPARAITRE : ses narrateurs sont des déserteurs qui ne cessent de se dérober ; la notion d’identité y est saisie comme un mirage aliénant dont il convient de se détacher ; la question de la liberté y est primordiale ; le vide, le calme et la solitude constituent des motifs récurrents et décisifs de ses textes ; ses livres mettent en place une poétique de l’errance ; la perspective d’une autre dimension d’existence y est avancée, voire valorisée ; etc. Questionner Yannick Haenel sur la volonté de disparaître - sur l’actualité d’un tel geste - qui caractérise à la fois la dynamique interne de ses récits et sa posture d’écrivain, vise à cerner de plus près l’enjeu créatif de cette problématique.

Corentin Lahouste : Disparaître, s’échapper, c’est une des qualités principales du narrateur de chacun de vos textes. Dans Les petits soldats, il s’agit de fuir la violence absurde du règlement d’un pensionnat militaire. Introduction à la mort française relate une double dérobade : de ce que Jean Deichel [le double fictionnel de l’auteur] nomme « l’abjection française » et de « l’institut de la Maison Blanche », endroit où sont asservis les écrivains français. Les récits d’Évoluer parmi les avalanches, de Cercle et des Renards pâles, débutent tous trois par une rupture sociétale engagée par le narrateur. Enfin, avec Je cherche l’Italie, c’est la France (et « ses angles morts  ») qui est abandonnée. Se dérober semble donc fondamental dans votre œuvre et vos narrateurs incarnent toujours - bien que ce soit de diverses manières - la figure du déserteur. Quelle valeur, quelle puissance, accordez-vous dès lors au geste de disparition, de défection ? Est-ce le seul - ou le meilleur - moyen de commencer quelque chose ?

Yannick Haenel : Je cherche un point qui relève de l’irréductible : un point où la société n’a pas prise sur nous. Pour l’atteindre, il est nécessaire de se dérober, de rompre avec ce qui est ressenti comme aliénant, de fuir ce qui restreint notre liberté. Et dans un second temps, de veiller à ne pas s’enfermer dans ce qu’on pourrait appeler le dorlotage de la fuite, car le hors-société est parfois une petite forteresse facile, où l’on se satisfait tout seul, loin des « humains suffrages » dont parle Rimbaud. Bref, il s’agit, en disparaissant socialement, de faire son lieu, de trouver un lieu. S’échapper non pour être tranquille, mais pour fonder - la fuite sans fondation n’est jamais qu’une manière de retarder la mort. Je cherche donc un lieu, et depuis une vingtaine d’années je publie des fictions qui approfondissent cette recherche. Celle-ci a pris différents aspects, mais s’il m’est arrivé de donner à une telle quête des formes allégoriques, il me semble que ce lieu est la scène même de l’écriture. C’est dans l’écriture et par l’écriture que ce double mouvement - s’échapper et fonder - à la fois coïncide et peut s’accomplir. Le lieu peut avoir lieu dans l’écriture, pour le dire à la manière de Mallarmé. Voilà, il me semble que si quelqu’un disparaît dans mes livres - disparaît pour enfin vivre-, c’est parce qu’il cherche la parole. Dans un monde mort, seule la parole est vivante. Il s’agit, par une rupture avec le monde, d’atteindre cette parole, laquelle nous redonne le monde.

C.L. : Disparaître, c’est sortir du cours des choses, c’est s’extraire du mouvement du monde. Or, ce principe, c’est précisément celui que vous rapportez à la littérature, à cette parole qu’il s’agit de fonder. Par syllogisme, la littérature, c’est donc disparaître ? Quels liens possèdent littérature et disparition ? Comment ces deux notions peuvent-elles se faire écho ?

Y. H.  : Il faut s’entendre sur le sens du mot "disparaître". Il n’exprime pas pour moi le rien de la torpeur, mais une puissance de la pensée elle-même, un acte par lequel on se reprend. Il m’arrive de disparaître dans la pesanteur de la journée, mais c’est une mauvaise disparition, celle à laquelle nous assigne le programme de la société - c’est-à-dire de n’être pas grand-chose. Cette assignation à la torpeur, qui est la forme de disparition à laquelle est vouée chaque subjectivité dans la société du ravage planétaire (où nous sommes noyés dans le flux de l’information incessante, dans la bouillie des mauvaises paroles), ce n’est pas la disparition que je cherche. La disparition qui donne sur une ouverture, sur la clarté d’une parole, elle est évidemment liée pour moi à la littérature, mais elle relève également du lien avec le sacré. Ce que j’appelle le sacré ne relève pas nécessairement d’un code spirituel, encore moins d’une croyance, mais d’un espace - là encore un lieu - où quelque chose de la parole se donne comme relevant d’une dimension intérieure. Les narrateurs de mes livres sont confrontés à des expériences de dépossession, d’extase, d’illumination ou de perte ; et peu importe que ces expériences leur ôtent quelque chose ou leur donnent cette chose, puisqu’il s’agit de la même opération par laquelle ils accèdent à un point que l’ emploi du temps de la société ne procure pas : une jouissance intérieure de la parole. Je raconte toujours l’histoire d’un narrateur qui disparaît. C’est toujours une silhouette masculine en bordure d’appartenance (il appartient le moins possible). Au fur et à mesure de mes livres, ce narrateur, à peu près toujours le même, n’a même plus de lieu où vivre. Ce sont des personnages qui n’ont pas tellement d’appartenance sociale, ils ne travaillent pas, par exemple. Je pense que le rapport polémique avec le travail est une des constantes de ce que j’essaie d’organiser dans le texte général de tous ces récits ; par là même, leur existence de déserteurs a aussi une dimension politique. Leur solitude devient politique.

Pour approfondir ce qu’il y a à l’intérieur de cette « disparition », il faut descendre en spirale, c’est-à-dire se mettre à penser. La disparition qui anime mes narrateurs relève de quelque chose qui couche à la richesse de l’inapparent. « Immense opulence inquestionnable », dit Rimbaud. C’est l’être lui-même, non ? Richesse de nature poétique, qui échappe à la représentation, et qui rend nécessaire, si l’ on s’ achemine vers elle, un mouvement de déprise qui seul rend possible l’accès. On pourrait fantasmer la disparition comme un territoire de pauvreté, eh bien non : ce qui vit depuis le lieu qu’elle ouvre, c’est un trésor. Et c’est le cœur même de cette expérience qu’on appelle la littérature. À un moment où un autre, et même s’ils sont pris dans des tournures désespérées ou des aventures qui semblent austères, voire terribles, les narrateurs de mes livres pourraient s’exclamer, comme Rimbaud dans Les Illuminations : « Je suis mille fois le plus riche ». Vous comprenez bien qu’on n’est plus du tout ici dans l’économie ni dans l’échange marchand, mais dans l’usage immédiat de l’être, si je puis m’exprimer ainsi. Une dépossession, un décrochage qui mènent à une jouissance luxueuse : voilà ce que j’expérimente sous le nom de « disparition ».

Le narrateur des Renards pâles, à partir du moment où il entre dans sa voiture, où il se coupe de tout échange avec la société, se fabrique un monde vivable grâce à la contemplation d’un papyrus et d’un cerisier. Fonder un lieu, ça peut avoir lieu partout et nulle part : dans une voiture, ou comme dans Tiens ferme ta couronne, le roman que je viens de terminer, dans l’espace a priori réduit d’un divan-lit. La disparition rompt avec les emplois du temps homologués qui tous fournissent de l’apparition. Mais disparaître, c’est chercher à enfin apparaître. À apparaître mieux. Mais apparaître où ? Dans l’être ? C’est l’écriture qui en décide. La littérature, l’exigence d’écrire, ça a à voir selon moi avec une certaine rigueur sur cette question de l’apparition : il ne s’agit pas d’apparaître dans une quelconque position sociale ou de pouvoir, mais d’enfin venir à l’être - c’est une expression de Pascal qui est assez belle et qui nomme chez lui la résurrection : « Venir à l’être ».

[…]

Vous parlez du risque, eh bien je me vois un peu - je le dis avec aurodérision - comme un chevalier [rires] racontant des histoires de chevalerie contemporaine. Franchement, il n’y a rien de mieux que Chrétien de Troyes. Surtout Lancelot, le chevalier à la charrette, qui raconte l’histoire de quelqu’un qui traverse sa mort : il y a une scène dans un cimetière où il y a une stèle impossible à soulever ; Lancelot la soulève, passe à travers et découvre que son nom y est inscrit. Traverser sa propre mort, n’est-ce pas l’opération de la littérature ? Seule la parole est capable d’une telle chose : Roberto Bolaiio, Lazlo Krasznahorkaï, Leïb Rochman, tous les écrivains que j’aime font ça. On revient à l’initiation : Vie - Mort - Vie. Le risque, l’initiation, la littérature

Je me considère donc à la fois comme un chevalier cherchant un passage dans la métaphysique, et en même temps, je m’identifie, en tant que j’écris, à Renart, au Roman de Renart, à cette pouillerie étincelante qui est tout le contraire de la grande noblesse de la Table Ronde. Renart, c’est l’incarnation de la ruse, du contre-pouvoir, du jeu subversif. Quand j’écrivais Les Renards pâles, je me disais que c’était seulement en tant qu’héritier de ce trickster qu’est Renart - celui qui détourne la loi et déstabilise les tracés -, que je pouvais prétendre me présenter devant la spiritualité retorse du Renard pâle dogon. Tout ça pour dire que mon rapport avec la société littéraire relève de cette ruse. Je suis publié chez un « grand éditeur », comme on dit - un éditeur qui fait aujourd’hui dans l’industrie littéraire-, et j’aime cette idée d’intervenir sous couverture prestigieuse, vêtu en chevalier, mais en tant que renard/t [rires]. Je me dissimule. La vérité est dans les livres, pas dans l’image. Ainsi ma stratégie consiste-t-elle à apparaître masqué. Au fond, c’est encore une manière de disparaître. Qui pourrait dire où se trouve « le vrai » Yannick Haenel ?

C.L. : Cela me permet d’embrayer sur la question de l’identité qui est toujours mise à mal dans votre œuvre, ou, plus exactement, c’est son homogénéité - le système clos, aliénant et restrictif qu’elle peut représenter - qu’il convient d’enrayer.
C’est dans Les Renards pâles que c’est le plus explicite. […] Il s’agit de « récuser l’ appartenance » (p. 154), pour reprendre un syntagme du texte. Et je pense à cet extrait de l’ œuvre que j’ai envie de vous lire et qui en témoigne tout particulièrement :

« Nos corps s’enlacent, les bouches se mêlent. Croupes, épaules, nuques, aisselles glissent et se lèchent. Dans l’eau, il n’y a plus d’hommes blancs, de femmes noires, d’hommes noirs ni de femmes blanches, la peau lorsqu’elle se baigne n’a plus de couleur, elle ruissèle et se boit, se caresse, se suce, se pétrit, se mord et gicle » (Les Renards pâles p. 160).

Quel rapport entretenez-vous dès lors avec le concept d’identité, parce qu’on sent qu’il est complètement mis en tension dans vos textes ?

Y.H. : Déjouer l’identité, c’est exactement de cela dont il s’agit.

Chaque fois que j’écris un livre, ça tourne toujours autour de la dissolution d’un sujet. De la disparition de quelqu’un qui meurt à la société, pour trouver ce que certains évangiles gnostiques appellent le « Lieu de la vie ». Je ne perçois pas l’identité comme une notion démocratique mais comme l’autre nom du contrôle : on est assigné à ne pas sortir de son nom. Au contraire, écrire consiste à déborder son nom, à l’ouvrir, à trouver en lui le « point le plus vivant » dont parle Dante. Vous avez raison de convoquer cette scène orgiaque : ouvrir son nom, c’est l’expérimenter comme lieu où le sexuel se libère. S’il y a un espace où l’identité se désagrège de manière heureuse, c’est bien dans la sexualité, dans l’opération érotique, qui est en même temps la métaphore la plus juste de ce qui a lieu dans l’opération poétique. Je suis heureux de vous entendre lire cette scène des Renards pâles, parce que j’ai tenté ici non seulement de trouver les mots pour dire l’étreinte - ce qui est le cœur même de la littérature-, mais j’ai surtout essayé de déjouer les genres : je pense qu’on ne sait plus, dans cette scène, qui est homme, qui est femme, qui est blanc, qui est noir.

C.L. : Et ce lieu, c’est alors le lieu d’une renaissance, mais loin me semble-t-il d’un principe identitaire. Et alors ce qui est mis au jour c’est « disparaître pour renaître » ; alors on s’engage - vous avez utilisé le mot « s’ouvrir », ouvrir le nom - dans l’ouverture, et il y a ce syntagme que vous utilisez à de nombreuses reprises dans vos textes qui est : « investir l’étendue », avec cette idée de relancer l’existence dans un élan nouveau.

Y.H.  : C’est juste. Chacun de mes livres relate un voyage - Berlin, l’Italie, Paris -, mais surtout une résurrection. Pas seulement au sens spirituel, d’ailleurs. Résurrecter, c’est retrouver de l’effervescence. Dans Ézéchiel, la résurrection est décrite en termes de fraîcheur ; il s’agit de ranimer - c’est la phrase de réveil au début de Cercle  : « C’est maintenant qu’il faut reprendre vie ». Il y a une expression que j’aime bien dans la correspondance de Proust : il parle de « comprimé de vie ». Je pense que les narrateurs de mes livres se sont injectés ces comprimés de vie. Ils ont en eux quelque chose d’indemne, qui leur permet de le chercher partout - de rencontrer l’indemne. Le point autour duquel on tourne durant cet entretien avec l’idée de disparition, point qui est aussi celui qui m’anime lorsque j’écris, c’est précisément cela : l’indemne. Étymologiquement, ça veut dire le « non-damné » - ce qui échappe à l’enfer.

La recherche de l’indemne est une quête gnostique. Elle suppose l’innocence. Je ne sais pas si je crois en Dieu, mais je crois en l’innocence. Nous vivons dans un monde où nous sommes pris en otage. Ce monde est la proie d’un mauvais démiurge. Nous sommes maintenus dans son crime. Le mal nous aveugle. Pour sortir du cercle, pour disparaître de ce monde faux, nécessité, par des étincelles de pensée - par la parole-, de rejoindre la véritable divinité. Melville, Faulkner, Artaud, tous les écrivains que j’aime sont gnostiques : cette conception des choses est à l’œuvre.

Yannick Haenel. La littérature pour absolu

Sous la direction de

Corentin Lahouste et Myriam Watthee-Delmotte

VOIR ICI


[1Yannick Haenel, la littérature pour absolu, sous la direction de Corentin Lahouste Myriam Watthee-Delmothe

[2Hermann Editeurs, 2020, Sous la direction de Corentin Lahouste Myriam Watthee-Delmotte

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