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« C’est la Révolution française qui continue de plus belle. »

Entretien avec Didier Jacob, L’Obs du 19 mars 2020

D 20 mars 2020     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Photo François Berthier, L’OBS.

Didier Jacob : — Dans Désir, vous vous en prenez à #Metoo et à ce que vous appelez « l’Alliance féministe universelle ». N’est-ce pas risqué de prendre ce parti aujourd’hui ?

Philippe Sollers : — Mais non, #Metoo est une excellente nouvelle. Le fond du sujet, c’est que les questions sexuelles aujourd’hui débattues ne devraient tromper personne sur le but recherché qui est une intimidation générale. Ce qui est visé, c’est l’ensemble de la bibliothèque. D’ailleurs, j’ai prophétisé, dans Femmes, dès 1983, ce qui s’accomplit sous nos yeux.

Mais qu’est-ce qui s’accomplit selon vous en ce moment ?

— C’est la Révolution française qui continue de plus belle. Avec l’émancipation de la substance féminine. Comme a dit quelqu’un que je n’oserai pas citer, «  la Révolution n’est pas un dîner de gala », et les dégâts collatéraux sont considérables. Mais Désir permet de prendre la distance révolutionnaire qu’il faut pour trouver que tout cela est finalement très positif. D’autant que cette libération de la parole féminine, qui est partie du cinéma américain, trouve à mon avis son impact majeur en France. Pourquoi ? Parce que la France, à travers sa littérature du XVIIIe notamment, a pris une avance considérable sur l’expérimentation des choses dites sexuelles. On peut d’ailleurs m’accuser vivement d’avoir été très partisan de la publication en Pléiade du Marquis de Sade…

Selon Adèle Haenel, le cinéma français n’a justement pas encore fait sa révolution…

— Moi, je soutiens à fond #Metoo. Je suis pour l’émancipation des femmes. Combien de temps a-t-il fallu pour qu’elles aient les droits élémentaires ? J’ai été fanatique de Simone Veil proposant l’IVG à la tribune de l’Assemblée nationale. C’est la moindre des choses. C’est un moment qu’il faut absolument soutenir, avec comme conséquence des dégâts considérables.

Vous voulez parler de la fin de ce que l’on pourrait appeler « l’horreur masculine » ?

— Ce qui m’intéresse, ce n’est pas qu’on fasse la chasse au mâle blanc hétérosexuel. La vraie question, que je pose dès le début du livre, c’est pourquoi maintenant ? La réponse la plus probable, c’est la régulation technique de la reproduction. Les femmes ont été obligées de subir pendant des millénaires des viols qui devaient consister à les faire engendrer pour les sociétés qui n’attendaient que ça. C’est une histoire terrifiante. « Mon corps m’appartient  », c’est très récent. On n’en est qu’au début, ce sont les premiers pas. C’est de ça que je me préoccupe, et surtout à travers les écrivains, toujours meilleurs que les philosophes qui n’y ont jamais vu que du feu.

Pourquoi cette émancipation serait-elle forcément synonyme de contre-désir ?

— Elle peut l’être. Elle peut entraîner un violent mouvement de contre-désir, c’est ça que je condamne. Mais on ne peut pas me faire le procès de contester cette émancipation, si on veut être simplement correct avec moi. Après tout ce que j’ai écrit, tous les livres qui précisent mon amour pour les femmes, les lettres à Dominique Rolin, etc.

Vous avez été l’éditeur de Matzneff. Vous ne regrettez rien ?

— C’est vrai, j’ai publié La Prunelle de mes yeux. Il faut prendre ce livre et celui de Vanessa Springora et les lire ensemble pour savoir un peu qui est cette merveilleuse Springora. Elle-même dit maintenant qu’elle n’avait pas prévu tout ça. D’accord, tout ça, c’est très bien. L’histoire Matzneff est un épisode social français du plus grand intérêt. S’il n’avait rien écrit, rien ne se serait passé. À l’heure où je vous parle, il y a dix mille pédocriminels dans la nature en cours d’exercice.

Donc pas de regret ?

— Ce que je trouve le plus étrange, c’est qu’on puisse accuser Matzneff de n’avoir aucun talent littéraire. Le seul qui a eu un peu de bon sens, c’est Dominique Fernandez qui a dit : « Attention à ce que tout ça ne produise pas un effet rétroactif. Baudelaire, etc. On va vous resservir toute la bibliothèque. » Alors Matzneff est-il un écrivain en très fâcheuse posture ? Il n’est pas Shakespeare, nous sommes d’accord, pas le Marquis de Sade non plus. Mais je trouve ce lynchage social extraordinairement préoccupant. C’est une leçon d’intimidation à l’américaine. Intimider tout le monde et surtout les maisons d’édition.

Est-ce que l’éditeur de Matzneff n’a pas sa part de responsabilité ?

— De responsabilité littéraire ?

Non, morale.

— Morale ! Et alors là on tombe dans la phrase de Pivot, autrefois la littérature primait sur la morale, maintenant c’est la morale qui primerait sur la littérature, et moralement c’est un progrès. Eh bien j’ai une attitude qui ne correspond pas à la morale. Mais c’est assez courant dans ce que je fais, il n’y a pas que Matzneff, j’ai publié beaucoup de choses, y compris mes propres livres. J’avais décidé de ne pas parler, mais Elisabeth Philippe [journaliste à « l’Obs »] m’a téléphoné pour me demander pourquoi j’avais arrêté de publier les Journaux de Matzneff. J’ai répondu « par saturation », et c’est vrai. Deuxièmement, et c’est vrai aussi, sa fantasmatique ne correspond pas du tout à la mienne, ce qui est le moins qu’on puisse dire.

Mais dire que l’on prend le risque, à terme, de disqualifier toute une littérature de la transgression, de Baudelaire à Genet, comme l’ont expliqué les soutiens de Matzneff, n’est-ce pas, à l’inverse, prendre le risque de légitimer la pédophilie, au prétexte qu’on serait écrivain et qu’on pourrait dès lors tout se permettre ?

— Un écrivain est toujours coupable. Une phrase de Genet, reprise par Sartre, m’a toujours parue hyper-lumineuse : « La société pardonne plus facilement de mauvaises actions que de mauvaises paroles.  » Je crois que c’est vrai. Je crois, comme Flaubert, à la haine inconsciente du style. Attention, cette haine est là.

Mais, comme vous le dites, Matzneff n’est pas Shakespeare…

— Non.

L’affaire Matzneff, qui s’ajoute à l’affaire Moix…

— Maintenant c’est Griveaux…

Mais parlons des écrivains…

— Je vous rappelle que Pavlenski est un artiste russe…

Le milieu littéraire français, qui a été le milieu roi pendant des décennies, n’offre-t-il pas cependant, avec les affaires Moix, et maintenant Matzneff, une image consternante ? L’image d’un entre-soi intouchable où tout est permis, au nom de prétendues qualités littéraires ?

— L’entre-soi dont vous parlez n’a jamais été quelque chose que j’ai pratiqué…

Mais vous êtes au coeur du système !

— Je lis des textes, je les publie ou pas, avec plus ou moins d’accord. J’en ai publié beaucoup et ce que je remarque, c’est que je pourrais écrire encore trois chefs d’oeuvre, on ne m’en parlerait pas mais on me questionnerait sur ce qui pourrait avoir un rapport avec des symptômes sociaux.

L’intelligentsia française est en crise selon vous ?

— Je ne vais pas vous apprendre que la société est en pleine mutation que je crois révolutionnaire.

Mais ce milieu de grande influence, dont vous faites partie, il est en crise lui aussi ?

— C’était un milieu d’influence. Ça aura été. Prenez « l’Observateur » de Jean Daniel. Faisons-le parler d’André Gide. Après ce sera Camus. Et dans le journal, on fera parler des gens aussi étranges que Sartre, Foucault, Barthes, etc. Vous avez devant vous un survivant que l’on veut classer dans le futur antérieur et qui écrit un livre pour dire que le temps continue de plus belle, un temps révolutionnaire.

A l’époque, Denise Bombardier avait eu un certain courage, chez Pivot, pour dénoncer les pratiques de Matzneff. Et vous l’aviez traitée de « connasse »…

— Connasse. Elle a interprété ça comme si je l’avais traitée de mal baisée. Ce qui n’aurait jamais pu me venir à l’esprit. Jamais je n’aurais eu l’idée de traiter une femme de « mal baisée ». Je revois très bien la situation. J’étais en état d’ébriété. J’étais tout simplement bourré, cher monsieur.

Mais sur elle ?

— Je n’en pense rien.

Elle a eu un certain courage ?

— Qu’on la décore.

Pensez-vous qu’on pourra écrire, publier, avec autant de liberté dans les années qui viennent ?

— Ce n’est pas sûr. Il n’y aura plus de scandale puisque tout aura été contrôlé à la source. Je ne suis pas le seul à m’inquiéter de la liberté d’expression. Il y a une crise anthropologique formidable. Evidemment vous pouvez attaquer Freud, ça a eu lieu, ça continuera d’avoir lieu. Lacan me manque. J’aimerais bien aller le voir, qu’on aille dîner comme autrefois pour rire un peu de la stupidité humaine généralisée, de la névrose emblématique. Heureusement que je peux avoir des conversations un peu poussées sur tout ça, très calmes, avec mon épouse qui est psychanalyste [Julia Kristeva].

Vous êtes fatigué, inquiet ou serein ?

— Tout ça fait partie de la vie qu’on est obligés de mener. Je ne demande aucune commisération. C’est normal. C’est la guerre. C’est la France qui va mal.

En quoi votre personnage de Philosophe inconnu incarne la résistance ?

— Pas la résistance, la révolution. Ce n’est pas la même chose.

Une révolution continuée à l’échelle d’un seul homme ?

— Oui, il n’y a plus que lui.

Il n’y a plus que vous ?

— Ben ouais.

Propos recueillis par Didier Jacob, L’Obs du 19 mars 2020


L’OBS du 19-03-20.
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Le Figaro Magazine du 20-03-20.
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