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Sur "Le Cavalier polonais"

Mots d’écrivains

D 3 septembre 2006     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Le fameux tableau de Rembrandt que certains experts attribuent à l’un des plus talentueux élèves de son atelier, Willem Drost, fait partie de la « Frick Collection », New York. Huile sur toile de 115 x 135 cm. Ce tableau de 1655 fascine aussi des écrivains :


Le Cavalier polonais The Frick Collection – New York
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Le Cavalier polonais, détail
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Pour Sollers : « 
Promenade ... J’ai envie de revoir la Frick Collection...
Villa bourrée de chefs-d’ oeuvre... Le Cavalier polonais, de Rembrandt... Il est là, oblique, farouche, surgi rouge du fond marron jaune du paysage ... Bonnet de fourrure, arc et flèches... Apocalypse en éveil...
« Pourquoi " cavalier polonais " ? dit Cyd.

- C’est un tableau bizarre, plein d’allusions occultes, comme souvent Rembrandt, dis-je. Question métaphysique dessous. Controverse religieuse, je ne me souviens pas exactement... Mais regarde comme il fend la salle. Le temps. Comme il sort de terre. De la terre. Du limon terreux. En regardant quoi ? Ça me rappelle maintenant que l’armée polonaise a aidé à arrêter celle de Soliman devant Vienne... Tu sais que c’est de cette époque que datent les croissants ? Les croissants qu’on mange... Tu sais aussi que Nietzsche aimait à se comparer à un cavalier polonais ?

- Ah bon ? »
Cyd veut bien me croire... Elle supporte gentiment mes petites conférences improvisées... On sort de la Frick, on marche jusqu’au Plaza pour prendre un verre... C’est le New York ensoleillé vibrant des grands ours d’été... Avec l’océan comme debout, quelque part, derrière la lumière...
 »
Femmes, Folio, p.491.

Pour Marguerite Yourcenar il est « une image obsédante »


Pour John Berger
le voyage, c’est l’admirable tableau de Rembrandt, « Le cavalier polonais », à la collection Frick à New York. Un tableau de la fin de la vie du maître et qui subjugue chaque visiteur car « c’est le début d’une histoire racontée par un vieil homme qui a vu beaucoup de choses et qui ne veut pas aller se coucher », dit John Berger. On croirait l’entendre parler de lui-même.

Crédit :
Guy Duplat,, Le souvenir et l’intelligence, La libre Belgique du 27/01/2006
Josyanne Savigneau, John Berger en voyage, dans le temps et dans sa vie, LE MONDE DES LIVRES du 05/01/.06

Parole aussi à Renaud Camus, anti-Sollers notoire

Leur antagonisme se manifeste t-il aussi dans la peinture ? Que dit-il dans son Journal de « l’affaire Camus » ? qui l’opposa à Sollers et à d’autres.

Jeudi 4 mai (2000), quatre heures moins le quart.
Jour de découragement. J’avais pensé aller voir à la Frick Collection Le Cavalier polonais, de Rembrandt, l’un de mes tableaux préférés dans le monde. Mais en fait je reste enfermé ici, endroit lui-même fort enfermé au point que Jim, quand il est là, regarde la télévision, le matin, pour savoir le temps qu’il fait et comment il doit s’habiller...

Mon article ne passera pas dans Libération. Jacques Amalric a envoyé à Paul un message selon lequel il ne voyait pas l’opportunité de le publier, « la polémique ayant tendance à se calmer ».[...]

Samedi 13 mai, deux heures et demie de l’après-midi.

Une étrange sérénité m’est venue, m’a quitté, m’a repris.
[...]
A la Frick Collection, avant-hier, j’ai vu Le Cavalier polonais. Au Gotham Book Mart, de nos jours, une dame âgée qui entre avec un sac doit le laisser en dépôt à la caisse, crainte qu’elle n’aille y glisser un ou deux livres. Oh je déteste mon époque ! On y est humilié du matin au soir. Si ma grand-mère avait pu imaginer une chose pareille, mais elle serait morte de honte ! Qu’on lui fasse ouvrir ses bagages au moment de quitter un hôtel, par exemple, pour vérifier qu’elle n’emporte pas les serviettes de bain ! Eugène Leroy est mort jeudi dernier.

Le cavalier m’a déçu, dans un premier temps. Il avance de gauche à droite, en effet, et j’étais certain du contraire. Dans la main quelque chose ne va pas. Tient-on une arme de la sorte ? Et puis la toile était plus grande, dans mon souvenir.

On se croirait à Volterra : salle des Voyages vers la mort en bateau, salle des Voyages vers la mort en chariot, salle des Voyages vers la mort à cheval. Forse che si, forse che no. Quand on marchait dans l’atelier, à Wasquehal, on devenait un Leroy, tant il y avait de peinture partout, et sur le sol, accumulée depuis cinquante ans, mais toujours fraîche.

Cela dit je n’y suis jamais allé. Pourquoi spécialement "polonais" ? Il nous regarde dans les yeux, comme cet autre guerrier au milieu des batailles, chez Ucello. Quatuor à cordes, tons bruns. Le vieux Rembrandt en costume oriental, un peu plus loin, musicalement c’est le même tableau.

Renaud Camus




Le Cavalier polonais et les experts

[...]Depuis 1968, [ la redoutable institution RRP (Rembrandt Research Project]. a entrepris de partir à la recherche des faux Rembrandt. En trois décennies, elle a dégraissé le corpus des oeuvres de manière très vigoureuse. Seules deux grosses centaines de tableaux reviennent aujourd’hui au maître, contre près de mille au début du XXe siècle.

Armés de microscopes et de toutes sortes d’instruments scientifiques, les membres du RRP ont fait le tour des musées du monde pour dépister les oeuvres suspectes. Au fil de la parution des volumes contenant les oukases du comité, un certain nombre de toiles très célèbres ont été désattribuées. Le fameux « Casque d’or » ainsi que l’extraordinaire « Cavalier polonais » de la Frick Collection, à New York, ont fait partie des tableaux « dérembrandtisés ». Bien sûr, un certain nombre d’institutions ont, à juste titre, poussé des cris. Le Louvre a refusé de changer l’attribution de son« Philosophe ».

Président du RRP depuis 1993 et cocommissaire de l’exposition « Rembrandt Caravage », Ernst Van de Wetering a lui-même changé d’avis à propos du « Cavalier polonais ». Cette somptueuse toile, représentant sans doute le départ du fils prodigue, est celle qui, d’après l’historien d’art Christopher Wright, « mérite le moins d’être considérée comme l’oeuvre d’un élève non identifié ».
[...]

Avec la parution récente du tome IV des travaux du RRP, consacré aux autoportraits du maître, la polémique risque de rebondir. Le comité a remarqué la présence de quartz dans la couche d’apprêt des tableaux sortis de l’atelier après 1642. Les toiles réputées revenir au maître et réalisées après cette date ne seraient-elles pas de Rembrandt dès lors qu’on ne trouverait pas quelques poussières de quartz ? C’est faire fi de la réalité de l’atelier de Rembrandt, dont finalement on ne sait pas grand-chose. Des dizaines de collaborateurs ont travaillé dans cet atelier, réalisant même des autoportraits de Rembrandt, ce qui ne manque pas de sel. De plus, comme il était d’usage à l’époque, Rembrandt apportait sans doute une touche finale à certains tableaux. Alors, qu’est-ce qui, en définitive, est ou n’est pas de la main de Rembrandt ? L’exposition d’Amsterdam présente quelques chefs-d’oeuvre bibliques, comme « Le festin de Balthazar » ou « Le sacrifice d’Isaac », réputés être, techniquement, des « Rembrandt » pur sucre. Certes, mais aucun de ces deux chromos ne tient la route à côté de l’admirable « Cavalier polonais »

Crédit : Jean Pierrard, Rembrandt et l’ombre du Caravage, le point 16/03/06 - N°1748, - Page 119

Que peignait d’autre,
Drost,
ces années là ?
L’année d’avant, en 1654,
une voluptueuse Bethsabée
acquise depuis par le Louvre.


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Bethsabée recevant la lettre de David

Le Rembrandt des 20 dernières années

Le Cavalier polonais (1657) date de cette période

The last 20 years of Rembrandt’s live’ see him becoming increasingly independent and detached from his artistic environment. His pictures become far more inwardly emotional. The Berlin Man in a Golden Helmet (see right i.) is both a still life of an ageing man in an extravagant gold helmet and a statement about the contrast between the untarnishable gold and the fragile human underneath it.

A surprising number of the paintings from these years are of uncertain date. The artist was beginning to suffer from the [mancial troubles, perhaps caused by extravagance and carelessness, which eventually resulted in his bankruptcy in 1656. It was about this time that the artist had his most important commission from abroad. This came from Don Ruffo, a Sicilian merchant resident in Messina. The commission was for the Aristotle Contemplating the Bust of Homer (see right j.) which is in the Metropolitan Museum, New York. Don Ruffo was so pleased with the picture that he ordered a pendant for it from Guercino, remarking to the Italian artist that he had better paint it in his earlier darker manner, in order that it should not clash with his Rembrandt. Don Ruffo then commissioned Rembrandt to paint an Alexander, and this is almost certainly the picture in Glasgow.

It is this group of pictures—the two for Don Ruffo and the Polish Rider in the Frick Collection, New York—which sum up Rembrandt’s career. They all have his near-miraculous brushwork, an ambiguity of subject matter which makes the spectator want to enquire further without ever having the possibility of an easy or explicit solution. We are never sure quite what the Polish Rider is doing.

Crédit :
The Dutch Painters : 100 Seventeenth Century Masters
par Christopher Wright, Londres, 1978, p. 170


Critiques d’art « Reviews »

Le tableau a été découvert en 1897 en Pologne, plus de deux siècles après sa création, sans que l’on sache l’histoire de ce tableau entre temps, ni qui est l’énigmatique cavalier...

La jeunesse avec ses désirs inapaisés et illimités
« La merveille et la beauté du corps, le roman de la jeunesse, furent pour l’art et la littérature d’Occident un perpétuel sujet d’inspiration. Comme ce sentiment abonde dans quelques portraits de jeunes gens, dans ceux du Titien ou du Giorgione, par exemple, ou dans le Cavalier polonais de Rembrandt ! La jeunesse avec ses désirs inapaisés et illimités, ses émotions enivrantes, sa conscience éveillée et intense de toutes les possibilités de la vie ; la jeunesse pour laquelle la terre semble tout fraîchement créée, pour qui les héros de l’histoire accomplissent de nouveau leurs actions d’éclat, et les poètes reviennent chanter leurs stances ! Comme on trouve tout cela dans l’art d’Extrême-Orient ! »

Laurence BINYON (1869-1943)
PEINTURE de la CHINE et du JAPON (1908)


« Imaginer Rembrandt sans Le Cavalier polonais, c’est comme imaginer Wagner sans Parsifal »
Personally, I love The Polish Rider and I am certainly not the only one who does. But it is in certain respects unlike other Rembrandts-starting with the fact that Rembrandt’s equestrian paintings are few and far between ; in all the body of his work, there is only one other portrait of a man on horseback, the portrait of Frederick Rihel (1663) in London’s National Gallery, and this prosperous-looking civic guardsman astride his baroque rocking horse is a world away, both in looks and in feeling, from the bony, Rocinante-like nag that bears its young rider across the canvas on his urgent, inscrutable errand.

The picture was found in a castle in Poland, hence its entirely gratuitous title ; but nobody knows who the rider was, or even whether he was, in fact, Polish : probably he is wearing these clothes because Rembrandt had them in the heterogeneous clutter of costumes in his studio. The art historians, from Julius Held to Kenneth Clark, who have argued that the starting point of the painting was actually (or "possibly," or "probably," or "very likely," or "almost certainly") a skeleton man mounted on a skeleton horse which Rembrandt saw and drew in the dissecting room of Leiden University may very well be right. Or not. There can be few paintings of comparable quality of which less is known for sure than The Polish Rider. But the doubts cast on it by the RRP are also guesswork. The efforts to reattribute it to one of Rembrandt’s pupils, Willem Drost, about whose life and work very little is known, are quite inconclusive. They are like attempts to "prove" that Hamlet was really written by someone other than William Shakespeare-but someone who was still as good a writer as Shakespeare, for whose existence there is no actual evidence. Until such a phantom turns up, to imagine Rembrandt without The Polish Rider is rather like trying to imagine Wagner without Parsifal.

Robert Hughes
The God of Realism
The New York Review of Books
Volume 53, Number 6 · April 6, 2006

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3 Messages

  • A.G. | 27 octobre 2006 - 18:10 1

    Je pense surtout qu’on peut apprécier l’humour de V.K. qui, citant le journal de Renaud Camus, a choisi un extrait où l’on peut lire : "Mais en fait je reste enfermé ici, endroit lui-même fort enfermé au point que Jim, quand il est là, regarde la télévision, le matin, pour savoir le temps qu’il fait et comment il doit s’habiller...".

    Renaud Camus nous parlant de ...Jim !!! C’est Dora qui doit être jalouse !


  • viktor | 27 octobre 2006 - 11:17 2

    Tout d’abord merci pour l’intérêt que vous portez à pileface, et votre point de vue est d’autant plus intéressant qu’il émane de quelqu’un qui apprécie tant Sollers, que vous avez rencontré plusieurs fois, que Renaud Camus.
    Si j’ai utilisé l’expression stéréotypée « anti-sollers notoire" qui vous fait réagir, et qu’en même temps je donne à l’expression artistique de Renaud Camus une si grande place dans cet article (même plus grande que celle de Sollers), c’est bien parce qu’il me semblait, que leur intérêt pour la peinture et leurs analyses critiques étaient celles de deux amateurs d’art (amateur au sens de celui qui aime). Et que ceci les unissait au delà de leur affrontement.

    C’est vrai, les chemins de Renaud Camus et Philippe Sollers se sont un moment croisés. Je ne sais pas quand ils ont commencé à diverger, mais il est clair que la divergence est affirmée par Sollers, avec force, en réaction contre un article écrit par Renaud Camus sur fond d’antisémitisme insidieux. C’est comme cela qu’il a été reçu par beaucoup. Quant au fond du différend, il n’est pas traité dans cet article. Ni ses tenants, ni ses aboutissants. Et même si l’on a été en communion de pensée avec Sollers, on peut cesser de l’être. Et réciproquement. Cela fait partie des parcours de vie. On se rapproche, on s’éloigne, voire on entre en conflit. Mais encore une fois, ce qui m’intéressait dans cet article, et se trouve démontré, de facto, par l’espace accordé au sujet, ce n’est pas si Renaud Camus était un agresseur ou une victime, mais de montrer leur passion commune pour la peinture.


  • laurent husser | 27 octobre 2006 - 10:56 3

    lecteur attentif et régulier de votre site sur Philippe Sollers, je réagis aujourd’hui à votre billet concernant Renaud Camus.
    Je suis grand amateur des livres et de la personne, Philippe Sollers ; je l’ai rencontré plusieurs fois et à chaque fois, c’est un beau moment. Mais je suis aussi grand amateur de Renaud Camus et je m’aperçois que le triste procès d’intention qui lui a été fait à l’époque de "La campagne de France" ne varie pas. Ce n’est pas un anti-Sollers notoire, il l’est devenu, sous les coups portés par Le Monde et autres officines de la bonne pensée unique. Je ne reviens pas sur cette affaire, elle est détestable, les chasses en meutes du politiquement correct n’ayant jamais rien donné de bon. Vous faites donc erreur avec votre introduction :
    l’affaire Camus ne l’opposa pas à Sollers et à d’autres, mais ce sont d’autres et Sollers qui s’opposèrent à lui et pour une fois, ils ne furent pas si bien inspirés...
    Rappellons que Camus a été publié autrefois, dans les années 90 dans l’Infini.
    De plus, l’extrait que vous présentez n’a guère de valeur. Aucun autre auteur ne parle autant et si bien de tableaux, dans ses livres, de toutes les époques.
    Bien sûr, il y a les remarquables textes de Sollers sur des artistes ; mais Camus, laissons lui cela, est bien l’un des rares à avoir un oeil, dans la littérature contemporaine, et des goûts tranchés.
    C’est peut-être ce que certains lui reproche.
    Alors, après tout, changez de victimes : Onfray est bien pour ça !
    Cela n’enlève rien aux qualités de votre site :
    j’apprends régulièrement des choses sur mon auteur contemporain favori !