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Philippe Forest et la tierce forme, ou bien le roman (auto)critique

Par Gabriella Bosco

D 4 mars 2019     A par Viktor Kirtov - Gabriella Bosco - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


De Gabriella Bosco, traductrice des œuvres de
Philippe Forest en italien

Cher Viktor,

je reviens vers vous pour vous envoyer l’article (paru en novembre) que vous m’avez fait l’amitié de revoir avant que je le remette à l’éditeur.
[…]
J’ai eu tout dernièrement un échange de lettres avec Sollers, à propos d’un livre d’un auteur italien que je lui ai proposé de lire et qu’il a beaucoup apprécié. On en reparlera.

Amicalement,
Gabriella

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Résumé

L’article étudie le statut générique de l’oeuvre littéraire de Philippe Forest, à la lumière de la notion de tierce forme proposée par Roland Barthes au cours d’une conférence prononcée au Collège de France le 19 octobre 1978. L’analyse se concentre surtout sur la réécriture de son
premier roman, L’enfant éternel – publié à Paris chez Gallimard en 1997 – , tentative de réécriture que Philippe Forest met en chantier dix ans plus tard par l’effet d’une réflexion autocritique concernant le choix du roman fait à l’époque du désastre, au moment du deuil, et d’où est sorti
un livre, Tous les enfants sauf un (Paris, Gallimard, 2007) qui, sans cesser d’être un roman, est en même temps un essai : « aucun des deux ou les deux à la fois ». L’article examine aussi le rôle joué, dans ce processus de réécriture sous forme d’autocritique, par la traduction en italien des ouvrages de Forest, lieu possible d’une objectivation de l’écriture pour un auteur s’exprimant toujours à la première personne mais à partir de la mise en question de cette dernière.

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Le début de l’article

1. Dans un texte paru en juin 2013 dans un numéro de la NRF consacré à L’enfance de la littérature, Philippe Forest écrit :

Je suis mauvais juge de moi-même. Mais je crois que la cérébralité du tempérament a toujours compensé chez moi une sorte de sentimentalité essentielle. La tête veille sur le coeur. L’esprit critique est mon mauvais démon. Ou bien : mon ange gardien [1].

2. Je reviendrai plus tard sur ce texte et sur les raisons qui ont poussé Philippe Forest à l’écrire. Pour le moment, je m’en tiens aux quelques lignes que je viens d’évoquer et qui vont me servir comme point de départ pour ma contribution.

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1. Le Roman du Je

3. Si j’ai proposé aux organisateurs du colloque de m’occuper de Philippe Forest et de sa pratique du roman – roman que j’ai qualifié, à partir du titre de ma communication, d’« (auto)critique » – c’est que je suis la traductrice italienne de ses textes et je les connais donc de très près. En outre, j’ai pu assister à la genèse et souvent accompagner l’élaboration de ses romans en raison d’une amitié et d’une collaboration littéraire qui se sont nouées au fur et à mesure au cours des années.

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4. Aujourd’hui, Forest est un auteur très considéré en France et à l’étranger et traduit en plusieurs langues. En Italie son oeuvre n’est pas entièrement traduite, mais tout ce qui a été traduit de lui en italien l’a été par moi [2]. Cela tient au fait que j’ai commencé à lire cet auteur dès ses débuts, à la fin des années quatre-vingt-dix, quand j’habitais Paris et étais correspondante culturelle pour un grand quotidien. J’avais la tâche, agréable d’ailleurs, de lire le plus grand nombre possible de livres parus pour choisir ceux qui, à mon avis, méritaient d’être présentés aux lecteurs du journal. À l’époque, j’avais constaté que parmi tous les livres qui sortaient, la plupart desquels se conformaient au modèle de l’autofiction, très pratiquée à ce moment-là, ceux qu’écrivait ce jeune romancier se situaient un peu à l’écart. Il avait publié son premier roman, L’enfant éternel [3], peut-être déjà son deuxième, Toute la nuit [4], et parallèlement ses deux premiers essais de théorie romanesque, Le roman, le réel [5] et Le roman, le je [6]. Auparavant, il avait écrit et publié des textes de critique littéraire et, en tant qu’historien de la littérature, une monographie sur Philippe Sollers [7], ainsi qu’une Histoire de Tel Quel qui a fait date [8] et d’autres textes. Mais là, il se lançait dans une écriture plus personnelle, j’oserais même dire dans une écriture tout à fait personnelle. D’un point de vue théorique, aspect qui le premier m’a intéressée (et c’est en effet à partir de ces textes-là, les essais, que j’ai proposé à un grand éditeur italien, Rizzoli, de traduire Forest – dans la collection BUR), il s’occupait dans les deux petits essais que je viens de citer du roman « qui dit je ». Après la saison des néo-avant-gardes, considérées par la doxa comme des mouvements ayant fait tabula rasa de tous les éléments constitutifs du roman traditionnel, y compris du je narratif, sévissait alors le débat sur un prétendu retour du sujet dans l’écriture romanesque.

5. Convaincu que l’expulsion du je par les mouvements de néo-avant-garde dans la phase subversive de leur action était loin d’être réelle, et que d’autre part le sujet qui s’exprimait dans les romans écrits par les protagonistes de ces mouvements dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix n’était pas un je signifiant un retour de leur part à la tradition après la fureur iconoclaste des années soixante, une fois constatée la stérilité de cette dernière (comme le voulaient la plupart des critiques), mais simplement un sujet, un je, qui – jamais rejeté par aucune avant-garde – avait été cependant transformé par leur travail (un je qui ne désignait plus comme auparavant une posture autobiographique, mais qui impliquait désormais une posture de témoignage), Forest affirmait que le romancier écrivant à la première personne n’était plus animé par la volonté de se raconter, par l’ambition de le faire afin de créer un monument de sa propre vie, mais qu’il était poussé plutôt par le désir, ou alors le pressant besoin, la nécessité, de
dire ceux qu’il, le sujet, aime, ceux qui n’ont pas ou n’ont plus la possibilité de se dire eux-mêmes.
Forest proposait d’introduire, à côté de la notion de « pacte autobiographique » théorisée par Philippe Lejeune, celle d’un autre pacte qu’il suggérait d’appeler « de témoignage ». Le romancier devait être pour lui un sujet témoignant de quelque chose. Le roman pour Forest devait d’une part répondre au réel, à l’appel que le réel lui adressait, mais d’autre part et aussi répondre du réel, s’en faire le témoin.

6. L’intérêt pour moi était précisément là, dans la force avec laquelle Forest affirmait qu’il s’agissait, il ne pouvait s’agir, que de roman. Dans le sens que – expliquait Forest dans ces deux petits essais fondateurs – dès que l’on met par écrit une expérience que l’on a vécue, on en fait un roman. La forme narrative donne inévitablement au témoignage le statut de fiction. Il créait pour ce genre d’écriture la définition de « Roman du Je », qui insistait justement sur la nature romanesque de l’ouvrage, se différenciant de l’écriture autobiographique traditionnelle tout comme de l’autofiction, caractérisée, cette dernière, par une constitution hybride, mais toujours alourdie, aux yeux de Forest, par « la signification fausse du Moi » (c’est Rimbaud, on s’en souviendra, qui la définissait telle dans sa lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny où il écrivait : « Si les vieux imbéciles n’avaient pas trouvé du moi que la signification fausse, nous n’aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s’en clamant les auteurs ! » [9])

Pour les autres sections :

2. La tierce forme
3. La réécriture et le roman (auto)critique
4. L’écrivain juge de lui-même

Voir l’Intégrale, ICI (pdf).

Crédit : REVUE ITALIENNE D’ETUDES FRANCAISES / Littérature, Langue, Culture


A propos de l’auteure

Gabriella Bosco est professeur titulaire de Littérature française à l’Université de Turin,
Traductrice officielle des œuvres de Philippe Forest en italien (Traductrice aussi de Vercors, Ionesco Beckett…). Codirige le magazine « Studi Francesi », revue franco-italienne qui publie en français et en italien mais dont le titre est en italien, écrit sur la littérature pour « la Stampa », Tuttolibri et diverses autres publications. A publié en 2018, un ouvrage sur Proust « Proust e gli altri »


Gabriella Bosco et Philippe Sollers à Turin, en avril 2003.
ZOOM : cliquer l’image
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Gabriella Bosco sur pileface

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[1Ph. Forest, « Pavane pour un poème perdu (puis retrouvé) » dans L’enfance de la littérature, La Nouvelle Revue Française, 605, 2013, p. 91-100, p. 99.

[2À une exception près : son deuxième roman, Toute la nuit. J’ai raconté l’histoire curieuse
de cette exception dans un texte paru récemment (G. Bosco, « Traduire Philippe Forest, ça
a débuté comme ça », dans Philippe Forest. Une vie à écrire, Actes du colloque international
Duke University & Universités de Paris 3, Paris 7 et Cergy-Pontoise, A. Foglia, C. Mayaux,
A.-G. Saliot et L. Zimmermann (éd.), Paris, Gallimard, « Les Cahiers de la NRF », 2018, p. 259-266.

[3. Ph. Forest, L’enfant éternel, Paris, Gallimard, 1997.

[4. Id., Toute la nuit, Paris, Gallimard,1999.

[5Id., Le roman, le réel, Nantes, Pleins Feux, 1999.

[6. Id., Le roman, le je, Nantes, Pleins Feux, 2001.

[7. Id., Philippe Sollers, Paris, Seuil, 1992.

[8Id., Histoire de Tel Quel (1960-1982), Paris, Seuil, 1995.

[9A. Rimbaud, Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, dans OEuvres complètes, éd. A. Guyaux, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2009, p. 343.

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