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La haine, le mal, le Diable

par Cécile Guilbert

D 21 février 2019     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Une manifestation contre l’antisémitisme Place de la République à Paris le 19 février 2019
Alexis Sciard /IP3 PRESS/MAXPPP Zoom : cliquez sur l’image.
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« Si l’on avait des tables de massacres comme on a des tables de météorologie, qui sait si on n’en découvrirait pas la loi au bout de quelques siècles d’observation  ? » se demandait jadis Joseph de Maistre dans l’une de ces superbes formules dont il avait le secret. Sommes-nous encore en mesure de disposer de « quelques siècles »  ? Au train d’enfer où vont les choses de ce monde, il y a de quoi douter…

À l’instar du terrorisme hégémonique et omniprésent dans l’actualité ces trois dernières années, j’ai eu l’impression pendant des mois que les médias étaient incapables de vriller en boucle sur autre chose que la crise écologique, la révolte des gilets jaunes, la pédophilie gangrenant l’Église catholique et l’expansion planétaire d’un populisme fascisant. Depuis quelques semaines, les gros titres sont à la déferlante tous azimuts de la haine. La haine antisémite d’abord, dans des proportions glaçantes qui soulèvent le cœur et l’entendement. Mais aussi la haine raciste, la haine homophobe, ainsi que la haine des femmes, increvable elle aussi  : autant de vagues nauséeuses qui indignent et révoltent tout autant.

Mais bien entendu, ce découpage thématique de l’actualité est parfaitement superficiel. Il est stupide d’isoler tel ou tel sujet car tout se tient  : la domination des uns et les préjugés des autres, l’égoïsme, la bêtise, la lâcheté, le ressentiment, l’irresponsabilité et j’en oublie. Car si les aléas événementiels grossis par les titres des journaux, radios-télés et sites d’info en ligne conduisent à tendre l’oreille à telle ou telle antienne matraquée au fil des jours (tags en allemand contre un marchand de bagels dignes de la Nuit de Cristal  ; agissements abjects de la « Ligue du Lol »  ; insultes ordurières à l’encontre de personnalités publiques, par exemple), il va de soi que de la même manière qu’au concert nous isolons un solo de flûte ou de violon à l’intérieur d’une composition musicale, au bout du compte nous avons écouté tout un orchestre, tout un morceau  : ainsi et de la même manière l’actualité doit être synthétisée, ramenée à son air majeur, sa tonalité dominante qui est sans nul doute celle du mal.

Ce dernier mot prononcé, je vois d’ici se froncer les sourcils de toutes sortes de bonnes gens et leurs bouches s’arrondir de stupéfaction. Le mal  ? Allons bon  ! Qui s’en soucie  ? Et que désigne-t-il  ? Parlez-nous plutôt des problèmes sociaux, des inégalités, de l’« oligarchie » française ou bruxelloise, du manque d’éducation, des défaillances des politiques publiques, des ratés de la mondialisation, - que sais-je encore  ? - mais pas du mal, concept trop vague et trop abstrait qui n’est d’aucune utilité pour résoudre les problèmes actuels. Il va sans dire que le cadre de cette chronique m’autorise à me moquer de l’utilité qui m’a toujours paru, comme à Baudelaire, un concept bien hideux.

À la question fondamentale de Lénine – « que faire ? » – je laisse volontiers les têtes politiques et les experts de tous bords s’empoigner. En revanche, vous surprendrais-je en vous avouant que le mal m’obsède, m’inspire, me donne du grain à moudre et que ses arcanes me passionnent comme celles des nouvelles coordonnées contemporaines du Diable en personne  ? Certains penseurs, et non des moindres, se sont essayés à développer l’argumentaire selon lequel il faudrait penser les liens entre la mort de Dieu, l’arraisonnement planétaire de la technique et le totalitarisme des subjectivités agglutinées au sein d’une société séculière universelle. Cette dernière, fondamentaliste en diable, n’a-t-elle pas usurpé la place du premier grâce aux procédures de la seconde  ? Aussi, quel intérêt d’incriminer sans cesse à tort et à travers les excès des « réseaux sociaux » si l’on n’est pas capable de remonter à la source du problème  ?

L’homme est mauvais et malfaisant, c’est entendu depuis toujours, sans doute depuis le péché originel dans lequel Maistre (cité encore pour sa puissante expressivité) voyait une «  inculpation en masse de l’humanité ». Mais la grande nouveauté avec tous les siècles passés de l’histoire humaine, c’est qu’il a désormais les moyens de le faire savoir à son prochain à chaque minute de son existence, sans relâche, sans répit, partout et tout le temps.

De là cette impression massive d’être submergé par la souillure et l’ordure, de respirer un air toxique et fatal qui est la substance même de la destruction, de la défaisance d’un monde devenu im-monde, c’est-à-dire sans formes, qui épouvante comme une charogne.

Cécile Guilbert, La Croix, 20 février 2019.

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Philippe Sollers, Sur l’antisémitisme
Philippe Sollers, Du Diable
Cécile Guilbert, Un temps pour haïr

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