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Le discours de Bernard-Henri Lévy lors de l’hommage national à Claude Lanzmann

Vies et mort de Claude Lanzmann par Cécile Guilbert

D 12 juillet 2018     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Un hommage national a été rendu ce jeudi 12 juillet à l’ancien résistant que fut le réalisateur de « Shoah ». L’événement a été marqué par les discours de Bernard-Henri Lévy, de Didier Sicard et d’Edouard Philippe.
Dans son discours, Bernard-Henri Lévy, le directeur de La Règle du jeu, a salué l’« intellectuel engagé et querelleur » ainsi que le « jeune maquisard, bouillant d’intrépidité et de vie ». « À ce juste qui a brisé l’enchaînement des morts et libéré tant de paroles étouffées, la France devait cet hommage », a-t-il conclu.

L’intervention de Bernard-Henri Lévy

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Le texte intégral

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Vies et mort de Claude Lanzmann

Cécile Guilbert, le 11/07/2018 à 6h00

« Se peut-il qu’un tel homme meure  ! », s’écria Diderot à la mort de Voltaire. Une pensée analogue m’anime depuis celle de Claude Lanzmann, ce géant endurant dont la grandeur et la bravoure rendaient acceptables les défauts les plus insupportables, ce pourfendeur inlassable de l’injustice et de l’ignorance, cet autre « éducateur de l’humanité » qui, deux siècles après que les Lumières fussent annihilées dans les ténèbres, lui est redevable d’avoir enfin nommé la « catastrophe » – shoah en hébreu – même s’il eût préféré que l’événement demeurât innommable.

« Je ne suis ni blasé ni fatigué du monde, cent vies, je le sais, ne me lasseraient pas », disait-il en grand vivant ogresque, gargantuesque, en fanfaron aussi des épreuves physiques et morales défiées, traversées, surmontées du tréfonds de ses nerfs et de ses os. Et ces « cent vies », il les a bel(les) et bien possédées dans la plénitude de ce que signifiait pour lui la vie  : une aventure splendide, passionnante et passionnée, quand l’amour et le sexe sont forts comme la mort et la mort le levier possible d’une vitalité inextinguible, assoiffée, increvable. Car au fond, la question de la possibilité et de l’impossibilité (de représenter, de filmer, d’écrire, et par extension de vivre et de mourir) auront été la grande affaire de son existence. Des toutes premières pages du Lièvre de Patagonie, son magistral opus mémoriel, jusqu’à son dernier souffle, semble-t-il. C’est pourquoi il eut raison de dire que « mourir n’a rien de grand, c’est la fin de la possibilité d’être grand, au contraire. L’impossibilité de toute possibilité. » Sa grandeur  ? Avoir précisément fait mentir l’adage selon lequel « à l’impossible nul n’est tenu » ou – variante napoléonienne en accord avec l’« ancienne francité » à laquelle il était si fier d’appartenir – qu’« impossible n’est pas français ». Car côté ski, nage, plongée, sauts en parachute ou vols dans les avions de chasse israéliens, il ne suffisait pas à ce taureau de combat dont personne ne couperait jamais les oreilles ni la queue de mettre son corps à l’épreuve jusqu’à un âge avancé, braver le danger, risquer sa vie pour mieux tromper la mort  : il lui fallait aller plus loin, se dépasser, battre les records dont il était seul juge des seuils et des prix. Ainsi l’a-t-on vu, à plus de 90 ans, retourner seul à Pyongyang pour tourner en cachette des autorités les décors de l’ancienne histoire d’amour qu’il eut jadis avec une infirmière nord-coréenne  : endurance et courage toujours [1]. Mais bien malin qui pourra dire comment, pourquoi, de qui et de quoi il tenait ses qualités exceptionnelles. Si elles furent natives ou acquises. Retrempées par l’épreuve de l’impossible ou permettant de l’atteindre. Et dans quelle mesure, s’être éprouvé juif mais jamais comme victime et a fortiori comme rescapé, absolument rétif au kvetch («  plainte  » en yiddish) typique de certains Ashkénazes, lui aura permis d’accomplir l’acte quasi surhumain consistant à réaliser les près de neuf heures et demie de Shoah.

Tout a été dit et écrit sur ce monolithe, ce monument, « ce film sans cadavres (…) dont le sujet unique est la mise à mort d’un peuple et non pas la survie » que Lanzmann lui-même nommait le «  monstre », « la Chose »  : mots qui disent à la fois la singularité et la radicalité d’une œuvre créée à partir du néant de la consumation des juifs d‘Europe et de l’effacement des traces de leur martyre  ; prouesse physique et métaphysique accomplie de l’intérieur même de la machine de mort nazie, pendant douze ans, dont sept de tournage et cinq de montage. Or d’avoir accouché ainsi la vérité, en faisant revenir victimes et bourreaux comme des spectres et tous les morts à travers eux, Lanzmann se sera d’une certaine façon « remis au monde », régénéré, puisant dans son « opus magnum » comme dans un réservoir d’étonnante jouvence, d’éternelle puissance  : mystérieuse alchimie de l’initiation et des résurrections, énigme d’un athée qui, à la différence d’un Dante ayant lui aussi visité les cercles de l’Enfer, n’avait foi qu’en la vie aimée « à la folie » et toutes les joies sauvages de ses incarnations. « Je ne sais ni quel sera mon état ni comment je le tiendrai quand sonnera l’heure du dernier appel, écrivait-il. Je sais par contre que cette vie si déraisonnablement aimée aura été empoisonnée par une crainte de même hauteur, celle de me conduire lâchement.  » Nul doute qu’à l’heure de sauter ce « peu profond ruisseau calomnié la mort » qu’évoquait Mallarmé, son courage fut doux et la peur absente.

Cécile Guilbert, La Croix du 11 juillet 2018

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