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Le Cavalier du Louvre

Point de Lendemain (suite)

Sollers répond à Kundera

D 25 juin 2006     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Dans Le « Cavalier du Louvre, Vivant Denon », voici comment Sollers évoque le petit livret laissé par M.D.G.O.D.R. (pour Monsieur Denon, gentilhomme ordinaire du roi), alias Vivant Denon. Occasion aussi de régler ses comptes avec Milan Kundera. Les deux hommes ne s’aiment pas.

L’auteur de Point de lendemain. Bref récit libertin du XVIIIe de 35 pages , un joyau de la prose française ?

Balzac recopie Point de lendemain dans la Physiologie du mariage.

Le dernier mot de Point de lendemain est point : « Je montai dans la voiture qui m’attendait. Je cherchai bien la morale de toute cette avaenture, et... je n’en trouvai point. »

Dans son roman La Lenteur (qui aurait pu aussi bien s’appeler Le Silence ou La Discrétion) qui fait de Mme de T... « une disciple d’Epicure » finit par se poser cette question angoissée : « Peut-on vivre dans le plaisir et par le plaisir, et être heureux ? L’idéal de l’hédonisme est-il réalisable ? Cet espoir existe-t-il ? Existe-t-il au moins une frêle lueur d’espoir ? »

Mais oui, cher Milan, et pour t’en convaincre, je vais te renvoyer (puique tu n’as jamais eu le temps de les lire, pas plus d’ailleurs que la plupart de mes proches ou de mes amis), un certain nombre de mes romans : Portait du Joeur, Le Coeur Absolu, Les Folies Françaises, La Fête à Venise, ou, mieux encore, Le Lys d’Or. Tu verras que ces « frêles lueurs » sont bel et bien des lumières [1], et tu me rassures en m’apprenant qu’elles sont dissimulées en pleine évidence.

[...]

Je me souviens du château de R..., [2] sur les bords de la Loire, où, un été, j’écrivais, pour « être sur le terrain », certaines pages du Lys d’Or. J’avais avec moi, quelle coïncidence, Point de lendemain. J’étais avec une délicieuse et décente Mme de T.[...] Le matin, nous prenions notre petit déjeuner sur la terrasse à l’italienne, colonnade et glycine, en regardant, de l’autre côté du fleuve le château de la Belle au Bois Dormant. [3] [...] Ce château [où j’étais avec Me de T..] a appartenu à Talleyrand qui y a vécu avec sa jeune nièce, la duchesse de Dino. Il était vieux, et elle très jeune [4]. Le congrès de Vienne, où il l’a emmenée était très choqué, mais à la même époque sûrement pas Denon [5]. Ah, les bords de la Loire, cher Milan, les contes de Perrault ! Comme Kafka aurait été heureux de venir se promener par ici ! Quelle vie de château !

La Nuit merveilleuse ; c’est le titre d’une réécriture pornographique de Point de Lendemain, à la fin du XVIIIe siècle. Vivant y a-t-il mis la main ? C’est possible, et nous ne devons pas oublier que, dans la version de 1777, apparaît dans le cabinet, une satue de Priape (faut-il rappeler au lecteur d’aujourd’hui qu’il est question d’érection. Vivant Denon a publié, avant l’Empire une série de dessins priapiques.

Mme de T... là devient Mme de Terville. On l’aborde d’une autre façon.
« je saisis l’instant, je pénètre hardiment jusqu’au fond du sanctuaire des amours : un cri étouffé m’avertit qu’elle est heureuse ; ses soupirs prolongés m’annoncent qu’elle l’est longtemps ; le mouvement précipité de ses reins dont mes doigts habiles provoquent l’agilité, ne fait que confirmer ce que ses gestes et sa voix m’ont assez indiqué : je redouble d’ardeur et d’audace : un « Ah ! fripon » prononcé en deux temps, mais de cette voix mourante du plaisir qui renaît, double mes forces, mon désir et mon courage ; nos langues s’unissent, se croisent, se collent l’une à l’autre ; nous nous suçons mutuellement ; nos âmes se confondent, se multiplient à chacun de nos baisers ; nous tombons enfin dans ce délicieux anéantissement auquel on ne peut rien comparer que lui-même »
Voilà donc notre discrète aristocrate « se repliant comme une anguille qui serait entortillée autour du plaisir, ou bien se livrant à « d’aimables morsures ». « Mouvement rapide des reins », « secousses ravissantes », « langue active qui communique le nectar des dieux », ça n’en finit plus, c’est le genre et, comme d’habitude, vite ennuyeux par trop d’abondance. Relevons quand même : « Troussée à souhait jusqu’au dessus des hanches, Mme de Terville s’était assise sur moi : le contact immédiat de ses formes rondes et potelées secondaient merveilleusement l’action énergique de l’instrument de nos plaisirs. »
Les clichés, ici, ont leur fonction toute prête
« Nos langues se mêlaient, se serraient ; nos dents même s’entrechoquaient ; collés étroitement l’un à l’autre, nous fermions hermétiquement l’entrée de l’asile où s’était introduit le dieu du plaisir, que nous honorions par les plus douces libations. »

... On peut difficilement proposer une plus belle défense et illustration de la langue française. French Kiss disent les Anglais et les américains.

1958 Louis Malle, les Amants qui s’inspirait directement de Point de Lendemain. On soulignera, malgré les bonnes intentions, le contre-sens final, où une moderne Mme de T... part à l’aube, vers une autre vie, avec son amant d’une nuit. C’est déjà l’époque d’un autre conformisme, bourgeois, se donnant maintenant comme vaguement libertaire. Le récit de DENON restera lui, éternellement aristocratique, et c’est pourquoi on ne peut en tirer aucune morale (une morale est faîte pour être partagée et, ici, chacun est renvoyé à soi, pour soi.)

[...]
Il y a encore une autre hypothèse à formuler à propos de Point de lendemain. Elle est plus gênante que celle de la frigidité supposée de Mme deT..., de son épicurisme ou de son homosexualité à peine voilée. La voici : Mme de T..., ennuyée de son amant et dégoutée de son mari, a décidé, avant de s’enfermer dans son château d’avoir un enfant. Elle a choisi, de concert avec la contesse, notre cavalier comme géniteur. Il a bonne mine, sa réputation est excellente.Hélas, hélas, point de lendemain. Mais peut-être fera-t-elle d’autres tentativee un jour ? Qui sait, avec un jardinier ? Sous le nom très démodé de Lady Chatterley ? Il y a aussi cela, dans l’ombre lucide et protégée de nos contes de fées. Mais silence : la nuit se referme, Vivant est parti de bon matin. Vers où ? l’Italie, bien sûr, sinon où aller ?

Philippe Sollers
Le Cavalier du Louvre
Vivant Denon

Plon, 1995



CITATIONS

Extraites de Le Cavalier du Louvre, Vivant Denon

« La discrétion est la première des vertus : on lui doit bien des instants de bonheur. »

« Il n’y a pas de mauvais rôles pour de bons acteurs. »

« La vitesse nous donne la lenteur, seul un esprit très rapide peut savourer la lenteur »

« le libertinage est un art d’affranchissement et cet art est à son comble, triant, sélectionnant, séparant le lourd du léger. La surface n’est pas le contraire de la profondeur »


[1cf. l’hymne à la lumière dans le Paradis de Dante Alighieri et celui de Sollers

[2Il s’agit du château de Rochecotte, situé sur la commune de Saint-Patrice, près de Langeais (Indre-et-Loire), aujourd’hui un bel hôtel-restaurant de charme

[3Le château d’Ussé

[4Quand Sollers écrit le Lys d’Or, il a 52 ans, l’histoire ne dit pas quel âge a Me de T.

[5Vivant Denon a été diplomate

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1 Messages

  • V.B | 27 avril 2009 - 14:18 1

    "Le corps de celui qui monte se fait plus léger"(...) dit Dante. Que penserait-il de ces belles phrases, corrompues par le mensonge du jeu de la séduction ?
    Un choix unique reste à faire : aimer l’amour sans restriction et sans fausseté, que diable ! "Point de lendemain" à ceux qui font de leur vie une partition remplie de faux accords. Jouir et encore jouir, voilà de quoi l’on s’imprègne en lisant l’ouvrage de Denon.
    Malgré un phrasé frôlant la perfection, peux-on accepter la fausseté des faux-amours ? Usurpateur de sentiments à la mode "Marquise de Merteuil", les liaisons sont toujours dangereuses par nature ; à plus forte raison lorsque le panache en ressort, vainqueur par défaut d’un libertinage sans âge !
    Jouer avec les sans-timents, drôle de rôle, en sommes-nous convaincus ou jouons-nous avec ces écrits séculaires, faisant semblant d’y éclore et d’y croire encore ?

    Divine littérature, porte-nous où toi seule sait le chemin, car les mots sont des couperets, aiguisés par ceux qui les utilisent, et déguisés pour ceux qui ne sont pas dupes. Le Diable est aux aguets, et Dieu dans tout ça ?

    Voir en ligne : "L’Art est long et le Temps est court" Baudelaire