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Un nouvel entretien de l’universitaire japonaise Abe Shizuko avec Sollers

D 10 novembre 2017     A par Viktor Kirtov - Abe (Shizuko) - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« ...Philippe Sollers a gentiment accepté de me recevoir à la fin du mois d’août aux Éditions Gallimard et de répondre à certaines de mes questions concernant ma traduction de son livre, L’écriture et l’expérience des limites ainsi que mon prochain article, La Chine sollersienne qui paraîtra dans la revue de l’Université Keio [ à Tokyo (ndlr) ]… »

Abe Shizuko
30/06/2017

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Philippe Sollers avait déjà accordé un entretien à Abe Shizuko le 29 août 2008, publié par l’université Keio dans « Revue de Hiyoshi, Langue et littérature françaises » No 49-50, décembre 2009 , et nous en avions rendu compte sous le titre « Sollers vu par une universitaire japonaise Abe Shizuko », ICI, avec une vidéo sur l’Université Keio.

Dans un autre article sur pileface, « Chine d’aujourd’hui et Chine sollersienne » nous avions évoqué la Chine sollersienne vue par Abe Shizuko dans son texte « La Chine sollersienne – A la recherche de l’écriture »

A nouveau, le 28 août 2017, Abe Shizuko était dans le bureau de Philippe Sollers chez Gallimard. A l’occasion de la publication de sa traduction japonaise du livre L’écriture et l’expérience des limites de Sollers « J’ai interviewé Monsieur Sollers avec Monsieur Kazuya Tsukiyama, le cotraducteur, qui est professeur de littérature française à l’Université Keio et spécialiste de Lautréamont et Baudelaire. » écrit-elle. L’extrême politesse japonaise transparaît dans sa formulation. (Que le Japon maintienne ses traditions aussi longtemps que possible !)

Avec l’aimable concours de Abe Shizuko, nous avons le plaisir de vous faire partager cet entretien.

Au menu :

Le surréalisme tel que vécu par Sollers

De la sexualité et la langue chez Lautréamont

Aragon et Lautréamont

Georges Bataille, toujours aussi important pour vous ?

Sollers et « la singularité ». Expliquez-vous !

Le tropisme chinois…

Avec cet entretien, le panthéon sollersien reprend vie - l’index foisonnant des mots-clés en marge de l’article en témoigne -
En fait, le panthéon sollersien continue à vivre.

V. K.

Nota : sous-titrages, illustrations, soulignements : pileface (V.K.).


Claude Monet, Impression soleil levant, 1872
Huile sur toile, 48 × 63 cm.
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« …Le drapeau japonais peint par Monet, c’est connu (rires), Soleil levant.
Donc il y a ça. »

Philippe Sollers

in Premier entretien avec Abe Shizuko, ICI.

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L’Interview de Philippe Sollers

Paris, Aux Éditions Gallimard, le 28 août 2017

- Je vous remercie tout d abord de nous avoir donné cette occasion de vous interroger. Nous avons la chance de vous traduire,

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traduire ce livre, LÉcriture et lexpérience des limites, qui est sorti en 1968. Ça fait donc presqu un demi-siècle qu il existe, mais il reste à la fois monumental, subtile et stimulant. Aujourd hui, nous allons vous interroger sur ce livre - principalement sur les chapitres de Lautréamont et de Georges Bataille - ainsi que quelques autres sujets.

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Le surréalisme tel que vécu par Sollers

Votre lecture de Lautréamont s oppose à celle des surréalistes. Mais vous étiez en relation avec Breton et Aragon. André Breton, à qui vous tenez beaucoup, est mort en 1966. C est donc juste après sa mort qu ont été publiés Lautréamont par lui-même de Marcelin Pleynet et votre étude sur Lautréamont. J aimerais bien savoir ce que représentait le surréalisme pour vous et dans quelle situation littéraire et philosophique vous étiez à l époque.

Le surréalisme pour moi, c’est André Breton. J’étais très impatient de connaître André Breton au début des années 1960 et je lui ai écrit plusieurs fois pour lui demander un entretien pour la revue Tel Quel. Il m’a répondu de façon qui m’a beaucoup étonné, puisque, en me répondant, il me dit qu’il a beaucoup apprécié mon premier livre, c’est-à-dire, Une curieuse solitude c’est étonnant — malgré le redoutable parrainage de Mauriac et d’Aragon. Et il me dit dans cette lettre qu’il a été porter mon livre à Benjamin Péret qui était alors à l’hôpital. Après quoi, je lui demande un rendez-vous et j’ai été le voir 42 rue Fontaine dans cette espèce de lieu invraisemblable, je revois, en entrant sur la gauche, le tableau de Chirico, qui était là suspendu au mur.
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Le tableau de Chirico, suspendu au mur (à gauche)
« Le Cerveau de l’enfant », 1914.
Sollers et Breton nous content l’histoire de ce tableau ICI.
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Et puis la conversation s’engage et Breton, très courtois avec la diction très remarquable qui ressemblait à son écriture, la graphie extrêmement claire, très pointilleuse, très chargée, me parle, nous parlons.

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Quelque temps après, je reçois — c’est pour moi un livre fétiche, magique — je reçois la réédition des Manifestes du surréalisme de 1962 chez Jean-Jacques Pauvert avec une dédicace de sa fine écriture bleue d’André Breton : « Pour Philippe Sollers, aimé des fées. André Breton ».

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Je considère que Breton ne peut pas se tromper et qu’il est un expert dans ce domaine à moins de supposer une attention ironique — je ne crois pas — il touche quelque chose de très, très profond en me mettant sous la protection des fées. Il avait bien raison, car j’étais à l’époque, en effet déjà, sous la protection d’une fée considérable, dont vous lirez le premier tome, qui paraît le 16 novembre, c’est le premier tome des Lettres à Dominique Rolin , ce sont mes lettres — à noter soigneusement — où il est question à la fois de Georges Bataille, d’André Breton, etc. 380 pages, 1958-1980. Un autre tome, ce sera donc de 1981 jusqu’à 2008 ou 2009. Les lettres de Dominique Rolin paraîtront à part, tout cela est en cours de déchiffrage et de publication. Donc, vous verrez là, de nouveau, où il est question de Breton ou de Bataille, et de Lautréamont, bien sûr.

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Donc, la question du surréalisme, c’est celle de la découverte de Lautréamont par André Breton et Louis Aragon. Ils vont à la Bibliothèque nationale recopier les Poésies. Et ils ont le sentiment qu’il ne faut peut-être pas publier les Poésies par rapport aux Chants de Maldoror. Or c’est là-dessus que je vais commencer à insister beaucoup, constamment, sur le fait que l’interprétation, notamment, de Blanchot ne tient pas suffisamment compte des Poésies. Marcelin Pleynet l’avait annoncé, mais moi je vais insister là-dessus. [1].
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C’est-à-dire que la découverte de Lautréamont est très importante. Il faut revoir André Breton et Louis Aragon qui, au retour de la boucherie de la guerre, à l’hôpital du Val-de-Grâce, se lisent l’un à l’autre, comme Aragon l’a raconté, Les Chants de Maldoror, au milieu de l’étage des fous qui hurlent pendant le bombardement sur Paris. C’est très important. À partir de là, la vision que l’on peut avoir sur toute la littérature se retourne et il faut comprendre enfin que la mise à mort du romantisme est perpétrée par Isidore Ducasse et le jour où vous pourrez demander à quelqu’un si ce nom d’Isidore Ducasse lui dit quelque chose, vous serez très étonné de voir qu’il n’y a presque personne pour vous répondre, voire même personne : «  Vous connaissez Isidore Ducasse, très grand génie français ? Ah, Lautréamont ? Ah, oui Lautréamont ! » Attention ! Car, « Dans la nouvelle science, chaque chose vient à son tour et telle est son excellence. » « Le phénomène passe. Je cherche les lois. » (PoésiesII) Les Lois, ce sera le titre d’un livre de moi.

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Portait de Breton par Moretti, annoté par Sollers.
Plus ICI.
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Bon, donc, Breton ne va pas bien. Il est à Saint-Cirq-Lapopie où il avait sa maison de campagne et il se fait accompagner à Paris en ambulance. C’est le poète qui était l’ami d’Annie Le Brun qui a raconté ça dans un livre [Radovan Ivsic, Rappelez-vous cela, rappelez-vous bien tout, Gallimard, 2015], c’est très important, les derniers jours d’André Breton. L’ambulance, évidemment, met un certain temps et de temps en temps elle s’arrête. Breton descend de l’ambulance. À un moment donné, il est assis, un peu fatigué, sur le bord de la route. Et il dit au poète croate qui l’accompagne — c’était plus ou moins le mari d’Annie Le Brun. Et il dit tout à coup à cet ami, d’abord il dit : « Où va-t-on ? — À Paris. — Suis-je jamais allé à Paris ? [Est-ce que j’étais déjà à Paris ? ] » Très intéressant. Deuxièmement. Un temps, il s’assoit sur le bord de la route, le soleil se couche, ils vont arriver à Paris, là Breton va être hospitalisé très vite et va mourir. Mais la phrase qu’il prononce est absolument extraordinaire. C’est la suivante : « Quelles sont les vraies dimensions de Lautréamont ???[Quelles sont les véritables dimensions de Lautréamont ? ] » Moi, je prends ça et j’en fais un roman entier, si vous voulez. Ça, c’est Breton. Quelles sont les vraies dimensions d’Isidore Ducasse ? Plus de surréalisme avec Ducasse. Plus de romantisme, plus de surréalisme non plus. Donc, attention, l’autre personnage, flamboyant, c’est Louis Aragon.
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À peine Pleynet a-t-il publié son livre que Louis Aragon, qui vient de constater la mort d’André Breton, publie un grand article dans Les Lettres françaises à l’époque : « Lautréamont et nous ». Bien. Qu’est-ce que ça veut dire ? Tout à coup, toute sa jeunesse revient. C’est nous, Pleynet et moi, qui avons rallumé ce feu. L’article d’Aragon est tout à fait extraordinaire. Mais lui-même il ne comprend pas les Poésies. Parce que, s’il avait compris les Poésies, il ne serait pas resté assis au comité central du Parti communiste français, avec, comme poids, le fait de justifier la dictature de Staline. J’ai pensé — déjà ça se sent, lorsque j’écris à l’époque — qu’il faut relier les Poésies d’Isidore Ducasse/Lautréamont avec la pensée chinoise. Oh là là, quelle acrobatie intellectuelle ! Parce que c’est comme si je justifiais par là même l’épouvantable dictature maoïste. Vous n’allez pas me dire que c’est compatible avec Lautréamont. Non. Mais avec Ducasse ? Peut-être. Le révolutionnaire dans tout ça est Ducasse. Aragon, je l’ai bien connu, c’était quelqu’un d’extraordinairement séduisant et, de même que la dédicace à laquelle je tiens plus que tout : « Philippe Sollers, aimé des fées. André Breton », de même je garde précieusement la dédicace suivante d’un tiré à part d’Aragon qui s’appelle Une vague de rêves et qui a été reprise dans La Défense de linfini. C’est un texte superbe, un tiré à part très rare de 1925, et la dédicace est « Pour Philippe Sollers de la part d’un de ses cadets », c’est-à-dire de quelqu’un de plus jeune. En effet, j’ai l’âge qu’il avait lorsqu’il était surréaliste.

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Portait d’Aragon,
dessin d’Alain Bouldouyre
in Dictionnaire amoureux de Ph. Sollers

C’est un texte absolument merveilleux, d’un talent considérable, il est bien évident que c’est toute la période d’Aragon que je préfère et à laquelle je me réfère toujours, c’est-à-dire, tout ce qu’il a pu écrire pendant l’aventure surréaliste notamment. Ce fameux livre qui s’appelle La Défense de linfini qui a mis très longtemps à être publié et dont la plupart des textes, enfin, des pages sont perdues puisqu’il a brûlé ça à Madrid avec Nancy Cunard qui a sauvé quelques pages de cet autodafé. Vous voyez, l’aventure surréaliste, c’est une façon de vivre et de vivre soit de façon exorbitante et extrêmement intense soit avec des partis-pris qui sont tout aussi intéressants que des erreurs, qui sont tout aussi intéressants que ce qu’on raconte à peu près partout : ce n’est pas académique. Il y a eu un virage académique d’Aragon quand même, il est revenu ensuite là-dessus. Mais, ce qui est intéressant, donc il vient de rentrer dans notre sphère après la mort de Staline, etc., il publie La Semaine sainte qui est un livre d’érudition impeccable, c’est un très beau livre. Mais, voyons, en 1966, il faudrait tout refaire. Il faudrait repartir de Lautréamont. C’est à peu près comme Picasso disant un jour à quelqu’un à propos du papier collé : « on aurait dû s’en tenir là » . Le moment du papier collé de Picasso, c’est un moment bouleversant. Encore aujourd’hui j’ai de la reproduction du papier collé de Picasso chez moi et tous les matins je trouve que c’est le plus combattant du monde à cause de ça, de cette intervention. C’est donc une intervention qui est à la fois technique et hautement spirituelle. On est en plein bouleversement de l’histoire de l’art, de la métaphysique en général et de la littérature tout simplement.

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J’espère avoir répondu à votre question, en n’oubliant pas quand même qu’Aragon a été celui qui a écrit l’article le plus dithyrambique sur mon premier livre, toujours dans Les Lettres françaises. Le paradoxe étant le suivant : c’est que les choses les plus intéressantes dans la presse de l’époque — aujourd’hui il n’y a plus de presse, tout passe dans le numérique, sur le net, etc., le papier journal existe de moins en moins, on va vers une autre civilisation — mais, à l’époque, ce journal dirigé par un communiste français qui prenait là une liberté considérable, c’est le journal qui était le plus vivant, c’est dans Les Lettres françaises que Marcelin Pleynet, non seulement il a eu cet éloge d’Aragon par la suite, mais c’est là où il a pu parler pour la première fois en France des peintres américains. Aragon était ce paradoxe extraordinaire qui siégeait dans son fauteuil où il est resté jusqu’à la fin au Parti communiste, avec une rupture horrible avec Breton qui est resté toute sa vie trotskiste comme vous savez, vous imaginez un tout petit peu l’histoire du 20e siècle résumée par ces deux génies français qui n’ont pas d’équivalents ailleurs, je le précise tout de suite. Isidore Ducasse se porte très bien, encore aujourd’hui.
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De la sexualité et la langue chez Lautréamont

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A propos de Abe Shizuko
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Spécialiste de la littérature et de la langue françaises, diplômée de l’Université de Tokyo, - A enseigné à l’Université de Keio, Tokyo

- À propos de l homosexualité, un des éléments essentiels des Chants de Maldoror, vous dites dans «  la science de Lautréamont  » : «  L homosexualité (l obsession d un phallus comme signifiant ultime) est ainsi la coulisse agissante et complice de toute la civilisation platonicienne, chrétienne, anti-scripturale, celle du savoir, de la vérité, de lhomme, du père, du Créateur.  » Et plus récemment encore en 2009 : «  La métaphysique est attaquée de plein fouet par Lautréamont. Il montre qu elle est une vaste histoire d homosexualité.  » L homosexualité de Lautréamont a partie liée, selon vous, avec «  le savoir sexuel  », plus précisément, «  le savoir sexuel que comporte le français  ». Comment expliquez-vous le rapport entre la sexualité et la langue chez Lautréamont  ?

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Pour ce qui est de l’homosexualité, j’avais oublié la déclaration fabuleuse des Chants de Maldoror : « le Créateur ouvrit sa porte au milieu des ténèbres et fit entrer un pédéraste. » (Chant V, 5e strophe) C’était une nuit d’hiver. Vous avez un bordel qui est annoncé par une lampe rouge. Maldoror arrive et voit un écriteau : « Vous, qui passez sur ce pont, n’y allez pas. Le crime y séjourne avec le vice ; un jour, ses amis attendirent en vain un jeune homme qui avait franchi la porte fatale. » (Chant III, 5e strophe) Ce qui est curieux, c’est que cet écriteau est écrit en hébreu. Il s’ensuit la scène fameuse du corps déchiqueté par Dieu, le Dieu de la métaphysique occidentale, le Dieu créateur que Maldoror poursuit d’une haine implacable en même temps que l’homme qu’il a engendré soi-disant. Et c’est lui, Maldoror, qui remplace l’écriteau qu’on peut imaginer écrit en français. C’est un acte considérable. Pour ce qui est du surréalisme, il est bien clair qu’il faut relire les séances sur la sexualité du bureau de recherches surréalistes pour voir le côté loufoque des réponses. Il est bien évident que Breton rejette complètement cette qualification. Et, de même, j’ajouterais que Proust qui est le plus important découvreur de toute la littérature française — je ne vais pas parler de Sade tout de suite, j’y reviendrai, parce que c’est du français, vous n’avez rien d’équivalent dans aucune autre langue au monde — Proust refusait le terme d’homosexualité. Il voulait ou préférait le terme inverti, inversion, pas homosexuel. Le terme, en quelque sorte très récent, a servi à une cause, la lutte pour aboutir au mariage pour tous. C’est très bien. Moi, je suis pour le mariage pour quelques heures et encore très peu. Presque pour personne. C’est tout à fait différent. Je ne vois pas en quoi il faudrait que la sexualité devienne hyper-démocratique, alors que c’est quelque chose qui réclame des dons essentiels. Mais, là, je parle à contre-courant de toute l’époque, comme vous savez. Alors, le plus étrange, si vous reprenez ces dossiers sur la sexualité, il est bien évident que, quelqu’un comme Artaud, tout ça le dégoûte. Sa sexualité, c’est clair. Et Artaud est sublime.
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Alors, regardez le temps qu’il faut pour qu’Aragon reconnaisse de façon officielle, quasiment, son homosexualité qui venait sûrement de loin. C’est très étrange. Parce que, Elsa Triolet, Le Fou dElsa, tout ça, tout ça, alors que ce n’est pas du tout. C’est tout à fait intéressant. C’est très tardif dans la vie d’Aragon. Il s’est exhibé beaucoup dans ce qu’il faut appeler, si vous voulez, en folle au sens français du terme. Pourquoi tout ça se passe-t-il en français ? Là, il y a quelque chose d’absolument indépassable, c’est la culture française qui est sans exemple, sans aucun autre pays, dans la langue, pas seulement dans la langue, dans la peinture aussi. Il faut voir à quoi correspond par exemple quelqu’un comme Manet dans toutes les dimensions. Vous avez tout simplement le 18e siècle où il y avait combien de pléiades, je ne sais plus, enfin, des auteurs parfois très peu connus, mais surtout un immense, un immense phénomène volcanique — c’est le cas de le dire — c’est-à-dire Sade.
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Je me suis intéressé à Sade très tôt, j’ai écrit sur lui, même j’ai publié un livre qui s’appelle Sade contre lÊtre Suprême, qui a été publié pour le bicentenaire de la Révolution française avec un sous-titre Sade dans le Temps. Je réponds beaucoup à votre question dans ce livre, notamment pour ce qui est de la diversité des expériences et de l’écriture, et ce qui est de l’expérience féminine aussi, c’est très important, ça passe dans le français. Donc, là, vous avez évidemment Sade, mais vous avez aussi tout de suite quelqu’un qui se signale par une position extraordinairement singulière et que j’ai connu personnellement, c’est Georges Bataille. Georges Bataille, c’était vraiment le personnage qui m’a fait la plus forte influence, qui m’a fait l’effet le plus fort. Il venait me voir toutes les après-midi au bureau de Tel Quel à la fin de sa vie. Vous avez dans l’abondant numéro 10 de Tel Quel une élégie de lui que nous avons donnée avant de mourir, qui s’appelle « Conférence sur le Non-Savoir ». Bataille était tout à fait singulier. Singulier par rapport au surréalisme, singulier par rapport à l’écriture de ses livres pornographiques,
Madame Edwarda par exemple, et par exemple la question que je me posais et que j’ai résolue : pourquoi avoir donné à Madame Edwarda en exergue une citation de Hegel ? Là, tout à coup, là aussi, il y a quelque chose qui tourne. Vous voyez, Hegel lui-même en train de lire Madame Edwarda. Nous sommes dans l’impossible. LImpossible, c’est un titre de Bataille, bien sûr. C’est une œuvre bouleversante à tout niveau, elle aussi écrite en français.

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A droite, l’édition japonais
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Vous voyez ce que vous avez sous les yeux. On ne dira jamais assez que c’est à Paris que Picasso a vécu. Picasso, lecteur de Sade, bien sûr, et qui a vécu à Paris, j’ai été très étonné, en faisant une conférence un jour pour donner toutes les adresses des personnages dont je citais le nom, toutes ses adresses à Paris pendant très longtemps. James Joyce, Joyce lui-même, qui introduit depuis Paris, en anglais, le scandale le plus formidable de la littérature anglo-saxonne, c’est Ulysse, publié à Paris, censuré dans tout le monde anglo-saxon pendant longtemps. Vous voyez, le lieu et l’électricité de cette ville où vous venez d’avoir un certain nombre d’épisodes secondaires dans la République, peu importe. Je vous parle à Paris. Et je sens autour de moi tout ça, ce qui me fait penser que tous ces morts sont extraordinairement vivants, beaucoup plus vivants que les vivants.
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Aragon et Lautréamont

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- Peut-on dire qu Aragon a, en quelque sorte, imité Maldoror en écrivant son «  Lautréamont et nous  »  ?

Encore une fois, Aragon veut à la fin de sa vie de façon très, très évidente, retrouver sa jeunesse. Il a l’impression d’avoir perdu, peut-être, beaucoup de temps, là où il aurait fallu passer là. Breton était mort. C’est déjà un soulagement. Il n’y a plus de témoin inquisitorial qui le surveille. Donc, il va petit à petit dire ce qui l’a préoccupé probablement toute sa vie. C’est-à-dire, le coup de mentir vrai ne marche pas beaucoup. Il aurait mieux fait d’écrire un très, très petit livre sur la vérité. Pas sur le fait que je suis un mensonge qui dit la vérité. Ça, c’est une phrase de Cocteau. Mais, entre Cocteau et Lautréamont, vous voyez l’abîme, il y en a un, y compris sur le plan de ce qu’on appelle encore une fois l’homosexualité. Moi, je ne classe pas les actes sexuels. Tout le monde vous dira que je suis un hétérosexuel vraiment fanatique. Mais, un hétérosexuel comme moi, je n’en connais pas. C’est ça qui m’intéresse d’abord ! Je ne suis absolument pas hétérosexuel comme on appelle les gens qui sont hétérosexuels. Si j’étais homosexuel, je serais tout à fait différent des gens qu’on appelle homosexuels, vous voyez ce que je veux dire. Je refuse d’être classé dans des ensembles, notamment sexuels. Surtout pas. Ça, c’est de la manie de l’époque. Parce que c’est de la propagande. Le féminisme en est une autre, etc, etc. Vous avez tous ceux qui fonctionnent constamment, constamment partout sur la planète, enfin, par l’islam…
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Comme c’est étrange, comme c’est intéressant, ça ne fonctionne pas du côté de l’islam qui vient de donner, donne de ses nouvelles, tous les jours. Vous êtes obligé, comme n’importe qui sur la planète, d’entendre des mots qui pour vous sont peut-être doués de signification mais que pour la plupart des gens ne le sont pas, qui sont employés constamment, comme si chacun connaissait la question, vous employez le salafisme, les wabites, vous faites sûrement la différence très forte entre les sunnites et les chiites qui passent leur temps à s’égorger, vous avez l’État islamique, Daesh comme on dit, etc. Tous ces mots sont d’utilisation récente sur un fond d’ignorance complet. Donc, en effet, chaque attentat fait rebondir cette énigme : comment se fait-il qu’il y ait des gens, parfois éduqués, qui sont prêts à mourir pour aller au paradis ? Si vous voulez, nous allons aller au paradis, nous prenons une fourgonnette et nous allons la lancer à toute allure sur le boulevard Saint-Germain. Et nous serons très vite abattus par le service de la police. Vous êtes à Barcelone et vous assistez au énième attentat après Nice, les autres, en France, Bataclan, tout ça. Vous êtes à Barcelone, vous avez 15 morts, 16 morts, maintenant, je crois, un tas de blessés. Qu’est-ce qui se passe ? Le projet, paraît-il, des terroristes comme on les appelle, était de faire sauter la Sagrada Famillia. Ils avaient l’intention, on a trouvé une voiture pleine de bombonnes de gaz. Là, je vous parle comme un familier de Lautréamont, n’est-ce pas ? Je vous parle comme Maldoror vous raconterait l’histoire. N’importe quel surréaliste peut raconter de l’histoire. La Sagrada Famillia, c’est l’œuvre de l’architecte de génie, très isolé, qui s’appelle Gaudi. L’église était consacrée juste dans la crypte. Et puis, elle a été re-consacrée, c’est là où ont eu lieu les services religieux catholiques en présence des rois d’Espagne, ça aussi, ce n’était pas prévu au programme que Franco débouche sur un roi. Il est d’ailleurs très grand, il s’appelle Philippe en plus, ça me va très bien, Philippe VI. Vous avez cette église qui a été re-consacrée à l’intérieur, très récemment, il y a 6 ou 7 ans [2010], par Benoît XVI, message envoyé à l’Europe. Le message de Benoît XVI en 2006 sur la conférence de Ratisbonne, il parle de l’islam qui engendre la violence. Ça a déclenché partout des émeutes. Vous êtes en France, alors, tout à coup vous voyez que quelqu’un qui s’appelle Salman Rushdie obtient une fatwa à cause des Versets sataniques. Là, nous entrons dans une histoire surréaliste extraordinaire avec des morts. Et là, on se prend à considérer le Coran. Mais personne ne l’a lu, le Coran. Moi, si. Je sais ce qu’il y a dans le Coran. Non pas seulement des bribes. Je sais ce qu’il y a dans la Bible. Je sais ce qu’il y a dans le Coran. Je sais pourquoi Rimbaud parle de la sagesse bâtarde du Coran. Tout ça, c’est toute la métaphysique occidentale qui est ébranlée par ses fondements même. Ce sont des données que je vous dis avec intérêt pour vous. Parce que la vérité pourra venir, éventuellement, du continent asiatique qui n’a pas le même socle de métaphysique. Vous savez que mon instinct me pousse automatiquement vers la Chine. Il y aura quelque chose de nouveau qui vient déjà depuis très longtemps d’Asie. On peut remercier l’énorme Trump de forger contre lui l’unité asiatique, c’est-à-dire que ça sera, c’est déjà, le Japon, la Corée du sud, et il faudra s’arranger avec la Chine. C’est en cours. Je vous fais des prophéties. Pour ce qui concerne la sexualité, la Chine a beaucoup à dire, les romans, etc. Et le taoïsme a beaucoup de choses à dire. Voilà. Donc je vous fais une petite séance. Merci beaucoup taoïste (rire).
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Georges Bataille, toujours aussi important pour vous ?

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- En 1967, dans «  Le Toit  », vous avez cité la préface de Madame Edwarda. Et j’ai remarqué que vous mentionniez souvent Georges Bataille dans vos derniers livres. Par exemple, il y a une longue citation de Madame Edwarda dans votre dernier ouvrage Beauté ainsi que beaucoup de références à Bataille dans Contre-attaques. À mon avis, il n’y a pas de grandes différences entre votre opinion actuelle sur Bataille et celle des années 1960. Bataille continue d’être un des écrivains les plus importants pour vous, me semble-t-il, mais pour quelles raisons ?

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Madame Edwarda est un texte éblouissant dont personne n’a osé dire que c’était l’étude la plus formidable sur l’hystérie. Si on revoit ça de ce point de vue, Bataille n’était pas ignorant de la psychanalyse. La convulsion de Madame Edwarda est à inscrire dans une des plus formidables constatations de cela. Ça dit enfin la vérité de ceux qui étaient présents dans les présentations de Charcot à Paris, puisque la psychanalyse a été découverte à Paris par Freud qui était étudiant de Charcot à la Salpêtrière. Les hystériques faisaient des actes chers aux cours extraordinaires et Charcot dit à l’oreille de l’étudiant Freud qui est là : « Vous savez, de toute façon, c’est toujours la question sexuelle. » Ah bon, dit Freud, mais pourquoi ne le dit-il jamais en public ? Freud a découvert sa vocation. Et Bataille est là pour la confirmer. Ça se passe encore une fois à Paris.
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Tous les livres de Bataille sont étonnants. Georges Bataille à Barcelone en 1935 et il écrivait le livre extraordinaire, Le Bleu du ciel, mais publié seulement en 1957.
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Je m’intéresse de plus en plus aux singularités de l’histoire. Grandes singularités. Le texte que dans Critique, juste à la mort de Bataille, j’écris très vite s’appelle « De grandes irrégularités de langage ». Je m’intéresse aux irréguliers et aux singularités. Comme vous savez, c’est la guerre. C’est la guerre, et finalement tout ça, ce sont des problèmes de stratégie. Pour rester libre contre le conformisme social de plus en plus accablant et de plus en plus fort qui prend des tournures de libération soi-disant disponibles, c’est faux. Là, le cours de la liberté sexuelle, du mariage pour tous, du féminisme généralisé, tout ça est faux. Je prends les singularités pour ce qu’elles sont. Je prends Jean Genet sur lequel j’ai beaucoup écrit. « Physique de Genet », vous avez ça, dans une de mes encyclopédies. Qui était Jean Genet ? Quel singulier personnage, vraiment, avec des conséquences politiques très importantes, géopolitiques internationales, la Palestine. Qui était Georges Bataille ? Mon Dieu, personne n’attendait de Georges Bataille.
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Les irréguliers dans la guerre sont des gens qui m’intéressent beaucoup, parce que la technique est celle de la guérilla, sur lesquels Lawrence a écrit des choses merveilleuses. La guérilla, il faut éviter des batailles frontales, nous avons affaire aux Turcs à l’époque. Lawrence commande la guérilla. Il a écrit un texte sur la guérilla que j’ai publié dans LInfini (T.E. Lawrence, « La science de la guérilla », n°40, hiver1992). La guérilla est fondée avec des irréguliers. Ce ne sont pas des troupes régulières. D’où l’efficacité. Les Turcs avancent en armée frontale. Mais il ne s’agit sûrement pas de livrer des batailles frontales pour se faire éliminer. On va attaquer de façon sporadique, incessante. Pour cela, on mène une guerre irrégulière avec des irréguliers qui sont des gens qui résistent en très petit nombre et qui peuvent se retirer immédiatement dans des bases arrière sécurisées. C’est la guérilla de l’État islamique, si vous voulez, en ce moment même, qui perd du territoire mais qui obtient le résultat absolument sensationnel avec les attentats à peu près partout, y compris en Turquie, n’importe où, en Finlande, planétaire ! Donc, il s’agit de comprendre comment on peut obtenir des résultats aussi extraordinaires avec très peu de moyens.
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Vous voyez, vous êtes dans le bureau d’une petite revue trimestrielle qui continue Tel Quel, laquelle est archivée maintenant. Ça a eu lieu, c’est indubitable, c’est dans un dictionnaire. Tel dictionnaire a toujours raison. Les archives. Moi, j’ai pris mon nom d’écrivain dans un dictionnaire latin. Je le retrouve dans le dictionnaire français, tout va bien. On va de dictionnaire à dictionnaire, à travers combien d’aventures ? Mais les aventures sont toujours irrégulières, le plus souvent clandestines. J’ai un art de la clandestinité très éprouvé. Tous mes romans en portent la marque. Et je ne m’intéresse qu’aux singularités. Il y a un auteur que j’aime par-dessus tout — c’est dans la vie des hommes des ruses que Shakespeare puisait tout le sujet de ses pièces — c’est Plutarque tout simplement. Voilà quelqu’un d’absolument extraordinaire. La version que Shakespeare a lue de Plutarque, c’est la version française traduite par Amyot. De même que Montaigne a inspiré Shakespeare, puisque la traduction de Montaigne est arrivée à Shakespeare par les mains de John Florio, traduction anglaise. Voilà, vous voyez, l’irrégularité, je tiens de Bordeaux, vous savez, pour trouver quelqu’un de si irrégulier comme Montaigne, maintenant plus personne n’est comme un Montaigne, Montaigne, oui, oui, et Voltaire, oui, oui, tout le monde attendait de ces grands hommes… ce n’est pas vrai de tout. Ils se sont imposés par une guérilla menée d’une façon extrêmement tenace. Et on est obligé, après, de faire comme si on les avait toujours reconnus. Vous n’allez pas me dire que Montaigne était calfeutré comme ça dans une librairie avec des phrases en latin ou en grec sur les poutres. J’ai douze ans. On m’emmène, moi, à la tour de Montaigne. Je vois ça. Ça y est. L’illumination me saisit.
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Une autre évocation de la Tour Montaigne ICI

La vidéo est aussi visionnable ICI

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Les sentences peintes au plafond ?
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...Que disent-elles (pdf) ?

Après ça, on m’emmène voir le château de Montesquieu. Je vois, ah oui, on ne manque de rien, la nature est superbe, les vignes sont excellentes, voilà. Mais, personne n’attendait ces gens-là ! C’est pour ça qu’il faut remettre ça, le travail consiste à remettre tout ça en jeu, comme si c’était en train d’avoir lieu. Je fais ça, en train d’avoir lieu. Bataille en train d’avoir lieu, Lautréamont en train d’avoir lieu, Isidore Ducasse m’a téléphoné ce matin. Et Breton et Aragon sont là, quelque part, à l’hôpital du Val-de-Grâce, personne ne les voit. D’ailleurs, nous sommes ici dans un endroit étonnant qui a un siècle, c’est la maison d’édition, la plus conséquente au monde. Eh bien, si vous restez la nuit avec moi, vous verrez passer — d’ailleurs je leur ai parlé, vous verrez — Marcel Proust, Louis-Ferdinand Céline, Jean-Paul Sartre, André Gide, etc., des gens qui ne se seraient jamais voulus avoir rapport dans la vie. Mais, quelle merveille ?! Ils se sont tous publiés là, vous voyez. C’est ce que Gaston Gallimard — je vous parle de là où il était — appelait à faire un pacte avec l’esprit. Alors, on lui dit : « mais quand même on ne peut pas faire vivre ensemble Breton et Aragon, sacré Camus, c’est contradictoire. —Oui, oui, justement, c’est ça qui me plaît, c’est que ce soit contradictoire, parce qu’ils sont tous très singuliers. »

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Sollers et « la singularité ». Expliquez-vous !

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- Dans l’article «  Une prophétie de Bataille  », vous avez écrit que Le Bleu du ciel est le plus prophétique des récits d’avant la catastrophe. Michel Deguy aussi a dit : Bataille est prophétique, il essaie d’interpréter un événement du type Hiroshima comme il a interprété le potlatch. (Les Temps Modernes, No. 587, 1996) Est-ce que vous pensez que Bataille pourrait nous donner quelques suggestions pour sortir de l’impasse dans laquelle nous sommes enfermés aujourd’hui ? Et vous venez de mentionner la singularité sur laquelle j’allais justement vous interroger. Dans l’entretien sur L’École du Mystère, vous avez insisté sur l’importance de "la singularité". Et aussi, vous vous référez souvent à ce mot ailleurs. Pourriez-vous m’expliquer ce que signifie exactement ce mot pour vous ?

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Bataille écrit Le Bleu du ciel, et, à la fin, il voit défiler la jeunesse éclairée. Il voit tout, là où à l’époque presque personne ne voit rien. C’est-à-dire, au point de lucidité sexuelle où il est arrivé, encore une fois inclassable, il voit ce qui va arriver et il l’écrit. Il faut se faire voyant, comme l’a dit Monsieur Rimbaud dans la fameuse lettre du voyant. Ça ne concerne pas du tout la table tournante à la Hugo, c’est autre chose. C’est de la lucidité extrêmement stricte, Lautréamont. Ça s’est passé en effet plutôt en France. Il y a d’admirables singularités ailleurs. Franz Kafka, par exemple, qui dit déjà tout.
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Kafka et la Chine
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Le papilllon de Zhuang Zhou

« Jadis, Zhuang Zhou rêva qu’il était un papillon voltigeant et satisfait de son sort et ignorant qu’il était Zhou lui-même. Brusquement il s’éveilla et s’aperçut qu’il était Zhou. Il ne sut plus si c’était Zhou rêvant qu’il était un papillon, ou un papillon rêvant qu’il était Zhou. »
Franz Kafka lu par Jean-Michel Lou, ICI

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Ou alors, un personnage étonnant de singularité, c’est Mishima tout simplement. C’est beaucoup. Vous pouvez faire le tour. Il faut chaque fois trouver le point clé des singularités. Alors, c’est Mishima. Je cite un Japonais (rire).

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Cherchez la définition de ce que c’est dans le cosmos. C’est à propos du trou noir, etc. Je le cite quelque part dans un livre. Vous avez la définition. Cherchez, vous trouverez la définition de la singularité dans le cosmos. Alors, pourquoi pas, le monument. C’est quelqu’un tout simplement qui ne ressemble à personne et qui doit résister toute sa vie au fait qu’on veut le faire ressembler à d’autres personnes. Je connais très bien cette guerre, car, son étude, je la pratique en tant que guérilla. Donc, je peux me flatter d’être resté libre au point que personne ne peut me dicter ce que j’ai à dire ou à écrire. Je vous assure que c’est un sport de très haut niveau.
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Le tropisme chinois

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- Dans «  Le Toit  » déjà, vous avez donné Dao comme exception. Votre intérêt pour la pensée et la culture chinoises est très ancien et ne s’est jamais affaibli. Je voudrais savoir ce que représente réellement la Chine pour vous.

Il y a pour moi le livre des livres — ce n’était pas un livre d’ailleurs — c’est Yi-King , livre des mutations, livre des transformations. Tout est en train, au moment même où nous parlons, d’être en cours de transformation et de mutation. Ça ne se voit pas forcément tout de suite.
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hexagramme

La Chine, c’est le pays qui a, à partir de signes très plats et très brisés, les hexagrammes [deux trigrammes superposés]. À travers ça, vous avez tout à coup la calligraphie. La vérité sort des transformations et des mutations. Voilà quelque chose d’extraordinairement important.

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Le Fayitu, le symbole du Yin et du Yang
entouré des 8 Trigrammes de base du Yi-King
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Plus ICI.

Ensuite, vous avez ce qu’il faut bien appeler yin yang. Le yang est présent dans le yin et le yin présent dans le yang. Vous connaissez le diagramme connu partout. Le féminin et le masculin, tout ça, c’est le contraire de la nébuleuse Occidentale. C’est le contraire, il n’y a pas d’affrontement, il y a interpénétration transformante. Pour les Occidentaux, dans leur métaphysique et leur religion, etc., deux doivent fusionner en un. Comme l’a dit Mao lui-même, un se divise en deux. À partir de là, quand vous êtes avec quelqu’un de l’autre sexe, par exemple un homme et une femme, vous n’êtes pas deux, vous êtes quatre. Si vous trouvez que, si vous être un homme, vous êtes une femme, vous serez quatre avec elle. Pourquoi ? Parce que mon masculin ne sera jamais son masculin, son féminin ne sera jamais mon féminin. Il faut partir de la différence sexuelle qui a fait beaucoup, beaucoup cogiter. Est-ce qu’il faut être platonicien pour comprendre que c’était une harmonie qui a été scindée en deux ? Mais non. À partir de là, on va vous inventer des sexualités : homosexualité, LGBT (lesbien, gay, bi, trans), et puis maintenant vous avez un nouvel arrivant, c’est neutre, LGBTN ! Débrouillez-vous avec tout ça, ça fait des communautés, paraît-il. Moi, j’en crois rien du tout. Je crois que chaque personne, chaque individu, homme ou femme, est en état de transformation continue. Et trouver des partenaires, ce n’est pas si simple, puisque vous tombez sur des gens qui refusent d’être en état de transformation continue. Voilà pourquoi je suis un révolutionnaire conséquent, c’est-à-dire, en état de transformation continue !

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Chine, 1974. Long-Men, temple bouddhiste.


« J’ai d’abord éprouvé pour la Chine une attirance physique. Le taoÏsme, mon système métaphysique préféré, est avant tout une expérience érotique : la disposition du corps chinois par rapport au langage et à l’écrit. »
Philippe Sollers
in Philippe Sollers. Vérités et légendes
par Gérard de Cortanze, Editions du Chêne, 2001, p. 125

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Abe Shizuko sur pileface


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Shizuko Abe et Pilippe Sollers
Bureau des éditions Gallimard, 28 août 2017
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