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Culture et politique

François Busnel, Emmanuel Macron, Fabrice Luchini & +

D 8 mai 2017     A par Viktor Kirtov - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Culture et campagne présidentielle à La Grande Librairie

« Culture » ! Avez-vous entendu le mot culture pendant la campagne présidentielle, questionnait François Busnel dans son émission La Grande Librairie du 3 mai 2017. Une émission spéciale sur le thème « les mots ont un sens » et analysant les mots qui étaient apparus à l’avant-scène lors de cette campagne présidentielle (ou ceux qui en avaient été absents, comme le mot culture. Même son porte-drapeau emblématique depuis des décennies, le ministre de la Culture, « à vie », Jack Lang, celui qui prend la lumière comme le tournesol, avait disparu des écrans radars !)

Voici l’extrait de l’émission et captures d’écrans sur le mot culture :

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Le programme culturel d’Emmanuel Macron

À Lyon le dimanche 5 février 2017, Emmanuel Macron avait lancé :


Il n’y a pas de culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse.

Yves Jégo, ancien secrétaire d’État chargé de l’Outre-mer, député de Seine-et-Marne et maire réagissait ainsi :


Partout dans le monde on sait qu’il y a une culture française et on aime la France pour sa culture. Seul l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée en meeting à Lyon semble l’ignorer lorsqu’il fait cette déclaration.[…]

Prétendre qu’il n’y a pas de culture française mais une culture en France est le fruit d’un reniement profond qui revient par déduction à expliquer qu’il n’y a pas de langue française mais une langue en France qui serait par nature diverse.

Notre langue française est aujourd’hui la seule, avec l’anglais, présente sur tous les continents

On mesure tout de suite l’énormité du propos. Notre langue française est aujourd’hui la seule, avec l’anglais, présente sur tous les continents et par conséquent l’un des vecteurs de notre spécificité culturelle.

La langue française est singulière et pourtant sans effacer les langues de France, les langues régionales, les créoles, elle nous lie et nous relie au monde.

Oui, il y a bien une culture française et elle est riche, diverse, vivante, elle est singulière et ouverte, elle l’a toujours été.

Quand nous affirmons, qu’il y a une culture française ce n’est pas parce que nous prétendons qu’elle est supérieure aux autres, c’est parce que nous savons qu’être Français c’est partager une culture commune, une langue bien spécifique et l’esprit de la République.[…]

Dire qu’il n’y a pas de culture française c’est ramener la France à une société sans personnalité consommatrice de produits culturels mondialisés

Certes, la culture française n’est pas figée, elle évolue en permanence mais faut-il nier pour autant son existence ?

Dire qu’il n’y a pas de culture française c’est ramener la France à une société sans personnalité consommatrice de produits culturels mondialisés et incapable de déployer sa singularité. .[…]

À force de voir niées leur spécificité nationale, les peuples se rebellent et le nationalisme resurgit sous une forme brutale.

Nous même, dans « Harangue à Emmanuel Macron" avions qualifié cette saillie d’« argutie intello » avant de conclure :

« M. Macron, SVP, ne commencez pas par casser nos rêves !
Refondez l’Europe et l’espace culturel européen ! »

Hier, dans sa marche mitterrandienne, au Carrousel du Louvre, en ce lieu d’Histoire et de Culture, tandis que retentissait l’Hymne à la Joie, symbole culturel et européen fort, dans son discours, Emmanuel Macron, a aussi explicitement invoqué la culture. OUF !

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7 mai 2017 - ZOOM... : Cliquez l’image.
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7 mai 2017 - ZOOM... : Cliquez l’image.
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Emmanuel Macron : "Mes propositions pour la culture"

Dans “Les Matins” de France Culture, le 27 janvier 2017 avec Guillame Erner

Emmanuel Macron lors d’un meeting à Paris le 10/12/2016• Crédits :ERIC FEFERBERGAFP
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Léopold Sédar Senghor disait que « Georges Pompidou était avant tout un homme de culture, et c’est parce qu’il était un grand homme de culture qu’il a été un grand homme d’Etat ».

Fondateur du Mouvement En Marche et candidat à la présidentielle, Emmanuel Macron aime à se distinguer du reste de la classe politique en mettant en avant son travail aux côtés du philosophe Paul Ricœur et en parsemant ses discours de références littéraires. Cette stratégie d’homme de culture suffira-t-elle à faire de lui un homme d’Etat ?

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Trois objectifs

Quels sont les trois objectifs que je veux poursuivre ? Le premier c’est une politique d’accès à la culture, le second c’est une politique de maintien d’un environnement de création culturelle français, et le troisième c’est cette politique européenne que je viens d’évoquer. L’environnement culturel français... Nous sommes un pays qui a réussi : du prix unique du livre au système qu’on a en matière de financement du cinéma ou du théâtre, nous avons créé les conditions pour qu’on puisse créer en France. Ce qui fait d’ailleurs aujourd’hui notre force. Je veux non seulement le maintenir mais améliorer ces dispositifs.

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Faire de l’accès à la culture un sujet prioritaire

Là où on a aujourd’hui plutôt failli c’est sur le sujet de l’accès à la culture. [...] Néanmoins quand on regarde le budget il est assez faible. Et pour moi, ce projet pour la culture que je porte, il est au cœur du projet politique que je porte plus largement. Mon projet politique c’est un projet d’émancipation. C’est un projet qui dit : dans notre société je ne veux pas, moi, que les gens qui ont bien réussi puissent réussir mieux, je veux que chacune et chacun puisse avoir les moyens, justement, de réussir, d’accéder, de sortir de sa condition, y compris sur le plan culturel. Et donc mon projet culturel est un projet politique en ce que c’est un projet d’émancipation, de sortie de son assignation à résidence.

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L’accès à l’éducation artistique pour 100 % des enfants

Concrètement c’est trois choses : d’abord c’est de généraliser la culture à l’école. Aujourd’hui il y a une minorité d’élèves qui ont accès à la culture, c’est-à-dire à la création artistique, que ce soit la musique, le théâtre, etc. à l’école. Je souhaite que 100 % des enfants aient accès à l’éducation artistique par des appels à projets qui seront financés par les villes et l’Etat, et pour ce faire, remettre des associations, des groupes, les conservatoires, des clubs de théâtre, dans l’école. C’est un élément de justice parce que beaucoup d’enfants ne vont pas dans ces conservatoires ou ces clubs. Mais c’est un éveil formidable qui est fait. Ça doit partir du terrain, c’est ce que fait formidablement la philharmonie avec Démos, ce que fait Concert de poche. Il y a des initiatives comme ça que je veux généraliser par des appels à projet pour permettre cet accès.

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Un pass jeune : 500 euros à 18 ans pour l’accès à la culture

La deuxième chose qui est pour moi fondamentale, je veux à cet égard m’inspirer de ce qu’a fait Matteo Renzi, c’est que je veux créer un pass culturel : tous les jeunes à 18 ans auront 500 euros. Pas 500 euros chaque année je vous rassure, je ne propose pas le revenu universel, même dégradé. Mais 500 euros pour la culture. Le jour de vos 18 ans vous avez 500 euros pour pouvoir acheter des livres, accéder à des contenus culturels, sur d’ailleurs une plateforme qui sera gérée par le ministère. C’est ce qu’a fait l’Italie et ça marche formidablement ; pourquoi ? Parce que c’est reconnaître le fait que vous devez faire votre chemin dans la culture, et c’est le jeune, c’est l’individu, qui est responsable du choix qui sera le sien. Je ne veux pas le normer, mais c’est celui d’aller à une représentation théâtrale qui parfois n’a jamais été une expérience qu’il a connue, acheter un livre, accéder à une production culturelle. Et ces 500 euros seront financés par l’Etat, pour une partie très minoritaire, par les diffuseurs, et par les GAFA. Ça fait partie des contributions que je veux leur demander parce qu’ils bénéficient aujourd’hui de cet accès à la culture. Donc on doit les mettre à contribution parce qu’Internet n’a de sens que si l’on construit ce commun, et je veux qu’ils financent cela.

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L’ouverture des bibliothèques

La troisième proposition que je veux faire sur ce sujet c’est l’ouverture de toutes les bibliothèques, en particulier les bibliothèques municipales et universitaires. Elles sont aujourd’hui très peu ouvertes. Nous avons 7100 bibliothèques en France, et en moyenne les bibliothèques municipales sont ouvertes 40 heures par semaine. A Copenhague, c’est 98 heures. Et donc une bibliothèque qui est fermée tous les week-ends et qui est fermée après 18 h, c’est une bibliothèque où un jeune, un lycéen, un étudiant ne peut pas aller. C’est une vraie inégalité parce que c’est le plus modeste qui en a besoin. Cet accès à la culture on doit aussi le faire en ouvrant beaucoup plus largement, donc en soirée, le week-end, toutes ces bibliothèques de France.

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Un budget constant pour la culture

Ces trois mesures d’accès c’est le cœur de ce que je veux pour ma philosophie de l’action culturelle. Ces trois mesures concrètes elles seront financées sur le budget de la culture que je maintiendrai, je veux que ce soit un budget constant tout le long du quinquennat, par des redéploiements. Ces trois mesures pour l’Etat, c’est environ 200 millions par an sur le budget de la culture. On peut tout à fait ré-allouer et faire cet effort.

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Mettre à contribution les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon

Les GAFA ont en effet un rôle profondément structurant. Le numérique c’est un nouveau continent. Mais les contenus sont là et sont les mêmes : ce sont des productions humaines, intellectuelles, artistiques, sensibles. Nous ne pouvons pas, dans ce nouveau continent qui s’ouvre, considérer qu’il n’y a aucune forme de règle, aucun devoir, aucun commun en quelque sorte. Ou que le commun ce ne serait que ces tuyaux. Or, aujourd’hui nous vivons dans la loi de la jungle parce que, de fait, nous n’avons pas un droit mondial sur le numérique et ces GAFA décident de tout. Et donc, ce que je veux porter et, je pense, c’est au niveau Européen qu’il faut le faire, c’est une vraie politique, un vrai marché unique du numérique et de la culture. Je veux que ces grands acteurs du numérique, d’abord s’astreignent aux règles des communs. Quand on a un commun il faut le financer, ils doivent donc payer l’impôt comme les autres, et là j’y veillerai. On a commencé à le faire au niveau national, il faut le faire au niveau européen. Ensuite il faut des règles européennes communes. Si on veut protéger les données individuelles, si on veut protéger la manière de valoriser sur le plan économique ces données, il est indispensable d’avoir une vraie politique européenne pour encadrer, réguler ces acteurs. Et puis ils doivent contribuer aussi à l’accès et la production culturelle.

Les GAFA au niveau européen, il y a deux choses. Moi je suis pour qu’on aille beaucoup plus loin sur le principe des droits voisins. Quand des acteurs du numérique diffusent, vous en tant que journaliste ou auteur, un article ou quelque chose, il faut qu’on puisse rémunérer celui qui a créé le contenu au début. Aujourd’hui c’est un contenu qui ne vaut plus rien, or le numérique ne peut pas écraser tous les contenus, ne peut pas écraser toutes les créations. Ca c’est l’approche que je veux avoir des grands acteurs du numérique. Derrière cela, ils seront l’un des contributeurs et d’abord je veux le faire par une contribution volontaire obligatoire, par un grand débat européen, et derrière une fiscalité européenne. Mais je veux qu’ils puissent cofinancer la politique d’accès à la culture que je veux porter

Crédit : https://www.franceculture.fr/

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Ouvrons le programme d’Emmanuel Macron

Parmi les points non développés dans l’interview ci-dessus, notons

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Le budget

Autre projet : créer un fonds d’investissement de 200 millions d’euros "consacré à l’amorçage et au développement des entreprises innovantes dans les industries créatives et culturelles", a-t-il expliqué à Electron libre. Ce fonds sera géré par BPI France en s’appuyant sur l’expertise de l’Ifcic.

Dans son programme, Emmanuel Macron promet aussi d’"évaluer" l’efficacité de toutes les politiques culturelles, de "conforter" le soutien au mécénat, et de "maintenir" la non-imposition des oeuvres d’art dans l’ISF.

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L’audiovisuel

Le programme d’Emmanuel Macron promet de réduire le nombre de chaînes publiques : il veut "concentrer les moyens sur des chaînes moins nombreuses". Il veut aussi "rapprocher les sociétés audiovisuelles publiques", c’est-à-dire France Télévisions, Radio France et France Médias Monde. Enfin, les patrons des chaînes publiques ne seront plus nommés par le CSA, mais par les conseils d’administration des chaînes, après "un appel public à candidatures

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La propriété des médias

Le programme d’Emmanuel Macron promet de "garantir l’indépendance éditoriale des médias d’information". Pour lui, "la présence d’actionnaires industriels et financiers au capital de groupes de presse est une réponse aux difficultés économiques de la presse. Mais elle est source de soupçons sur la réalité de l’indépendance des rédactions et la liberté de la presse". Concrètement, le programme propose de "créer un nouveau statut pour l’entreprise de presse, sur le modèle des trusts anglo-saxons, pour garantir l’indépendance éditoriale et journalistique". Dans Télérama, le candidat a précisé : "La loi séparera les propriétaires-actionnaires de ceux qui administrent le projet économique, afin que ces derniers ne soient pas dans la main du prince. En revanche, je ne souhaite pas interdire aux grands groupes industriels leur présence au capital de la presse, sinon on ne la financera plus à long terme". Enfin, Emmanuel Macron "ne s’interdit pas de revoir la législation anti-concentration qui a vieilli", a-t-il déclaré à Electron libre.

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L’intermittence

Emmanuel Macron promet de le "pérenniser et de l’adapter".

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Les équipes culturelles d’Emmanuel Macron

Chez En Marche !, la culture et les médias relèvent de deux membres du comité politique : l’UDI Frédérique Dumas (productrice de cinéma et conseillère régionale d’Ile-de-France) et le socialiste Stéphane Travert (député de la Manche). Le responsable du programme culture et médias est Marc Schwartz, énarque, conseiller référendaire à la Cour des comptes, qui fut conseiller au cabinet de DSK à Bercy, puis directeur financier de France Télévisions sous la présidence de Marc Tessier. Le groupe de travail qui a élaboré ce programme culture comprenait aussi Dorothée Stik (énarque, ex-conseillère technique d’Emmanuel Macron à Bercy chargée notamment des industries culturelles), et Isabelle Baragan (chargée des relations presse au musée du Quai Branly).

Crédit : http://bfmbusiness.bfmtv.com/france/macron-et-le-pen-deux-visions-opposees-de-la-culture-1155905.html


Le programme culturel de Luchini président

Un peu de légèreté pour terminer. Luchini président. Quelles seraient ses mesures phares ?

Réalisé par et pour le site « Les Petits Frenchies », une petite équipe de la génération 20 -35 ans
« qui se bouge les fesses : bourrée d’énergie, d’idées et de créativité. Depuis toujours, nous valorisons les startups françaises que nous retenons pour leur audace, leur ambition et leur créativité ! Aujourd’hui, nous accompagnons aussi de grandes marques qui partagent nos valeurs. ».
Tel est le credo affiché du site « Les Petits Frenchies »,

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On pourra aussi visionner ou revisionner des lectures de Luchini du Discours amoureux de Roland Barthes, dans son spectacle « Le Point sur Robert », notamment, ces deux morceaux d’anthologie :
- Petit poème taoiste
- Ou bien Le tumulte d’angoisse !
C’est ICI.

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4 Messages

  • Viktor Kirtov | 17 mai 2017 - 17:37 1

    La directrice de la maison d’édition "Actes Sud" a été nommée au poste de ministre de la Culture mercredi 17 mai.

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    Une « femme du livre » , donc, à la Culture, Françoise Nyssen, 66 ans qui vient de la « société civile ». Elle est co-directrice et présidente du directoire de la maison d’édition arlésienne Actes Sud.

    Dans la "hiérarchie protocolaire", la ministre de la Culture du premier gouvernement Macron est placée juste avant le ministre de l’Economie (Bruno Lemaire).

    Dans notre monde de communication, toutes ces petites choses ont valeur symbolique. Nous voulons le croire : une femme du livre à la Culture et la Culture traitée avec égard dans la hiérarchie protocolaire. Ces petits signes symboliques ne coûtent pas cher, mais semble-t-il ont été faits. Et c’est mieux que pas de signe du tout. Non ? Même si les symboles ne valent pas programme, action ni promesse d’une trace dans l’Histoire comme celle laissée par André Malraux et aussi Jack Lang.

    A vous de jouer Madame la Ministre !

    Avant de mettre les pieds dans le monde de l’édition, Françoise Nyssen obtient une licence en science, une agrégation de l’enseignement secondaire et un diplôme d’urbanisme. Elle finit par rejoindre la maison d’édition de son père, Actes Sud en 1978.

    Crédit : rtl.fr

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    Portrait :

    Françoise Nyssen, le charme discret de l’éditrice

    Par Philippe DourouxLibération, le 19 février 2016

    La fille du fondateur d’Actes Sud a fait de 2015 une année à succès pour la maison d’édition née à Arles.

    Il n’est pas simple de trouver Françoise Nyssen chez Actes Sud à Arles. Son bureau se trouve au cœur d’un entrelacs de couloirs et d’un imbroglio de pièces dont la fonction n’apparaît pas toujours clairement. On la retrouve plus facilement à la voix, à cette manière qu’elle a de saluer les uns et les autres, d’embrasser l’une ou l’autre, d’arrêter untel ou unetelle pour lui présenter celui qui la suit avec difficulté dans sa cavalcade.

    […]

    [Elle vient ] d’aligner le prix Goncourt, avecBoussole de Mathias Enard et le prix Nobel de littérature avec Svetlana Alexievitch, deux succès comme le tomeIV de Millénium de David Lagercrantz et le Charme discret de l’intestin signé par une parfaite inconnue, Giulia Enders. Ajoutons à cette liste le prochain livre de Salman Rushdie, et on comprendra qu’Actes Sud n’est plus du tout une petite provinciale. Arles, la ville où tout a commencé et se poursuit aujourd’hui, est devenu un quartier excentré de Saint-Germain-des-Prés, Actes Sud est situé rive gauche, mais celle du Rhône.

    Ceci posé, on peut s’asseoir à la table de ferme en vieux bois chevillé qui permet à Françoise Nyssen d’étaler sa paperasse et d’entasser les livres publiés par Actes Sud ou les maisons associées, comme le Rouergue et Gaïa. Assise bien droite, elle se montre disponible comme une bonne élève soucieuse de bien répondre aux questions. On commence par le début. Elle est la fille unique d’Hubert Nyssen, homme venu de la pub. Belge de naissance, elle est élève au lycée français de Bruxelles, où elle ne se sent pas tout à fait à sa place. Elle habite loin et ne fréquente guère ses camarades, alors, elle lit, et lira beaucoup. Elle ne raconte pas l’histoire de l’éditrice en devenir qui déjà toute petite… d’ailleurs, elle devrait être médecin si l’école avait conforté sa confiance en elle au lieu de l’ébranler.« Je me suis dit que je ne saurais pas soigner les malades, c’est aussi simple que ça »,dit-elle avec un peu, un tout petit peu de mélancolie dans la voix.

    Son beau-père, l’homme avec lequel sa mère refait sa vie, René Thomas, généticien, l’entraîne dans des études de biologie moléculaire. Elle les abandonne avant d’achever un doctorat pour militer, au début des années 70, dans des associations de quartier s’opposant aux urbanistes qui rêvent de tracer des avenues. Vivant avec un cartographe, elle le quitte et quitte Bruxelles, puis se retrouve à Paris pour travailler quelques mois comme urbaniste dans un ministère ! Elle se sent en décalage horaire :« J’arrivais tôt, déjeunais trop tôt pour partir tôt et m’occuper de mes deux enfants… »

    Quand, en 1978, son père lui dit qu’il cherche« quelqu’un », pour monter Actes Sud, elle se propose. Elle recale ses horaires à Arles et commence par les déclarations de TVA dont elle découvre l’existence. Hubert Nyssen, patriarche omnipotent qui tenait à s’installer en Provence, a l’intelligence de laisser se mettre en place une mécanique qui fonctionne encore. Sa fille découvre le métier d’éditrice, version livres de comptes, et croise Jean-Paul Capitani, un ingénieur agronome dont la famille d’immigrés italiens a fait sa place dans la ville. Un ami lui dit : « Vois-le, c’est l’homme de ta vie ! » Il l’est devenu. Elle le fait rentrer à Actes Sud. Devant les banquiers, il sait y faire et ses garanties sont plus solides que les espoirs d’avoir un livre qui marche. Bougon, il râle parce qu’on perd du temps quand un exercice d’alarme incendie oblige les employés à descendre sur les bords du Rhône, alors que Françoise Nyssen en profite pour embrasser, saluer, présenter tout le monde à tout le monde.

    Pour les livres, Hubert Nyssen apprend le métier à Bertrand Py. Un jour, Py, qui ne connaît rien au métier, a le culot de lui dire que cet ouvrage, qu’il a mis deux jours à lire ne connaissant l’italien que de loin, il le publiera à son compte si Actes Sud ne le fait pas. Actes Sud va publier et republier TutaBlu. Là encore, Françoise Nyssen est trop bonne élève et s’efface : « Je ne suis pas éditrice. C’est Bertrand l’éditeur. » Elle ne triche pas, au risque de faire oublier que c’est elle la patronne. En revanche, l’indépendance financière de la maison, voilà son œuvre et celle de son mari. « Un grand-père de Jean-Paul a vendu la bergerie de sa famille aux caves de Roquefort. Résultat, elle a disparu. Il ne faut jamais se faire racheter. » Aujourd’hui, les locaux de la maison d’édition sont installés dans cette ancienne bergerie, rachetée à Roquefort.

    Chez Françoise Nyssen, le monde est souvent « merveilleux ». Elle emploie sans cesse le mot, comme s’il fallait le plaquer partout et à tout moment pour oublier ce jour où Antoine« est parti », où il s’est suicidé en février 2012. Antoine était le septième de la fratrie Nyssen-Capitani. Elle avait deux enfants, il en avait trois, ils en ont fait deux. Antoine était dyslexique, dyspraxique,« dys tout ce que vous voulez et… merveilleux. »La voix s’affaisse un peu, le visage plonge quand il faut expliquer la présence des dessins de son enfant« différent »sur les murs ou sur les brochures d’Actes Sud. Ils disent la puissance de l’esprit quand il casse les règles du trait, mélange les photos et fait des collages de mots. En France, l’école publique et républicaine n’a pas pu ou pas voulu s’adapter. Françoise Nyssen n’accuse pas. « L’école n’est pas responsable », dit-elle sans y croire complètement. Et comme elle ne veut pas « se battre contre », elle a monté une structure qui aurait pu accueillir Antoine. Il suffit d’emprunter deux couloirs, d’en traverser un autre pour rejoindre l’école qui se trouve dans la chapelle au-dessus de la salle de concert. Une école dans une chapelle désaffectée dans laquelle on entreposait autrefois des ballots de laine, tout est normal, nous sommes dans le monde d’Actes Sud et des initiatives de Françoise Nyssen. Elle parle d’une monnaie locale, a repris l’Arbre à lettres, une librairie située rue du Faubourg-Saint-Antoine à Paris.

    Un méchant bruit persistant l’agace et amène un peu de fermeté dans son propos.« Je ne suis pas l’héritière d’une situation. Ce que nous avons fait, nous l’avons fait ensemble avec Hubert, avec Bertrand, avec Jean-Paul. » Simplement, depuis le retrait d’Hubert Nyssen, au début des années 2000 et plus encore depuis son décès en 2011, elle incarne la maison d’édition dans laquelle sa fille vient d’entrer.

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    En cinq dates

    9 juin 1951 Naissance à Bruxelles ; 1978Entrée à Actes Sud ; Février 2012 Disparition d’Antoine, son fils ; Septembre 2015 Ouverture de l’école le Domaine du possible ; 2015 Actes Sud remporte le Goncourt, le Goncourt du premier roman et le Nobel de littérature.

    Philippe Douroux


  • Viktor Kirtov | 15 mai 2017 - 14:15 2

    Par Nonfiction et Jean-Philippe Pierron
    Publié sur Slate.fr le 25.04.2017
    Extraits

    Eclairer voire critiquer Macron à la lumière de Ricoeur

    Si les relations entre Paul Ricœur et Michel Rocard, établies sur fond de protestantisme, mais aussi sur un sens de l’engagement intellectuel approfondi pour éclairer l’engagement politique, sont bien documentées, les relations entre Paul Ricœur et Emmanuel Macron restent moins connues, ce dernier revendiquant pourtant expressément cet héritage. Il ne craint pas de dire, par exemple : « C’est Ricœur qui m’a poussé à faire de la politique parce que lui-même ne l’avait pas fait ». Il est bien difficile de déterminer si cette revendication est de l’ordre de l’instrumentalisation, de la stratégie de communication servant un facteur différenciant dans « l’offre politique » ou d’une référence fondatrice ayant trouvé dans Ricœur un « éducateur politique ». La question est pourtant bien là : comment forme-t-on le politique ?

    Vieille question que posait déjà Platon et qui ne cesse de revenir aujourd’hui, à l’heure où le personnel politique, alors qu’il s’agit d’action politique, passe par le moule de « science politique ». Compte tenu des propos d’Emmanuel Macron, prononcés bien avant même le projet de se présenter à l’élection présidentielle, nous prendrons ici au sérieux cette référence, comme allant au-delà d’un effet d’affichage. Nous ne chercherons toutefois pas à voir si Macron fait un programme politique ricœurien, mais plutôt, à entendre en quoi les thèmes philosophiques développés par Ricœur peuvent éclairer, voire critiquer, le projet et l’action politique que veut mettre en œuvre celui-là.

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    La politique peut être autre chose qu’une gestion

    Pour penser les relations entre Emmanuel Macron, le politique, et Paul Ricœur, le philosophe, nous pourrions reprendre la distinction que proposait Max Weber dans sa célèbre conférence sur« La politique comme vocation ». Dans cet esprit, Ricœur serait alors l’homme de l’éthique de laconviction,qui n’a cessé de rechercher l’excellence du préférable, conçu comme une visée de la vie bonne dans des institutions justes. Macron, quant à lui, serait l’homme d’une éthique de laresponsabilité, comprise comme le sens du réalisable, dans un contexte historique donné sans céder à la facilité d’un recours à l’extrême et à la violence. En l’occurrence, ce contexte historique de la France du début du XXIe siècle est marqué par un pluralisme des valeurs, le poids redoutable d’un économisme mondialisé et financiarisé (dont vient aussi Macron comme banquier d’affaires) réduisant les marges d’initiatives du politique et appauvrissant le sens du travail réduit à une activité (ou même une absence d’activités dans le cas du chômage de masse) et enfin par une redéfinition des identités culturelles.

    […]

    Ceci amène à plusieurs observations. La première concerne les relations qu’entretiennent les politiques et la vie intellectuelle en France. Dans les grands États modernes, la place faite aux techniques d’administration (les grands corps d’État) incite à penser la formation du personnel politique dans les mots de la technique, de la gestion et de l’expertise. D’où les mots proliférants aujourd’hui de technocratie, d’expertocratie ou de gestion, qui saturent « l’action politique » désormais très formatée par le profilage de l’Ecole nationale d’administration dont Emmanuel Macron est lui-même issu. La rationalité des moyens (rôle des fonctionnaires et des experts) semble y prendre le pas sur la rationalité des fins (le sens et la fin du politique ; les relations entre éthique et politique), dirait Ricœur. Aussi, revendiquer une référence intellectuelle, en l’occurrence philosophique, dénote dans ce cadre ; du moins si cette revendication n’est pas qu’instrumentale. Elle redonne une place à la dimension de réflexion, de mise en perspective, d’explicitation des fins du politique, de l’examen des croisements entre éthique, politique et économique, de distance à l’égard de l’idéologie de l’expertise.

    D’une certaine façon, il se redéfinit là les liens entre les politiques et la culture, les politiques et l’intellectuel que j’ose dire réjouissants, alors que le politique est devenu souvent un professionnel de la politique réduite à une technique ou à une gestion ; et où le sens du gouverner est épuisé dans la méthode de la gouvernance.

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    Macron se souvient-il de ses lectures ?

    La seconde observation porte sur un risque de confusion des genres : les liens du philosophe et du politique ne sont pas des liens de subordinations mutuels, et ils sont loin du rêve/cauchemar du philosophe-roi. La route n’est pas droite qui va de l’homme du concept à l’homme du gouvernement. De l’idée au programme, il est tout un processus de traduction, de médiation dans le langage, les institutions, qui relève non de la technique mais de l’art politique. Il interroge comment on passe de la pureté de l’idée à la complexité mobilisatrice de l’idéologie, au sens positif que peut avoir ce terme. Il faudrait ici, par exemple, une longue exégèse pour montrer comment Macron, assistant éditorial de Ricœur sur le livre La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli en 1999, a traduit les idées de ce dernier en programme. Dans cet ouvrage, Ricœur réfléchissant sur le travail de mémoire, distinguait entre la mémoire travaillée par l’historien et la mémoire occultée et manipulée par le politique. Lorsque les déclarations du candidat Macron en campagne électorale, en Algérie, parle de colonisation et un peu plus tard affirme qu’il n’y a pas de « culture française », au sens d’une conception substantielle, mais plutôt une conception narrative du roman français, se souvient-il de ses lectures ?

    Enfin troisième observation, liée à ce qui précède, il me semble que le fondateur du mouvement « En marche ! », qui n’est pas présenté comme un parti, et qui refuse de se penser comme un parti –d’où la difficulté de le situer dans le débat public– tient à la remise en question de la constitution des partis politiques devenus partis de gouvernement. Ces derniers ont fini par oublier leur charge d’animer la discussion de la pluralité ; mais également, ils négligent les formes nouvelles de la pluralité politique : les collectifs plutôt que les associations, les réseaux sociaux et ce nouvel espace public qu’est l’internet, etc. On songe alors à ce propos de Ricœur :

    « L’État de droit, en ce sens, est l’État de la libre discussion organisée ; c’est par rapport à cet idéal de libre discussion que se justifie la pluralité des partis ; du moins celle-ci est-elle, pour les sociétés industrielles avancées, l’instrument le moins inadapté à cette régulation des conflits. »

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    La rhétorique du « En même temps »

    Pour une oreille ricoeurienne, c’est sans doute la rhétorique du « En même temps » chère à Macron qui est la plus sensible, sinon la plus semblable. Ricœur, dans sa méthode philosophique n’a cessé de vouloir remplacer le dilemme qui sépare et oppose, par la dialectique qui relie, fusse dans le conflit. La dialectique n’est pas au service de la grande synthèse gouvernementale autoritaire –la synthèse est toujours gouvernementale, disait Proudhon– parce que, chez Ricœur, la dialectique est toujours à synthèse ajournée, en raison de la complexité des situations et du tragique de l’histoire avec lesquels il faut composer. C’est pourquoi la politique demeure un processus, et non l’application de procédures. Aussi lorsque Macron dit « en même temps », ce n’est ni une facilité de langage, ni même un tic, mais c’est assumer le caractère tensionnel du réel avec lequel le politique doit composer : libérer le travail et protéger les plus fragile ; être fier de la France et relancer la construction européenne, etc.

    Mais peut être que pour une oreille ricoeurienne, ce qui pourrait dissoner dans le propos de Macron, c’est l’hypertrophie de la place faite à l’économie –et avec elle, à l’économisme très peu social et solidaire, car il ne dit pas grand-chose sur la justice fiscale et sur le rôle des entreprises multinationales. Elle semble, pour l’ancien ministre de l’Économie, avoir absorbé l’essentiel du propos relatif à la construction du monde commun en raison d’une substantialisation des lois de l’économie, voire de leur réification dans une idéologie –celle de la croissance, faisant de l’économie la nouvelle science de l’action ! (Après le réalisme socialiste…) Et c’est aussi l’oubli que la politique est précisément, pour Ricœur, une tension entre le souci de la réforme et l’exigence de la révolution.

    Pour le dire autrement, il y a dans la politique un réalisme gestionnaire qui doit se concentrer sur l’épaisseur tensionnelle du contexte, nous l’avons dit. Mais il y a également dans le politique une dimension d’attente, d’idéal régulateur, d’ouverture imageante. Cette ouverture d’un tiers espace utopique où il est possible de rêver autrement le monde, d’anticiper en imaginant d’autres possibles et d’autres manières de penser la place des hommes avec les autres êtres et la nature, Benoît Hamon l’a porté un moment dans cette campagne. Il y a une fonction positive de l’utopie pour Ricœur, mais il y un grand silence de Macron sur les liens entre imagination et politique, dont la question écologique, dans son retentissement social et économique, est aujourd’hui un des défis. L’auteur de L’idéologie et de l’utopie pourrait sans doute demander comment elles se dialectisent chez Macron,à moins qu’elles ne deviennent un dilemme ?

    Crédit : http://www.slate.fr/

    En décembre 2016, Jean-Philippe Pierron publiait Paul Ricoeur : Philosopher à son école (Vrin)

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  • A.G. | 15 mai 2017 - 13:39 3

    Aux sources d’Emmanuel Macron... Un président philosophe ? Qui sont ses penseurs-référents ? Quelles sont les idées qui structurent sa pensée ? Comment les traduire ? Avec une spécialiste du libéralisme et un biographe de Paul Ricoeur, la philosophe Catherine Audard et l’historien François Dosse. France Culture, La Grande table, 15/05/17.


  • Viktor Kirtov | 14 mai 2017 - 23:18 4

    Flash-back ! C’était en 2015, le magazine Slate intitulait son article ;

    « Philippe Sollers et la politique : le regard d’un écrivain sur les événements marquants des quinze dernières années ». C’était à l’occasion de la publication de son livre Littérature et politique.

    Relire cet article aujourd’hui, renforce encore plus fortement cette impression de changement d’époque que marque l’élection d’Emmanuel Macron à la Présidence de la République, même si quelques mois plus tôt – au moment des primaires – elle n’était pas du tout probable, et si seul l’avenir nous dira si ce charivari initialisait vraiment un changement d’époque pour la France.

    Notons, toutefois, que Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, dans son discours lors de la cérémonie de passation des pouvoirs, a cité cette formule " qui prend son plein sens ", a-t-il dit, de François-René de Chateaubriand : " Pour être l’homme de son pays, il faut être l’homme de son temps ". […] poursuivant : "Homme de notre temps, assurément vous l’êtes par vos choix, par votre formation, par votre parcours et jusqu’à votre état-civil", a déclaré le président du Conseil constitutionnel, après avoir évoqué la campagne "chamboule-tout" qui a mené Emmanuel Macron à l’Elysée.

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    C’était comment avant ? Dans quelle époque vivions-nous pendant les quinze années que couvrent les chroniques de Philippe Sollers ?

    Par Sandrine Gaillard et Nonfiction—20.02.2015 –

    La publication des chroniques de Philippe Sollers fait le pari de mêler la mémoire des quinze dernières années à la pensée lucide d’un écrivain.


    Philippe Sollers et Pierre Nora
    (c) LPLT via WikimediaCC - ZOOM... : Cliquez l’image.
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    Littérature et politique

    de Philippe Sollers

    Philippe Sollers a rassemblé ses chroniques dans un livre intitulé Littérature et Politique. Parues dans des journaux et magazines généralistes, elles témoignent des événements survenus en France et dans le monde entre 1999 et 2013. Les Éditions du Seuil avaient proposé à Sollers de publier son journal de l’année 1998, dans le cadre d’une collection sur les dix années qui précèdent l’an 2000.Littérature et Politique peut se considérer comme le prolongement de L’Année du Tigre. Journal de l’année 1998. Il y est fait moins état de sa vie personnelle. Il a 72 ans au début du recueil et 76 ans à la fin.

    Pourquoi confier une chronique sur l’actualité à un écrivain ? On est curieux de connaître son point de vue, de retrouver un style d’écriture et gagner matière à penser. Au milieu du flux d’informations, du récit des faits divers, des problèmes politiques, sa contribution procède d’un ailleurs, irrigué de poésie et d’enchantements. Personne ne dévoile jamais les ressorts cachés de la société et les motivations humaines aussi bien que les écrivains dans les romans, comme si lire et écrire façonnaient un corps singulier. Par ailleurs, Sollers s’est toujours tenu informé de l’actualité : internationale, scientifique, littéraire. Dans ses romans, il met en scène des narrateurs journalistes, enquêteurs. N’est-il pas paradoxal de faire un livre de ces chroniques de presse ? Les unes ne valent-elles pas parce qu’elles sont liées au présent, tandis que le livre peut être trouvé par un lecteur futur qui n’aurait plus aucune idée des personnes, des épisodes dont il est question ? C’est en effet le risque… Néanmoins, l’écrivain offre la possibilité qu’on s’intéresse à ces inconnus comme un supplément d’éternité.

    Si l’on songe un instant aux Bloc-notes de François Mauriac, on constate avec quelle gourmandise il annonçait ses publications : « Rien ne peut me faire plus plaisir que l’annonce d’un nouveau volume de Bloc-notes préparé par mon éditeur. Ce sera le quatrième, si je ne me trompe pas. À tort ou à raison, je compte sur ce témoignage que je laisserai. Je ne sais ce qu’il adviendra du
    Nœud de vipères, de Thérèse Desqueyroux ou d’Un adolescent d’autrefois. En revanche, je compte sur cet ouvrage, qui n’est pas seulement l’histoire vue par un tempérament, mais qui se confond avec ma vie la plus personnelle. Cela constitue une expérience singulière que je crois être seul à avoir tenté. » Les jeunes écrivains n’étaient pas peu fiers d’y figurer, quelle que soit leur communion d’idées avec l’académicien catholique, gaulliste fervent. Parce qu’ils savaient qu’ainsi ils dureraient. C’est toujours un grand plaisir de lire aujourd’hui les réflexions, les nostalgies de Mauriac, même si nous manquons des références liées au contexte d’énonciation. On y trouve la bienveillance qu’il n’a cessé de témoigner à Philippe Sollers, alors jeune écrivain d’un premier roman en 1958.
    Le protégé pare à son tour, dans ses propres chroniques, les attaques concernant l’écrivain de Malagar. En août 2004, il écrit : « Cher Mauriac, qui m’invitait de temps en temps à dîner, lorsque j’étais étudiant, gravité, perspicacité, flèches assassines, drôlerie constante. Que dirait-il aujourd’hui de Jean-Paul II, ‘malade par les malades’, à Lourdes. De ce pape polonais dont il n’aurait même pas pu imaginer l’arrivée ? » Nous reparlerons plus loin de Mauriac. N’est-il pas, en effet, l’auteur de l’épigraphe de Littérature et Politique  : « Je prendrai la politique, je la baptiserai littérature et elle le deviendra aussitôt. »

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    Chronique d’une époque à désespérer

    Pourquoi n’avons-nous pas une conscience immédiate de ce qui s’est passé ces quinze dernières années ? Les informations et les catastrophes se succèdent avec une rapidité folle, l’une chassant l’autre. Les analyses nous incitent à croire que rien ne change, tout serait substituable. La même époque que Balzac ? La France de Péguy et de Jaurès ? La politique de Vichy ? La culpabilité de l’holocauste ? Les excès de Mai 68 ? On ne sait plus.Hic et nunc : évanoui ! D’où l’intérêt de relire la chronique, les points saillants de ce qu’on a entendu, en fond sonore, qui donnait raison à la dépression générale.

    L’accident du Concorde, la catastrophe du sous-marin Kourks, les massacres en Tchétchénie, l’épidémie de fièvre aphteuse, la destruction du World Trade Center, la faillite d’Enron, le Front national au second tour des présidentielles –citons le commentaire de Sollers, car il s’accorde avec l’émotion qui a suivi les attentats à Charlie Hebdo et au supermarché casher : « Nous avons eu le séisme, nous avons eu le sursaut. Les Français sont un peuple électrique et imprévisible : ils aiment les convulsions, les tourbillons, les manifestations, la collectivisation des émotions. » L’intervention des Américains en Irak, l’affaire Patrice Alègre à Toulouse, l’assassinat du préfet Érignac, la mort de Marie Trintignant, l’affaire d’Outreau, l’assassin Michel Fourniret et sa femme Monique Olivier, le tsunami dans le Pacifique, les décapitations à l’hôpital psychiatrique de Pau, l’ouragan Katrina, les révoltes en banlieues, la grippe aviaire, l’Autrichien Fritzl, le scandale des subprimes et le krach boursier, la tempête Xinthia, la centrale nucléaire de Fukushima, les assassinats de Mohamed Merah…

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    Un grand découragement devant la mort à l’œuvre

    Après, il y a eu de quoi se divertir avec la politique française, lorsqu’on opère une certaine accélération : présidence Chirac, accident vasculaire, présidence Sarkozy, rebondissements conjugaux, primaires socialistes, rebondissements conjugaux, présidence Hollande… L’écrivain se montre sensible aux références littéraires des hommes et femmes politiques. Il pâlit devant l’arrogance décomplexée de la société spectaculaire, quand la télévision avoue si volontiers qu’elle vend du temps de cerveau disponible [1]quand il entend que La Princesse de Clèves n’est pas ce grand livre des sentiments [2], que les études classiques, le latin et le grec n’ont pas d’intérêts, qu’il faut liquider Mai 68, la psychanalyse et Freud. Il sourit avec ironie (ou avec Molière) de cette passion française qui veut que tout le beau monde se pique de littérature : « […] Un peuple nomade fixe ses racines toujours plus loin devant, un peuple sédentaire voyage dans sa tête, que hante une seule parole, enflée d’apprentissage et d’expériences partagées, cousue de rêves et d’angoisses résonnant de ses tambours humains à grandes peaux tendues. Et ainsi de suite. Se doutait-on que régnait à l’Élysée, puis au Quai d’Orsay, un inspiré de cette nature ? Un révolutionnaire, un communard, un pur produit dévastateur de Mai 68 ? La Tornade Villepin est en route, rien de l’arrêtera. »

    Alors qu’un courant de pensée n’en finit pas de revenir sur Mai 68 pour l’accuser d’être l’origine des maux de la société : dislocation de la famille, perte du statut de l’université, etc., Sollers reste au contraire très attaché à cette période qu’il a vécue, et en conserve certaines des revendications, contre l’État en tant qu’organe de répression : il ne cesse de dénoncer les conditions de détention dans les prisons, la torture américaine ou russe, la peine de mort qui se pratique dans certains États américains, l’acharnement sur les militants d’Action directe ou des Brigades rouges. Aussi, est-il là pour saluer Julien Coupat, Julian Assange ou Edward Snowden, ou donner de la visibilité aux parutions de Raoul Vaneigem, écrivain et philosophe situationniste.

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    Profession : homme de lettres

    « Homme de lettres » : l’expression n’est plus vraiment de saison. Elle dit pourtant qu’il y a un milieu, un petit monde, et des rivalités. Sollers exerce un métier ; écrivain, il dirige aussi une collection chez Gallimard. Il publie beaucoup : ses romans, des préfaces, des biographies, des entretiens, et répond volontiers aux sollicitations des chaînes de télévision et des radios. La réponse qu’il apporte à la somme de critiques négatives qui attaquent le personnage ou ses romans est simplement de donner à lire ces accumulations, des formules, du mépris. Elles donnent à comprendre la dureté, le ressentiment d’un monde confiné, et la permanence des chapelles. Après cinquante ans de métier, doit-il justifier le tour qu’il donne à ses romans, il se sert de sa tribune, en janvier 2009 : « Hors du roman psychologique à embarras sexuel ou parental, pas de salut. Or, rien n’est plus romanesque, aujourd’hui, que de se poser la question de la vraie lecture, puisqu’on peut en constater partout la consternante dévastation. Le roman vrai, c’est l’existence plus ou moins intensément poétique et par conséquent très interdite, c’est tout. »

    Sur les quinze dernières années, il enregistre les petits séismes du milieu : les événements littéraires, Michel Houellebecq, Jonathan Littell, les prix, le Nobel à Le Clezio (2008), les manuscrits de Breton ou Baudelaire dans les ventes publiques, le succès de vente de Harry Potter et les reliques de la mort de Rowling. Et les hommages lors des disparitions : Frédéric Berthet et Françoise Sagan en 2004, Claude Simon en 2005, Philippe Muray en 2006, Julien Gracq en 2007, Alain Robbe-Grillet en 2008. Le centenaire des Éditions Gallimard et le changement du nom de rue : rue Sébastien-Bottin devenue rue Gaston-Gallimard (1881-1975). Sans oublier qu’il prend la température sur les préférences des lecteurs ou plutôt des lectrices lorsqu’il consulte sa libraire Ophélie.

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    « Pas les citations, les excitations »

    Baudelaire écrit : « Manier savamment une langue, c’est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. » Nul doute que Sollers agisse en sorcier dans son usage répété des citations. Voltaire, Stendhal, Baudelaire, Flaubert, Céline, Joyce, Debord, qui jaillissent pour s’insurger contre les réserves de bêtise et réveiller les consciences. Selon l’auteur d’Une vie divine, on est libre de couper court aux lamentations continuelles et se tourner vers ce qui exalte la vie, ce qui transporte l’âme : la littérature, la musique, la peinture. C’est un exercice et une discipline qu’il propose.

    « Or ce que j’ai à dire sur le XXe siècle, et que je ne me lasse pas de répéter, c’est qu’il a été un grand siècle de création. Par principe, je ne cite que des écrivains ou des artistes. Ce siècle d’horreur a donc été aussi celui de Proust, de Kafka, de Joyce, de Stravinsky, de Picasso, de Faulkner, de Hemingway, de Virginia Woolf, de Céline, de Nabokov, de Borges, de Chaplin, de Hitchcock, de Louis Armstrong, de Charlie Parker, de Glenn Gould, des surréalistes, des Beatles, d’Élisabeth Schwarzkopf, des situationnistes, d’Artaud, de Genet, de Bataille, de Giacometti, de Matisse, de Karajan, de Mizoguchi, d’Eisenstein, de Billie Holliday, de tant d’autres. Un vrai paradis en plein enfer. » À travers les chroniques, faire une large place à l’admiration, à l’enthousiasme.

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    Le goût des correspondances

    Ce qui semble prévaloir, parmi les parutions, ce sont les correspondances. Les lettres de Simone de Beauvoir à ses amants Nelson Algren ou Jacques-Laurent Bost, la correspondance de Gustave Flaubert ou de Paul Morand, de Louis-Ferdinand Céline, de Hannah Arendt, de Louise Michel, de Diderot, de Voltaire… Dans sesBloc-notes, Mauriac donne sa version : « Il y a beau temps que moi-même je préfère à tous les journaux intimes, les correspondances, tout ce qu’un être livre de soi directement. C’est mon unique curiosité : comment font les autres ? Je serais bien incapable d’avaler L’Être et le Néant, même sous la menace d’un revolver, mais je dévorerais les confidences que Sartre nous ferait sur les approches de la vieillesse, sur sa méthode pour l’affronter, sur ce qui l’aide à vivre dans un monde si différent de celui qu’il aurait tant voulu changer. »

    Sollers s’occupe peu de la vieillesse, de l’âge, de la maladie. L’auteur de Femmes, L’Étoile des Amants, Passion Fixe a trop à faire avec le commerce amoureux. Et c’est comme si ses questions étaient : comment font les autres pour braver l’hostilité ambiante ? Est-ce que les rencontres heureuses existent ? Ce qu’il recherche, c’est qu’on lui parle d’amour et de plaisir. On connaît l’admiration de Sollers pour André Breton, il donne la parole à Marcel Duchamp : Et puis cet émouvant hommage à Breton, en 1966 : « Je n’ai pas connu d’homme qui ait une plus grande capacité d’amour, un plus grand pouvoir d’aimer la grandeur de la vie. On ne comprend rien à ses haines si on ne sait pas qu’il s’agissait pour lui de protéger la qualité même de son amour de la vie, du merveilleux de la vie. Breton aimait comme un cœur qui bat. Il était l’amant de l’amour dans un monde qui croit à la prostitution. C’est là son signe. » Il annonce dans ce recueil, la parution en 2016 de sa correspondance avec l’auteur de L’Amour fou. Et on apprend sur son site Web que la correspondance échangée avec Dominique Rolin est déposée avec les manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, elle comprend plus de 10 000 lettres manuscrites sur cinquante ans. Aura-t-on des surprises avec Sollers épistolier ?

    Lire Littérature et Politique en regard des Bloc-notes de Mauriac met en évidence les styles des deux écrivains. Remarquons que Sollers s’abstient de juger ou de se définir comme une quelconque autorité. Il enregistre des faits, observe aussi beaucoup les femmes : les artistes comme Cecilia Bartoli, les cinglées comme Lynndie England, Véronique Courjault, Céline Lesage, les femmes politiques comme Martine Aubry ou Christiane Taubira. Aucun lyrisme, il faut aller vite. Pas de longues périodes, ni de métaphores mythologiques, mais une écriture qui garde les traces de Rimbaud, Baudelaire, Lautréamont ou Sade. Un humour parfois potache ou situ, de détournement. Instruire et distraire, n’est-ce pas là l’héritage de Mai 68 ? Non ! De Fontenelle ! D’autant qu’il semble s’adresser au premier venu, auquel il parle tout aussi bien de Jonny Wilkinson et de Zinédine Zidane… La culture n’est pas un raffinement de nantis et la littérature n’est pas la chasse gardée de quelques universitaires.
    Il revient au lecteur, quel qu’il soit, de se faire une opinion. Les citations viennent comme des incitations à lire pour changer la vie, en étant à la fois dedans et dehors, dans le temps (la politique, c’est-à-dire la vie de la cité) et dans l’intemporel (la littérature).

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    [1cf. Patrick Le Lay, PDG de TF1, interrogé parmi d’autres patrons dans un livre Les dirigeants face au changement (Editions du Huitième jour) affirmait : Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ”business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit(...).

    Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible(...) – note pileface.

    [2Rappelons le contexte :
    le 23 février 2006, à Lyon, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur et candidat à l’élection présidentielle, promettait devant une assemblée de fonctionnaires d’"en finir avec la pression des concours et des examens". Il avait alors lancé : "L’autre jour, je m’amusais - on s’amuse comme on peut - à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves. Imaginez un peu le spectacle !" Deux ans plus tard, en juillet 2008, le chef de l’Etat revenait à la charge. A l’occasion d’un déplacement dans un centre de vacances en Loire-Atlantique, il faisait l’apologie du bénévolat qui, disait-il, devait être reconnu par les concours administratifs : " Car ça vaut autant que de savoir par coeur La Princesse de Clèves. J’ai rien contre, mais... bon, j’avais beaucoup souffert sur elle", souriait-il. - (note pileface)