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Francis Bacon, radiographie par Phillipe Sollers

Les passions de Francis bacon

D 9 juin 2006     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Le regard "radioscopique" et les mots de Sollers pour décrire une photo de Francis Bacon à 75 ans, prise par le photographe John Edwards en 1984 et, en contrepoint, son analyse du tableau de Bacon Nu couché avec une seringue hypodermique. « Il s’agit simplement de fixer la forme en train de s’échapper à elle-même ».

"Les passions de Francis Bacon" par Philippe Sollers (extrait)

Je dois être, sans même en avoir conscience, un assez bon analyseur. C’est Borges, par exemple, rencontré pour la première fois dans sa petite chambre de l’hôtel des Beaux-Arts, à Paris, qui se met à me parler, au bout de trois minutes, à l’aveugle, des putains françaises d’autrefois, à Buenos Aires, « les meilleures, les plus recherchées ». C’est Bacon, autour d’un whisky, au bar du Pont-Royal, évoquant presque immédiatement, dans une conversation décousue, les crises d’eczéma qui couvraient son corps (voilà peut-être une des sources de la « peau d’hippopotame ») lorsque son père, dans son enfance, en Irlande, l’emmenait à travers les prairies voir ses chevaux. « L’eczéma, aucun rapport avec la psychanalyse, n’est-ce pas ? », dit-il avec un petit rire. Et moi : « Aucun, évidemment. » On s’amuse.
Les photos, comme on peut s’en douter, ne disent pas grand-chose de sa présence. Certaines, pourtant, sont intéressantes.
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Francis Bacon dans son studio, photographié en 1984 par John Edwards
Celles de 1984 (il a soixante-quinze ans), très voulues sous une apparente improvisation, ont été prises par John Edwards, un des derniers amis, et l’héritier, de Bacon (Edwards, dans les tableaux, est étonnamment détendu, il est, par exemple, « l’homme à la chaise longue »).
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Etude pour un portrait de John Edwards,1989>
Huile sur toile, 198x147,5 cm
Collection particulière

Dans la première photo, le peintre est accoudé à un lavabo, un peu affaissé, calme. Au-dessus de lui, des cartes postales de ses dernières toiles, celles du « dépouillement » et de la plus grande maîtrise, sont punaisées au mur. Encore au-dessus de sa tête, sur une étagère, un téléphone vieux modèle, noir. Lavabo, cartes postales, téléphone : message précis. Dans la deuxième photo, il est debout et concentré dans l’atelier, mains dans les poches, taches de couleurs éclatées sur les parois, vieux livres entassés en masse, chiffons et papiers. On a le choix entre : étudiant à peine vieilli et resté résolument subversif, chouette, hibou, oiseau rare ou de proie. Pour l’objectif (son ennemi), son corps se fait complètement vide, intraitable, regard vitreux, caillou, rien, volonté du rien. Le film de la BBC le restitue mieux, vif, rieur, dandy rond, acerbe, merveilleusement gentil, disponible, passons, on verra plus tard. Plus britannique que Bacon, tendance anarchiste, tu meurs. Lawrence, à côté, a l’air d’une jeune fille timide, Wilde d’une jeune fille endimanchée. Lui, définitivement débarrassé de la reine Victoria (comme seulJoyce a su l’être avant lui, sans doute), chemise bleue à col ouvert, blouson clair, distinction de la voix, vin de Bordeaux dans le verre, ponctue l’entretien de quelques certitudes chèrement acquises, mais, désormais, au-delà de l’effort : « Non, non, pas de fantasmes, la réalité, là, tout de suite », « ce que nous voulons, n’est-ce pas, c’est la volupté ».


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Nu couché avec une seringue hypodermique, 1963
Huile sur toile, 198x145 cm
Collection particulière

Plus tard, dans la nuit, alcool ou autres substances. Mais n’allez pas conclure bêtement en voyant une seringue hypodermique fichée dans le bras d’une figure rose chair, demoiselle d’Avignon de jadis, couchée à l’envers, sur un lit ovale à rayures, dans une chambre où tout valse et tourne comme dans un disque (sol, mur, halo jaune de la lampe électrique) : « Je ne mets pas la seringue à cause de la drogue qu’elle injecte, mais parce que c’est moins stupide que de mettre un clou à travers le bras. » Élémentaire. Il s’agit simplement de fixer la forme en train de s’échapper d’elle-même, sinon elle aurait l’air flasque. Une bonne piqûre, et voilà. Ce tableau date de 1969, il s’appelle Personnage couché. C’est l’un des plus réussis de Bacon. Regardez-le : à proprement parler, il vous tire la langue.

« La peinture a été libérée, dit-il encore, mais personne ne sait que faire de cette liberté. » Autrement dit : moi, je sais.

Les passions de Francis Bacon
Philippe Sollers
Gallimard, 1996, p. 92-96


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VOIR aussi sur pileface ICI


Francis Bacon, interview de 1984

Le travail de Bacon n’est réellement reconnu qu’après la Seconde Guerre mondiale : ses ?uvres provoquent des réactions extrêmes, souvent d’intense répulsion, tant elles sont violentes et expressives. Dans cette interview Francis Bacon parle de sa peinture, de sa technique et de ses influences. Le DVD "Francis Bacon - L’Homme Et L’Arène" un film de Adam Low est disponible : http://www.adam18.com/DVD.htm

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1 Messages

  • Ukhbar | 21 août 2008 - 21:27 1

    Nu couché avec une seringue hypodermique, 1963

    >> "Goldie, elle dit qu’elle s’appelle Goldie." (Frank Miller, Sin City).