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Tout recommencer, sans cesse

La Fête à Venise

D 19 septembre 2016     A par Pascal Torrin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



OH, TOUT RECOMMENCER, SANS CESSE. ENCORE, ENCORE. ET ENCORE. [1]


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Par Pascal Torrin

Extrait de l’article paru dans L’Infini, N° 136, Eté 2016 [2]

Nota : Le choix des extraits de l’introduction ainsi qu’encarts, sous-titrages et mise en page sont de pileface (V.K.).

Quelques extraits de l’introduction pour commencer

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Le livre sur Amazon

La Fête à Venise est un roman publié en février 1991, dont le personnage principal est le peintre Jean-Antoine Watteau, né en 1684 à Valenciennes, mort en 1721 à Nogent-sur-Marne. Sollers avait publié en 1984, pour le tricentenaire de la naissance du peintre, un texte intitulé « Watteau et les femmes », texte repris dans le recueil Théorie des Exceptions (1986) sous le simple titre « Watteau ».
[...]
Un tableau (imaginaire) de Watteau, qui s’appelle La Fête à Venise, et partage donc son titre avec le roman que nous lisons, est « réapparu sur le marché clandestin » (p. 89), doit être transféré (ou transmis, ou transbordé) d’un bateau (le Player II) à un autre (le Sea Sky) à Venise, un soir du mois d’août [3], en présence ou sous la surveillance du narrateur et de quelques acolytes.
[…]

Quatrième de couverture
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Que fait au juste Pierre Froissart, écrivain clandestin, l’été, dans un petit palais de Venise ? Pourquoi est-il accompagné de cette jeune physicienne américaine, Luz, avec laquelle il a l’air de si bien s’entendre ? Activités illégales ? Drogue ? Trafic d’œuvres d’art ? Mais quel est alors le réseau international qui l’emploie, lui et certains de ses anciens amis ? Et que représente au fond cette toile de Watteau qu’il doit acheminer vers son but secret ; cette peinture célèbre et recherchée qui donne son nom au roman et l’entraîne peu à peu, comme d’elle-même, dans une révélation de l’Histoire ?

L’action du roman se déroule entre le 10 juin (p. 13) et le mois d’octobre (p. 238) 1989, avec un flash back en janvier de la même année. On peut supposer que le roman a été écrit en 1990, comme le suggère le texte lui-même (p. 238 et 239), qui suggère également qu’il a été écrit à Venise.

En 1990, c’est-à-dire à un moment très particulier de bascule de l’Histoire, il y a donc un quart de siècle, ce qui pourrait constituer la première des raisons du choix que nous avons effectué : La Fête à Venise a-t-il conservé voire élargi son champ de pertinence face à tout ce qui s’est produit depuis la Chute du Mur, dont il est l’exact contemporain ? [4]
[…]
[Bien que], le roman ne fasse mention à aucun instant ni de la Chute du Mur, ni du bicentenaire de la Révolution française, ni encore moins des événements de la place Tian’anmen, ou des conflits ayant succédé au Nouvel Ordre Mondial né de l’effondrement de l’URSS (guerres du Golfe, des Balkans).

« Si je me sers du dix-huitième siècle (adieu dix-neuvième, adieu vingtième), c’est juste pour respirer, voyez-vous. Le vingt et unième siècle sera le renouveau, et l’approfondissement inattendu dans tous les sens, des Lumières, ou ne sera pas » (p. 60).
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Jean-Antoine Watteau, Les Charmes de la Vie, (1718) - détail
ZOOM... : Cliquez l’image.
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« La vie se résume bien à cela, trouver le lieu, l’heure, l’autre qu’il faut » (p. 31).

[Sollers] tente de proposer un projet de vie réussie pour le XXI° siècle, fondé sur d’un certain usage de l’espace, du temps, d’autrui, et, plus encore, sur un certain usage de la bibliothèque, de la littérature et des images, le tout ayant été médité pour résister joyeusement aux rigueurs chagrines des temps nouveaux.

*

La Fête à Venise dans toutes ses dimensions

Jean-Antoine Watteau. <i>Les fêtes vénitiennes</i> (1718-1719)
Jean-Antoine Watteau. Les fêtes vénitiennes (1718-1719)
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- A l’instar de celles des Fêtes vénitiennes, les dimensions de la Fête à Venise
sont de « 56 x 46 cm » (p. 177), et…

Le roman La Fête à Venise est composé de 102 paragraphes, séparés par 3 interlignes dans la version originale, soit la somme des deux chiffres signalés pour définir la mesure du tableau éponyme. [5]

- Il devient alors possible d’imaginer le découpage du tableau (et du roman) en une succession de points organisés en abscisses et ordonnés, démarche qu’encourage d’ailleurs Sollers puisque lui-même y a recours d’une façon très singulière :

« - Je vérifie les points J1, O2 et Y3. Et toi ?

- A7, D8, N9. La petite blonde en rouge, là, à gauche. » (p. 177/178)

JOY : la « joie » en langue anglaise, mais aussi et surtout les trois premières lettres du vrai patronyme de Sollers, JOYAUX, comme de celui de James Joyce, qui a toujours été pour l’auteur une figure d’identification, comme on peut le constater par exemple dans le nom de fiction que lui donne Dominique Rolin (« Jim ») [6]. Trois lettres pour une désignation éminemment symbolique associées à trois autres : ADN, qui elles désignent la chair, la matière organique, comme l’allusion de la suite du dialogue permet de ne plus en douter : « Pas besoin de frottis ? » (p. 178), ou bien, dit autrement, ce qui nous constitue et nous échappe, notre héritage génétique, nos 23 paires de chromosomes.

Luz a 23 ans [7], et donc apparemment cela commence à faire beaucoup de coïncidences, surtout que la lettre W (double you, double identité) renvoie à Watteau, mais aussi à « l’agent le plus secret, le véritable agent W, comme on dit dans les services d’espionnage pour désigner celui ou celle qui est chargé d’entrer au cœur du dispositif adverse » (p. 38), la lettre W donc est la 23° de notre alphabet.

- Alors, oui, l’hypothèse peut à présent être formulée, ce d’autant plus qu’elle est suggérée à la fin du roman lui-même :

« ADN : 6 milliards de "mots" […] Combinatoire : ça finit par te donner toi, et toi seul. » (p. 230)

La Fête à Venise serait l’équivalent d’une formule symbolique ET organique, qui serait la rencontre entre un homme ET une femme pour faire venir un enfant en ce monde ; et Sollers, qui présuppose lui-même que « personne n’en saura rien, sauf accident très improbable » avant « 2036 » (p. 90), soit le 100° anniversaire de sa naissance, Sollers poursuit peut-être alors un fantasme de recréation, ou de palingénésie textuelle, et sans doute faut-il ici, non sans quelque frisson, recopier la phrase de la p. 744 de Discours Parfait : « C’est un livre contre la reproduction sous tous ses formes… » [8]

S’il s’agit de se refaire, c’est nécessairement que la première fois, on ne l’a pas été comme on aurait pu le désirer.

« Le tableau ne touchera pas terre. Il est là, 56 X 46 cm, dans le coffre aménagé du Player II. Elodie et Walter nous ont laissés l’examiner un long moment, Richard et moi, avant les deux types du Sea Sky. Me voici maintenant seul, de garde, sur la plage arrière. Tout s’est passé avec naturel. » (p. 177)

« … depuis la terrasse, je vois le Sea Sky appareiller tranquillement à la voile, avec sa petite cargaison » [9] (p. 181).

Le nom de Player II évoque bien sûr en premier lieu Voyager II, et son « voyage au début de la nuit » (p. 87), vers l’origine. Mais il peut aussi être lu comme le rappel d’un roman précédent de Philippe Sollers, son Portrait du joueur (1985), dans lequel règne sur la famille du narrateur la figure d’identification « trinitaire » du grand-père maternel, nommé Louis Rey, et présent à l’intérieur du nom du bateau le Player II. [10]

Quant au Sea Sky, dont le nom évoque d’abord l’horizon et donc l’Infini, et dont nous apprendrons qu’il sera « ramené » (il y a donc déjà été) à « Saint-Martin », dans les « Antilles » (mais aussi qui sait… sur l’île de Ré, lieu associé à la mère de Sollers)(p. 186), on peut l’entendre aussi comme le Mer Ciel, ou, par euphonie, la Mère (au) Ciel [11], ce qui permettrait donc, par le truchement du transfert de la Fête à Venise (JOY+ADN), de devenir le Fils (JC), tout en occupant la place du Père (père de la mère, donc, qui est le même « trinitairement » que le Fils), ce qui offre l’avantage de priver la mère-vierge montée au Ciel de tout pouvoir totalitaire.

Et donc :

« La note générale est qu’ils recommencent » (p. 139).
« Oh, tout recommencer, sans cesse.
Encore, encore. Et encore » (p. 213)

Mais recommencer quoi, finalement ?

Rien d’autre que la totalité de l’histoire du 20° siècle, c’est-à-dire en somme l’histoire bien française d’une transmission familiale tragique, de génération en génération, de ces silences, ou de ces mensonges, que la littérature aurait pour devoir de faire sentir, mais plus encore de conjurer :

« Vous avez bien trente ou cinquante malheurs à nous raconter, des infirmités, des purulations, des frustrations, des humiliations, des fureurs, des terreurs ? Oui, non, j’oublie… L’homme ne doit pas créer le malheur dans ses livres… » (p. 77).

Ces silences…

Le silence d’un père revenant vivant mais traumatisé à jamais des champs de massacre de la première guerre mondiale.

Le silence d’une famille trop « protégée » pendant l’Occupation.

Le silence d’un jeune homme de 25 ans refusant obstinément de partir faire son Service militaire en Algérie et se réfugiant pour ce faire dans un mutisme total.

Le silence enfin d’un fils « ayant eu des difficultés neurologiques ».

*

Je suis de Lascaux

« Je suis de Lascaux » (p. 164).

Dans son ouvrage Homo Spectator (2007), Marie-José Mondzain a proposé un « scenario » tout imaginaire sur la naissance non pas de la vue mais du regard, et donc des images, mais plus encore de ce sujet qui ouvre le champ du symbolique, et donc du langage, par ce qu’elle appelle des opérations imageantes, la toute première d’entre celles-ci consistant à laisser la trace de sa main, ou plutôt la trace de son souffle et du retrait de sa main sur la paroi d’une grotte, paroi qui est le premier miroir d’un homme non-spéculaire, non narcissique, et donc « vivifiant dans son altérité irréductible » [12].

A propos de l’auteur
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« "J’ai découvert Philippe Sollers en octobre 1984 (le 8 ?), date à laquelle j’ai lu, fiévreusement, Femmes pour la première fois. Ce roman comblait, dans tous les sens, tout ce qui, au sein de l’Université, frustrait l’étudiant en Lettres que j’étais. Devenu enseignant, le travail de Philippe Sollers n’a eu de cesse, souterrainement, d’irriguer ma réflexion sur la littérature contemporaine, sa relation à l’Histoire, ses secrets et leur transmission intergénérationnelle, et le rôle des images pour véhiculer ce qui, par le langage, ne saurait être tout à fait dit." »

Extrait d’un &change avec l’auteur. Ajoutons que Pascal Torrin est agrégé de lettres modernes (note pileface)

On pourrait en effet transposer ce scenario originaire à la pratique d’écriture de Sollers : le personnage de Luz prend tout le sens associé à son nom en étant celui qui, portant le feu, l’énergie, la lumière, permet à l’écrivain liquide [13] et trou noir de laisser une trace, comme en passant [14], sur la paroi de la page blanche, pour y laisser son souffle, son rythme, « touche par touche » (p. 37), point par point, sa présence au monde en son absence, à charge pour « les yeux qui s’ouvrent à peine à la lumière » (p. 14) de s’occuper de la « transmission du flambeau » (p. 236).

On ne va jamais tout seul au fond de la grotte.

Philippe Sollers a un goût certain pour les épitaphes, et n’y aurait-il à conserver de la Fête à Venise que celle inscrite sur le sarcophage présent dans le jardin de la villa qu’il occupe avec Luz, cela serait déjà beaucoup.

« NF. F.NS.NC. Il faut lire, en latin : NON FUI. FUI. NON SUM. NON CURO. C’est-à-dire : « je n’ai pas été, j’ai été, je ne suis pas, je ne m’en soucie pas » (p. 15).

Parole adressée par-delà la mort, l’épitaphe est une victoire, la plus grande peut-être, sur le silence infini et effrayant, à l’instar de toutes ces notations qui marquent la fin du roman, après la libération, toutes ces petites épiphanies des pages 231 et 232 [15], qui montrent que le sujet est enfin sorti de la reproduction tragique pour n’être plus qu’une sorte de récepteur de temps pur : « La Fête à Venise est écrit dehors » (Discours Parfait, p. 745).

Et sans doute est-ce pour cela que l’épitaphe voulue par Stendhal est si cruciale :

« Stendhal n’aurait pas ri, en revanche, de la modification apportée par son cousin à son inscription, longtemps réfléchie sous forme de carte à jouer. Au lieu de « Il vécut, écrivit, aima », le cousin, déjà choqué, comme tout le monde, par l’emploi de l’italien pour se désigner soi-même comme « Milanais », a fait graver : « Il vécut, aima, écrivit. » Contresens majeur : le dernier mot, voulu par le vivant d’outre-tombe, est bien aima.

La vraie tombe de Stendhal est cette inscription : « Je vis, j’écris, j’aime. » Dans cet ordre, et pas autrement. Tout le poids de cette déclaration ternaire porte sur aime. De quoi déconcerter les siècles des siècles, et pas de Panthéon, en tout cas.

Il faut insister : c’est parce qu’il vit et qu’il écrit qu’il aime, et non pas parce qu’il vit et qu’il aime qu’il écrit. Il y a la vie, l’écriture, l’amour. Ou encore : l’amour naît de la vie qui s’écrit. » Trésor d’amour, (p. 94)

De cet usage très particulier du langage qui s’appelle littérature et qui se donne pour fin de réaliser une opération performative de conjuration des malédictions par inscription/retrait de soi pour le regard de l’autre [16], il n’y aurait en effet pas tant à attendre s’il ne trouvait son accomplissement, parfois, dans une rencontre amoureuse.

Pascal Torrin
Valladolid-les Méouillards, février-mars 2015


[1Philippe Sollers, La Fête à Venise, Gallimard, 1991, p. 213. Toutes les références non spécifiées renverront à cet ouvrage.

[2L’article intégral se déroule sur 24 pages. A lire dans la revue (p. 28 à 52).

[3Le 15, jour de l’Assomption de la Vierge ?

[4Contemporain aussi des expéditions Voyager II, vers la planète Netptune, qui sera survolée le 25 août 1989 – évoqué un peu plus loin dans le texte de l’article. Et ce n’est pas un hasard si le personnage féminin est une jeune Américaine, de 23 ans, prénommée Luz, étudiante en astrophysique (note pileface).

[5Sollers adepte des lettres …et des chiffres, il nous l’a déjà prouvé. Ainsi, Drame (1965) est construit selon une structure de 64 sections, analogue à celle de l’échiquier et du yi jing. Poursuivant dans cette veine, Nombres (1968) est un texte découpé en 25 cycles successifs de quatre séquences, rappelant la structure d’un carré en perpétuelle rotation. (note pileface)

[6Mais aussi son épouse Julia Kristeva dans un texte troublant de 1984, « Joyce "the Gracehoper" ou le retour d’Orphée », repris en 1993 dans Les nouvelles maladies de l’âme. Je n’en recopie que deux extraits : « Le catholicisme de Joyce, son expérience profonde de la religion trinitaire jusqu’à sa dérision, l’a confronté avec son centre qu’est l’eucharistie –rite par excellence de l’identification avec le corps de Dieu, pivot de toutes les autres identifications, y compris de la profusion artistique favorisée par le catholicisme » (p. 257) et « Seule, et tragiquement, la folie de [sa fille] Lucia témoigne, peut-être, des métamorphoses ludiques d’un père qui ne tient pas en place » (p. 261)…

[7C’est-à-dire surtout peut-être la différence d’âge entre Dominique Rolin, née en 1913, et Philippe Sollers, né en 1936.

[8Oui, nous soulignons, ici.

[9Là non.

[10Le grand-père maternel s’appelait en fait Louis Molinié (1864-1954) ; Rey était le nom de jeune fille de sa femme, Marie, la bien-nommée, donc.

[11Aurons-nous le courage d’aller jusqu’à proposer une référence au titre des Beatles, composé en 1966, Lucy in the sky with Diamonds (Luz Sea Sky Joyaux ???), et contenant lui-même une allusion à certaines substances hallucinogènes (LSD) ? Oui.

[12Ni Narcisse, « tombé amoureux d’une image non faite de main d’homme », ni Onan, « amoureux de mains inaptes à produire des images » (Homo Spectator, p. 32)

[13Ce qui permet à Watt/eau d’accueillir en soi-même, en son nom, leur rencontre.

[14« Je peins seulement le passage. Vie d’un passeur. Le passant passionné passeur du passé » (p. 143)

[15Ma préférée : « Ce matin, moment d’émotion chez Luz. Brèves larmes. ‘On ne devrait pas mourir’ » p. 232.

[16L’exemple le plus probant se trouve à la dernière page (208) du roman Studio (1997) : « Je suis resté longtemps debout, en remerciant intérieurement pour l’absurdité et le non-sens animal, amical, de ce geste sans mouvement. Remercier pour remercier, c’est tout. Une sorte de prière ? Peut-être. Je me suis déshabillé vite, et couché. Maintenant, je pense que je dors et qu’il continue, sous la lampe. Dans le petit hôtel particulier d’à côté, il y a une fête, musique, cris, rires, la joie, en tout cas. Il continue, il va continuer, il continuera. L’incessant est avec lui, comme du haut du ciel ou depuis le plus profond du cœur, ce mystère. Finalement, tout est tranquille, autant en rester là, n’est-ce pas ».

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2 Messages

  • Viktor Kirtov | 24 septembre 2017 - 21:42 1

    Pascal Torrin signe dans l’Infini N° 140 un nouvel article sur Sollers intitulé « Une lecture du Cœur Absolu, un long article, une véritable étude, fouillée, argumentée de 48 pages au format dense de la revue. Un décryptage passionnant de ce roman que l’on découvre hypercrypté.


    Cliquez pour ZOOMER

    Article qui commence ainsi :


    « Savoir lire, simplement lire, vous mettra au rang des dieux [La Fête à Venise]] 1991 ; p 136, collection Blanche de Gallimard]
    Lire un roman de Philippe Sollers, simplement se donnerait ainsi comme une invitation à un voyage dont la destination ne serait rien moins que le Paradis, séjour (du) divin, lieu « multiple tout en restant unique en un point » [Discours parfait, 2009, « Paradis caché », p. 104.] ; il s’agit alors d’une proposition à faire se jouer, à faire résonner tout un écheveau de « notes » narratives multiples, qui se mêlent et s’entrelacent, se confrontent et se répondent par glissements successifs, contiguités semblables à celles des rêves, relations analogiques, « le tout », ainsi que le disait Cézanne, étant de mettre le plus de rapport possible [Eloge de l’Infini , « Le paradis de Cézanne » p. 18. « Voilà, nous sommes au cœur de la liberté », ajoute Sollers]. […] Le Cœur absolu, de tous ses romans, celui [dont Sollers a pu dire] qu’il avait « pensé » plus que tous les autres, en terme de composition stricte » [au sens musical].
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    Plus loin :

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    Plus loin encore, à propos du prénom de ses héroïnes :

    « Liv (la vie) qi s’oppose à Cyd (-cide de caedere, tuer), Liv qui ne possède pas de Y, marque du masculin en hébreu […] LIV, qui porte le chiffre romain 54 dans son prénom, comme 1854, date de la bulle pontificale Ineffabilis Deus faisant de l’Immaculée Conception un dogme, comme 1954, date du décès du grand père maternel de Philippe Sollers, le roi Louis et enfin 1454, page dans le Gaffiot [Dictionnaire LATIN FRANÇAIS, Hachette, 1934, où Sollers a trouvé son nom de plume].

    C’est un article qu’il faut lire dans son intégralité dans la revue L’Infini.

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    Voir aussi cet article :
    Décryptage : Da Sollers Code / Fiction et réalité
    « LE COEUR ABSOLU »

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  • A.G. | 20 septembre 2016 - 11:14 2

    Dans son article, Pascal Torrin relève qu’à sa sortie La Fête à Venise a donné lieu à deux entretiens, l’un avec Josyane Savigneau paru dans Le Magazine littéraire, l’autre avec Jean Ristat paru dans Les Lettres françaises (on peut en ajouter un troisième, avec Jean d’Ormesson, L’ancien et le moderne, face à face - Rencontre d’un troisième type, dans L’événement du jeudi du 14 février 1991). Torrin conclut : "C’est fort peu, et donc, à ce titre, digne d’intérêt : La Fête à Venise n’aura pas été le roman le plus exposé des romans de Sollers." (L’Infini 136, p. 31). Oui. L’une des raisons se trouve peut-être dans cette affirmation — qui l’a lue ? — de l’entretien avec Ristat, Parler la peinture (nous sommes en 1991, le "mur" est tombé, Fukuyama nous annonce, après d’autres, "la fin de l’Histoire" et le triomphe de la démocratie libérale) :

    Je suis parti, pour écrire ce roman, la Fête à Venise, de ce constat. J’estime qu’il est inutile et démissionnaire d’écrire de la littérature qui n’a rien à voir avec la réalité sociale de son époque. Le chiffre de la peinture étonne tout le monde parce que la moindre bricole est achetée dix, quinze, voire cinquante fois plus que son estimation sur le marché. Ce chiffre de la peinture m’intrigue parce que cet emballement veut dire quelque chose : j’emploierai donc pour en parler les termes forts d’usage (valeur d’usage, valeur d’échange). Je pense que, désormais, la valeur d’usage est prohibée partout. Elle est en cours d’interdiction, d’expropriation physique, cela va se porter sur tout le dépôt signifiant, le dépôt de jouissance accumulé au cours des âges. Un tableau réussi ça jouit, mais de quoi ? Comment ? Interdiction d’en parler. C’est là qu’on voit se tisser la tyrannie nouvelle.
    [...] La valeur d’échange est devenue le condottiere qui mène le combat pour soi seul, en ayant rompu avec l’usage, comme jamais en cette fin de siècle. Cette image est de Marx, le merveilleux Marx dont on ne dira jamais assez à quel point personne ou presque ne l’a jamais lu, surtout pas les Français, ce Marx dont Althusser réclamait la lecture sans arriver lui même à s’en faire une idée claire. Il faudrait rompre en profondeur avec le stalinisme, ce qui n’a pas été fait. On croit liquider Marx en voyant, s’effondrer le stalinisme : c’est trop commode, il n’en est pas ainsi. Je veux dire par là que nous manquons, y compris à travers la fiction, de cette possibilité ironique et enjouée qui anime les grandes critiques de l’apparence des choses.