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Philippe Sollers : « Navré, je n’ai pas mon visa d’origine modeste »

Suivi de "Jubilé du Jubilant"

D 15 avril 2016     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


19/04/2013 : Ajout de la section "Jubilé du Jubilant", 80 ans bientôt, un portrait de l’écrivain par Luc Le Vaillant, Libération

Philippe Sollers : « Navré, je n’ai pas mon visa d’origine modeste »


« Pour Philippe Sollers, aimé des fées », Mauriac, Aragon, ...Zemour
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L’écrivain publie « Mouvement » (Gallimard). Houellebecq, Modiano, mais aussi la drogue, Bordeaux, l’Académie, la gauche, Jean-Paul Il… Pour « Le Point », cet éternel réfractaire poursuit sa « guerre de mouvement ».

Propos recueillis par Saïd MAHRANE
Le Point N° 2275, 14 avril 2016

Philippe Sollers est un fou fumant, preuve en est l’interview qui suit. Fou, car il n’est jamais là où on l’attend, sauf quand il s’agit de parler de lui. Le fou est touchant, mais d’abord libre, un pléonasme. Cette liberté, il la revendique, il la tousse même. Elle est partout, en vrac, dans ses mots écrits ou prononcés. Il faut donc bien suivre. Mais la grande hantise de l’auteur de « Femmes » est la mémoire, au, sens cérébral. Pas celle qui nourrit l’Histoire et exalte le roman national, mais celle qui aide à assimiler une lecture, à retenir une citation, pour mieux s’élever - et briller. Sollers en a, de la mémoire. Ille prouve dans« Mouvement », son dernier roman, où il accumule les souvenirs, les références philosophiques, les anecdotes... Et c’est follement plaisant.
S. M.


Le Point : On est venu vous voir afin de vérifier quelque chose...

Philippe Sollers : Quoi donc ?

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La thèse de Bernard Frank, récemment reprise par Eric Zemmour, selon laquelle votre drame, Philippe Sollers, est que, dans le fond, vous ne dites jamais rien...

Le vrai problème consiste à savoir qui se souviendra du fait que je ne dis rien. Le propos de Frank et de Zemmour révèle une grande maladie pour laquelle j’ai inventé un mot, « oublir ». Quand quelqu’un me dit qu’il m’a lu, je lui réponds qu’il m’a sûrement « oublu ». Beaucoup des patients de ma femme [Julia Kristeva, NDLR], qui est psychanalyste, se plaignent de ne pas pouvoir mémoriser le paragraphe d’un livre qu’ils viennent de lire. Ne sommes-nous donc pas dans une mutation importante qui vient de loin, de Bernard Frank, atteint de cette maladie, jusqu’à Eric Zemmour ? La mémoire est en train d’être attaquée par la communication instantanée. Or la mémoire est un muscle, un sport de haut niveau.
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Dans le cas de Frank, l’oubli est immédiat, à peine votre livre refermé ... Est-ce un propos gratuit, juste méchant ?

Non, non, il ne savait juste pas qu’il était malade. Il ne retenait rien de mes écrits et, du coup, il ne disait rien, comme Zemmour aujourd’hui.
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Qu’est-ce qui vous atteint le plus dans la vie ?

Je suis sensible à beaucoup de choses du moment, pourvu qu’elles soient belles. La recherche de la beauté instantanée me tient. Ce qui est beau est vrai.
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Certaines attaques peuvent être belles, très fines, en rimes. On ne parle pas du « portier d’hôtel » dont vous a affublé Angelo Rinaldi...

Ce sont des passions tristes. Je suis ceci, je suis cela... Tout ce qui s’est écrit à mon sujet est souvent à côté de la plaque. On peut dire tout ce qu’on veut, mais personne n’a jamais dit que j’écris mal. Cela me suffit amplement.
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Est-ce que vous vous vivez comme un réprouvé, un mal-aimé ? On a parfois l’impression que oui.

Pas du tout ! Tout ce jeu m’amuse. La question doit être renversée. Pourquoi est-ce que j’intéresse autant de gens qui ont envie de dire du mal de moi ? Qu’est-ce qui les anime ? Nous sommes dans l’« hainamoration » conceptualisée par mon ami Lacan. Je suis en guerre, parce que je me dois de rester libre et indépendant. Ecrire ce que je veux, publier ce que je veux, cela suppose une intensité nerveuse. Le reproche qui m’est fait est donc avant tout physique. Mes détracteurs se demandent comment j’ai fait pour avoir ce corps-là. C’est de mon corps qu’il s’agit.
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Vous évoquez souvent nos grands auteurs, mais jamais vous ne les inscrivez dans une histoire française, osons, une identité française. Pourquoi ?

Car, pour ma part, je me définis d’abord comme un Européen d’origine française qui, très tôt, s’est intéressé à la Chine.
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Aucun attachement à la France, la nation ?

La nation ne me parle pas du tout. C’est creux. Je suis de Bordeaux. Clemenceau a eu le mot le plus erroné des proclamations politiques : « La Révolution est un bloc. » Eh bien, non ! Pensons plus loin. Il y a un parti, le mien, appelé les Girondins, dont les représentants ont été guillotinés. Pourtant, quand l’Hexagone s’effondre en tant que nation, où va-t-on ? A Bordeaux ! 1870, 1914, 1940... Et aujourd’hui... [éclat de rire] tout le monde espère voir Alain Juppé à l’Elysée.
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Bordeaux à Paris ?

On y est ! Regardez les sondages. Ce n’est pas Juppé que les gens veulent élire, c’est le savoir-vivre bordelais.
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Bordelais... Il n’y a pourtant pas plus parisien que vous !

Oui, en effet... [il murmure] Mais je suis le poison.
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Dès le départ, vous avez reçu l’aide de Mauriac, d’Aragon...

Il y a la providence, bien sûr. Je pense au « Bloc-notes » que me consacre Mauriac à la sortie de mon premier livre, « Une curieuse solitude » [1958]. C’était dans un magazine [L’Express, NDLR] qui m’attaque désormais constamment. Je pense aussi à l’étourdissant article d’Aragon, qui faisait l’éloge de ce premier roman. Mais ce n’est pas cela qui m’a le plus touché. C’est la dédicace d’André Breton pour la réédition des manifestes du surréaIisme : « Pour Philippe Sollers, aimé des fées. »
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Il y eut une querelle, paraît-il, entre Aragon et Mauriac pour savoir lequel vous avait repéré le premier...

Ils étaient à la recherche du type qui allait reprendre le flambeau. Mais la grande admiration de ma vie reste Georges Bataille, qui entrait dans le bureau de Tel quel, notre revue d’avant-garde, s’asseyait et gardait une forme de silence. C’était une question de corps sacré. Pourquoi était-il là ? Je ne sais pas, l’atmosphère lui plaisait peut-être. Il a fallu quarante ans pour voir ses romans publiés dans la « Pléiade »... Je vous raconte cela et me dis en même temps qu’on pourrait m’attribuer un nouveau nom : « J’étais là ! » Je m’entends parfois raconter des histoires dont j’étais le témoin.
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Pensez-vous encore au suicide ? Vous y avez songé au moins deux fois dans votre vie.

J’y pense très souvent. Tout suicidé n’est pas à la hauteur de Gérard de Nerval ou de Guy Debord, qui s’est fait exploser les poumons. La mort, je l’ai sentie très tôt. Au service militaire, j’aurais pu m’ouvrir les veines, mais c’est à Malraux, qui m’a sorti de là, que je dois la vie. Je l’ai remercié d’un petit mot et il m’a répondu sur une carte de deuil - ses fils venaient de mourir : « C’est-moi, Monsieur, qui vous remercie d’avoir une fois au moins rendu l’univers moins bête. » Jugé d’où l’on tombe ! La mort, c’est le rapport au néant.
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Il existait ; écrivez-vous, une comédie Mauriac et une comédie Aragon. Existe-t-il une comédie Sollers ?

Oui, bien sûr, sans quoi je ne serais plus là. En outre, j’ai été deux ans chez les Jésuites... [rires].
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La drogue, ça vous aide ?

Baltasar Gracian a eu cette formule : « Vite et bien, deux fois bien. » Vite et bien. En somme, si cela ne va pas vite dans l’écrit, il faut laisser tomber. C’est fort de cette conviction que j’ai testé les pouvoirs du Captagon [par ailleurs, la drogue des djihadistes, NDLR]. Admirable au démarrage, mais la descente est pénible. C’est une drogue qui rend maître du monde.
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Vous en avez pris beaucoup ?

A l’époque, oui. Je mesurais cependant, avec précaution. Je démarrais en un quart d’heure là où il fallait une heure. Le Captagon était trouvable en pharmacie, à condition d’avoir une ordonnance signée d’un médecin complaisant. Mais tout cela a disparu. Vous êtes désormais prié de prendre des calmants pour accepter l’ennui et la vulgarité de notre époque. Le cannabis, c’est autre chose : vous pouvez chevaucher votre corps. Il faut relire Baudelaire.
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« Bernard Frank ne retenait rien de mes écrits et, du coup, il ne disait rien, comme Zemmour aujourd’hui. »

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Vous en prenez encore ?

Plus besoin, j’ai intégré le processus.
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Céline vous a téléphoné un jour. Racontez-nous.

J’étais en réunion avec des amis, dont l’un avait le numéro de Céline à Meudon. Je l’ai donc appelé et, à ma grande surprise, il m’a proposé de passer le voir quand je voulais. Cela reste un des regrets de ma vie, car j’aurais dû sauter dans un taxi pour le retrouver. Il est mort quelque temps plus tard.
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Qu’est-ce qui fait que vous n’avez pas été un Hussard ?

La position sur la guerre d’Algérie nous séparait. Impossible. Dans cette région, à part Céline, c’est Morand. Point.
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Quelle est votre région justement ? De gauche, certes, mais avec de multiples variations...

Je suis un anarchiste foncier. La société me ment ! Ce n’est pas moi qui ai inventé la société du spectacle, qui a pris des proportions inimaginables. Je suis aussi réfractaire. Je ne vote plus depuis le Moyen Age.
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Qu’étaient donc vos favoris politiques, car vous en avez eu ? De simples coups de cœur ?

Des coups de Jarnac ! Le dernier qui me semblait intéressant, c’était Mitterrand pour son étanchéité. Il avait un destin. La mission, pour lui, était de noyer le PCF, il l’a fait. Celle de Hollande est de noyer le PS, c’est en cours. Mitterrand avait été très intéressé par mon livre « Femmes ». Il m’avait invité à déjeuner et je l’ai ... écouté.
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Le grand homme de votre vie reste Jean-Paul Il...

J’ai écrit un livre, « La divine comédie », et un roman intitulé « Le secret », qui portait sur l’attentat contre Jean-Paul II. Je les lui ai envoyés et, en retour, j’ai reçu via la nonciature une lettre de remerciement. J’ai été ensuite reçu au Vatican. Le pape m’a mis la main sur l’épaule et je me suis agenouillé. Certains m’ont reproché cette génuflexion protocolaire...
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Est-ce que, selon vous, « c’était mieux avant » ?

Je ne suis pas décliniste et cela n’a jamais été mieux avant. Je dis juste que je n’aimerais pas avoir 25 ans aujourd’hui. C’est différent. C’était très dur avant. La décadence est un mot du XIXe siècle et nous y sommes revenus, car c’est l’époque la plus réactionnaire que j’ai constatée. Mais la décadence pouvait être suivie d’une renaissance ... Là, nous sommes dans la déliquescence, c’est comme mettre un sucre dans le café. Moi, j’ironise. Je suis dans l’ironie agressive.
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Vous avez été l’éditeur de Philippe Muray. Diriez-vous, comme certains, qu’il manque à notre époque ?

Muray, qui était un ami, a écrit un livre génial, « Le XIXe siècle à travers les âges », titre prophétique. Il était prophète, comme Houellebecq en est un avec « Soumission » - qui n’est pas ma tasse de thé, je préfère l’énergie positive. Puis Muray a commencé à se durcir, car il était mieux connu à travers ses polémiques que pour ses romans. A la fin, il a fini par écrire des poèmes très mauvais, comme le sont ceux de Houellebecq. Enfin, Muray était devenu récupérable.
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Une polémique a pas mal secoué votre maison, Gallimard, c’est l’affaire Richard Millet...

J’ai été consterné par tout. Par Millet comme par la moraline. Millet était un très bon lecteur au comité de lecture, mais j’ai trouvé consternant son livre sur Breivik. J’approuve les erreurs qui mènent plus loin. La sienne menait à une impasse. Puis il y eut procès, que je n’ai pas approuvé. Je n’aime pas les pétitions et tous les vieux trucs communistes qui vous obligent à être dans des ensembles avec des gens que vous n’approuvez pas.
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Avez-vous enfin compris votre éviction du« JDD » ?

Au Nouvel Observateur, quand on a mis fin à ma collaboration, on m’a dit que c’était lié à un changement de maquette. Pour Le Journal du dimanche, idem. La vérité est que j’ai été évincé pour un papier sur [Valérie] Trierweiler...
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Comment vous situez-vous dans le débat sur la vraie gauche et la fausse gauche ?

Il y a une étrange effervescence de la pensée. Dans la Revue des Deux Mondes, j’ai lu Michel Onfray, qui fait de grandes déclarations sur la vraie gauche, à laquelle il appartient, car son père était ouvrier agricole et sa mère femme de ménage. Pareil pour Annie Ernaux, fille de rien et aujourd’hui grand écrivain... Cela me fatigue.
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Attention, mépris de classe !

Je n’ai pas mon visa d’origine modeste, j’en suis navré. Mais que ceux-là montrent de quoi ils sont capables en tant qu’écrivains et par la liberté conquise par eux-mêmes.
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La « Pléiade », pour vous, c’est pour quand ?

Il y aurait une grève ! Plus sérieusement, il faut mourir pour cela, je dirais donc dans trente ans.
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Et l’Académie ?

Pas question. Mouroir.
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Quels sont vos rapports avec Modiano ?

Très bons. Je le fais rire. Il ne bégaie plus. Il a créé un personnage considérable. Lui aussi n’est pas à l’Académie. Vous savez son mot ? « Trop d’indignités nationales. »
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Houellebecq ?

Excellents rapports. Il fait du noir, je fais du bleu. C’est un très bon raconteur. Par provocation, il pourrait entrer à l’Académie.
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Carrère ?

Beaucoup de talent, même si je n’ai pas aimé son « Royaume ».
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Le Clézio ?

Rapports très courtois. Il a écrit au moins deux ou trois bons livres. Voilà, je crois qu’on a fait le tour des écrivains [rires).

PROPOS RECUEILLIS PAR SAïD MAHRANE

« Mouvement », de Philippe Sollers (Gallimard, 230 p., 19 €).

« Houellebecq fait du noir, je fais du bleu. C’est un très bon raconteur. Par provocation, il pourrait entrer à l’Académie. »

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PHILIPPE SOLLERS, JUBILÉ DU JUBILANT

PORTRAIT Par [Luc Le Vaillant->http://www.liberation.fr/auteur/6488-luc-le-vaillant]
Libération, 17 avril 2016

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Philippe Sollers. Photo Frédéric Stucin

Avec un brio taquin, l’écrivain tutoie Hegel et autres penseurs à hauteur et confronte l’époque à ses peurs et à ses ridicules.

Il s’appuie sur une canne et prend l’ascenseur pour monter au premier étage. Mais Philippe Sollers, 80 ans bientôt, garde cet aplomb physique du footballeur joufflu qu’il n’a jamais été et qui avait séduit Julia Kristeva, voici quelques décennies transmuées en noces d’or. Sinon, le beau parleur est toujours joli cœur, qui badine avec les passantes le temps d’un intermède express. L’auteur aux 80 romans, essais et monographies, affiche une mine fleurie. Il a le verbe haut et l’esprit vif, la citation en bandoulière et la toux en quinte flush. Il est conforme à sa légende avec porte-cigarettes, et on ne sait trop que rajouter aux tombereaux de « papiers » sous lequel le monument national se trouve enseveli à défaut de s’être vu entrer vivant dans la Pléiade. On est bien trop couturé de rides pour la visite du jeune ambitieux au grand écrivain. On ne va pas se précipiter pour la descente aux flambeaux, sport pratiqué par les jaloux de sa vitalité heureuse ou les marlous ravis de se faire la main sur un homme de pouvoir littéraire. Quant à la mise au tombeau, il est encore un peu tôt pour celui qui se félicite de ne s’être jamais laissé « rien imposer » par la faculté de médecine. Et qui détaille ainsi le régime spécial d’une soirée idéale. Un whisky pour saluer la tombée de la nuit. Un sauternes glacé sur des huîtres d’Arcachon réchauffées par leurs crépinettes. Du margaux, un brane-cantenac, sur l’alose à l’oseille, suivie de l’entrecôte aux cèpes cueillis en forêt l’après-midi. Et pour le dessert, retour au château-d’yquem qui aura tiédi.

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Juppé

Sollers ne tient plus chronique sur l’actualité comme il l’a longtemps fait pour le JDD. Niascèteni ermite, il se soucie toujours des affaires d’un monde qu’il regarde de haut, avec une ironie joueuse qui peut parfois virer à la morgue joyeuse, sans oublier des montées de paranoïa complotiste. En tout cas, au risque de la positive attitude chère à Lorie et à Raffarin, il ne se fait pas le relais éploré des plaintes perpétuelles. Ce qui repose… Sa vision des choses se pare souvent d’un brio aussi jubilatoire que scintillant. Ainsi Juppé, devenu starlette présidentiable, bénéficierait de la tentation de Bordeaux. Quand tout va mal, quand la confiance est perdue ou que l’ennemi est aux portes, Paris se replierait sur les bords de la Gironde. C’est comme si la ville, métamorphosée par Juppé le Landais, la cité de Montaigne et… de Sollers, valait cure de réassurance. Ce dernier a grandi en périphérie, dans une belle demeure bourgeoise transformée, depuis, en supermarché. Anti-identitaire, il ne surjoue le localisme que quand il s’agit de son berceau tonneau. D’ordinaire, il préfère cingler la France moisie, fermée au grand large, et se définit comme « Européen d’origine française qui aura son nom dans un dictionnaire chinois ». Sinon, ce fils de gaullistes de gauche catholiques est un maoïste redevenu papiste, et inversement, capable d’abjurer ses croyances transitoires afin de ne pas changer grand-chose aux invariants d’origine. S’il a pu fricoter à sa manière moqueuse avec Balladur comme avec Ségolène, ilprétend qu’il se dispense de voter depuis des siècles. Il est probable que ce soit vrai.

Vergniaud

Au-delà de la géographie, Sollers demeure girondin en politique comme en économie. Il évoque, avec flamme, le conventionnel Vergniaud. Cet avocat et tribun banquette toute la nuit à la veille d’être guillotiné. Les condamnés chantent uneMarseillaiseoù l’étendard qu’on lève devient « couteau sanglant ». Evidemment, Robespierre est le Jivaro à la manœuvre. Et Sollers, libertin de mœurs et jouisseur de facilités, ne peut que soutenir Vergniaud et se dresser sur le pavois contre le vertueux déiste, contre l’Incorruptible poudré, contre le Jacobin mesquin.

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Lénine

Ces derniers temps, Sollers, qui a fait de Freud un beau-frère à gros cigare, laisse remonter les souvenirs d’une enfance éternelle comme il ravive des rêves où il côtoie du beau monde. Cette fois, Lénine le convoque pour évoquer Stendhal et comparer 17 à 89. Commentaire du transcourant : « On devrait me féliciter d’avoir trahi ma classe sociale. »

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Hegel

Sollers aime être à tu et à toi avec les penseurs d’envergure. Il remet en perspective bribes de pensée, éléments biographiques et citations choisies. Et il truffe tout cela de considérations sur l’état des débats, les dernières avanies des rapports hommes-femmes ou le bonheur de vivre. On cosignerait volontiers l’appréciation du critique Jean-Paul Enthoven(1) :« Cet écrivain toujours plein de phrases, d’idées, de réflexes, vaut le détour. Et mérite qu’on passe l’éponge sur ses petites faiblesses (arrogance, habileté, sens du vent, allégeances alternatives,etc.). »On préférait Sollers amateur de Voltaire et de Nietzsche. Mais pourquoi pas Hegel ? Il fait valoir que l’admirateur de Napoléon est le théoricien de la Révolution de 1789. L’Allemand serait venu à la rescousse« de ces Français qui avaient fait quelque chose d’éblouissant mais qui étaient incapables de le penser ». Hegel serait utile à 2016 en ce qu’il dresse la vérité de l’esprit de raison face aux obscurantismes montants. On suspecte aussi Sollers, critique d’une société du spectacle dont il connaît les moindres recoins, d’être venu à Hegel via sa dilection pour Guy Debord et d’avoir trouvé, dans la dialectique, une manière de casser les briques de ses contradictions ondulantes.

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Cléopâtre

On suit volontiers ce Casanova heureux de séduire quand il préfère Cléopâtre à Carmen. De là à penser que la reine d’Egypte surpasse Phèdre et la marquise de Merteuil, il ne faut pas exagérer. Au-delà des bonnes fortunes qu’il s’accorde généreusement dans la fiction et ailleurs, Sollers est l’un des chroniqueurs les plus décillés de la guerre des sexes. Avec un sourire en coin, il décrit la prise de pouvoir du féminin et le retrait hébété du masculin dégradé. Dans la vie réelle, il plaiderait plutôt pour la complicité des indépendances et l’autonomie financière, l’effervescence intellectuelle et le refus du contrôle sexuel. S’il ne voit pas bien l’intérêt du mariage gay ou hétéro, il a épousé Julia Kristeva, réfugiée bulgare qui était alors sans papiers. La psychanalyste, désormais fêtée de par le monde, la docteure d’université que son mari surnomme« Honoris causa », décrit leur compagnonnage comme« un ajustement permanent, amoureux et lucide, nourri de deux libertés réciproques et incomparables ».

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Thévenoud

Le secrétaire d’Etat PS tombé pour phobie administrative est un fan de Sollers. Dans les années80, il enregistre sur cassetteParadis, roman expérimental des années80 écrêté de toute ponctuation par son héros moderniste. Jeune homme, il tente de lui dire son admiration dans un bistrot du Quartier latin. Il lui fait valoir qu’il a changé sa vie. Ce à quoi Sollers répond, tout en écalant son œuf dur, que c’est très bien de changer de vie.

(1) Saisons de papier (Grasset).

28 novembre 1936 : naissance à Talence (Gironde).
1961 : prix Médicis.
1967 : mariage avecJulia Kristeva.
1993 : Femmes(Gallimard).
2016 : Mouvement(Gallimard).

Luc Le Vaillant


SOLLERS INSOLITE

pour twitteurs et twitteuses

par Julia Kristeva

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Le livre sur amazon.fr

A partir du cahier spécial consacré à Sollers par Art Press dans sa série « Grands entretiens », Julia Kristeva a réalisé une sélection pour composer un portrait intitulé « Sollers insolite » pour twitteurs et twitteuses. Ceux justement qui pourraient hésiter à entrer dans les
cinq « grands entretiens » d’ArtPress avec Philippes Sollers, réalisés de 1974 à 2006 par Jacques Henric, Guy Scarpetta et Catherine Francblin,

« A l’écoute de cette pulsation, il m’est apparu évident de proposer - à ceux qui ne lisent plus parce qu’ils twittent - un choix d’analyses, d’aveux, de fugues, de réveils, de saluts on ne peut pas plus personnels.J’adhère par un sous-titre, ou j’amorce une question, pour vous inviter à découvrir, à vous découvrir. Aurore du dialogue, de la lecture. »

Julia Kristeva

Extraits ;

SOLLERS CONTRE SOLLERS

Ni Bourse, ni social, ni vert, ni collectif ! Alors là, vous sortez sur la pointe des pieds, ça a fini par s’endormir, vous levez la tête et vous voyez, vous l’avez vue souvent, en bateau c’est encore plus sensible, l’Étoile des amants, qui va se présenter soir et matin. Elle ne vous indiquera pas le - nord, elle n’est pas là pour ça. L’Étoile des amants, c’est Vénus, appelons-la Aphrodite pour faire grec, c’est l’Étoile des bergers.

Dans Passion fixe apparaissait brusquement une charcutière ; et cette fois, c’est une poissonnière. Il y a bien d’autres femmes ; notamment le personnage principal qui s’appelle Maud, parce que ce prénom se prête à beaucoup de modulations.

Le nommé Sollers je n’en ai rien à faire ! Je laisse ça aux autres. Moi, je ne vis pas avec Sollers.

Il me faudrait, là, redéfinir l’érotisme, qui a peu à voir avec ce que j’ai appelé la sexinite, et avec ce qui, sauf exception, est un embarras de langage.

Dans la substance féminine elle-même, toujours plus réservée qu’on le croit, beaucoup plus en retrait qu’on ne l’imagine, et pour cette raison même poursuivie par laTechnique. Quelque chose est là pour humainement signifier le passage du langage à la chair, et de la matrice à la rose.

- Mille fois d’accord ! Plus féministe que les prétendues féministes.

Le temps qui vient de cet espace-là se trouve dans une drôle de situation : passé, présent, avenir ont soudain un quatrième terme qui les précède. Le roman raconte ce qui se passe entre l’existence et la pensée au nom de la poésie. Poésie entraîne, je n’ai pas besoin de vous le dire, amour et liberté.
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LE SALUT RADICAL : ÉCRIRE ET LIRE

Désormais, il faut être radical : la plèbe est l’avenir de la plèbe, et par là toute pensée se trouve menacée, comme l’ensemble de l’archive humaine.

Fous de Dieu ou athéisme totalitaire, au bout ce sont des massacres qui ont de quoi nous laisser méditatifs, comme Monsieur N. qui voit ainsi avancer la dévastation du 20e siècle et des suivants.

Lui, ce dieu philosophe, il écrit, il écrit, il n’arrête pas d’écrire. On les a tous ces écrits, mais y a-t-il encore quelqu’un pour les lire ? Les lire, c’est-à-dire voir et montrer quelle vie il fallait mener pour écrire ça ? Eh bien, je l’ai fait.

Philippe Sollers, entretien avec Jacques Henric, art press, n°320, février 2006 et portant sur « Une vie divine » de Sollers avec le personnage de « Monsieur N », autrement dit Nietzsche

Version intégrale de la sélection de Julia Kristeva, sur son site ICI…

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3 Messages

  • Viktor Kirtov | 29 novembre 2016 - 13:36 1

    En prolongement de la section « Jubilé du jubilant », ce message de vœux :

    De : Michelle
    Envoyé le :lundi 28 novembre 2016 17:11
    À : pileface@wanadoo.fr
    Objet : Ce 28 novembre 2016...

    Monsieur Sollers,
    Permettez-moi de vous souhaiter un anniversaire joyeux, enchanté, céleste ; un anniversaire de fête et de pensées toujours neuves, jeunes, multicolores.
    Vous m’enchantez depuis longtemps et j’ai eu le bonheur de vous rencontrer à plusieurs reprises.
    Gardez-vous bien, portez-vous bien, pour vous et pour nous, vos fidèles.
    Merci pour votre oeuvre magistrale et libre.

    Michelle Girard-Martin


  • V. Kirtov | 19 avril 2016 - 10:26 2

    Ajout de la section "Ph. Sollers. Jubilé du Jubilant", 80 ans bientôt, un portrait de l’écrivain par Luc Le Vaillant, Libération


  • Basquin Guillaume | 15 avril 2016 - 09:50 3

    Comme d’habitude, le Sollers est très bon avec les morts ; mais avec les vivants, il se trompe toujours ! (C’est Nabe le premier à l’avoir dit, dans son "Journal" ; et ce fut prophétique !) Il n’a pas du tout fait le tour des écrivains vivants, quelle blague ! Il n’a fait que le tour des people... les Hugo, quoi ! — au temps où officiaient, dans l’ombre, les plus profondes révolutions littéraires de tous les temps. Qu’il lise donc mon "(L)ivre de papier", que Julia Kristeva a reçu dédicacé, et on en reparle... Non mais...