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« Mouvement », Extraits

Le dernier livre de Sollers

D 10 mars 2016     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


4e de couverture

PHILIPPE SOLLERS
MOUVEMENT
Gallimard, 10 mars 2016
L’homme de Lascaux était un artiste de génie, la Bible est toujours vivante, la Révolution française s’approfondit, Hegel continue très étrangement d’exister, les galaxies fuient à toute allure, les marchés financiers délirent, le terrorisme fait rage, la pensée et la poésie chinoises n’ont jamais été aussi passionnantes, les dieux grecs ne demandent qu’à vous parler, une sérénité incroyable peut être trouvée.

Ph. Sollers

Exergue


La vérité est le mouvement d’elle-même en elle-même

HEGEL

Table des matières

En 37 chapitres, Sollers y poursuit sa quête d’infini, dans la Bible, chez les philosophes Hegel, Nietzsche, Heidegger… dans la Bibliothèque : Georges Bataille, Rimbaud, Claudel, Céline, Hugo… dans la culture chinoise : Zhang Fangsheng, Tao Yuanming, Xie Lingyun, Wei Yingwu, Wu Wei, Li Bai…, dans l’art : Bernin…, dans l’Histoire : Mao, Lénine…

Sollers y poursuit également sa quête de science (cf. aussi « Sollers et la science »), ainsi que sa satire des dérives religieuses et de notre temps.

Écoute
Bible 1
Physique
Coke
Pascal
Bible 2
Insomnies
Lascaux
Hegel
Enfer
Filles
Lénine
Caractères
Eternel retour
Chine 1
Chine 2
Bataille
Fronde
ADN
Textos
Lumières
Panthéon
Solitudes
Chrono
Délire
Allah
Quotidien
Dent
Bibliothèque
Humour
Logeuse
Police
Sade
Nuit
Grecs
Matin

Le début

ECOUTE
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C’est d’abord un bruit souterrain, à peine audible, qui va durer toute la nuit, de 3 heures à 5 heures du matin. Il se déplace avec moi, il est bien réel, il ne disparaît qu’avec le jour, mais je ne crois pas aux fantômes. Les morts sont plus vivants qu’on ne croit, c’est certain, mais ils me laissent tranquille. Je vis avec ce murmure nocturne. Les murs ont des oreilles, dit-on, et je fais confiance aux murs. Je n’ai peur de rien.

Lola n’entend pas ce bruit, et j’ai eu tort de la réveiller, les premières fois, alors qu’elle dormait profondément, chaude et rose. « Ça doit être le vent », m’a-t-elle dit. « Vraiment, tu n’entends rien ? – Mais non, tu rêves. » Je sais ce que sont des bourdonnements, ce n’est pas ça, mais la nuit elle-même qui parle et gronde. Je sors dans le jardin, les étoiles me paraissent plus proches, ma vue plus perçante. Le soleil finit par venir, je suis de son côté, à l’Est.

Le Psaume 19 m’intrigue, il se chante tout seul. Pour lui, les cieux racontent la gloire de Dieu, le firmament annonce l’œuvre de ses mains, le jour au jour en publie le récit, et la nuit à la nuit transmet sa connaissance. Aucun langage, pourtant, aucune voix qu’on puisse entendre, mais seslignes ressortent par toute la terre, et sesmotsvont jusqu’aux limites du monde. Drôle de Dieu, drôle de publication, drôles de lignes, drôles de mots, drôle de monde. Je note surtout qu’il y a une connaissance de la nuit.

La fin

MATIN
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C’est de nouveau le grand calme, le parfum des lauriers flotte dans le jardin. Une ombre plane sur l’eau bleue, à peine un léger nuage. Je devais faire ce que j’ai fait, je n’ai pas besoin de savoir ce que je ferai plus tard. La nuit a été tranquille, et, une fois de plus, j’ai embrassé l’aube d’été. C’est aussi simple qu’une phrase musicale.

Maintenant, la brise du nord-est, ma préférée, se lève, et, rapide, une mouette, très reconnaissable, traverse le ciel.


EXTRAITS

HEGEL
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En 1831, à 61ans, Hegel, alors en pleine gloire, meurt du choléra à Berlin. J’ai encore dans ma poche trois feuilles de lierre cueillies sur sa tombe. Elles vivent, elles respirent, elles surplombent le monde. C’était un beau matin d’automne, et le soleil filtrait à peine jusqu’à ce coin sombre. J’ai seulement noté la date : un 22 octobre.

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La tombe de Hegel

Un autre 22 octobre, en 1818, Hegel s’exprime ainsi, à l’ouverture de ses cours à Berlin :

« L’essence si fermée de l’Univers ne conserve pas de force capable de résister à l’essence du connaître ; celui-ci l’oblige à se dévoiler, à lui révéler ses richesses et sa profondeur et à l’en faire jouir. »

On ne doit pas oublier que Hegel, à 20 ans, comme ses camarades de Tübingen, Hölderlin et Schelling, est un ardent partisan de la Révolution française qu’il compare à un superbe lever de soleil, « comme si, à ce moment seulement, on en était arrivé à la véritable réconciliation du divin avec le monde ». Couteau noir de la Terreur, sans doute, mais encore enthousiasme pour Bonaparte, « âme du monde », qui passe à cheval sous ses fenêtres, en 1806, à Iéna. Et tristesse profonde en constatant son échec :

« De grandes choses se sont passées autour de nous. C’est un spectacle effrayant et prodigieux, de voir un énorme génie se détruire lui-même. C’est la chose la plus tragique qui soit. La médiocrité pèse de toute sa masse, sans répit et sans relâche, jusqu’à ce que ce qui s’est élevé soit abaissé à son niveau ou soit plus bas qu’elle. »

On se croirait de nos jours d’extrême bassesse. Mais, après tout, l’« Église invisible » des anciens étudiants continue son œuvre. L’Esprit, dit Hegel, est très lent, même si mille ans sont pour lui comme un jour. Il est lent avec des accélérations rapides vite freinées (la Révolution glacée par la Terreur, Napoléon glacé en Russie, etc.). Mais, toujours dans le temps, il s’approfondit, il multiplie ses détours, il dépense sans compter les nations, les peuples, les individus, il peut connaître des reculs apparents, et même des époques de barbarie (là-dessus, le 20e siècle a fait ses preuves). Au fond, Hegel est très étonné que l’Esprit soit arrivé jusqu’à lui, par « une chaîne sacrée qui passe à travers tout ce qui est passager ».

Il sait qu’il est le premier à éprouver et à pouvoir dire que la mort vit en lui une vie humaine, « la rose de la raison dans la croix du présent ». Il prévoit que son influence et sa mésinterprétation produiront des désastres par renversement et oubli de la mort. On a appelé ça « remettre la dialectique sur ses pieds » au nom du prolétariat, effet mortel gigantesque, par haine de l’Esprit absolu. Comment ne pas le haïr, d’ailleurs ? Hegel note que la pensée dérange l’absence de pensée et que son inquiétude dérange la paresse. Même s’il travaille beaucoup, l’être humain est essentiellement paresseux. Il se recroqueville dans l’agitation, il s’habitue, il s’adapte. « À voir ce dont l’Esprit se contente, on mesure l’immensité de sa perte. »

Il arrive à Hegel de parler des « nuées de l’erreur et du ciel de la vérité ». Il pense, de source sûre, que, dès le départ, l’absolu est en soi et pour soi, auprès de lui et veut être auprès de lui. Et voici sa déclaration la plus audacieuse :

« La mort est ce qu’il y a de plus redoutable, et tenir fermement ce qui est mort est ce qui exige la plus grande force. La beauté impuissante hait l’entendement, parce qu’il présume d’elle ce qu’elle ne peut donner. Pourtant, ce n’est pas la vie qui s’épouvante devant la mort et se garde pure de la dévastation, mais celle qui la supporte et se conserve en elle qui est la vie de l’Esprit. Il ne gagne sa vérité qu’en tant qu’il se trouve lui-même dans le déchirement absolu. Cette puissance, il ne l’est pas comme le positif qui se détourne du négatif, comme lorsque nous disons de quelque chose : ceci n’est rien, ou faux, et alors, en en ayant fini, nous passons de là à quoi que ce soit d’autre ;mais il n’est cette puissance qu’en tant qu’il regarde ce négatif en face et séjourne près de lui. Ce séjourner est la force magique qui le convertit dans l’être. »

Hegel est content du mot « séjourner ». Il fait très froid, le feu brûle dans la cheminée, il rallume trois bougies, il va tremper sa plume dans l’encre et se lire. Il a l’air d’être penché sur une table, mais il fait de la magie, et il est à l’heure. C’est aujourd’hui :

« Nous nous trouvons à une époque importante, dans une fermentation : l’Esprit a accompli une brusque poussée, il s’est dégagé de sa figure précédente et il en acquiert une nouvelle. Toute la masse des représentations antérieures, des concepts, et tous les liens du monde sont dissous et s’effondrent comme des visions de rêve. Un nouveau surgissement de l’Esprit se prépare. La philosophie doit surtout saluer son apparition et le reconnaître, pendant que d’autres, qui lui résistent inefficacement, restent collés au passé et que le plus grand nombre constitue la masse de son apparition sans en prendre conscience. Mais la philosophie, en le reconnaissant comme l’Éternel, doit lui rendre hommage. »

Il y a eu deux événements capitaux dans l’Histoire : le christianisme et la Révolution française. Ne pas vouloir le savoir est d’un aveuglement sidérant. Mais enfin, tout cela a eu lieu, il faut décaper ces deux énormités (sans quoi on reste dans l’arriération bornée), et, pour cela, nous avons des précurseurs trop ignorés :

« L’admirable dans les écrits philosophiques français, et ce qui fait leur énergie, est la force du concept en lutte contre l’existence, contre la foi, contre toute la puissance de l’autorité établie depuis des milliers d’années. C’est leur caractère qui est admirable, le caractère du sentiment d’indignation la plus profonde contre l’acceptation de tout ce qui était étranger à la conscience de soi, de ce qui veut être sans elle, et où elle ne se trouve pas elle-même ; c’est une certitude de la vérité rationnelle qui défie le monde des idées reçues et qui est certaine de sa destruction. Elle a battu en brèche tous les préjugés et en a triomphé. »

De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! À partir de là, on comprend pourquoi, toute sa vie, Hegel a été très surveillé, d’où son succès auprès des étudiants, venus en masse à son enterrement. Plus clandestin qu’on ne l’a dit, mais avec des protections importantes, il est passé à travers toutes les enquêtes menées à son sujet. Tout le monde savait plus ou moins qu’il appelait à des bouleversements inouïs. Le très étrange discours prononcé sur sa tombe, par un certain Förster, ne laisse place à aucun doute. Il traite ce mort de « Cèdre du Liban », de « laurier qui décorait la Science de sa couronne », d’« étoile du système solaire de l’esprit mondial », métaphores clairement maçonniques. Il y a plus, un appel au combat :

« Que notre mission soit désormais de préserver, d’annoncer, de confirmer sa doctrine ! »

Écoutez ça (on est au cimetière, les étudiants sont émus, la police veille) :

« Venez donc, pharisiens et docteurs de la loi qui, avec ignorance et présomption, le méconnaissez et le calomniez, nous saurons défendre sa gloire et son honneur ! Venez donc, sottise, déraison, lâcheté, apostasie, hypocrisie, fanatisme ! Venez donc, mentalité servile et obscurantisme, nous n’avons pas peur de vous, car son esprit sera notre guide ! »

Le mort n’en pense pas moins dans son cercueil, mais c’est sympathique.

Et, au fond, c’est tout simple :

« Savoir la contradiction dans l’unité et l’unité dans la contradiction, c’est là le savoir absolu  : et la science consiste à savoir cette unité dans son entier développement par elle-même. »

[…]

Qu’arriverait-il à la pensée s’il n’y avait plus personne pour penser ? Vous pouvez répondre froidement : rien. Vous savez que le mouvement perpétuel, s’il existait, serait capable de fonctionner indéfiniment sans effort et sans dépense d’énergie. Bien entendu, on vous dira tout de suite que c’est impossible, en raison des lois de la thermodynamique. Conclusion : on laisse le problème de côté, comme pour celui de la quadrature du cercle. Une roue carrée, ça n’existe pas (sauf pour ce fou de James Joyce). Impossible, insoluble, vivez, dépensez, et mourez. Le Calcul ne s’arrête pas, et pourtant il a ses limites. L’Esprit, lui, n’en a pas, et ne se repose jamais. Il s’agit maintenant d’imaginer une existence humaine ayant atteint le mouvement perpétuel, ou, ce qui revient au même, un volume très clair qui se lirait continuellement lui-même.

Et voici de nouveau Hegel, que je ne remercierai jamais assez de m’avoir contacté, pour me redire que l’infini est la négation de la négation :

« Le mouvement est l’infini en tant qu’unité de ces deux opposés, le temps et l’espace. »

Il fait très beau. J’avais besoin de ce café fort.

Encore un café serré :

« En fait, la philosophie est précisément la doctrine destinée à libérer l’homme d’une quantité infinie de fins et d’intentions finies, et de le rendre indifférent à leur égard, en sorte que ce soit pareil pour lui, que ces choses soient ou ne soient pas. »

Le seul vrai roman est le mouvement de l’Esprit, rien d’autre.

Nota : soulignements de pileface.

*

ALLAH
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Je ne sais plus où je suis, qui je suis, la foule est énorme. Ce doit être le pèlerinage à La Mecque, tournant et tendu vers le Cube où la pierre noire sacrée est scellée. Dieu est clément et miséricordieux, soit, mais j’étouffe. Allah est l’évidence même, mais l’inondation des croyants me le cache. Il ne faudrait pas qu’ils me prennent pour un infidèle ou un mécréant, un vrai-faux juif, un vrai-faux chrétien, et qu’ils repèrent que mon jet de pierre pour lapider Satan est mou, réservé, suspect. Je suis un Blanc occidental, porteur de microbes. J’irai en enfer, c’est sûr, obligé de boire de l’eau bouillante dans le feu éternel.


La Mecque et "le Cube où la pierre noire sacrée est scellée."
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J’aimerais bien que l’ange Gabriel me tire de ce mauvais pas, d’autant plus que je ne sais plus très bien si je suis sunnite ou chiite. Je vois déjà une lueur de couteau briller dans les yeux de mon voisin barbu, un Français radicalisé sur Internet, et qui accomplit son premier voyage vers le salut. Sa compagne, une jeune femme voilée, me jette un regard de meurtre. Ils sont d’ailleurs plutôt sympathiques, mais inquiétants. « Vous croyez en Dieu ? » me demande le type en français. Je lève mes paumes ouvertes vers le ciel, ça me paraît plus convaincant que de dire « oui ».

Je suis sûr, maintenant, qu’il a son couteau à égorgement sous sa robe. Il fouille dans sa poche, sort un coran, et me demande, toujours en français, quelle est ma sourate préférée. Je ne suis pas idiot, je réponds la 53,L’Étoile, et je lui récite le début en arabe (j’ignorais que je parlais cette langue couramment). Il ne paraît pas convaincu, et sa femme s’agite. Grâce à Dieu, la bousculade des pèlerins nous sépare, et je me retrouve poussé en avant par des Arabes authentiques, qui ne s’aperçoivent même pas de mon existence.

Dans toute cette comédie, ma décision est prise : prendre le premier avion pour Téhéran, rejoindre la Perse à travers le chiisme. L’État islamique n’est pas mon horizon sacrificiel, mon destin n’aura pas lieu dans le Golfe. À l’aéroport, je retrouve Hegel, un peu fatigué par la chaleur et la ferveur forcenée ambiante. Il a tourné autour du Cube, mais je constate que cela n’a rien changé à son impassibilité.

À notre arrivée à Téhéran, Hegel disparaît pour ses rendez-vous secrets, et je suis pris en charge par un groupe de jolies Iraniennes joyeuses qui m’accompagnent jusqu’à mon hôtel. Elles semblent ravies d’interroger un professionnel français sur leur potentiel nucléaire. Pas un mot du Prophète, de ses femmes, de sa fille, de son gendre, de l’Imam caché, des attentats en France ou ailleurs, de l’État islamique ni du cours du pétrole. Elles s’intéressent à l’amour concret, et n’ont que mépris pour la religion officielle. Après une nuit qui en vaut mille, je me demande si j’ai envie de rentrer dans la triste France d’aujourd’hui, avec son catalogue de coinçages. J’ai pourtant une grande envie de me radicaliser sur des paysages.

Allah sait tout, vous ne savez rien. Le Livre est directement tombé du ciel pour vous éclairer, mais vous vous obstinez à rester aveugles à sa lumière. Dieu vous parle et vous êtes sourds. Vous n’êtes même pas conscients des prodiges que Dieu a accumulés pour vous prévenir : villes détruites, peuples engloutis, civilisations en miettes, ruines hantées, idoles pulvérisées. Vous vous prosternez, vous priez, mais cela ne trompe personne. Votre tapis usé est mal orienté, vous oubliez tel ou tel commandement, vous êtes un pervers natif. Vous volez, vous trichez, vous contrôlez mal vos femmes, vous oubliez de les battre une fois sur deux. Or Dieu vous voit à chaque seconde. N’espérez rien des juifs, des chrétiens, des païens, ils passent leur temps à falsifier les Écritures, en ne parlant jamais du Prophète. Si vous tenez un de ces damnés, coupez-lui la tête.

Qui a dit que Dieu était modéré, démocrate, républicain, humaniste ? Des envoyés de Satan, le maudit, le lapidé. Il s’y entend, Satan, pour vous vendre des pensées obscènes, il vous épie, il vous souffle des doutes inconsidérés. Pensez à voiler vos femmes, sinon elles propagent l’iniquité. Prenez les armes, liquidez ce cinéma de prostitution générale, ricanements, contorsions, grimaces, caricatures, nudités exhibées. Si vous mourez en combattant, vous irez directement au paradis, où Dieu vous enverra des houris.

Vous n’avez pas le droit de me demander d’où je parle, puisque Dieu, chaque jour, dans chaque mosquée, vous parle interminablement à travers moi. Vos rabbins sont paniqués, vos curés foutus, vos lamas en catalepsie, vos philosophes séniles, juste bons, désormais, à animer des croisières fréquentées par de vieilles toupies. Transformer vos églises vides en mosquées ? Impossible, il faudrait les réorienter vers La Mecque, même si un archevêque a déclaré qu’il préférerait que les églises soient consacrées à Allah, plutôt que de devenir des lieux de débauche (de plus en plus d’églises sont d’ailleurs maintenant des musées, des magasins ou des salles d’animation culturelle). Quoi d’autre ? Brûler des synagogues ? Ça s’est fait. Tirer dans le tas ? Pourquoi pas ? Infecter le Net avec des vidéos sanglantes ? Cette dernière solution est en vogue.

Ne vous laissez pas prendre au piège de la « tolérance ». L’homme est mauvais, il faut le mater. Dieu est clément et miséricordieux, mais il sait trancher. On connaît le cas d’un écrivain célèbre, dont le chien s’appelait « Clément ». Ce chien était le grand amour de sa vie, sa mort l’a désespéré. Il entre un jour dans une mosquée,entend que Dieu est clément, et se convertit illico à l’islam. Dieu peut tout sur les âmes troubles, c’est son terrain de chasse. Vous souffrez, vous pleurez, vous vous repentez, hop, il apparaît.

[…]

Au Mozambique et en Zambie, des petites filles de 8 à 13ans sont envoyées dans des camps d’initiation sexuelle. Elles doivent apprendre à « satisfaire un homme » et à tenir un foyer. La plupart des hommes refusent d’épouser une fille « non initiée ». Après quoi, on vous dira hypocritement que les maladies psychosomatiques n’existent pas en Afrique, et que l’Inde, par exemple, est un pays beaucoup plus avancé que le régime totalitaire chinois.

Les enfants radicalisés de l’État islamique sont entraînés à abattre des prisonniers, alignés devant eux, d’une balle dans la nuque. Ce théâtre noir vient d’avoir lieu dans les ruines de Palmyre. C’est ce qu’on peut appeler un choc des civilisations.

*

LUMIERES
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Des mots comme « illumination », « révélation », « inspiration », « intuition » restent vagues pour désigner des effets très spéciaux. La respiration s’accélère, l’attention s’accroît, un livre veut être ouvert, un fragment se creuse, une présence inconnue est là, sur la droite, un rêve force à se lever, il faudra repasser par cette rue oubliée.

Rimbaud, dans Une saison en enfer, raconte qu’il a fini par écarter le bleu du ciel qui est du noir, pour retrouver l’éternité, la mer mêlée au soleil, et, « ô bonheur, ô raison », vivre, comme une étincelle d’or, de la lumière nature. Il est fou de joie, il n’appartient plus à l’humanité, il est ivre de lucidité.

La douleur et la fatigue ont disparu, le temps est sûr. Hegel l’a connu, ce temps, dans le beau sûr. Hegel l’a connu, ce temps, dans le beau printemps sec de Berlin, quand le savoir absolu brillait à travers ses fenêtres. Ce temps est sans fin.

Ici, à Paris, je me branche sur des documentaires sur la vie explosive des galaxies, milliards et milliards d’étoiles, avec des planètes toutes plus inhabitables les unes que les autres. Je m’émerveille de respirer dans un coin de ce miracle improbable : la Terre. Du même mouvement, sur un autre écran, j’observe les variations de la Bourse mondiale, en essayant de repérer ses trous noirs. Pour une gouttelette douée de pensée, voilà une bonne gymnastique matinale.

Vous prenez 5000 années-lumière, et vous obtenez le décalage entre les galaxies et l’agrégat de matière noire qui les accompagne. Cette distance est supposée très faible, mais elle est quand même respectable : 50millions de milliards de kilomètres. Faut-il vous rappeler, misérables escargots terrestres, que l’Univers est composé de 27% de matière noire, de 68% d’énergie noire, toujours inconnue, et de 5% de matière ordinaire (celle où vous vous trouvez), dont vous n’avez pas encore tout détecté. Vous ne connaissez que 1% de la matière observable. Cherchez, cherchez, cherchez.

L’idée d’être emporté à toute allure, avec le Cosmos, dans un espace infini, me rassure. Je ne me ferai pas incinérer, je veux que mon squelette sente ça. Je suis de l’avis de Francis Bacon : « Je suis contre l’incinération, parce que je pense que, dans des milliers d’années, si le monde existe toujours, ce sera ennuyeux s’il n’y a personne à déterrer. »

*

ADN
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Qui suis-je ? Comment suis-je arrivé jusqu’ici à travers le flot génétique ? Grâce à une prise d’ADN, je peux le savoir. La géographie débouche maintenant sur la génographie, qui permet, entre autres performances, de résoudre bien des affaires criminelles. Pour 89 euros et un prélèvement de salive, une agence américaine me propose la révélation de mes origines, le pedigree exact de mes plus lointains ancêtres, et même la proportion d’ADN que j’ai héritée des hommes de Néandertal.


Lascaux
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Les résultats viennent de me parvenir : aucun doute, j’étais à Lascaux, c’est bien moi qui peignais sur le roc, et ma main négative est enregistrée dans la grotte. Ô mon aïeul sublime ! Je te vois, devenu sapiens, soulever la voûte terrestre, au milieu des bisons, des chevaux, des taureaux, des cerfs, des rhinocéros ! Tu as mis bien du temps avant de te réveiller en moi ! J’accompagne ta reptation savante le long des parois, j’écoute ton chantonnement incompréhensible, je remonte avec toi à l’air libre, pour la chasse du jour ! Protège-moi, civilisé du futur ! Délivre-moi des lourds abrutis humains qui m’entourent ! Ô sauvage raffiné, transmets-moi ta force et ta pénétration des couleurs !

Si j’avais été basque (après tout, pourquoi pas ?), je pourrais me vanter d’échapper aux pénibles polémiques sur les Indo-Européens, puisque je serais issu, au mésolithique ou au paléolithique, des premiers occupants de la région cantabrique. J’ai aimé passionnément une femme basque espagnole, je comprends pourquoi.

Je suis rattrapé par des journalistes qui soulignent la crise d’identité française, me demandent ce que je pense de ce problème national, font état d’une inquiétante propagation islamique, insistent sur la tendance de beaucoup de catholiques à se rapprocher du judaïsme, notent que bon nombre d’intellectuels se raccrochent à l’hébreu et à la Kabbale. Faut-il, selon moi, transformer les églises désaffectées en mosquées ? Peut-être, à condition de les réorienter vers La Mecque. Mais enfin, qu’est-ce qu’être français pour moi ? Je n’ose pas leur répondre qu’ils ont vingt mille ans de retard, et que « la France », vue depuis Lascaux, n’existe pas. Vous êtes donc un « Français de souche » ? Là d’où je parle, il n’y a pas de « souche », mais des peintures admirables. Vais-je dire cette énormité ? Non, silence et gaieté.

La génographie fait donc exploser la géographie et l’Histoire, en même temps que toutes les particularités nationales, familiales, religieuses, linguistiques ou ethniques. C’est, si on veut, le Septième Sceau de l’Apocalypse, avec orchestration spectaculaire de la fin du monde. Dieu, en effet, est un super-génographe qui reconnaît les siens. Il discerne, juge, et massacre. La première mort, corporelle, n’est rien. C’est la seconde, éternelle, avec étang de feu à la clé, qui compte. Dans cette dimension, mieux vaut pour vous être un saint.

Un complément de mon expertise d’ADN en Suisse (c’est beaucoup plus cher) m’apprend la présence, dans mes gènes, d’une partie non négligeable, et très ancienne, de gène Han chinois. Dieu sait d’où vient cette greffe, mais je m’en doutais, rien qu’à lire Zhong Xing, lui aussi de l’époque Ming :

« Les nuages sont l’esprit des pierres,

Les pierres sont le corps des nuages,

Pierres qui volent, ou nuages pétrifiés ?

Qui voit le ressort de ces mouvements ? »

[…]

*

CHINE 2
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[…] je me demande si mon poème préféré n’est pas celui de Tao Yuanming (365-427), extraordinaire de simplicité enfantine. Je le pratique souvent :

« L’ombre s’épaissit, le soleil s’en va,

Adossé à un pin, je laisse fuir le temps. »

[…]

Prenez Guo Pu, par exemple (276-324), le Voyageur du « Val Bleu », tué lors d’une rébellion locale :

« Je suis allé cueillir des herbes dans les monts fameux,

C’était pour me protéger de l’atteinte des ans,

J’ai inspiré, expiré, bu le jade liquide,

Un souffle merveilleux a envahi ma poitrine. »

J’ai toujours devant moi un antique cercle de jade blanc, troué en son centre, qui représente le ciel. Son influence sur moi est indubitable. Je le fixe pour me traverser, je l’embrasse légèrement par moments. L’effet pulmonaire et cardiaque est immédiat. Le « Val Bleu » envahit ma chambre. C’est un bleu très singulier, une nuit bleue en plein jour.

*

Autres Extraits :
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Physique

Divers

Crédit : Philippe Sollers et Gallimard

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