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1968 : Logiques et Nombres

D 6 août 2015     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


31 mars 1968.


En avril 1968, Philippe Sollers publie un recueil d’essais Logiques et son quatrième roman Nombres. Après avoir déjà salué le précédent roman de Sollers Drame [1], Roland Barthes consacre un article à ces deux livres dans Le Nouvel Observateur du 30 avril. Le titre est éloquent : Le refus d’hériter. Mai suivra. Et passera (et, malgré les innombrables tentatives d’« éradication », restera). En juillet, Le Monde publie un entretien de Sollers et deux articles sur Logiques et Nombres. Le premier est de Raymond Jean (1925-2012) qui sera toujours un lecteur attentif de Sollers, le second de François Bott qui vient de prendre la direction du Monde des livres. Des « coupures de presse » qui en valent bien d’autres sur un des romans le plus brillamment commenté de Sollers (cf. La dissémination de Jacques Derrida [2], L’engendrement de la formule par Julia Kristeva (le roman lui est dédié) [3] et L’emprise des signes par Jean-Michel Lou).

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Le Nouvel Observateur du 30 avril 1968 (Archives A.G.)

Le refus d’hériter

par Roland Barthes

L’écriture réclamée et pratiquée par Philippe Sollers conteste un usage ancestral du langage littéraire.

LOGIQUES et NOMBRES par Philippe Sollers
Seuil, 304 p., 19,50 F et 128 p., 12,25 F.

L’idée révolutionnaire est morte en Occident. Elle est désormais ailleurs. Pour un écrivain, cependant, le lieu politique de cet ailleurs (Cuba, la Chine) importe moins que la forme : dans cette migration, ce qui le concerne directement, c’est-à-dire du point de vue de son travail (car l’écrivain, lui aussi, travaille), c’est la dépossession de l’Occident qu’elle implique, l’image nouvelle qu’elle impose : celle d’un champ dont le sujet occidental n’est plus que le centre ou le point de vue. C’est dans ce lointain de la révolution (lointain absolument inédit, « inécrit ») que Philippe Sollers a établi son travail et développe son oeuvre.
Sollers refuse d’hériter — sinon de l’inhéritable. Ce refus d’hériter, que l’on minimise ordinairement sous le nom d’impertinence, peut prendre la forme de positions diverses, les unes fondamentales (on les trouvera dans le programme de « Logiques »), les autres plus contingentes, liées aux activités de la revue et de la collection « Tel Quel », activités qui, elles aussi, sont des écritures. Par exemple : il paraît nécessaire à Sollers de marquer une certaine rupture à l’égard du langage politique des pères ; les pères, en l’occurrence, ce sont les intellectuels et les écrivains de gauche, accaparés pendant les vingt dernières années par le combat antistalinien : leur mode d’inscription politique dans le monde doit être maintenant désécrit, écrit d’une manière contradictoire, « scandaleuse ».
Un communiste à « Tel Quel » ? Pourquoi pas, si cela est désécrire l’anticommunisme dont s’est nourrie (et surnourrie) l’intelligentsia de gauche, et si c’est du même coup — il ne faut pas l’oublier — désécrire l’antiformalisme traditionnel des intellectuels communistes ? Deux « héritages » qu’il n’est pas mauvais d’annuler l’un par l’autre, d’autant qu’ils ont en commun la même inattention tranquille à la responsabilité des formes.

La rupture fondamentale


Quant à la rupture fondamentale, celle qui est justifiée principalement dans « Logiques » et allusivement dans « Nombres », elle a pour objet l’histoire de notre littérature. L’essentiel de cette littérature, pour Sollers, a été pendant des siècles et est encore soumise à une forme unique de lisibilité : une tragédie de Racine, un conte de Voltaire, un roman de Balzac, un poème de Baudelaire ou un récit de Camus impliquent un même ressort de lecture, une même idée du sens, une même pratique de la narration, en un mot une même « grammaire ». Or cette grammaire profonde, grammaire de la lecture et non simple grammaire de la langue française, on commence à en démonter les règles, et elle apparaît dès lors comme particulière, bien que "nous" la vivions encore comme universelle, c’est-à -dire comme naturelle. Du même coup une autre langue paraît possible, révolutionnairement justifiée : celle qui, d’une manière excentrique, a commencé à s’écrire ici et là , à la limite de cette lecture canonique du « réel », qui a imprimé sa marque unique à tout le discours occidental. Mallarmé, Lautréamont, Roussel, Artaud, Bataille, dont s’occupe Sollers dans « Logiques », sont les premiers opérateurs de cette autre langue, leur écriture n’est en rien un style ou une manière, à quoi l’on adhérerait par « goût » (selon ce vieux principe voltairien qui réduit tout phénomène à sa plus petite cause possible), mais un acte de dénégation, destiné à secouer le droit naturel des anciens textes et à périmer les concepts (sujet, réel, expression, description, récit, sens), sur quoi reposaient leur fabrication et leur lecture.

Fin de la représentation


La contestation portée par Sollers à la littérature (puisque tel est le nom de l’ancienne écriture) n’entraîne pas seulement une révision de la manière d’écrire, mais aussi : une définition nouvelle du réel, de l’écrivain et de leur travail réciproque. Pour comprendre l’action de Sollers, il faut partir du signe, terme commun à toutes les recherches récentes, même si le signe doit être finalement emporté dans un espace, un texte qui le détruira. Ce que les écrivains ont longtemps appelé le « réel » n’est lui-même qu’un système, un flux d’écritures, échelonnées à l’infini : le monde est toujours déjà écrit. Communiquer avec le monde (voeu pieux qu’on oppose superbement à tous les « formalismes »), ce n’est donc plus mettre en contact un sujet et un objet, un style et une matière, une vision et des faits, c’est traverser les écritures dont est fait le monde comme autant de « citations » dont l’origine ne peut être ni tout à fait repérée, ni jamais arrêtée, c’est produire cette écriture textuelle, demandée par Sollers, expression qui n’a rien de mystérieux, si l’on veut bien penser que le texte est étymologiquement parlant, un tissu, un réseau d’écritures — et non un tableau que l’écrivain extrairait de sa conscience ou de la réalité, en recevant parcimonieusement de l’art le droit de les déformer.
L’écriture réclamée et pratiquée par Sollers conteste donc un usage du langage littéraire, celui de la représentation. Depuis des siècles, la littérature prend pour modèle la peinture, en tant qu’elle figure des actions, des paysages, des caractères ; d’où le récit, la description, le portrait.
Cependant la peinture elle-même, en cinquante années, de Cézanne à Duchamp, comme le rappelait le prospectus d’une exposition récente, a aboli l’un après l’autre, la tradition, le sujet, l’objet et la peinture elle-même ; notons que Cézanne, Picasso, Kandinski ou Duchamp n’en paraissent pas pour autant « incompréhensibles » ; mais le langage, matière commune à l’écrivain et à tous les hommes, offre sans doute, socialement, bien d’autres résistances. Quoi qu’il en soit, l’enjeu est le même : de la page à la toile, à l’objet, grâce à ce que Sollers appelle le « trait », par opposition à la « voix », organe mythique de l’expression, mettre l’écriture dehors, en circulation avec les écritures dont s’écrit le monde en mouvement : c’est ce que fait « Nombres », où l’on trouvera, disséminées comme des germes à travers l’une des plus belles langues qui soient en français (car le « bonheur d’expression » est cela même qui était déjà moderne dans les anciens textes) beaucoup d’écritures qui viennent de ces autres langues (la mathématique ou la chinoise, par exemple), dont l’ensemble forme nécessairement pour nous la langue de l’autre.
Le congé donné à la représentation (ou, si l’on préfère, à la figuration littéraire) a, entre autres, une conséquence importante : il n’est plus possible de mettre quelque chose ou quelqu’un derrière l’auteur ; à la surface de l’écriture plurielle, celui qui écrit ne saurait être recherché : « Nombres » n’en donne aucune image, même (et surtout) cachée ; tout ce qui faisait le poids de l’imaginaire (thèmes, répétitions, indices, fabulations, scénarios) est au fur et à mesure sorti de l’écriture, car abolir le récit c’est dépasser le fantasme : il faut concevoir l’écrivain (ou le lecteur : c’est la même chose) comme un homme perdu dans une galerie de miroirs : là où son image manque, là est la sortie, là est le monde.

L’incendie


Le rapport de cela avec la révolution ? Un écrivain ne peut se définir que par son travail. Au regard de ce travail, la révolution est essentiellement une forme, celle de la dernière différence, la différence qui ne ressemble pas. Placé devant une situation historique nouvelle, Sollers en profite : il exploite le principe, longtemps censuré, selon lequel le rapport de la révolution et de la littérature ne peut être analogique, mais seulement homologique : à quoi bon copier le réel, même d’un point de vue révolutionnaire, puisque ce serait recourir a la langue bourgeoise par excellence, qui est précisément celle de la copie ? Ce qui peut passer de la révolution dans l’écriture, c’est la subversion, l’incendie (image sur laquelle s’ouvre « Nombres »), ou, si l’on préfère parler positivement, le pluriel (écritures, citations, nombres, masses, mutations). Ce dont Sollers marque à la fois la suite et le commencement, c’est cette sortie hors du jeu narcissique de l’Occident, l’avènement d’une différence absolue — que la politiique se chargera bien de représenter à l’écrivain occidental, s’il ne prend les devants.

R. B., Le Nouvel Observateur du 30 avril 1968 (repris dans Sollers écrivain).

*

Philippe Sollers, mandarin ou révolutionnaire ?

Quel écrivain est Philippe Sollers ? La question se pose :
• Parce qu’il a provoqué encore les réactions les plus opposées, soit l’hagiographie, soit de sévères sentences, après la parution de ses deux derniers ouvrages : un roman Nombres et un recueil d’essais Logiques.
• Parce que ce jeune homme, reconnu à ses débuts par Mauriac et Aragon, ne se veut l’héritier de personne. Mais briseur d’idoles, iconoclaste, assurant que commencent, avec lui et quelques autres, l’écriture moderne et aussi la lecture. Ce "terrorisme" caractérisant la revue Tel quel.
• Parce qu’enfin Sollers est un écrivain hermétique, et que des critiques, comme Roland Barthes, n’ont pas élucidé, pour le lecteur, ses textes sibyllins.
Toutefois, un poète qui joue savamment des mots et souvent convainc par les grâces, les scintillements, les géométries passionnées de son écriture. Mandarin ou révolutionnaire ? Quel écrivain est Philippe Soliers. Nous publions (en page II) deux critiques parfois contradictoires. Raymond Jean voit en Sollers un révolutionnaire, et François Bott, un mystique ; et Philippe Sollers, lui-même, expose, dans un entretien, sa théorie de l’écriture.

Comment concevez-vous les rapports entre histoire et langage ?

— Le langage, pour moi, n’est pas seulement un moyen d’exprimer, de représenter la réalité, il est aussi une réalité historique. Il fait partie de l’histoire, comme l’économie, comme la politique. Il y a une histoire économique, une histoire politique, une histoire textuelle, qui s’entrecroisent et composent une trame complexe. Le langage et l’idéologie qu’il implique forment une série spécifique, en rapport avec les autres séries.
L’expression intervient dans un milieu déjà formé. Ce milieu, c’est le langage, le texte de la société capitaliste. Nous " habitons " ce texte, nous sommes investis par lui et par l’idéologie qu’il produit. La nouvelle philosophie du langage est un matérialisme sémantique...

Mais comment dépassez-vous le "langage bourgeois" ?

— Par un travail pratique et théorique... Le langage n’est pas un milieu inerte, comme le veut Sartre : il nous travaille et nous le travaillons. Il y a une dialectique... En ce moment, le langage marxiste se diffuse parmi les étudiants, il les " travaille ", de sorte qu’ils font éclater le langage de la classe dominante... Mais cette diffusion du marxisme s’accompagne d’un affaiblissement théorique. La plupart des intellectuels conçoivent mal leur rapport à l’économie. Ils ont une vue mythique, mystique du prolétariat. D’où une confusion qui vient surtout du fait que ni Marx, ni Lénine ne sont réellement lus.

Quelle est selon vous la tâche de l’écrivain ?

— Il doit reconnaître la littérature comme une série, une réalité spécifique, et l’interroger : faire l’expérience de ce que l’écriture porte en elle de plus brûlant, de plus anti-culturel. L’écrivain qui conteste la société sans faire la critique de son langage est toujours récupéré par cette société... Je cherche à désarmer le langage bourgeois. La société capitaliste ne peut pas se " reconnaître " dans mes romans : je tends au lecteur un miroir qui ne le reflète pas mais le jette hors de soi, hors de la mythologie bourgeoise. Mes " romans " posent une question muette au lecteur et l’obligent à se parler autrement. On peut écrire des livres qui se taisent à ce point que la société est forcée d’en parler de plus en plus. Je tiens, d’une certaine façon et à une tout autre place (moins rentable, c’est vrai) le même rôle qu’un psychanalyste. Lui aussi garde le silence. Mais ce n’est pas un silence neutre, c’est un silence qui fait parler. Je conçois l’écriture comme une sorte de thérapeutique froide...
Il est important, je crois, de poursuivre sans cesse la critique de la notion d’auteur et celle de la notion d’œuvre. Il n’y a pas d’œuvre, pas d’auteur, mais des textes collectifs qui passent en moi, en vous. L’individu n’a plus d’importance...

Qui lit vos romans ? Ce ne sont pas les ouvriers ?

— La conception du langage, dominante, est celle de la classe dominante : la bourgeoisie. Il s’agit donc de l’attaquer par tous les moyens. Le passage du capitalisme au socialisme devrait entraîner une révolution du langage. On ne regardera plus le langage comme une esthétique mais comme une science, de la même façon que la physique ou la biologie.
On ne fera plus la confusion entre le langage comme expression et le langage comme texte, comme réalité.

François Bott, Le Monde du 13 juillet 1968.

*

Une écriture de contestation

On peut aimer ou non l’œuvre de Philippe Sollers. Mais la problématique de l’écriture qu’elle illustre comporte désormais trop d’implications, littéraires et politiques, pour qu’on ne la considère pas avec la plus grande attention. Deux livres ont paru ce printemps. Un roman, Nombres. Un essai, Logiques. Leur publication simultanée et la tonalité commune de leurs titres indiquent assez qu’ils représentent les deux versants d’une même tentative où la théorie et la pratique ne se séparent pas. Il faut donc se référer au "programme" que Sollers s’est donné (et qui figure en tête de Logiques) si l’on veut entrer, si peu que ce soit, dans le système de pensée, d’analyse et de "production" qui est le sien.

Le récit rouge


Pour Nombres, ce n’est pas difficile. Ce livre net, simple, maîtrisé, très pur de lignes et de formes, peut aisément se décrire. Roman par le procès narratif qui le sous-tend, il se présente surtout comme un texte en acte, théâtre sans scène ni salle où se déroule non une représentation mais une investigation objective du réel à travers un travail concret de la pensée et de l’écriture. Recherche qui ne va pas sans un rituel assez précis, une mise en espace savante où le texte projeté sur la page blanche est " joué " par ces acteurs que sont le lecteur, le " scripteur " et sans doute le langage lui-même.
Telle est en tout cas l’ambition déclarée de Philippe Sollers. Il l’avait déjà exprimée et partiellement réalisée dans Drame, son précédent roman. Mais ici l’organisation du champ de l’écriture est beaucoup plus rigoureuse. Le livre se divise en strophes, elles-mêmes distribuées en série numérotées ou séquences, correspondant les unes à l’emploi de l’imparfait — le niveau du récit et de l’histoire — les autres à l’emploi du présent — le niveau du discours —, cette répartition " formant une matrice carrée engendrant la narration et sa réflexion ". Que se passe-t-il à l’intérieur d’une telle structure ? Un récit se dénoue que Sollers appelle quelque part le récif rouge et qu’il définit ainsi : " Ce qui, à travers les lettres et les corps, se superpose à soi-même, ne cesse de s’armer, de se presser, de se surmonter, et c’est verticalement qu’il faut le voir lutter et se transformer, montant dans toutes les directions de son propre infini sans images, de sa force doublée qui se coule en creux dans vos yeux, vos tympans, vos langues, vos dents, votre enlisement, votre sentiment du temps... "

Une écriture du corps


Les volutes de cette écriture tracent un certain nombre d’images qui, pour la plupart, plongent leurs racines dans une expérience corporelle. C’est en ce sens que l’on pourrait parler d’une écriture du corps, très belle par les vibrations, les pulsations sourdes et profondes qu’elle enregistre, souvent proche (consciemment ou non) de celle de Lautréamont par les fantasmes de sang et de mort qu’elle inscrit au passage dans le texte : têtes tranchées, bouche pleine de terre, sexes mutilés, os écrasés.
N’était le parti pris antiesthétique qui, sans doute, anime l’auteur de Nombres, on aimerait lui dire que rien n’est plus beau dans son texte que ces moments où la phrase dessine d’instinct une figure fulgurante ou tremblée, découpe une image surréaliste, capte un ton, une couleur — un bleu, un noir, un rouge — : " les grappes rouges qui rappellent le vin du réseau sanguin ", " le torrent léger et bleuté passant par les pores ", le " paysage vibrait, se décollait, tombait comme une mer d’écorces par fragments entiers ", " l’air s’était renversé sur la lame d’un couteau rouge ". Effets plus frappants encore lorsqu’ils s’appliquent à une réflexion abstraite, au mouvement même du langage : " ... et la " nuit " n’était pas autre chose que ce passage insistant, bleu, des temps les uns dans les autres, la torsion, par exemple, par où le présent et l’imparfait communiquent entre eux sans se remarquer... ". C’est là que l’écriture cesse d’être ligne ou chiffre pour devenir chair, nerf et sang et rejoindre souvent la pure langue de la poésie.
Un autre point est essentiel dans la recherche de Sollers. Son propre texte est un tissu nourri de tous les autres textes où s’inscrivent le réel et l’histoire. D’où l’utilisation de " prélèvements " qui ne sont pas simplement des citations insérées çà et là, mais des principes vivants destinés à élargir le champ de l’écriture et de son interrogation : fragments d’Artaud, du Tao, de Lucrèce, ou de Marx (de plus en plus nombreux dans la dernière partie du récit). D’où l’emploi, aussi, de ces idéogrammes chinois qui viennent ponctuer certaines strophes et dont Sollers — se souvenant d’Ezra Pound, mais critiquant sa méthode — se défend de faire un usage décoratif, pour leur assigner un rôle de butoir en même temps que de référence culturelle.

Logiques


Cela montre sans doute assez ce que Sollers " scripteur " doit à Sollers lecteur. Mais l’examen des essais qui composent Logiques permet de prendre une conscience plus claire encore de cette expérience de la lecture, si caractéristique de son entreprise. Le mot grec logos signifiant originellement aussi bien fable qu’idée et parole, le terme de logiques nous renvoie immédiatement au rôle du langage des signes dans le récit. Et c’est bien de cela qu’il s’agit à travers des auteurs comme Dante, Sade, Mallarmé, Roussel, Artaud, Bataille, Lautréamont, dont Philippe Sollers choisit de parler — en très grand critique. On sait qu’ils représentent à ses yeux la voie royale de l’écriture textuelle, qui — correspondant à une rupture " précisément situable dans l’histoire " — se détourne de l’expressivité, abordant volontiers aux rivages de l’érotisme, de la folie, de la révolte et de la mort. Cette écriture, qui est moins un langage que la destruction d’un langage et se situe aux antipodes de la représentation d’un monde abusivement ordonné et légitimé, ne peut se comprendre que dans une perspective matérialiste et dialectique. Elle repose en effet sur le refus de toute transcendance. Elle s’inscrit donc dans le champ de l’histoire réelle. C’est de là qu’elle tirera son pouvoir de contestation : “S’agissant du roman, le livre qui contestera dans son langage le récit inconscient de l’ordre fait pour dissimuler la sexualité et la mort tombera en conséquence et nécessairement sous le coup d’un interdit essentiel.
À la limite, le règne de l’écriture se confond avec celui de la révolution. Cela peut prendre l’étrange forme allégorique et prophétique que l’on rencontre dans un des plus beaux passages de Nombres : " À l’ouest, les signes sans racines et accumulant les signes sans prises sur l’axe profond du dehors... À l’est, portant avec lui d’un seul coup tout le passé effacé, la simple force indestructible du trait... ". Cela peut prendre la forme plus directe d’une contestation radicale de toute une économie de la littérature. Et signifier pour elle la nécessité d’une reconversion.

Raymond Jean, Le Monde du 13 juillet 1968.

*

Halluciné de l’arrière-monde

Le " roman " de Philippe Sollers débute par une image d’incendie. Un autodafé. " ... Le papier brûlait... Il s’agissait d’un départ qui nous laissait sans passé. " Philippe Sollers ne se reconnaît aucun héritage, ou presque. Alors, un iconoclaste, un briseur d’idoles ? Cousin des gardes rouges et de leur ancêtre l’empereur chinois Ts’in, qui fit jeter au bûcher tout Confucius ?
Oui, en un sens ; il brise avec la culture. On brûle l’église pour retrouver les origines de la sainteté. Lui veut revenir à ce moment sauvage, qui a préfacé la culture. " La recherche de la littérature, écrit Maurice Blanchot, est la recherche de ce moment qui la précède. "
Nous sommes dans les mots comme dans notre corps ; ils nous hantent sans fin, présence têtue, ombreuse, mais le plus souvent nous dépassons les mots vers le monde qu’ils signifient. Lui, Sollers, revient aux mots, à ce moment où se forme en nous, se trame un texte : un tissu de mots. Langage au bord du silence, au bord de la nuit (" Je me trouvais couché au bord de la nuit "). Langage tout mêlé au corps, au sang, flux de mots comme le flux du sang, langage primitif qui serait anonyme : " Il y avait un " nous "... Une présence de mots vivants... Ce qu’on sent aussitôt, c’est la bouche : pleine, obscure - herbe, argile... "

La coquetterie de l’obscur


On soupçonne, dans ce " roman ", le souci — l’obsession, le vertige — des origines : celle du langage, comme celle du corps, de la vie. Je dis : on soupçonne, parce qu’avec Sollers il faut jouer les devins. Il y a, chez lui, une coquetterie de l’obscur, un terrorisme du secret, une " ésotéro-manie " ; le style brisé, disons cisaillé, ces phrases soudain cassées - on ne sait pourquoi, - ne facilitent pas la tâche du lecteur et donnent souvent un sentiment de chaos. On ne lit pas Sollers ; on explore une forêt de signes, on entrevoit des clairières, des lueurs, mais de nouveau le jour s’assombrit, on s’achoppe à quelque poème sibyllin ; non pas que les mots soient chiffrés, mais le récit met en forme une expérience inconnue du lecteur. Et Sollers le dit lui-même : il emploie " une autre langue ", il parle autrement comme s’il revenait d’un pays qui ne saurait se dire avec les phrases de toujours.
Quel pays ? Quelle expérience ? Un pays, une expérience, avant l’homme, avant le je, le moi. Sollers évoque le dehors du langage, de la culture ou du système, comme écrit Michel Foucault. Autrement dit, le langage en soi, le système en soi. Ou encore ce " langage nu " où " toute signification prend (son) origine " [4]. " Je n’étais plus devant les mots, confronté à eux, moi de mon côté, eux du leur : passés dans la même profondeur, roulés dans la même matière, nous restions suspendus, ouverts, sans savoir si nous étions deux... " De même, il évoque la vie aux confins de la mort, le dehors de la vie, la vie en soi, la vie à peine ou pas encore séparée du ventre de la terre, du ventre de la mère. Ce temps des origines hante les hommes et ils croient l’entrevoir aux lisières des rêves et du sommeil, ou dans les naufrages de l’amour. Sollers écrit l’amour avec des phrases belles et brûlantes, glacées. Poésie de violence, de cruauté :
" Elle gémissait, tordue, comme si la nuit jaillissait de sa gorge, comme si elle n’était plus que cette émission de nuit ouverte au couteau dans la masse pleine de l’après-midi. "
On encore : sommeil de femme " sanglant et sourd ".
Il écrit aussi : " Le goût de crime dans chaque gorge. " Il parle souvent d’une voix blanche de rêve : de revenant. Ayant abordé le rivage de la vie en soi, la vie barbare, et, par cette vie, lié à la terre, chair et terre lui-même.
Les images cosmiques foisonnent ici : " Vous êtes entraînés dans cette chaîne de terre et d’air, de jeu, de sang et de pierre. "
" Je me sentais rentrer dans la terre, sous le bois, sous les mots, et être à travers ses mains comme la terre elle-même jouissant simplement des changements végétaux. "
Fasciné par les profondeurs de soi, halluciné de l’arrière-monde, selon le mot de Nietzsche, l’auteur de Nombres évoque son expérience comme une révélation, une conversion, une extase. Sollers : un nouveau mystique, comme disait Sartre de Georges Bataille.

François Bott, Le Monde du 13 juillet 1968.

*

Logiques

Quatrième de couverture

« Cet ensemble fonctionne comme un appareil. De manière systématique, il trace une théorie de l’écriture appelée autrefois "littéraire" mais qu’il faut mieux nommer aujourd’hui textuelle. Cette théorie, inséparable d’une expérience précise, s’élabore sur un certain nombre de limites, refusés ou mis à l’écart par notre culture et dont la lecture réelle serait susceptible de changer les conditions mêmes de notre pensée.
Dante, Sade, Lautréamont, Mallarmé, Artaud, Bataille : tels sont les principaux organismes choisis pour leur "illisibilité" non pas seulement formelle mais idéologique. Ils forment dans le temps une série destinée à faire apparaître une autre continuité que celle, mécanique et idéaliste, qui nous est apprise, un espace pluriel apparemment contradictoire à lui-même mais dont "l’histoire occidentale" a la clef. Le déchiffrement qui s’effectue ici porte donc sur le travail qui a rendu possible la production de ces "limites", sur les modifications de l’économie générale et des conditions historiques qui les ont permises, c’est-à-dire, simultanément, sur les motifs de leur censure et de leur force de transgression. »

*

Nombres

Quatrième de couverture
(1ère édition, 1968, Seuil, collection Tel Quel))

Comment lever la contradiction entre discours et histoire ? Sinon par la sortie de la scène représentative qui maintient cette opposition ? Par un texte dont la permutation réglée ouvre, non pas sur une expression parlante, mais sur le réel historique constamment actif ?
Entre l’imparfait (séquences 1/2/3) et le présent (séquence 4) formant une matrice carrée engendrant la narration et sa réflexion, s’inscrit le travail qui détruit toute « vérité » spectaculaire ou imaginaire. Cette destruction porte non seulement sur le « sujet » éventuel du récit — son corps, ses phrases, ses rêves — mais aussi sur le récit lui-même qui se renverse et s’immerge peu à peu dans les textes de différentes cultures. L’écriture commence ainsi à fonctionner « dehors », à brûler dans un espace se construisant, s’effaçant et s’étendant à l’infini de sa production. Un tel théâtre, sans scène ni salle, où les mots deviennent les acteurs et les spectateurs d’une nouvelle communauté de jeu, doit donc aussi permettre de capter, dans croisements de surfaces, notre « temps » : arrivée du dialogue entre Occident et Orient, question du passage d’une écriture aliénée à une écriture traçante, à travers la guerre, le sexe, le travail muet et caché des transformations.
Le roman imprimé ici n’est pas un roman imprimé. Il renvoie au milieu mythique en train de vous irriguer, de se glisser en vous, hors de vous, partout, depuis toujours, pour demain. Il tente de dégager une profondeur mouvante, celle d’après les livres, celle d’une pensée de masse ébranlant dans ses fondations le vieux monde mentaliste et expressionniste dont s’annonce, pour qui veut risquer sa lecture, la fin.

Quatrième de couverture de la réédition (Gallimard/tel, 2000)

« Le roman imprimé ici renvoie au milieu mythique en train de vous irriguer, de se glisser en vous, hors de vous, partout, depuis toujours, pour demain. Il tente de dégager une profondeur mouvante, celle d’après les livres, celle d’une pensée ébranlant dans ses fondations le vieux monde expressionniste dont s’annonce, pour qui veut risquer sa lecture, la fin. »

Feuilletez le texte de Nombres.

*

Portfolio

  • Le Nouvel Observateur (30 avril 1968)

[2« Ce livre est extraordinaire et je ne me sens pas de taille à m’y mesurer, surtout dans un "article". "La dissémination" avance néanmoins, elle est déjà trop longue et, comme je le prévoyais, il faudra se résoudre à deux livraisons de Critique. » Lettre à Philippe Sollers, sans date (été 1968) (cité par Benoît Peeters dans sa biographie de Derrida).

[3Repris dans Sèméiotikè. Recherches pour une sémanalyse.

[4Michel Foucault : Les Mots et les Choses.

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1 Messages

  • Albert Gauvin | 5 septembre 2023 - 12:30 1

    Sollers et l’intelligence artificielle

    Formulons l’hypothèse de départ : un livre représentatif de l’avant-garde réputée illisible des années 60-70 nous permettrait de parler d’intelligence artificielle autrement.

    Le roman Nombres de Philippe Sollers, paru en avril 1968, apparaît comme amusant pour le lecteur ou la lectrice contemporain.e.s mais les plonge bien vite dans une forte frustration. Celle-ci sera renforcée à mesure que l’on cherchera à trouver un sens général au dispositif. À partir de là, deux voies sont possibles : hausser les épaules et refermer l’ouvrage, ou entreprendre une expérience de lectures répétées, éventuellement informée par l’abondante littérature théorique qui l’a accompagnée.

    Cet objet littéraire se présente comme un ensemble de cent fragments ordonnés et numérotés selon un principe géométrique strict. L’intention reste bien de qualifier le résultat de « roman », tout en ne présentant aucun récit accessible selon les règles courantes et attendues. Pour faire simple, le livre est composé de vingt-cinq séries de quatre textes, ou plutôt fragments de textes, dont le dernier est systématiquement placé entre parenthèses et rédigé au présent de l’indicatif, contrairement aux trois autres à l’imparfait. Il se trouve être ainsi un quatrième volet un peu particulier qui permet d’offrir un regard complémentaire sur les précédents, comme s’il constituait une clé partielle du procédé. Mais pas tout à fait : cette partie joue le rôle d’un super-commentaire, contamine les autres qui la contaminent en retour. C’est là où la théorie s’est engouffrée. Derrida va dans La dissémination explorer le double-fond, le jeu de miroirs, « le livre de la répétition se rapportant et s’échappant à elle-même ». Julia Kristeva va insister sur l’acte d’engendrement, le rôle de ce phénotexte (le commentaire) sur le génotexte (ce qui se présente à la lecture).

    Au fil de ces séries, quelques figures dessinées sont insérées dans le livre, systématiquement dans le dernier fragment, pour illustrer les ressorts du dispositif. La plus simple nous fait comprendre que nos séquences de quatre textes forment quatre côtés d’un carré, dont l’un est ouvert et constitue cette interface textuelle particulière. Le simple schéma à deux dimensions se complique par la suite, et figures et textes amènent le lecteur à appréhender toute la rigueur mécanique de la machine à laquelle il est supposé être complètement intégré, pouvant de manière alternative s’identifier à un je, à un nous de plus en plus interchangeables.

    Car le principe de fond est bien de partir de notre monde où nous serions « programmés  » : « chacun croyant vivre ce qu’il appelle sa ‘vie’, flottant un moment avec les autres dans le même bruit, habillé à la mode du temps ». Pour sortir du programme, la production d’un texte de littérature ne suffit pas, même dans les recherches du Nouveau Roman, contemporaines de Nombres. Ce ne sont jamais encore que des textes supplémentaires, conformes au programme et qui viennent s’y ajouter. La formule de sortie ne consiste pas à refuser nos automatismes mais à concevoir une machine textuelle qui fait parler tous les textes ensemble et les insère dans son dispositif hyper-automatisé où ce qui va être dit une première fois sur l’un des tableaux sera répété, déplacé, renversé de surface en surface (on pourrait dire sur plusieurs écrans). Les phrases de l’auteur sont elles-mêmes dans la boucle, « là où le programme m’avait placé », au même titre que des citations non identifiées ou des fragments de langages mathématique, politique, érotique, philosophique. Il s’agit donc de détacher tous les textes de leur point d’origine supposé et de les faire coller au seul rythme impersonnel de la machine qui, une fois mise en action, se débarrasse de tout : du récit, de la représentation, de l’auteur. Et ainsi, annule toute prétention de valeur supérieure, ce qui va produire selon Derrida, ce « zéro textuel  » pour tous. Jusqu’ici, le projet remplit donc bien le cahier des charges habituel de l’avant-garde. Les hiérarchies traditionnelles sont abandonnées par la réduction à la forme la plus simple – et donc la plus démocratique. Ce que confirmera Sollers dans Improvisations : «  j’invente une écriture qui peut passer à travers toutes les langues  ».

    Seulement, l’automatisme n’est libération que s’il se comprend lui-même comme automatisme. C’est à ce stade que l’on passe à la logique de l’informatique : lorsque les répétitions se détournent de leur simple répétition, lorsque le programme se comprend lui-même. Et se reprogramme en ayant intégré ce qui n’était pas encore intégré, ce qui résistait. Pour Catherine Malabou, qu’elles soient humaines ou non, les intelligences deviennent intelligentes lorsqu’elles regardent «  plusieurs côtés à la fois ». La présence d’un aléa, d’un élément qui diffère du programme habituel pousse le système vers un autre système. Il faut donc assurer les conditions d’un texte qui ne retombe pas sur ses pieds avec justesse mais souffre d’une instabilité. C’est pour cela que la reprogrammation de Sollers génère des allusions aux expériences susceptibles de sorties de routines, des conditions de déviation. Ce sont d’abord les thèmes récurrents de la rupture, de l’érotisme ou de la politique révolutionnaire. Thèmes revendiqués dans le versant théorique formulé par Tel Quel, qui doivent former un « avant/après », auquel s’ajoute un « dedans / dehors défini par la référence occasionnelle à d’autres cultures ». Et, en effet, une grande partie des chapitres de Nombres se terminent par des caractères chinois. Jean-Michel Lou, dans Corps d’enfance, corps chinois (cf. L’emprise des signes) a analysé leur fréquence de plus en plus importante et leur prolifération comme une contamination du roman – de son programme de départ, donc. Il a également montré que ces hiéroglyphes se partageaient entre des mots fréquents dans le registre taoïste et d’autres qui relevaient du confucianisme. À la déstabilisation de l’ouest par l’est clairement explicitée, se rejoue la tension entre ce qui correspond à une machinerie confucéenne bien réglée (mais qui peut devenir trop machinale) et un souffle taoïste qui vient animer la machine (au risque de la faire sortir de ses gonds).

    Nombres est une machine intelligente des années 60, rédigée juste avant mai 68, avant la Révolution Culturelle. Avant une critique virulente du collectif Change qui reprochera au programme porté par Sollers et la revue Tel Quel de ne pas avoir su passer à la vitesse supérieure sur le plan politique.

    La machine de Nombres peut être prise en main, comme on manipule un vieux Nokia que l’on comparerait aux modèles concurrents de l’époque et de la nôtre. On se contentera alors de quatre remarques… programmatiques.

    1) Si l’auteur expérimente à l’époque sincèrement l’abandon de sa représentation, et se transforme en interface-medium, on assiste bien à son retour quelques livres plus tard. Car le jeu cesse lorsque toute l’attention revient sur le medium, ce qui est assez inévitable avec le temps. On constate alors ce que l’on reproche aux intelligences artificielles : la machine n’a jamais produit qu’à partir des préjugés colportés lors de son apprentissage.

    2) L’œuvre de Sollers, ou ce que l’on peut appeler le sollersisme, est devenue un monde d’automatismes, pour ne pas dire de poncifs internes, où un personnage élu (peintre, écrivain, agent double…), seul être lucide dans un monde programmé, se voit soudainement pénétré par le texte, envahi par des phrases qui l’habitent et donnent sens à sa propre littérature, à sa propre existence. Tant pis pour les autres. Tant pis pour les œuvres qui ne sont pas fournies par le programme (Georges Perec, René Char…). Bref, pour ne pas laisser moisir le Nokia au fond du tiroir, il va bien falloir le reconditionner (c’est-à-dire le déprovincialiser).

    3) Plus généralement, la logique de la contamination est elle-même un automatisme fatigué. Elle est un prétexte dans les arts, pour le meilleur et pour le pire. Nous serions dans un monde de somnambules, de plus en plus prisonniers des nombres, des codes, des dispositifs. Par enchantement, l’œuvre d’art abandonnée à son propre débordement se laisserait porter par un courant imprévu qui pervertirait le code. Ce n’est pas cela qui va faire avancer le schmilblick comme aimait à le dire Sollers.

    4) Le commentaire de Derrida est peu lu, et cette lecture reste contrainte par l’idée de dissémination qui a pris le pas sur celle de germination, également présente. Une révision de la machine en machine naturelle semble appropriée en ce temps.

    Nombres débutait par un papier qui brûle, reprise d’une métaphore présente dans Drame, le livre précédent. Si nous devions faire entrer notre monde de 2023 dans la boucle, nous devrions commencer par intégrer tout ce qui flambe : poubelles dans les rues, voitures incendiées, forêts. Sinon, c’est le circuit qui crame.

    Jean-Luc Florin, diacritik, 5 septembre 2023