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Marcelin Pleynet, qui est, selon vous, Manet ?

D 26 mai 2015     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Manet, La Musique aux Tuileries, 1862.
Zoom : Cliquez l’image.



A l’occasion de l’exposition Manet qui eut lieu à Paris en 1983, Marcelin Pleynet parlait de la vie et de l’oeuvre du peintre.

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Cet extrait est tiré d’une émission du 8 juin 1983.

Les samedis de France Culture - Édouard Manet 1832-1883.

Par Jean Daive - Avec Philippe Lacoue-Labarthe (critique, philosophe, écrivain), Dominique Fourcade (écrivain), Marcelin Pleynet (écrivain, critique d’art), Jean-Pierre Bertrand (artiste peintre), Joerg Ortner (graveur, peintre), Jean-Michel Alberola (artiste), Constantin Byzantios (peintre), Isabelle Monod-Fontaine (conservatrice au musée Georges Pompidou) et Françoise Cachin (conservatrice au musée d’Orsay) - Lectures Jean Daive - Réalisation Pamela Doussaud

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Manet, Le déjeuner dans l’atelier, Portrait de Léon Leenhoff (1868).

Dans les ateliers de Manet (L’infini 117, hiver 2011), Marcelin Pleynet écrit : « J’ai déjà, à de nombreuses reprises, écrit sur Manet, notamment en 1994, lors d’une conférence « Le musée et les modernes », au musée de Picardie à Amiens (conférence reprise récemment avec le recueil de textes que les éditions Marciana et les éditions du Sandre ont publiés en 2010, sous le titre Comme la poésie la peinture...), puis en 2005, dans Le Savoir-vivre, roman (collection L’Infini, éditions Gallimard, 2006). Mais une fois de plus tout se passe, et s’est passé, comme si tout cela n’existait pas, les spécialistes se sont bien gardés d’aller y voir.
On peut toujours aller y voir, comme la plupart de mes livres ceux-là ne sont pas épuisés. »

Je suis allé y voir. Voici ce que Pleynet écrivait à propos de l’Olympia, dans cette conférence donnée le 30 mars 1994.

Le musée et les modernes

Marcelin Pleynet

[...] Qu’est ce qui pendant plus d’un siècle se discute dans les salons ? Qu’est-ce que la méditation de Manet dévoile qui semble à ce point intolérable ? Pourquoi, alors que finalement Manet présente son tableau au salon de 1865 sous le titre de Olympia, pourquoi s’employer à démontrer que le tableau n’a rien à faire avec son titre, pourquoi vouloir dissocier l’œuvre de ce qui lui donne titre ?
Le nom d’« Olympe », nous dit-on encore, était un surnom très répandu chez les courtisanes en cette fin de siècle... mais alors ne faut-il pas justement chercher aussi et sans autres préjugés ce que Manet entendait dévoiler par là ? Le surnom d’Olympe répandu alors chez les courtisanes exclut-il une référence à la Grèce et à la culture classique ? N’insiste-t-il pas plutôt sur cette référence ? Les prostituées sacrées n’accompagnaient-elles pas les fêtes de Dionysos et les festins orgiaques de Bacchus ? Chateaubriand nous dit qu’elles occupaient le temple de Vénus à Babylone.

Enfin, et ce n’est un secret pour personne, ce tableau de Manet est « nourri de la peinture des musées » et notamment de la Vénus d’Urbino de Titien, qui est une des plus giorgionesques Vénus de Titien (et dont Manet fit une copie en 1856). Mais que veut dire, ici (« nourri de la peinture des musées ») ? Que veut dire « nourri » ? Qu’est-ce que cela peut vouloir dire pour un peintre, et notamment pour Manet avec Olympia, sinon : « suivez mon regard »... suivez le regard de Manet tel qu’il indique où porte le sens de son œuvre ; tel qu’il indique qu’avec ce tableau, avec Olympia, se dévoile (littéralement aussi bien) et s’impose sur Vénus, sur la déesse de l’Amour, une pensée vraie, une vérité qui est aussi une liberté oubliée.

A-t-on remarqué que chez Manet, comme chez Titien, la Vénus est une Vénus pudique, une Vénus céleste, symbole d’Amour sacré ? Et comment ne pas supposer que c’est en cela justement que le regard de Manet traverse son modèle, traverse Victorine Meurent et, passant par la Vénus d’Urbino de Titien (entre autres), traverse un savoir oublié et nous engage à le suivre sans crainte au-delà, jusqu’à ce point où le savoir s’impose et fait événement, révolution : au sens strict du mot (« retour du temps »), présent dévoilé.

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Cézanne, Olympia moderne, 1ère version (1869-70).

Les peintres ne s’y sont pas trompés. Cézanne ne s’y est pas trompé, lui qui, quelques années plus tard, en 1869-1870, va réaliser, d’après Manet, deux versions de Une Moderne Olympia. Il se trouve à ce point impliqué par l’œuvre de Manet que, si je puis dire, il se projette dans le tableau et se représente en bas à droite de l’œuvre (comme un amant et comme un donateur). Gauguin, non moins impressionné, déclarera que « la peinture commence avec Manet » et réalise une copie de Olympia. Et si, comme bien souvent lorsqu’il est fortement impressionné, le premier mouvement de Picasso, en 1901, est une charge (une caricature où Olympia a la couleur de sa servante), il n’oubliera ni Olympia, ni les Moderne Olympia de Cézanne lorsqu’il travaillera aux Demoiselles d’Avignon.

Le dialogue, la forme même du dialogue entre le musée et les modernes s’engage et se trouve ainsi établi avec Olympia et avec un autre tableau que Manet peint la même année mais expose dès 1863 : Le Déjeuner sur l’herbe [1], où, comme avec l’Olympia, le regard de Manet nous engage à le suivre du côté des Vénitiens. N’est-ce pas cette fois le Concert champêtre [2], alors attribué à Giorgione, qui nous est indiqué ? Mais il ne faudrait pas que ces références plus ou moins explicites nous aveuglent... Encore une fois elles sont de l’ordre de ce que j’ai évoqué avec la formule : « Suivez mon regard. » Ne retrouve-t-on pas d’ailleurs cette même indication chez Cézanne qui se réclame lui aussi des Vénitiens bien qu’aucun de ses tableaux n’illustre aussi explicitement cette référence ?

En ce qui concerne Manet, c’est, selon moi, d’abord l’esthétique propre à l’art vénitien qui se trouve visé. Or nous savons que le néo-platonisme qui occupe les artistes italiens de la fin du XVe siècle et du début du XVIe siècle diffère sensiblement à Florence et à Venise.
À Florence, l’idéal du beau est le corps d’un jeune homme, sa technique le dessin et son véhicule la vue (le corps d’un adolescent, le dessin, l’œil).
À Venise, l’idéal de beauté est le corps d’une femme, son médium la couleur et son véhicule l’ouïe (le corps d’une femme, la couleur, la musique)...
N’est-ce pas ce que traverse le regard de Manet lorsqu’il nous engage à le suivre dans sa méditation de ce que l’art des musées oublie, et à retrouver la Vénus d’Urbino de Titien et le Concert champêtre, alors attribué à Giorgione et aujourd’hui à Titien ?
De ce point de vue, il faut relativiser et questionner ce qui tend à faire de l’histoire de la peinture « essentiellement celle d’une perception ». En effet, pourquoi ne pas rapprocher le propos que Mallarmé attribue à Manet : « "L’œil, une main..." que je resonge [3] », du titre que Claudel donnera à un ensemble d’essais sur l’art : l’Œil écoute ?

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Cézanne, Une moderne Olympia, 2ème version (1873).

Incontestablement, c’est de façon exemplaire que Manet médite le silence et dévoile l’oubli, la musique (La Musique aux Tuileries), qui habite la mémoire des musées... dévoile l’oubli qui habite ce musée qu’est la mémoire.
Attitude, geste qui de lui-même est musique, de cette musique savante dont Rimbaud dit qu’elle « manque à notre désir ». Geste qui, en conséquence, fait, pour suivre nos auteurs contemporains, qu’Olympia trouble, choque... traumatise, terrorise aussi bien par ce dévoilement harmonieux d’une liberté enfouie, d’un plus de liberté, c’est-à-dire d’un plus de vérité qui est toujours une vérité en trop.
N’est-ce pas aussi en cela qu’Olympia dégage, comme le souligne Valéry, « une horreur sacrée », qu’elle « s’impose et triomphe » ? Valéry n’écrit-il pas très symptomatiquement par ailleurs que « vouée au nu absolu, elle donne à rêver à tout ce qui se cache... » ? Pourquoi ne pas dire que l’œuvre de Manet dégage « une horreur sacrée » parce qu’en effet elle dévoile ce que le rêve aime à cacher ?

Marcelin Pleynet, Comme la poésie, la peinture, p. 91-94.


[2Ci-dessous.

Le Titien, Le concert champêtre, 1511-1512, 105x136,5 cm. Musée du Louvre. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

[3S. Mallarmé, « Quelques médaillons et portraits en pied », Œuvres complètes, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard.

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