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L’Ecole du Mystère : Citations & Extraits

D 3 février 2015     A par Viktor Kirtov - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


I - DE L’USAGE DES CITATIONS

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Dans « L’Ecole du Mystère » comme dans ses autres livres, Philippe Sollers use des citations, mais ce serait très réducteur de l’exprimer ainsi. Plus que des citations, en situation, Sollers aime les digressions qui restituent un univers, l’ l’environnement de ses citations Textes dans le texte. Intertextualité à l’œuvre. Ainsi :

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Récemment, un jésuite américain, pour contredire un biographe de Hitchcock, a publié ses souvenirs dans le Wall Street journal. Il raconte qu’il allait, à 22 ans, avec un autre jésuite plus âgé, rendre visite, le samedi après-midi, au cinéaste. À sa grande surprise, ce criminel endurci d’imagination leur demandait de célébrer la messe chez lui. Inutile de parler de cinéma, leur disait-il, il n’y a plus que des robots, allons à la messe. Vous voyez la scène, jamais évoquée par personne d’autre :

Sir Alfred Hitchcock, l’auteur de I Confess (La Loi du silence), à genoux, répondant « à l’ancienne », c’est-à-dire en latin, au prêtre. Pas du tout gâteux, avec toute sa tête remplie d’horreurs de cinéma, il pleurait. Une photo de l’époque montre Andy Warhol, autre catholique bizarre (enterrement solennel à Saint-Patrick, à New York), à genoux devant Hitchcock. Voilà deux saints méconnus du 20ème siècle, et d’ailleurs les derniers tableaux de Warhol, sur le modèle de Léonard de Vinci sont des « Cènes », Last Supper. Personne n’en parle, pas besoin de se demander pourquoi. Mystère de la foi. »

Il y a les citations « sourcées » et celles que l’auteur laisse découvrir à son lecteur. Ainsi, en tête du chapitre « OBSCENITE 2 » trouve-t-on :


« Dans la nouvelle science, fondée par l’Ecole du Mystère, chaque chose vient à son tour, telle est son excellence »

Enlevez la référence à L’Ecole du Mystère, il s’agit d’une citation de Lautréamont dans Les Chants de Maldoror (Poésies 2). Il est vrai que concernant cet auteur, Sollers avait fait le pari de citer intégralement les Poésies de Lautréamont dans ses propres livres, à l’insu ou non de ses lecteurs. « C’est maintenant chose faite, et cela passe très bien. » déclarait-il à la revue Pylône, le 2 décembre 2003. (Plus ici...). Sollers récidive dans L’Ecole du Mystère.

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II - SOLLERS ET LA SCIENCE


Deux chapitres de L’Ecole du Mystère sont consacrées à la science : Y et MUSE.
Ceci correspond à un domaine d’intérêt constant de Sollers. Remettez-vous en mémoire le sous titre de sa revue L’INFINI. : Littérature/ Philosophie/ Art/ Science/ Politique. La science y figure à part entière. Le biopouvoir que la biologie et la génétique aujourd’hui permettent est au premier rang de ses préoccupations et sa réflexion.(cf. Y – entendre le chromosome Y). Quant à MUSE, il ne s’agit pas de celle du poète mais du télescope géant du Chili (Multi Unit Spectroscopie Explorer). L’exploration du cosmos le fascine, nous aussi.

MUSE a été installé en mars 2014 sur le Très Grand Télescope (VLT) européen de Paranal au nord du Chili. « Muse constitue aujourd’hui une fantastique machine à remonter le temps destiné à sonder l’Univers primordial » (Roland Bacon, Centre de Recherche Astrophysique de Lyon).
Crédit : www.sciencesetavenir.fr/espace/

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EXTRAIT DE Y

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Bio Pouvoir
[…] Si l’on en croit l’australienne Jenny Graves, le chromosome Y devrait disparaître dans 5 millons d’années. Le chromosome X est, pour elle, « intelligent et sexy ». Écoutons cette généticienne, reconnue, mais controversée :

« Les gènes du X ont joué un rôle important dans l’évolution rapide de l’espèce humaine. De son côté, le y humain est devenu un chromosome pathétiquement petit : il a perdu la plupart de ses gènes, hormis le gène de détermination du sexe mâle. Il se dégrade très vite et pourrait bien avoir entièrement disparu dans les prochains millions d’années, avec des conséquences inconnues pour notre espèce. »

Jenny me fait peur, d’autant plus que je ne suis pas du tout sûr d’être encore là dans quelques millions d’années. Heureusement, le Y a ses défenseurs et même ses défenseuses. La bataille scientifique se poursuit.

Le chromosome Y est voué à disparaître, soit, et le spermatozoïde décline, de moins bonne qualité, et en baisse significative. Donc il vaut plus cher. Des donneurs sourcilleux perturbent le trafic, traitent leurs giclures comme des pierres précieuses et ils n’ont pas tort : sans ces gisements encore très nombreux, une crise éclaterait en matière première. Une rumeur, peut-être mal fondée, prétend que des stocks massifs de spermatozoïdes congelés sont entreposés dans des banques. On pourrait les réveiller en cas d’inflation d’ovocytes, ce qui est plausible. Les donneurs doivent, au préalable, renoncer à leurs droits de suite, mais cette précaution d’entassement provient justement de la raréfaction du nombre de donneurs. Ils viennent moins gicler, malgré l’augmentation des prix, et la qualité n’est plus ce qu’elle était. Les étudiants, jadis, étaient très actifs, ils le sont de moins en moins, tout se perd.

En tant que donneur exceptionnel, j’avais demandé que ma substance ne soit utilisée que pour une réceptrice qui pourrait réciter par cœur un paragraphe d’un de mes livres. J’ai fait réviser cette clause, trop difficile. Désormais, deux lignes suffiront.

Exemple : Je me suis retrouvé un jour, en été, très tôt, dans le temple d’Athéna, à Égine, et il y a eu, soudain, un coup de tonnerre dans le ciel bleu : reçu.

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III - SOLLERS LINGUISTE

De ci, de là, le Sollers amoureux de la langue, nous fait partager ses découvertes ou connaissances sur l’éthymologie ou la simple musicalité d’un mot, d’une expression et les associations d’idées qu’elles génèrent chez lui. Occasion d’ouvrir une nouvelle digression. Personnellement, j’aime bien ces opportunités de découvrir le mystère des mots.

In MESSE :

[…] Du même mouvement, dans un ciboire d’or, ce vin blanc se transforme en sang. On passe du jaune au rouge, on brandit ce miracle incompréhensible et scandaleux, on le boit, on s’agenouille, on se relève, et là, selon le pays où on se trouve, on psalmodie : « Mystère de la foi. »)

« Mistero della fede  », en italien, est plus musical. Même. chose pour les prières : «  fra le donne » est plus convaincant que « entre toutes les femmes », et « frutto del tuoseno », beaucoup plus fruité que « fruit de nos entrailles ». Qui a envie de naître dans les « entrailles » ? Personne. Alors que se retrouver dans un sein, c’est bien.

*

In TOMBEAU

[…] j’aime que Voltaire ait écrit, à la fin d’une de ses lettres : « On a voulu m’enterrer, mais j’ai esquivé. Bonsoir. »

Vous aimez les penseurs, vous n’avez pas besoin de parler grec, latin, hébreu, allemand ou chinois. Vous êtes de l’avis de Spinoza pour qui tout ce qui est beau est difficile autant que rare, difficile pour lui, mais facile pour vous. Le vrai éclate dans la splendeur du beau. Si c’est laid, c’est faux. Vous admirez le courage de Spinoza dans son temps obscur, mais vous ne partagez pas la devise de son sceau « Caute  », prudence. Vous n’avez plus besoin aujourd’hui, quand tout va à la dérive, d’être cauteleux. Au contraire, tout vous sourit, de l’audace, encore de l’audace. En revanche, vous approuvez la proposition suivante : « La fausseté consiste en une privation de connaissance qu’enveloppent des idées inadéquates, autrement dit mutilées et confuses. »

Au mot « Caute  », prudence, Sollers aurait aussi pu associer le « Caution  » anglais (qu’il ne faut pas confondre avec « cochonne ».)

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IV - LES PERSONNAGES : FANNY & MANON

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Extrait d’une édition des Chants de Maldoror illustrés par Magritte

FANNY

Je la connais depuis trois ans, elle est ma récusation radicale et constante. Mystère de l’amour : je l’aime, et elle aime me contredire à chaque instant. Oh, en douceur, bien sûr, pas, ou peu, de grandes scènes violentes. C’est l’eau, la puissance de l’eau sur la pierre que je suis. Évitez tout de suite les clichés psychanalytiques : je ne me plains pas, j’étudie. Elle se recharge en s’opposant, et c’est moi qui, tout à coup, devient l’eau et elle la pierre. C’est très intéressant et très amusant. L’immémorial problème homme/femme, guerre des sexes, etc., change d’enjeu, de couleur. Il y a du nouveau sous le soleil noir de la matière noire. Je travaille au noir, c’est cher, mais splendidement gratuit.

J’apprends à ne pas être d’un seul côté, mais aussi de l’autre. j’appelle « Fanny » la partenaire de cette liaison expérimentale, mais en réalité elle n’est personne en particulier, c’est un condensé de rencontres. Je ne suis pas de mon temps, je ne fais pas de portraits sociiaux.
Que Fanny soit grande, moyenne, petite, blonde, brune, châtain, que ses yeux soient bleus ou bruns, qu’elle ait 22 ans, 32 ans, 42 ans, 52 ans, qu’elle soit jolie ou non, cultivée ou pas, intelligente ou idiote, qu’elle occupe une situation haut placée ou en bas de l’échelle, peu importe. C’est son opposition génétique à mon égard qui compte. « Fanny » pourrait être aussi un grand nombre de mes amis, leur jalousie spontanée s’en occupe. Ils deviennent vite des femmes à mon contact, Dieu sait pourquoi, ils se renfrognent et se bloquent. Ils n’ont pas la foi.

Fanny, d’une façon ou d’une autre, directe ou indirecte, me fait sans cesse la morale. je l’agace, je l’énerve, je l’exaspère, je la gêne, je suis de trop. Le mystère de ma foi m’échappe, mais elle le perçoit mieux que moi. À l’envers, bien sûr, mais de plein fouet, comme une anomalie insupportable. Je suis trop ceci, trop cela, pas assez ceci, pas assez cela. Je n’aime pas l’humanité, les gens, la vraie vie, les divertissements, le faux temps banal. Je lis un livre devant Fanny, elle me fait la tête. Je sors avec Fanny, et elle se met aussitôt à raconter aux autres certains de mes comportements ridicules ou propos insensés plus ou moins inventés. Pour annuler Fanny, je me mets à boire. Je bois rarement quand elle n’est pas là.

Fanny s’ennuie avec moi. Elle me reproche de ne pas aller au cinéma, de ne pas lire de romans américains, de ne pas avoir envie de visiter des expositions, d’être insensible à la poésie telle qu’elle la ressent, de rester sourd aux animaux, de ne pas suivre la vie sentimentale des stars et de leurs enfants. Elle me trouve arrogant, méprisant, désinvolte. Sa mère prend la parole dans sa voix. Mes amis aussi sont bizarres : ils se crispent soudain, maman est là.

J’aimerais assez que toutes mes Fanny écrivent, à mon sujet, leurs Mémoires. Mais, j’en suis sûr, aucune d’elles, aucun d’eux, n’en aura ni la capacité ni l’envie. Encore lui ? Ça suffit ! Rien à dire. Un souvenir quand même, une anecdote significative ? Ah non, j’ai oublié, aucun intérêt. Tout est mieux comme ça : je m’efface. J’ai pris l’habitude, depuis longtemps, d’exister comme si je n’existais pas. Même pas besoin de mourir, c’est commode.

*

In CRITIQUES :

Il n’y a qu’une Manon, mais des milliers de Fanny ont remplacé la littérature et la pensée par la morale, encore la morale, toujours la morale. Il arrive qu’une Fanny journaliste me poursuive de son animosité. Elle glisse des messages à peine codés dans ses articles, et, parfois, quand elle pense le moment venu, elle attaque à découvert. J’ai fait mon temps, j’ai disparu de mon vivant, et qui va s’en plaindre ? Je n’étais que vanité satisfaite, suffisance boursouflée, virus surestimé, diplodocus, minus. Pauvre Fanny, ça la soulage.
*

In DIEUX :

Un Fanny-homme n’est pas exactement une Fanny-femme mais, finalement, c’est tout comme. Il est susceptible, coquet, funambule, sophistiqué. Il ne se prend pas pour rien, et un rien le blesse. Le mot « cuistre » lui convient souvent, tant il aime étaler ses fausses connaissances, souvent récemment acquises sur Internet. Il n’est pas forcément efféminé, il peut se montrer abrupt, tranchant, viril, agressif, sûr de lui, même quand il se trompe, avant de laisser apparaître sa fragilité secrète de Fanny, sa mélancolie, sa sentimentalité gluante, son cœur romantique. Une Fanny est féministe, un Fanny se prend souvent pour un militant gay. Un Fanny-homme ne s’aperçoit que par moments qu’Il existe des Fanny-femmes, quand il peut s’identifier à l’une d’elles qui s’identifie à lui, espèce, en somme, assez courante. Il aime bien les folles, il s’y reconnaît, il publie des mauvais poèmes, des romans ratés.
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MANON

Bref, ici comme ailleurs, vous suivez l’École du Mystère, commencée dès votre enfance. Vous devez beaucoup, davantage que vous ne l’avez jamais dit, à votre sœur, Manon, cette petite salope sublime. Vos jeux avec elle avaient lieu au fond du grand jardin, en début d’aprèsmidi, dans la petite baraque en bois des jardiniers, sous les arbres. C’est là qu’ils rangeaient leur matériel, brouettes, bêches, pelles, râteaux, arrosoirs, seaux, bassines, tourniquets (ah, les tourniquets sur l’herbe du soir !). Sombre endroit plein d’odeurs, noir mystère. Le code entre nous était strict : M., Ma, devait arriver la première, et m’attendre dans l’obscurité vibrante. Après quoi, d’emblée, une bonne demi-heure de caresses, toujours sur le même thème : elle me débarrasse, pour mon bien, de cet organe parasitaire et gênant. C’est affreux, dégoûtant, excitant, infernal, paradisiaque, contre-poison futur pour tous les poisons Fanny.

On a continué, ma sœur et moi, à Paris. Elle a 2 ans de plus que moi, elle s’est mariée, a eu 2 enfants et on s’est retrouvés comme si de rien n’était. On a repris, en secret, nos fêtes. Quoi, vous croyez que j’invente, que notre liaison sans « pénétration » est restée en surface ? Laissez-moi rire, vous n’avez jamais connu un corps-sœur. Manon ! Ma ! Manou ! Mana ! Mano ! Mani ! Manée ! Musique ! Personne n’est au courant, on invente une pureté nouvelle dans l’obscénité, le moindre mot est important, son inflexion, son accent, « ce sera délicieux », dit-elle, et le désir immédiat est là. Il est clair que tous les personnages du dehors ne se sont jamais rien dit. On se venge des tribus, des clans, des familles, et de toute la société avec eux. Elle venge les femmes, je venge les hommes.

[…]

La Vérité est une merveilleuse hypocrite, une menteuse de génie. Elle connaît ses enfants, et les place, le plus tôt possible, à l’École du Mystère. Ils sont renvoyés s’ils ne font pas de progrès. Les examens sont sérieux, les bonnes notes rares, mais le plus demeuré, pourvu qu’il soit attentif, peut emporter le morceau, décrocher un 20 sur 20 dans un rire. Le rire de Manon ! « Les Muses ne rient bien que branlées », a dit, en français. un médecin spécialiste. Il a eu des ennuis dans sa clinique, avant de devenir un grand écrivain. Manon est une Muse.

[…]

La vicieuse cruauté de Manon est indubitable, mais elle ne ferait pas de mal à une mouche, son horreur de toute brutalité réelle est palpable, même si elle est capable de dire des horreurs. En dehors des séances incestueuses avec moi, c’est la netteté et l’honnêteté de sa nature qui ressortent. Bref, c’est quelqu’un de très bien, puisqu’elle identifie instinctivement le mal, Les Fanny parlent du bien, en n’arrêtant pas de faire le mal. Manon est protégée du mal par le mal.

Vous ne me croirez peut-être pas (aucune importance), mais toutes ces aventures fantasmées sont d’une grande douceur. Qui a dit : « Nous autres, oiseaux nés libres ! Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous » - et aussi : « Nous, dont la tâche est de rester éveillés »  ? Ah oui, un des auteurs préférés de Manon, Nietzsche. Mystère de l’Éternel Retour, mystère du soleil.

Avant de commencer, on s’embrasse beaucoup, et à fond. Elle sait que je l’adore, et son « oui » comme son rire après avoir joui illuminent l’ombre. Aucune lassitude, aucune usure. On peut dire qu’il s’agit d’amour.

[…]

Et beaucoup plus loin dans un autre chapitre,

*

in FUMEE :

J’attends Manon, ma sœur extraterrestre, elle va venir dans une heure. Il neige beaucoup, les rues sont boueuses, les trottoirs verglacés et glissants. Manon, c’est le beau temps en plein hiver, le soleil sous la pluie, la chaleur sous le froid coupant, la gaieté fanatique quoi qu’il arrive. On est des professionnels de la désintégration de l’actualité, comme du crépitement médiatique. Ça s’entasse, ça passe, ça disparaît, le néant est sans cesse là en direct. Manon sonne, elle entre, on s’embrasse comme si on ne s’était jamais embrassés, la journée est gagnée.

C’est chaque fois la première fois, c’est la répétition qui invente. La vie est un mauvais roman qu’il faut transformer en roman, scansion, rythmes, rimes intimes. Vivre « par cœur », c’est réciter ce roman, monde toujours beau, toujours divers, toujours nouveau, Votre partenaire vous suit ou vous précède dans un délire parallèle. Mes romans, je m’en rends compte, sont vocalisés. Je les oublie, bien sûr, mais il suffit que j’en ouvre un, au hasard, n’importe lequel, pour me retrouver en train de l’écrire. Je l’écoute, comme je l’entendais en silence, tout près, très loin. Manon et moi, on est loin.

Il arrive à Picasso de dire des choses comme ça (il exagère) :
« Pour moi tout est important. Je ne fais pas de différence entre occupations importantes et sans importance. Ce qui en sort est souvent un hasard. Parfois je pars d’une allumette, et ça donne une sculpture monumentale. »
Une photo, prise par lui à Barcelone, prouve que sœur andalouse, Lola, était une beauté.

[…]

*

In NERVURE

Luisa, comme Manon, est dans la nervure des choses.
C’est un don enfantin, végétal, ramifié, une circulation invisible de sève. Elles sont toujours jeunes, « naturelles » ; pas de produits de beauté, une touche de parfum, propreté, linge frais, rire, peau mangeable. Ce sont des paysannes des temps anciens, Luisa, chance de la vertu, Manon, intelligence du vice. Elles n’ont aucun doute sur la nécessité de la vie. Elles me disent oui, et je leur dis oui.

La nervure consiste à savoir se déplacer à travers les cinq sens. Le mouvement d’abord : se faufiler, se glisser, s’éclipser, devenir invisible (en se montrant parfois à l’excès), faire volte-face, tourner casaque, déserter, mentir (Manon est une spécialiste). Marcher souvent pieds nus dans le noir, écouter les murs, les parquets, les tapis, les dallages. Choisir des angles de vue selon les couleurs, toucher du bois, discerner des odeurs, saisir des parfums de femmes dans le cou ou derrière les oreilles. Éprouver en profondeur la toile, le coton, la soie, les feuilles, les galets, le velours. Écouter, du plus près possible, la main gauche d’un grand pianiste (celle de Friedrich GuIda, par exemple, dans Le Clavier bien tempéré). Entrer dans le noir nocturne des arbres, pour mieux voir leur vert des matins d’été : Être assis négligemment au bord de la fosse qu’on a fait creuser pour vous enterrer, et, là, surprise dans le film, allumer une cigarette. Être somnambule très tôt, noter ses rêves, s’endormir n’importe où en trois minutes, être sourd quand il faut, mais rester attentif au moindre changement d’accent dans les mots. Être familier de toutes les fenêtres et de toutes les portes. Garder son enfance au bout des doigts, surtout, mystère de la foi.

*

In SOCIETE

Manon habite aujourd’hui Londres, et vient à Paris environ deux fois par mois. Pas un mot de son mari qui est quelque chose dans la banque (il doit dire parfois que sa femme a comme frère un « French writer »), ni de ses deux enfants, rien, silence technique. Pas un mot non plus de mon côté, seules les séances comptent, toujours les mêmes, pas toujours les mêmes. J’ai mis un certain temps à comprendre cette formule du penseur : « Ce qui est toujours le Même dépayse et libère. » C’est exactement ça. Je m’aperçois que toutes les femmes que j’ai aimées sont devenues plus ou moins des sœurs. Ce sont des approches de Manon, Manon 2, Manon 3, Manon 4, Manon 5, Manon 6. Ainsi pour Sophie, Maud, Nelly, Minna, Lucie. Une vie quantique.

[...]

On a toujours aimé se cacher, Manon et moi, et on continue de plus belle. La Nature aime à se cacher, de même que les vices enfantins qui résistent à tous les dressages. Heureux les enfants vicieux, sournois, dérobés, intenses ! Heureux ceux qui préservent leur intelligence de l’insouciance ! Vive leurs caresses poivrées ! Le temps les traverse et ne les noie pas. Ils restent frais comme des mouettes rieuses dans l’espace. Ils sont très coupables. Ils connaissent la haine inévitable dont ils sont l’objet.

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LIENS

Crédits :
Gallimard
Site de l’auteur

Voir aussi :
L’Ecole du mystère. Un roman très singulier / premiers échos
Une rencontre avec Philippe Sollers/ Entretien avec la Revue Transfuge
L’École du Mystère, un film de G.K.Galabov et Sophie Zhang

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