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François Meyronnis, Proclamation sur la vraie crise mondiale

Trois questions à François Meyronnis

D 9 septembre 2014     A par Albert Gauvin - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



La crise financière de l’automne 2008 sonne le glas de l’illusion libérale et si une autre crise survenait, vu le degré d’endettement des États, on assisterait à un effondrement sans précédent. Cette situation critique met en joue la planète. Encore faut-il la comprendre dans toute son ampleur. Voilà ce que tente Proclamation sur la vraie crise mondiale. Partant du lien, observable depuis les années 80 du XXe siècle, entre mondialisation des échanges, arrivée dans l’ère numérique et emprise financière, on fait apparaître une figure nouvelle : celle du "capitalisme intégré", qui doit plus à la cybernétique qu’aux doctrines libérales. Notre monde s’avère désormais satellisé par le virtuel, transformé par lui en profondeur. Les mouvements de capitaux, réduits à des impulsions électroniques, traversent les continents en quelques nanosecondes. L’argent se fait léger, aérien, furtif. Hors sol il circule dans les paradis fiscaux, comme une richesse négative — une antimatière.
Aucun territoire ne le fixe, aucune loi ne le contrôle : c’est lui maintenant qui régit les régulateurs. Dès lors la mise à sac s’approfondit. On fait voir les ressorts cachés de la gestion économique, comment elle aboutit partout au ravage, et on en examine les conséquences au niveau planétaire, avec un monde voué à la dévastation ; au niveau de l’Europe, dont la prétendue "construction" menace ruine ; enfin au niveau de la France, où un parti extrémiste utilise à son profit peur, honte, colère et désarroi. On tente ici une analyse politique du pays, et on se demande si la protestation suffit aux gens : s’ils ne sont pas suffisamment malheureux pour ne plus craindre d’approfondir le malheur — dans l’idée de se venger de l’oligarchie. En attendant, le calcul cybernétique devient la mesure de toute chose, et non plus l’homme, comme le croyait Protagoras. Voilà peut-être la "vraie crise mondiale" — la manière inéluctable dont s’efface le figure de l’"Homme".

François Meyronnis n’appartient pas au cercle des économistes, ni à celui des idéologues, il est écrivain, c’est-à-dire — attentif aux signes.

Éditions Les liens qui libèrent

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Dédicace

A mes amis de Ligne de risque.

Exergues

« Le messie viendra quand il n’y aura plus un sou en poche »
Rabbi Nahman de Braslav
« Rien n’est plus convoité, halluciné que la richesse : personne n’a le droit de dire le contraire. Et surtout pas un philosophe. Mais rien non plus n’est plus haï. Ce n’est pas du Capital que je parle ni des individus qui l’instrumentalisent — ou le brûlent ; ceux qui manipulent l’argent sont fondamentalement aimés. On fait semblant de les haïr mais au fond on les aime. On les jalouse, c’est tout. »
Philippe Sollers

Extraits lus par François Meyronnis

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Les premières pages du livre

Une crise traverse le monde et décide de presque tout sur cette planète. Nos corps sont pris en otage, nos consciences moulinées dans la confusion. Millionnaires comme trimardeurs, nous sommes tous coffrés dans l’invivable : il est vrai, pas de la même manière. En écrivant ce livre, avec la prose la plus glacée — aussi froide et glacée que le dernier cercle de L’Enfer de Dante —, j’ai voulu comprendre de quelle logique imprévue procède cette nouvelle forme d’enfermement. Car même si je sais qu’on l’appelle le plus souvent « économie », cette dénomination ne me satisfait pas. Sous l’habillage d’une science, un esprit aguerri reconnaît assez facilement un avatar du discours du manche — et ce discours, en général, a pour but qu’on se conforme ; certainement pas qu’on réfléchisse. Il ne se signale ni par son intelligence ni par une teneur quelconque en vérité : simple agent de maîtrise, ce n’est donc pas en raison du savoir qu’il porte qu’on le diffuse dans les populations, mais bien parce qu’il cautionne des directives. On le propage — on le dissémine — du seul fait qu’il fournit à la domination une syntaxe.
Seulement, ce qui arrive aujourd’hui à la domination, il ne permet pas de le comprendre. Il le recouvre, au contraire. De même qu’il obscurcit la véritable nature de la « crise ».
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La domination elle-même se concrétise sous l’aspect de cette « crise » — ayant à voir désormais avec une décision incessante d’approfondir la mise à sac de la planète, afin de créer continuellement de la valeur chiffrée. Dès ce moment, il ne s’agit plus d’« administrer la maison », comme l’indiquait l’étymologie du mot « économie » ; mais, ne prenant en vue que la seule gestion, d’accepter par là de ne plus gérer que la ruine.
Or, ceux qui décident ont accepté cela. Pour les principaux mandataires des oligarchies, il n’existe pas d’autre certitude que celle de la valeur chiffrée.
Et la « maison » elle-même devient alors un moment de cette ruine — c’est-à-dire un moyen de produire une valorisation du chiffre. Pour « administrer la maison », on va donc la détruire de fond en comble ; ne pas cesser de la détruire : c’est cela la vraie crise mondiale — une inversion monstrueuse que l’économiste Joseph Schumpeter désignera sous le nom, à ses yeux flatteur, de « destruction créatrice ».
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Celui qui écrit ces lignes n’est qu’un écrivain : sa parole n’a donc aucune autorité ; mais il est attentif aux signes délaissés par les autres ; ou, du moins, les envisage-t-il sous un angle inattendu. Disons-le franchement : il mise sur l’effondrement de toutes les cotes. Surtout il est conséquent, ne craignant pas de l’être jusqu’au bout, et cela sans que sa tête éclate en morceaux.
Ne l’intéresse au fond que l’« immense opulence inquestionnable », débusquée aussi dans les « mathématiques sévères » de la finance, dont les rudes leçons filtrent dans son coeur, comme dirait Lautréamont, une « onde rafraîchissante ».
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Trois questions à François Meyronnis

1. Qu’est-ce que le capitalisme intégré ?

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2. En quoi la crise de 2008 a-t-elle révélé les fragilités de l’Europe ?

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3. Comment la classe politique française est mise en échec par la fragilisation de l’Europe ?

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Les carnets de l’économie

France Culture, 10 au 13 novembre 2014.

1. L’écrivain face au discours économique

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2. Qu’est-ce que le capitalisme intégré ?

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3. L’écrivain et le mot "crise"

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4. Le projet européen à la lumière de la crise

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Meyronnis au Sélect à Paris.

Quand un écrivain parle économie et finance

par Bernard-Henri Lévy

C’est un livre court (à peine 100 pages). Publié par un petit éditeur (Les liens qui libèrent). Disponible (dans les bonnes librairies) depuis la fin de l’été. Et dont aucun journal ni magazine n’a, à ma connaissance, encore rendu compte.

Or ce livre, signé François Meyronnis et intitulé « Proclamation sur la vraie crise mondiale », est certainement le meilleur texte disponible pour qui veut saisir les mécanismes et les rouages de ce « capitalisme intégré » qui a renvoyé dos à dos, pulvérisé et, finalement, avalé ces deux modèles longtemps présentés comme antagoniques qu’étaient les modèles « rhénan » et « anglo-saxon ».

Il développe, en vérité, cinq intuitions principales.

1. Pendant que l’Opep s’agite, que Poutine se plaint et que l’Europe pavoise, pendant que la planète entière continue de jouer à la vieille guerre où l’on feint de se demander ce qui du pétrole, du gaz, des schistes divers et variés ou du nucléaire sous drones est la bonne énergie de demain, le capitalisme intégré ne s’intéresse, depuis belle lurette, qu’à une matière première et une seule : le « data » ; la « donnée » ; toute cette part des corps et des désirs qui est, non seulement chiffrable, mais traçable et qui, faisant du parc humain un champ d’exploitation et de stockage d’informations sans limite, constitue la plus riche richesse des nations.

2. Tandis que, dans les instance régionales, nationales et mondiales de pouvoir, s’affrontent les tenants plus ou moins orthodoxes de la gestion de ladite richesse, tandis que, chez nous par exemple, en Europe, fait rage la querelle de l’austérité et que s’opposent les partisans du quantitative easing et ceux de l’ajustement de la masse monétaire au volume des autres richesses, une réalité s’impose : le règne de la dette ; la transformation du monde en un labyrinthe de dettes entrelacées ou, mieux, en une pyramide de Ponzi dont le gigantisme doit faire pâlir d’envie tous les Madoff de la terre ; et, comme on le voit, notamment, dans les relations des Etats-Unis et de la Chine, comme on le comprend à travers la façon qu’ont ceux-ci de ne pouvoir continuer de produire qu’en permettant à ceux-là de continuer de vivre à crédit, la conversion de la dette en moyen de paiement et, donc, en actif, en avoir -– pour ne pas dire en levier.

3. Tandis que s’empoignent les acteurs des luttes à l’ancienne, tandis que gauche et droite, syndicats et patronat, font mine de disputer des moins mauvaises manières de redistribuer le patrimoine mondial de l’humanité, voici un troisième glissement dont on a vu paraître les effets au moment de l’éclatement de la bulle des subprimes : les exploités ne sont plus des exploités, mais les agents et suppôts de la Dette ; les humbles ne sont plus la part la plus fragile de la société, mais la base de la pyramide ; le labyrinthe étant sans fin ni fond, les pauvres ne sont plus des indigents mais une richesse, une denrée de choix, le capital le plus précieux, la bonne affaire du siècle, l’aubaine de maître Ponzi –- insulte, non seulement à l’éthique, mais au principe de réalité et au bon sens.

4. Temps long ? Temps court ? Les patience et longueur de temps des réformateurs prudents et avisés -– ou le choix de la grande politique et de ses gestes de rupture ? Ni l’un ni l’autre, dit Meyronnis. Fini le temps du temps qui décidait de son rythme et de son allure. Fini le rêve de ceux qui prétendaient, suprême luxe, donner du temps au temps. A l’âge de l’argent sans matière ou devenu antimatière, à la lumière d’un monde dont la loi n’est plus celle de l’offre et de la demande mais de la dette généralisée, dans ce capitalisme mondialisé et pour ainsi dire réticulaire où le maître est devenu, comme le disait naguère certaine « Barbarie à visage humain » [1], un autre nom du monde, il n’y a plus qu’un temps : ce nano-temps de la nano-seconde qui suffit aux opérateurs du marché pour vendre, acheter, c’est-à-dire toujours « liquider », des biens réduits à des « positions ».

5. La crise ? La prochaine crise de ce système en proie à tous les vertiges ? Inévitable, bien entendu. Mais avec deux singularités par rapport à ce que nous avons connu. Le fait d’abord que les Etats, s’étant surendettés pour, en 2008, effacer l’ardoise des autres acteurs d’une économie en déroute et ayant plongé, tête la première, dans ce leurre de la dette folle, ne seront plus là, cette fois, comme prêteurs ultimes, recours, parapet face au gouffre – le fait que les Etats, en d’autres termes, seront peut-être les premiers à être aspirés par le cyclone et le trou noir. Et puis le fait ensuite que cette somme sans reste qu’est le capitalisme sans frontières, ce « Tout flanqué du Rien » qu’annonçait déjà le Maharal de Prague cité par Meyronnis, ne laisse plus aucune partie du monde échapper à son ravage – et que nul, donc, nulle part, ne sortira indemne de la secousse à venir.

Ce beau livre, avec ses références à Lao-tseu et à la grande pensée juive, avec sa méditation sur une Acropole où ne s’entend plus même l’écho du « peuple des poètes et des penseurs », n’est pas un manuel d’économie mais, on l’aura compris, un manifeste d’écrivain.

C’est un livre qui n’explique, par exemple, la montée des populismes en Europe qu’à travers la théorie spinoziste des passions tristes ou la décision américaine, sous Nixon, de désamarrer le dollar de toute forme de sous- jacent et d’en faire ainsi un signe créé à partir de rien et gagé sur le néant, qu’à partir de telle réflexion de Dante sur Philippe le Bel trichant sur l’aloi d’or contenu dans sa monnaie.
Raison pour laquelle il en dit, sur le désastre en cours, infiniment plus long que les prétendus savants d’une économie qui, à l’image de son objet, n’a plus depuis longtemps que la consistance des ombres.

Bernard-Henri Lévy, La Règle du jeu.

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5 Messages

  • TOULON | 3 mai 2015 - 15:54 1

    Je liste ce livre de François Meyronnis "Proclamation sur la vraie crise mondiale" parmi mes prochaines lectures, du moins parmi ce qui mérite d’être lu avec attention d’après l’introduction, les commentaires et analyses ci-dessus (sur ce site). Il me semble qu’il s’inscrit dans la continuité des analyses de Hugo Assmann et Franz J.Hinkelammert "L’Idolâtrie de marché. Critique théologique de l’économie de marché" au Edition du Cerf. Jean-Claude Guillebaud dans son livre "La force de conviction" y reprend un extrait que je reproduis ici car il résume bien, me semble-t’il, toute la problématique de l’économie actuelle même si des alternatives existent http://ecodistributive.chez-alice.fr/?page=argumentaire.
    "Les dieux de l’économie sont des dieux évidents. Si évidents dans leur caractère de dieux réels et véritables que généralement il ne nous vient pas à l’esprit de les qualifier de "faux". Ce sont des dieux trop véritables pour être facilement remis en question. Leur identité se cache dans le fonctionnement de l’économie. Ce sont des dieux si évidents et si vrais que leur présence ne se remarque pas. Personne ne les a vus marcher dans la rue, mais il sont dans la rue, dans les maisons, et surtout dans le commerce et toutes les institutions économiques. Ce sont des dieux qui se possèdent, auxquels on peut rendre un culte, de la façon la plus naturelle. L’économie, dans le fond, consiste en cela : la naturalisation de l’histoire. Il s’agit de faire apparaître comme naturel ce qui est le produit historique de l’action humaine. (...)
    Dénoncer des dieux trop apparents, parler d’idolâtrie sur le terrain de l’économie (comme sur d’autres terrains), c’est dissiper l’évidence. C’est mettre en lumière ces dieux-là afin que tous puissent percevoir enfin la fonction qu’ils remplissent dans le système d’oppression. C’est quelque chose de bien plus sérieux que de se déclarer athée. Être anti-idolâtre signifie montrer que les idoles sont violentes et cruelles. Cela suppose que l’on porte de l’intérêt à ceux qui sont victimes des violences et des cruautés pratiquées au nom des idoles. Mais c’est aussi supposer que tout cela n’intéresse en aucune façon ceux qui sont protégés par les idoles, ceux qui les créent à leur image et ressemblance et qui, pour cela même, ont tant besoin d’elles. Les idolâtres se sentent menacés dans leur pouvoir lorsqu’on dénonce leurs idoles. C’est alors qu’ils contre-attaquent. Ils vont même jusqu’à dire que ceux qui combattent leurs idoles ne sont que de dangereux athées. Bien sûr qu’ils sont "athées", mais "athées" par rapport à ces idoles, rien de plus."


  • A.G. | 7 janvier 2015 - 15:24 2

    « Le "capitalisme intégré" est une économie dont le lieu n’est pas sur terre », entretien avec François Meyronnis.


  • A.G. | 10 décembre 2014 - 23:54 3

    Quand un écrivain parle économie et finance par Bernard-Henri Lévy. Lire ici.


  • A.G. | 11 novembre 2014 - 14:09 4

    France Culture. Les Carnets de l’économie reçoivent cette semaine François Meyronnis, écrivain, essayiste et co-animateur de la revue Ligne de risque, et auteur de "Proclamation sur la vraie crise mondiale", éditions Les liens qui libèrent. Écoutez.


  • A.G. | 20 septembre 2014 - 09:15 5

    Première critique...

    Le Nouvel Observateur, 18 septembre 2014. Zoom : cliquer sur l’image. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.