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Tandis qu’elle agonise, Thérèse mon amour

Isabelle Huppert et Julia Kristeva, France Culture, 17 mars 2014

D 25 mars 2014     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


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Isabelle Huppert et Julia Kristeva. Photo Sylvie Lanceron.
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Voix de femmes - Voix de Julia Kristeva

Lecture par Isabelle Huppert de Tandis qu’elle agonise, Thérèse mon amour de Julia Kristeva.

D’après Thérèse, mon amour, éditions Fayard 2008, adaptation de Julia Kristeva avec la complicité de Laure Adler et la collaboration de Katell Guillou.

Enregistré en public à l’Odéon-Théâtre de l’Europe le 17 mars 2014.

Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe / France Culture, en partenariat avec le Monde des livres.
Réalisation : Blandine Masson.

Le visage renversé d’une femme endormie, à moins qu’elle ne soit déjà morte de plaisir, bouche ouverte, porte avide d’un corps vide que remplit sous nos yeux un bouillonnement plissé de marbre... Vous vous souvenez certainement de cette sculpture du Bernin, la Transverbération ? L’inspiratrice de l’artiste c’est Teresa de Ahumada de Cepeda (1515-1582), en religion Thérèse de Jésus, plus célèbre sous le nom de sainte Thérèse d’Avila. En pleine Renaissance, son amour pour Dieu vibre de l’intensité du beatus venter que connaissait déjà Maître Eckhart. Ses convulsions extatiques en feront une icône somptueuse de la Contre-Réforme. Une possédée à la manière de Dostoïevski, mais baignant dans les eaux du désir, et non dans les larmes, comme Marie-Madeleine, car elle rejoint corps et âme le corps absent de l’Autre.
Dans cette pièce de théâtre radiophonique, pensée pour Isabelle Huppert, Julia Kristeva célèbre son amour de Thérèse à partir de l’agonie de la sainte...

1. Présentation par Jean Birnbaum et Julia Kristeva (3’34)

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2. Lecture par Isabelle Huppert de Tandis qu’elle agonise, Thérèse mon amour (58’44)

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Cette soirée s’est poursuivie par un entretien au cours duquel la théoricienne a évoqué sa trajectoire biographique et intellectuelle, ainsi que la façon dont sa pensée puise aux sources de la littérature.

3. Entretien de Julia Kristeva avec Jean Birnbaum (27’17)

Crédit France Culture

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Julia Kristeva et La Transverbération du Bernin.
Photo Sophie Zhang.
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Transcription partielle de l’entretien

Rares sont aujourd’hui les intellectuels qui prennent la religion au sérieux. Vous-même ne la réduisez pas à un ornement idéologique, opium du peuple ou illusion sans avenir... Vous affirmez que l’Europe doit renouer avec ses racines spirituelles, et que pour ce faire il y a une voie royale : la littérature.

— Oui. En écoutant Isabelle Huppert, j’étais très émue, très sensible à l’attention que le public a accordée à ce dépaysement. Dépaysement par rapport à l’actualité, par rapport à l’histoire présente... Je pensais aux nuits pendant lesquelles j’ai écrit ce texte, et je me disais qu’il fallait que je sois une Européenne de naissance pour m’enfermer dix années durant avec une carmélite espagnole, mystique, intense et extrême, et qui est devenue sainte de l’Eglise catholique apostolique romaine. Pourquoi ? Parce que je pense que, pour ne pas mourir de cynisme politique, et de coups boursiers, il nous reste un seul remède, c’est d’essayer de réveiller la mémoire de notre continent. Cette mémoire dont nous nous sommes écartés quand nous avons coupé le fil pour ouvrir les chemins de la liberté, qui est une mémoire grecque, juive, chrétienne, et maintenant musulmane. Une mémoire dramatique, une mémoire blessante, une mémoire blessée, une mémoire résistante et une mémoire renaissante, et qu’il nous revient de réveiller pour l’habiter, l’incorporer, l’évaluer, la transvaluer et peut-être innover. Dans le texte qu’on a entendu, Thérèse met l’accent sur quelque chose qui fait partie de notre culture européenne : une manière de penser, qui est essentiellement la philosophie ou la science, mais qui est aussi ce qu’elle appelle la fiction.

— « J’ai fait cette fiction pour donner à comprendre », dit Thérèse d’Avila dans votre texte. Dans votre oeuvre aussi, la pensée ne va pas sans la prose, le savoir appelle le style. La littérature ne s’oppose en rien à l’essai : elle est d’abord une autre manière de penser...

— Si la vie est un drame, il nous faut, pour l’assumer, essayer de construire une pensée à l’unisson avec le corps sensible, et c’est ce que Thérèse fait ici. Elle a un corps douloureusement sensible et essaye de trouver une pensée à l’unisson avec cela. A partir de là, le langage devient une rencontre permanente entre le sens et le sensible. Les instruments de cette rencontre sont la métaphore et la narration. Et le résultat c’est la perte de soi, l’annulation de soi, la reconstruction de soi. Alors, comment ça s’appelle ? On peut l’appeler écriture. On peut l’appeler aussi roman. On peut enfin prendre le terme de Thérèse, « fiction ». Du reste, le lieu propice à cette permanence de la narration, c’est l’expérience analytique. C’est ce que Freud nous a légué : « Vous souffrez, vous ne savez pas de quoi, racontez-moi ! » Il a apporté quelque chose de révolutionnaire : il a fait de chaque analysant un écrivain sans religion esthétique. Chacun raconte son histoire. Moi je pratique la psychanalyse ainsi : j’essaie d’accompagner les personnes qui me font confiance pour qu’elles deviennent les poètes qui trouvent le langage, les auteurs de leur résurrection.

"Nous, les écrivains sans religion esthétique"

Quand Thérèse d’Avila dit : « Je ne suis qu’un nourrisson », on pense à ces passages où Bernanos — que vous citez — rapproche esprit de sainteté et esprit d’enfance. Les saints, voici « des êtres qui ne sont pas sortis de l’enfance mais qui l’ont peu à peu comme agrandie à la mesure de leur destin », dit-il. Pour lui comme pour vous, en psychanalyse comme en littérature, il s’agit de prêter l’oreille à cette expérience de l’enfance.

— Je suis évidemment très sensible à cela. Ma mystique à moi est moins souffrante que voyageuse, elle n’est pas enthousiaste mais d’un pessimisme énergique, je dirais. Pourquoi ? Parce que l’enfance, telle que je la vois chez Thérèse, et peut-être aussi chez mes patients, c’est une enfance artificielle, ce sont des états où la psyché et le soma font un, dirait Winnicott. Ce sont des formes de régression où vous êtes tellement renvoyé à votre enfance, sur le divan, que vous n’avez pas de mots pour dire les sensations qui vous submergent. Ce sont les psychanalystes, et les écrivains, qui donnent ces mots pour émerger. Cette enfance retrouvée, moi, je l’ai rencontrée dans l’expérience de la maternité, qui est un moment capital de la vie de chaque femme, un voisinage permanent de joie et de douleur, de vitalité et de mortalité sous-jacente. Et je suis de celles et de ceux qui disent qu’un des grands manques de notre civilisation sécularisée, c’est que nous n’avons pas de discours sur la maternité : nous avons des lois pour tous, mais nous ne savons pas ce que c’est que l’expérience maternelle. En analyse, on joue avec ce rôle aussi pour essayer d’aller du sensible au nommable, mais c’est assez limité, c’est assez ésotérique : il nous manque une philosophie de tout cela. Cette philosophie passe aussi par les récits, par la littérature. Ainsi, et sans les hiérarchiser, la littérature comme la psychanalyse permettent de traduire l’indicible.

Propos recueillis par Jean Birnbaum, Le Monde des livres.

Voir aussi :
Julia Kristeva, Thérèse mon amour
Du jardin au château l’oeuvre

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Le Bernin, La Transverbération.
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