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Par-delà l’enfer et le ciel d’Olivier-P. Thébault

Préface de Roland Tournaire

D 3 février 2014     A par Albert Gauvin - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Par-delà l’enfer et le ciel, le livre d’Olivier-P. Thébault sur Baudelaire dont Pileface a publié deux extraits (L’abyssale Beauté des Fleurs et Les parfums de l’âme baudelairienne) vient de faire l’objet d’une nouvelle auto-édition. Vous pouvez le commander ici.
Et maintenant chez L’Harmattan (juillet 2014).

Voici la préface que Roland Tournaire a écrite pour la nouvelle auto-édition.

Qui peut se flatter de connaître un poète ? Chaque relecture nous en propose un aspect inconnu. L’approfondissement est parfois un renouvellement, parfois une révolution dans notre perception de son oeuvre.
Le livre que vient de consacrer Olivier-Pierre Thébault à Baudelaire s’apparente plus à une révolution qu’à un simple renouvellement. Le titre en est déjà une bonne indication : Par-delà l’enfer et le ciel. Comme la perception nietzschéenne, l’intuition de l’auteur cherche, outre le bien et le mal, par la découverte du lien qui attache les deux versants de notre vie, à pénétrer dans l’existence de la réalité, la seule réalité possible que le poète rend sensible.
Analogie, fusion : il n’a pas été question pour l’auteur d’analyser des processus poétiques, mais, tout au contraire, de comprendre, c’est-à-dire de saisir, au passage des mots, l’unité de pensée qui s’élève bien au-delà des apparences antagonistes pour franchir le seuil où le ciel abolit l’enfer. Voilà le propos baudelairien, que les médiocres censeurs de l’époque et d’aujourd’hui ont été bien incapables de discerner. Il fallait approcher le secret inquiétant et apaisant de la beauté des deux cycles, Le Spleen de Paris et Les Fleurs du mal.
Baudelaire est ici reconnu comme précurseur de Rimbaud, qu’Olivier-Pierre Thébault a présenté dans un précédent ouvrage, le poète des Fleurs annonçant celui des Illuminations. S’il était question seulement d’une filiation de l’un à l’autre, d’une simple imitation de disciple à maître, le cas serait peu intéressant. Rimbaud n’a jamais été disciple, Baudelaire ne se considérait pas comme un maître. Mais, analogie encore, la concision du ciseleur et le flux illimité du vagabond sont conjoints dans une identité nullement formelle : les voies divergent, le sens (autrement dit la direction) nous conduit vers la conclusion ultime, l’au-delà d’une Saison en enfer et des Paradis, artificiels ou non. Le résultat est atteint dans un phrasé parfois torrentiel, une richesse inépuisable de termes évocateurs, d’aperçus foisonnants, d’une étourdissante virtuosité verbale. Par là le rapport s’établit entre les deux poètes successivement étudiés.
Cet accès direct, nous le voyons, n’est pas obtenu par analyse. C’est une lecture pénétrante, aiguë, incisive, nourrie de citations minutieuses proposées par un choix réfléchi. Citations d’autres poètes, d’autres écrivains, de philosophes dont chacune contribue à l’approfondissement poétique : les sources si nombreuses, si variées, sont sans doute réunies dans l’inspiration de Baudelaire, mais en retour ses poèmes rendent présents les sentiments et les idées de ces auteurs, car le propre de la pensée humaine, pourtant toujours fluctuante, est aussi d’être intemporelle, et c’est bien là ce que nous fait éprouver la lecture de ce livre. Seule cette abondance exhaustive de lectures, chez son auteur, permet une si vaste et si précise connaissance. Voyez ce lien inattendu, par exemple, avec le Cantique des cantiques, avec la légende inépuisable de Marie Madeleine : le très catholique Baudelaire est en quelque sorte un auteur biblique, auteur évangélique, certes. La Bible ne cesse de nous divertir du bien et du mal, du paradis et de l’enfer, pour nous entraîner au dépassement de soi. Il fallait ces pérégrinations dans la littérature universelle, et cet enthousiasme qui nous manque tant dans nos désillusions ; l’abondance verbale nous aide, nous profanes, à pénétrer une poésie mystérieuse où tant reste à découvrir. Nous entrons pas à pas dans le mystère, et nous découvrons l’inédit — ce qui est dit par le poème mais ne résonnait pas en notre esprit. Chaque poème lu, relu et médité nous révèle un trésor inépuisable de sensations et de pensées : une foison d’idées nouvelles. Le langage poétique de l’auteur, étonnamment évocateur, nous le permet par son lyrisme personnel véhément, au ton de protestation passionnée.
Ne parlons donc pas d’érudition. Ce mot sent le vieux bonnet. Non : évocation. Connaissance renouvelée, insatiable. Sorte de science sacrée. Elle émane d’une culture assez stupéfiante. Elle nous invite à une relecture vivifiante de Baudelaire, ce poète maudit prophète bienfaisant. Découvrir encore de l’inédit dans l’inouï chez Baudelaire : c’était une gageure, le pari est tenu. Les poèmes prennent corps, se font chair.
Pourtant cette découverte intuitive de la poésie est aidée par les antécédents de l’auteur, exégète du corpus biblique et de l’ancienne littérature hébraïque, dont l’oeuvre exégétique en ce domaine est considérable [1]. Un tel travail sur le langage accoutume à chercher le sens des mots, non par l’intermédiaire d’un dictionnaire, mais dans le tracé d’un terme à travers une multitude d’ouvrages. Que nous apprendrait un dictionnaire sur Baudelaire ou sur Rimbaud ? Cette habitude de la précision détaillée nous fournit la clé de la réussite dans un autre domaine, si semblable, celui des poésies secrètes, éclairées par l’étymologie secrète des termes poétiques : c’est une habitude d’exégète. Car toute grande oeuvre littéraire est secrète et poétique : il faut découvrir la voie dissimulée sous l’abondance des lieux communs et des idées reçues, qui ne viennent pas du poète, mais du profane avant sa libération par la connaissance, par cette sorte de gnose qui s’ouvre à tous, à la condition que chacun soit amené sur le seuil, comme les prisonniers de la Caverne de Platon.
De la Bible au grand mythe de la Grèce ancienne : Baudelaire, comme réincarnation de Dionysos. Et c’est là le principal enseignement du livre d’Olivier-Pierre Thébault. Bacchus — Dionysos, Bacchus comme un premier degré, mais d’une essence différente, un moyen visant un but, en « s’unissant à l’univers entier ». De quelle manière ? c’est ce qui reste à découvrir à la lecture de ce livre.
Qu’est-ce que le dionysiaque ? A-t-on, chez nous, vraiment compris ce mot nietzschéen qui éclaire si bien la poésie baudelairienne ? L’essence contradictoire du dionysiaque, c’est la vie : « Ne dirait-on pas que la ligne courbe et la spirale font leur cour à la ligne droite et dansent autour dans une muette adoration ? »
Ainsi exister, c’est être différent, et, par-delà les avatars d’une multitude d’existences secondaires, s’exalter en se découvrant différent de tous, et de soi, de ce que l’on croyait être, en quittant l’enveloppe imposée pour se vêtir de liberté, comme par cette expression évangélique : se vêtir de Christ, que Baudelaire, nouveau testamentaire, pourrait reprendre à son compte dans sa quête de l’absolu : but de toute vie, que le poète a assumé dans les joies et les souffrances indicibles (Goethe).
Comprenons bien Par-delà l’enfer et le ciel. Le premier de nos poètes à affirmer le Mal, c’est lui, Baudelaire. Mieux que le prosateur Sade, plus appliqué, plus systématique, chez qui la poésie est bridée par la volonté de convaincre. Aucune volonté chez Baudelaire, pas plus que dans le torrent qui dévaste et qui abreuve, pas plus que chez Rimbaud ou tous ces grands poètes dont l’idée se répand par nécessité intime, sans le carcan de la raison imposée. Le Mal est l’un de ces éléments qui fusionne en vérité universelle, perdant son autonomie dans la fusion.
Par-delà l’enfer et le ciel est ainsi le livre des analogies. Dès la lecture du sonnet des Correspondances, nous apprenons à relier la poésie de Baudelaire à la nature sous son aspect non plus seulement romantique, mais tellurique et sidérale à la fois, par l’unité essentielle de la forêt et de la nuit, les forêts de symboles, la vaste nuit. Puis, au fur et à mesure de notre prospection, nous découvrons l’« analogie entre la Nature et l’Art, entre la beauté des femmes et la Nature, entre celle-ci et les nations, entre individu et nation — ou entre l’humain et l’humanité —, ou encore entre le rêve et le poème, [...] les analogies entre les différents arts bien sûr, l’analogie universelle se manifestant dans la seule sphère de l’absolu artistique, point crucial, fondement de toutes les analogies, où celles-ci convergent et se ressourcent », en suivant les chemins de la poésie, de la philosophie, des innombrables spéculations de l’esprit. Ce n’est pas une revue des divers aspects d’une oeuvre, non, mais un éclairage porté sur la totalité.
On sort de là surpris par la richesse, la magnificence de cette poésie baudelairienne, enrichi soi-même, ce qui vaut bien de prolonger la méditation à la lecture de ce volume si dense et si profond.

Roland Tournaire

Les essais de Roland Tournaire sont publiés chez L’Harmattan.
Voir aussi : Etre et langage de Roland Tournaire.

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Des extraits de Par-delà l’enfer et le ciel ont été publiés dans la revue L’Infini :
Femmes et fleurs du mal dans L’Infini 119 (Été 2012), L’abyssale beauté des Fleurs dans L’Infini 120 (septembre 2012) et L’âme baudelairienne des parfums dans L’Infini 125 (hiver 2014).

Deux extraits, Femmes et fleurs du Mal et la conclusion du livre , ont été publiés aussi sur « Paroles des jours ».

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Cf. aussi sur Pileface : Olivier-Pierre Thébault, Vers les « Illuminations » et Rimbaud à la lumière de Dionysos (extraits de La musique plus intense).

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1 Messages

  • A.G. | 3 juillet 2014 - 15:06 1

    Par-delà l’enfer et le ciel est désormais publié par les éditions L’Harmattan.

    Présentation de l’auteur

    Dans une étude récente intitulée La musique plus intense, j’ai développé la corrélation entre la profonde originalité des Illuminations de Rimbaud et leur aspect doublement dionysiaque (selon le dépassement du visible, celui de l’audible ; le théâtre du Verbe, sa musique), remarquant en passant comment Baudelaire se montre plus particulièrement précurseur de Rimbaud quant à cet aspect.

    J’entends me consacrer ici exclusivement au Baudelaire dionysiaque, et montrer comment se trouve en germe et fleurit abondamment chez celui-ci ce qui explose et illumine chez celui-là — au sens où l’on parle d’une explosion de couleurs lors d’un feu d’artifice ou d’orageuses intensités féeriques éclairant d’un coup un front de mer, qui jusque-là n’était qu’entraperçu dans une belle et relative pénombre ou un clair-obscur annonciateur de l’aurore.

    Baudelaire ne fait certes pas mystère de professer un goût profond et raffiné, voluptueux et nuancé, pour le culte de Bacchus — déchirement et gloire, azur et gouffre, chaos et splendeur. Mais encore faut-il saisir toute l’importance qu’à profusion cette passion dionysiaque revêt dans sa poésie, celle-ci se parant de formes inouïes et nouvelles. Voici l’occasion, unique, de dégager nos sens et notre raison : reprenons l’étude de ce poète immense à la lumière diluvienne de son oeuvre dévorante !
    Voir ici.