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Le choc des temps, l’économie mondiale entre urgence et long terme

Le Temps chinois

D 6 juillet 2013     A par Viktor Kirtov - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


« Le choc des temps, l’économie mondiale entre urgence et long terme. », c’est le thème de la treizième édition des Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence, les 5, 6 et 7 juillet. Le nouveau journal L’Opinion en rend compte dans sa page Prospectives : « La Fabrique de l’Opinion », une page souvent très intéressante par le traitement des sujets abordés qui va au-delà de l’écume de l’actualité tourbillonnante dans laquelle nous entretiennent la quasi-totalité des médias. Nous avons retenu l’exposé d’Hubert Bazin, avocat à Pékin.

LE TEMPS CHINOIS

par Hubert Bazin, avocat à Pékin
L’ Opinion 5 juillet 2013

« Le rapport au temps de la Chine est différent de celui des pays occidentaux, même si l’harmonisation de la pratique des affaires est aussi à l’œuvre en Chine. C’est à partir de mon expérience d’une pratique d’avocat de vingt ans en Chine que je souhaiterais développer quelques unes des spécificités du temps chinois.

Vieux pays d’une très ancienne culture écrite, la Chine s’ancre dans une histoire longue, même si les villes chinoises contiennent beaucoup moins de traces du passé que leurs homologues européennes. Notre vision d’un pays émergent qui ne pesait rien dans l’économie mondiale il y a encore vingt ou trente ans ne recoupe pas la vision chinoise d’une éclipse historique d’une centaine d’années, et d’un mouvement actuel qui ne serait pas émergence, mais retour à la position qu’occupait la Chine à la fin du XVIIIe siècle, qui dépassait alors tous les pays en termes de population, de richesse nationale et d’exportation.

A ces perspectives contradictoires qui tiennent à une échelle de temps différente, s’ajoutent nos visions diffractées du sens du temps. Nous avons souvent une conception linéaire du temps, ancrée autour de l’idée de progrès humain ou des perspectives eschatologiques de la culture chrétienne, alors que les chinois gardent celle d’un temps circulaire. La première phrase du Roman des Trois Royaumes, lu par tous les jeunes chinois, est éclairante ? : « L’Empire, longtemps divisé, doit s’unir ; longtemps uni, doit se diviser ». Cette perspective cyclique d’une Chine unifiée et prospère qui retombe nécessairement dans l’éclatement et les crises, ou des catastrophes naturelles et des troubles sociaux qui sonnent régulièrement la fin des Empereurs qui ont perdu le Mandat du Ciel, on la retrouve encore aujourd’hui dans la société chinoise. Comment expliquer sinon la quête effrénée des riches chinois à transférer à l’étranger leurs actifs, et à rechercher, pour eux ou leurs enfants, un havre ou un passeport étranger ? Dans la Chine d’aujourd’hui, l’optimisme est souvent collectif, mais individuellement, c’est la conscience que la période actuelle ne durera pas et que les catastrophes s’annoncent qui prédomine. Nous ne serions en fait qu’en haut d’un cycle historique qui ne peut que se refermer.

On ne peut s’empêcher de relier cette vision cyclique de l’histoire à l’idée de fenêtre d’opportunité, qui éclaire tant de dimensions de la société et de la politique chinoises. La pensée chinoise n’a pas élaboré un concept abstrait du temps, mais a insisté sur le « ?shi ? », le moment, ou la saison, parallèlement à un autre caractère « ?shi ? » qui évoque l’idée du momeent propice, ou potentiel de situation qui permet d’exploiter à ses propres fins une évolution en germe. On retrouve cette conception de la fenêtre d’opportunité dans la politique chinoise, où la stratégie économique doit permettre de faire de la Chine un pays « riche et puissant » (fuqiang), c’est-à-dire une puissance mondiale, dans les dix à vingt ans qui restent avant que le vieillissement de la population ne pèse durablement sur son développement. Le surinvestissement des entreprises chinoises peut s’expliquer dans ce cadre ? : accumuler des ressources et des capacités de production, quand bien même la rentabilité n’est pas au rendez-vous, pour profiter d’un affaiblissement de ses concurrents ou les exclure du marché. Le maintien de la corruption à un niveau élevé, malgré l’augmentation des salaires des officiels et les lourdes sanctions pénales, traduit certainement aussi l’idée du moment pour s’enrichir, qui ne durera pas.

Comment la vie des affaires s’accommode t-elle ce ces conceptions du temps long et des cycles invariants en même temps que des occasions du court terme créées par l’évolution des situations particulières ? Elle bénéficie sans doute de la vision stratégique et planifiée de l’économie chinoise. La Chine conserve une politique industrielle de long terme, visant à placer des champions chinois dans l’ensemble des secteurs économiques.

Le développement des infrastructures - autoroutes, réseau ferroviaire, capacités énergétiques - est constant depuis le début de la politique d’ouverture et montre que la Chine, à l’inverse d’autres pays, sait prévenir et gérer d’éventuels goulets d’étranglement de son développement économique. Mais parallèlement, la vie des affaires doit prendre en compte la difficile exécution d’un contrat en Chine. Même si le droit chinois adhère à la notion - maintenant internationale - de force obligatoire des contrats, on doit constater que la pratique est souvent différente et que nombre d’opérateurs chinois ne se sentent plus liés par les obligations d’un contrat lorsque le contexte qui existait au moment de sa conclusion a changé. Il faut donc trouver des moyens de maintenir la vitalité d’un contrat tout au long de sa durée plutôt que de se retrancher derrière la fixité des obligations contractuelles ou recourir à la menace d’un contentieux, de toutes les façons aléatoire. Ces moyens sont souvent extracontractuels, par exemple en recourant à un tiers respecté par les deux parties et garant du maintien d’un certain équilibre lorsqu’il faut négocier des évolutions. La relation de long terme est à cet égard souvent plus protectrice qu’un engagement écrit.

Qu’est ce que la Chine peut nous apprendre ? Le développement rapide de son économie fait prendre conscience d’un certain nombre de scories qui retardent ou alourdissent le processus de décision dans les entreprises occidentales. On est souvent frappé de la rapidité de la prise de décision et d’exécution des projets des entreprises chinoises, comparée avec la lenteur des phases d’études et d’analyses de leurs concurrentes occidentales. Certes, une économie en croissance rend moins aigües les décisions en matière d’allocation du capital. Mais notre besoin de recueil et de croisement de l’information, les nombreux rapports et présentations de quatre-vingt ou cent slides qui deviennent la norme avant toute décision d’investissement ne font ils pas prendre du retard dans un environnement de plus en plus concurrentiel ? Et le coût de ces phases d’études est-il toujours intégré dans l’analyse de la rentabilité d’un projet ? Ces habitudes sont peut être devenues un poids par rapport à une certaine intuition qui reste la norme dans des entreprises chinoises en croissance rapide. De même, les « pratiques de marché » imposent une documentation bancaire lourde, redondante, destinée à couvrir tous les risques imaginables, au prix d’un accroissement des garanties et du coût de l’inscription des hypothèques et nantissements sur toutes formes d’actifs et de participations. On a parfois l’impression d’une mécanique non réfléchie destinée à « cocher les cases » dans un processus rigide, qui contraste avec une protection juridique moins étendue mais pas forcément moins efficace qu’on trouve en Chine. Dans sa conception du rapport au temps, de l’urgence du développement et d’un pragmatisme affiché, sans doute la Chine peut-elle nous aider à nous défaire de lourdeurs de fonctionnement, d’accumulation d’écrits et de lenteurs qui entravent notre développement économique.? »


D’AUTRES POINTS DE VUE

Les Chinois se tournent vers un futur sans modèle connu d’eux

Par Rémi Mathieu (2004)

Depuis qu’elle pense connaître la Chine, l’Europe se demande ce qu’elle est d’autre qu’elle-même. Elle lui semble avoir toujours été l’image même de l’altérité. Serait-ce sa langue tonale ? Son écriture idéographique ? Ne serait-ce pas plutôt sa façon de penser le monde qui remonte aux antiques périodes tumultueuses ? Ne serait-elle pas simplement différente dans ses moyens de le connaître, de le maintenir, de le changer ?
[...]

La Chine ne perçoit point le temps comme linéaire, cumulatif, progressif, ainsi que l’Europe. Elle l’envisage cyclique : une révolution n’y est jamais qu’un retour à un état antérieur. Elle n’a pas l’idée d’un Dieu unique, omnipotent, porteur d’un dessein pour les hommes. Elle eut cependant, dans le dao (énergie générant deux forces antagonistes et complémentaires, yin et yang ), l’idée d’une puissance issue du vide (du non-être, selon certains), dont la transcendance eût pu être associée à un finalisme et à une éthique. Elle pensa le merveilleux en d’innombrables récits de l’étrange, parce que - comme le dit un auteur du IIIe siècle - nous possédons un sentiment d’étrangeté que nous prêtons aux êtres que nous ne comprenons point. Les Chinois n’ont pas de discours théologique ; ils s’intéressent aux émotions des hommes en relation avec les esprits plus qu’à la nature de ceux-ci. [...]

La Chine moderne a été conquise par la pensée non de ceux qui s’imaginaient pouvoir la convaincre ou la contraindre (jésuites ou colons), mais par l’idéologie de ceux qui ne l’envisageaient pas : communistes et libéraux. Forgés par des siècles de référence à un passé vénéré, les Chinois se tournent vers un futur qui ne s’appuie sur aucun modèle connu d’eux. Ils quittent l’idée du groupe social pour celle de l’individu, sujet de son destin, non pour gagner une liberté et un bonheur privés, mais un enrichissement personnel laissant sur le chemin des millions de sacrifiés.[...] Qu’aura demain de chinois le monde qui se dessine aujourd’hui en Chine ?

Rémi Mathieu,Le Mondedu 19.03.04.

Plus dans l’article « Tout tient dans ce mot, dao... »

Sur la circularité du Temps

...le cercle est l’une des représentations antiques de l’éternité.

On peut aussi se reporter à divers articles de pileface :
- la section « La roue ou spirale du Temps » dans l’article « Mao revient »

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« Le temps est le nombre du mouvement selon l’avant et l’après. » (Aristote)
Etymologie : temps, du latin tempus, de la même racine que le grec temnein, couper, qui fait référence à une division du flot du temps en éléments finis.

La section « Le temps chinois » dans l’article « Cézanne m’apprit à regarder la nature chinoise »

« Discours parfait - Entretien avec Philippe Sollers » Philippe Sollers explique qu’il a emprunté le titre de son livre à un écrit du IVème siècle, connu en latin comme d’Asclépius, « Le Discours parfait » (logos teleios). On sait que Saint Augustin l’a lu. Dans ce discours, Hermès Trismégiste déplore l’effondrement d’une « civilisation divine », mais il ajoute : « Le rétablissement de la nature des choses saintes et bonnes se produira par l’effet du mouvement circulaire du temps qui n’a jamais eu de commencement. »

Kostas Axelos et la pensée planétaire : « Le jeu spatio-temporel du monde est la synthèse du temps linéaire et du temps circulaire. »

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« Le temps est le nombre du mouvement selon l’avant et l’après. » (Aristote)
Etymologie : temps, du latin tempus, de la même racine que le grec temnein, couper, qui fait référence à une division du flot du temps en éléments finis.

Dans les allées du Parc : Les dernières lignes du Parc de Sollers : « le cahier à couverture orange patiemment rempli, surchargé de l’écriture régulière et conduite jusqu’à cette page, cette phrase, ce point, par le vieux stylo souvent et machinalement trempée dans l’encre bleu-noire »
Fin que Ph. Forest [1] commente ainsi : « Comme le faisait remarquer Jean Ricardou dans « Les allées de l’écriture », la dernière des notations du texte en est aussi la première : l’encre du stylo qui en pose le point final est de la même couleur que le ciel nocturne sur lequel s’ouvre le récit [...] comme si le roman ne s’achevait que pour débuter. Au terme d’un mouvement circulaire comme le temps lui-même.

*

Mais observons, toutefois, après Héraclite : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », à commencer par Mao dans le fleuve Yangtsé [2].

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Mao nageant dans le Yangtsé

[1FOREST, Philippe Sollers, Seuil, 1992, p. 70

[2Mao regardait la natation comme le meilleur des sports et comme un symbole des forces humaines confrontées à la Nature, ces forces humaines capables de jeter le pont de Wuhan (un arc-en-ciel de fer et d’acier, Mao dixit) sur le Yangtsé.

« Je traverse en nageant le grand fleuve infini(1)
Laissant au ciel de Chu(2) mes yeux jouir de l’espace
Sans souci du vent ni des vagues
Mieux que dans ma cour en promenade. »

Disait-il dans son poème « La Nage » (1956), traduction de HO JU parue aux éditions en langues étrangères de Pékin.

(1) Le Yangtsé
(2) Tchou (Chu) : nom d’une principauté à l’époque des Royaumes Combattants. Désigne ici une région qui s’étend sur le Hupei (Hubei) et le Hunan.

Crédit : http://blogappart.canalblog.com/

Voir aussi : Faire Mao.

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