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Je t’aime, moi non plus : Huguenin-Sollers

Jean-René Huguenin sur Philippe Sollers

D 7 mars 2006     A par Viktor Kirtov - C 1 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Journal, 1959
Samedi 14 février


Je le crèverai, J.-Ed. [1] Ce sera lui ou moi, je le sais depuis longtemps et il le sait aussi. Nous sommes nés tous les deux le même jour, il y en a un de trop, c’est évident.

Lundi 16 février

Il manque à Sollers le sens du tragique, le goût du vatout, des grandes folies, du désespoir. C’est déjà un homme de lettres. Je cherche en vain des êtres brûlants. Coudol est décidément impossible. Tous mesurés, conscients. Il n’y a plus de fous. C’est étrange avec quelle facilité les autres excitent mon mépris, parfois ma haine même. Ah, mon Dieu, faites-moi connaître des imprudents !

Jeudi 19 février

Assez joué à plaire. Oh, inventer chacun de ses instants - inventer sa vie !

Lundi 30 mars

[...]- Ce n’est pas le plaisir que vous désirez, Ph. Sollers, c’est le désir. Méfiez-vous, on ne se conquiert pas dans le désir, on ne peut pas le retenir non plus, c’est une grâce qui vient du dehors, et quand elle s’en va, gare au vide !...

Mercredi 22 avril

Volonté de Puissance. La Part du Diable. A part ça rien fait. Tout l’après-midi gâché par Sollers et J.-E. H. Furieux. Quand travaillent-ils ? Mais moi je suis lent.
Hier et aujourd’hui, à peu près cerné mon article sur l’ennui pour la revue. Mais pourquoi m’embarquer dans cette galère, avec des gens que je méprise et d’autres qui me sont suspects ? Je n’ai déjà pas tellement de temps ...
Mauvaises nouvelles que R. m’apprend à propos des sursis. Il va peut-être falloir que je prépare mon certificat, ce serait le comble.
Demain je me remets à mon roman et il ne faut pas dételer un seul jour jusqu’à la fin du mois. Ne donner que quelques heures au reste (articles, lectures). Ce qu’il faut que j’apprenne par-dessus tout, c’est à devenir rapide.

Vendredi 11 décembre

[...] Ni l’amour, ni l’amitié, encore moins le plaisir ne m’ont fait connaître la joie profonde que j’éprouve à me vaincre. Comment faire ?
1. Je suis voué à la solitude. Abandonnons donc une fois pour toutes ces concessions, ces folles dépenses de temps et d’énergie, ces sacrifices accomplis dans l’espoir de nous rapprocher des autres et qui ne créent jamais qu’une bonne entente artificielle, fugitive ; le plaisir que nous y prenons se dissout très vite dans la solitude et laisse finalement, avec la déception d’un échec, la honte confuse d’avoir moins cherché à aimer qu’à plaire. N’attendons rien des autres. N’attendons rien des autres que la chance qu’ils nous donnent de pouvoir nous affirmer contre eux.
2. Je me suis laissé entamer par les théories déliquescentes de Philippe et de Jean-Edern. Elles sont peut-être bonnes pour eux ; elles me nuisent. Je suis voué à la force. Je me contenterai de la littérature pour satisfaire mon goût insensé de la douceur.
Il me reste dix jours avant le départ pour la Bretagne. Je
les voudrais exemplaires - c’est-à-dire :
- Ne jamais me reconnaître fatigué.
- Travailler au moins huit heures chaque jour.
- M’interdire (et cela à tout jamais) de bercer des
complexes qui, même s’ils existent, sont négligeables et stériles.
- Toujours choisir l’orgueil de demain contre le plaisir d’aujourd’hui.
- Ne jamais me perdre de vue. Pour cela, m’absorber corps et âme dans toute tâche que j’entreprendrai, dans tout instant que je vivrai. Le bonheur, comme le succès, comme la victoire militaire, dépend de la concentration des forces.
- Me lever chaque jour à neuf heures trente.
- En finir avec ces coûteux efforts de gentillesse.
Dominer ou déplaire.

Enfin, noter ici chaque soir les moindres infidélités à ces résolutions - qui sont l’unique moyen de devenir moi-même.

Jean-René Huguenin
Journal
Editions du Seuil, 1964, 1993


Jean-René Huguenin - Note biographique

Jean-René Huguenin est né le 1er mars 1936 à Paris. Après une enfance et des études secondaires heureuses, il débuta dans la littérature par des articles, à la revue La Table ronde et surtout au journal Arts, auquel il ne devait plus cesser de collaborer fréquemment. Il avait alors vingt ans, et préparait simultanément une licence de philosophie et le diplôme de l’Institut d’études politiques. Il obtint ce dernier en 1957, et s’inscrivit au concours d’entrée à l’École nationale d’administration, mais donna, dès 1958, l’essentiel de son travail et de son temps à son ?uvre littéraire. A vec cinq amis, il fonda la revue Tel Quel, qu’il quitta quelques mois plus tard. La Côte sauvage parut en 1960. Ce premier roman connut un succès exceptionnel. Les critiques le saluèrent comme une révélation, en admirèrent l’émotion dominée et déjà la maîtrise. François Mauriac, Aragon en louèrent l’écriture et le ton. Jean-René Huguenin multiplia alors sa collaboration aux journaux et périodiques (Le Figaro littéraire, Arts, Les Nouvelles littéraires, Les Lettres françaises, Réalités), dénonçant avec une fougue obstinée la sécheresse et la médiocrité de l’époque, criant sa foi en la jeunesse et en la générosité, se faisant le porte-parole d’un nouveau romantisme [2] Il entreprenait la préparation d’un second roman quand il fut appelé, en novembre 1961, pour accomplir son service militaire. Il fut affecté au Service cinématographique des armées, à Paris. C’est au cours d’une permission que, le samedi 22 septembre 1962, se rendant à la campagne, il se tua en automobile, sur la route de Paris à Chartres. Il avait vingt-six ans.

Jean-René Huguenin tenait son Journal, irrégulièrement, depuis l’âge de dix-huit ans. Ce Journal, jamais il n’avait fait mystère qu’il était conçu, pensé, écrit, sinon pour une publication immédiate, du moins comme une ?uvre littéraire, et qui serait un jour un livre. Il en datait et conservait avec soin les cahiers. S’il y consigne souvent des faits mineurs de son existence, c’est toujours pour les dégager de l’actualité immédiate, pour y chercher une signification, une vérité, un drame, un visage, ou le sien propre - un texte. Une impression de l’instant y devient une formule, une image métaphore, un spectacle roman.

RENAUD MATIGNON


[1Jean-Edern Hallier. Malgré les apparences de l’apostrophe, les deux hommes sont des proches. C’est d’ailleurs par les initiales de son prénom qu’il nomme Hallier, alors que Sollers est nommé Sollers, tout court, ou Ph. Sollers.

[2Une grande partie de ces articles a été réunie dans Une autre jeunesse (Ed. du Seuil, 1965) et Le Feu à sa vie (Ed. du Seuil, 1987).

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1 Messages

  • VB | 22 septembre 2007 - 16:40 1

    Il y a dans la souffrance, toute une symphonie de mots qui s’échappent et dérapent, souvent, paradoxe de l’Amour Absolu, de l’amour à mort, n’ayons pas peur des mots.
    L’amour heureux n’existe pas, ou, plutôt, c’est une conséquence de la douleur et du bonheur, une peur de l’abandon exultée par une violence verbale et paradoxale.
    Les écrivains écrivent leur vie, et ne sont pourtant jamais satisfaits. On entre donc dans des paradis artificiels, qui ne sont que le résultat d’une névrose créative, bien loin de l’artifice.
    On retrouve chez Sollers, en lisant entre les lignes, que l’amour de l’Art, a des fins salvatrices, réeducatrices pour le coeur et l’esprit.
    Parler de toute la beauté du monde, pour ne jamais pleurer sur son sort, et de la continuité de la pensée pour trouver le Salut.

    "L’amour et la haine ne sont pas aveugles par le feu qu’ils portent partout avec eux". Nietzsche
    Voilà ce que Gainsbourg avait compris, mais pas assimilé, par trop de sensibilité inavouée, corrompue par une vindicative réponse à la question :
    -"est-ce que tu m’aimes ?"
    -" oui" et toi ?"
    -" émoi non plus !"