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Fugues : « Je ne vois pas l’apocalypse, je vois l’aurore »

Premier entretien, Transfuge, octobre 2012

D 6 octobre 2012     A par Albert Gauvin - C 3 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Le 11 octobre 2012 paraît Fugues.

Quatrième de couverture

« Ce volume est la suite logique de La Guerre du Goût (1994), d’Éloge de l’infini (2001) et de Discours Parfait (2010). Jamais trois sans quatre.
Une fugue, je n’apprends rien au lecteur, est une composition musicale qui donne l’impression d’une fuite et d’une poursuite par l’entrée successive des voix et la reprise d’un même thème, et qui comprend différentes parties : l’exposition, le développement, la strette. La strette, comme on sait, est la partie d’une fugue précédant la conclusion, où les entrées du thème se multiplient et se chevauchent. Les thèmes sont ici multiples, mais, en réalité, il n’y en a qu’un : la formulation comme passion dominante.
Le mot "fugue" a aussi un autre sens, toujours musical : les enfants rebelles font souvent des fugues dans la nature. Il ne leur arrive pas forcément malheur. Il est vrai qu’ils ne deviennent pas universitaires ou membres des institutions académiques. Leur tempérament est foncièrement anarchiste. Leurs choix sont variés, mais tendent tous à la liberté. »
Philippe Sollers.

*

C’est à la revue Transfuge (n° 61, octobre 2012) que Sollers a accordé son premier entretien.

Je ne vois pas l’apocalypse, je vois l’aurore

Entretien avec Vincent Roy

Vincent Roy : Dans la préface de Fugues, vous écrivez que les thèmes de votre essai sont « multiples » mais qu’en réalité, il n’y en a qu’un : «  La formulation comme passion dominante. » Le mot « formulation » fait directement penser aux mathématiques, n’est-ce pas ?

Phillipe Sollers : Oui, bien entendu. Quand j’emploie le mot « formulation », il faut entendre « formule » (le lieu et la formule). Qu’est-ce qui fait du français la langue de fond de la logique ? Et de son substrat mathématique ? C’est là que ça se passe. Au moment où le français devient « langue morte » (dixit Debord), je veux démontrer qu’il est plus vivant que jamais.

Restons sur la « passion » de la formulation qui sous-tend un projet encyclopédique.

Il faut aller d’emblée à l’analyse froide et lucide de l’objet-livre lui-même : vous avez 1107 pages pour un volume qui va être vendu 30 euros. Soyons stricts sur le marketing : vous disposez-là de dix livres (ou 12), en un, ce qui fait donc dix livres à trois euros. Par conséquent, le rapport qualité-prix est imbattable. Je m’avance déraisonnablement sur le marché avec cette proposition d’acheter dix livres à trois euros chacun. C’est la meilleure définition que l’on puisse donner de la formulation comme passion dominante, c’est-à-dire qu’il s’agit immédiatement de l’évaluer en argent, tant il est vrai qu’il n’y a qu’une seule passion dominante de nos jours, c’est celle-là — et il n’y en pas d’autres.
Ces dix livres sont constitués par un certain nombre de livres plus resserrés les uns que les autres. Il faut citer quelques exemples qui avaient été écartés de Discours parfait. Je pense au livre chinois avec notamment un texte important intitulé Mao était-il fou ? Vous trouverez encore un livre sur Debord. Puis vous constaterez la présence forte de Lacan. Aussi une présence massive de Lautréamont. Et Manet. Et Bataille. Et Céline. Nietzsche vient dans Fugues comme chez lui. Et Stendhal. Et Homère... Il y a un chapitre qui s’intitule Rappels constitués de textes plus anciens sur Aragon, Balzac, Bukowski ou Freud : ce que je veux montrer là, c’est à la fois l’unité et la cohérence dans le temps. La formulation dominante arrive toujours à reprendre le dessus et à faire fugue !

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Sollers et Lacan en 1975.

Il y a encore des textes politiques.

Et comment. J’insiste sur deux d’entre eux : La Notion de mausolée dans le marxisme [1] et Les Coulisses du stalinisme (à propos d’Althusser). La fonction politique qui est la mienne depuis très longtemps est constamment affirmée. Qu’est-ce qui est désigné là ? Certes, la France moisie, Vichy et la collaboration mais aussi, et peut-être surtout, le stalinisme. D’où l’importance de la partie chinoise de Fugues [2].

Fugues est un livre de lecture, un traité de savoir-lire.

Exactement. A 12 ans, emmené par le lycée Montesquieu à Bordeaux, j’ai vu la tour de Montaigne. J’ai compris que ce Montaigne était très soucieux, dans une époque de mutation intense (dans laquelle nous sommes d’ailleurs de nouveau), de savoir si l’archive tenait le coup. Qu’est-ce que voulez faire sans latin et sans grec ? Montaigne est allé vérifier à Rome si le latin et le grec étaient bien conservés chez Grégoire XIII. Au vrai, Montaigne voulait savoir s’il pouvait continuer à faire fond là-dessus. Il veut voir si les livres sont bien conservés car il a peur des « innovations calviniennes ».
Je reprends à sa suite (et pas seulement), depuis 40 ans, le projet encyclopédique (projet des Lumières). Ce qu’il faut combattre, c’est l’ignorance militante de notre temps. Ce projet encyclopédique demande à être remis en forme à une époque de pleine mutation (d’où ma référence à Montaigne), à l’heure même où on se demande si le papier ne va pas disparaître, si le numérique ne va pas prendre le pas... La mondialisation, c’est-à-dire l’immondialisation est en cours. Et les écrivains n’en sont pas conscients. Ce n’est pas la faute de l’époque, c’est leur faute.
Bref, je ne vois pas l’apocalypse, je vois l’aurore. Je vis dans un splendide matin qui me met à disposition une archive considérable. Il s’agit de se poser les bonnes questions : serons-nous le 30 septembre prochain en 125 de l’ère du Salut (Nietzsche) ou devrons-nous vivre à l’heure du calendrier économico-politique ? Voilà. La bibliothèque est mon alliée. Tenez, un exemple : le 14 juillet 1680, la marquise de Sévigné écrit à sa fille qu’elle a bien raison de corriger une maxime de La Rochefoucaud car il n’y avait qu’à la retourner pour la faire beaucoup plus vraie qu’elle n’est. Que dit La Rochefoucaud ? « Nous n’avons pas assez de force pour suivre toute notre raison. » Correction de la fille de Madame de Sévigné : « Nous n’avons pas assez de raison pour employer toute notre force. » C’est une femme qui le dit à une autre femme. Ce que je vois se dessiner là, c’est une tout autre conception de la raison et de la force. Lautréamont dans Poésies ne fait pas autre chose que de retourner Pascal, La Bruyère...

Votre passion de la formulation pose encore la question du roman. Dans un magazine [3], Aurélien Bellanger qui publie La Théorie de l’information (Gallimard) déclare : « Je trouve les romans français sur-écrits, plus proches de la poésie en prose et souvent illisibles. » Qu’en pensez-vous ?

Moi, a contrario, je suis lassé de la desécriture du roman français. Je vais vous dire ce en quoi le roman contemporain échoue. Pour cela, il faut écouter une formule de Pascal (mathématicien) qui est fulgurante : « Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien, sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point. C’est le mouvement perpétuel. »

Transfuge n° 61, octobre 2012.

*

Un « rappel » parmi d’autres

Paradis évoquait déjà Bach et l’art de la fugue :

1750 art de la fugue lente vague sur vague dernier message cantor infini on a l’impression qu’il retient sa force qu’il voudrait coincer l’agonie thème répétition variation et antiversion de l’invariation contrethème inversion rethème réinversion de l’altération silence reprise plus bas plus rapide ralentissement accélération division clavecin ponction hautbois coq poule points d’or tympans joyeux dans la gorge on est content d’en sortir mein gott de ce coupe-gorge on aime s’égorger soi-même hors passion quelle cage organisée à présent quel matin bourré de poissons quel précis de navigation fugue art de nouer tout en dénouant sans pour autant lâcher le coulant art de décaler dans l’écorce jamais assez répétée jamais assez sous pression tan ti ta ta ta tan ti ta ta ti ta ti ta tan un deux trois quatre-cinq six sept-huit neuf dix-un deux trois quatre accent sur le sept suspension et redépart sur le sept aucune raison que ça finisse calme à l’intérieur dépression quelque chose est fait pour être sans fin écouté ou plutôt ponctionner le flux-nombre au-delà du son écouté quelque chose est là pour insister en cadence et dire tout ce qui se dit se dira aura été dit partita samba ou raga et moi je sais d’où je viens et où je vais mais vous vous ne savez ni d’où je viens ni où je vais

Paradis, 1981, folio, p. 170.

*

Glenn Gould, L’ Art de la Fugue

Documentaire. Bruno Monsaingeon.

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1ère « critique »

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Photo C. Hélie/Gallimard

Un recueil de critiques littéraires parues dans différents journaux et revues ainsi que des essais qu’il a remaniés.

Philippe Sollers est un compagnon dont on peut se méfier, comme Jean-René Huguenin à l’époque de la revue Tel Quel, un Chinois qui dissimule tout qu’on peut jalouser, comme Jean-Edern Hallier au cœur des années Mitterrand, un pasticheur des classiques dont on peut se moquer, comme Renaud Matignon dans ces colonnes, mais aussi — et surtout — un artiste dont il est permis d’admirer le sens des couleurs et la capacité d’aller « toujours plus loin dans la nostalgie et dans la lumière », ainsi que Debussy remerciait Mallarmé de savoir le faire. Dans la brutalité du temps où nous sommes, il est des écrivains devenus incontournables à force de passer à la télévision dans des émissions de plus en plus insignifiantes.

Romancier lancé à vingt-deux ans par Mauriac et Aragon, prosateur d’avant-garde salué par ses pairs, éditeur chez Denoël puis chez Gallimard, juré de quelques prix, introduit dans de puissantes gazettes, Philippe Sollers a joué le jeu avec rouerie. Il a fait les grandes heures d’« Apostrophes ». Il n’est pas certain que cette surexposition médiatique lui ait toujours réussi, ni que son art de la guerre ait toujours été à la hauteur de celui de ses contradicteurs. On se souvient notamment de Patrick Modiano le comparant à Sacha Distel. Ce jour, on a pu savoir, avec certitude, que le plus télégénique des deux n’était pas celui qu’on croyait.

Mais Philippe Sollers n’est pas que dans ces archives de la Société française de production dont il ne restera rien. Il est dans ses livres qui n’ont pas quitté notre bibliothèque, qui ne la quitteront peut-être pas. On peut ricaner de Philippe Sollers. Mais on peut également ouvrir ses romans, lire et laisser la magie agir. Sollers est un médiatique : le porte-cigarettes, la coupe de cheveux, les bagouses, l’envie d’entrer dans la Pléiade comme Kundera ou d’être nobélisé comme Le Clézio, deux auteurs Gallimard, comme lui... C’est aussi un magnifique écrivain de langue française. Son dernier volume est un recueil de critiques littéraires parues dans différents journaux et revues ainsi que des essais qu’il a remaniés.

Sébastien Lapaque, Le Figaro du 05-10-12

Fugues, de Philippe Sollers, Gallimard, 1 120 p., 30 €. En librairie le 11 octobre.

Voir aussi : COMMENT FUGUES EST COMPOSÉ.

*

[1Paru dans le numéro 70 de Tel Quel, été 1977.

[2Pour en savoir plus voir La Chine toujours.

[3Les Inrockuptibles, 15-08-12.

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3 Messages

  • A.G. | 31 octobre 2012 - 17:10 1

    Sur le site du Salon littéraire, deux extraits :

    Beaubourg (Fugues, p. 541. Cf. sur pileface : Entretien Nathalie Crom - Philippe Sollers - l’enregistrement sonore)

    et Culs (1986, Fugues, p. 622), sur des Photographies de Claude Alexandre, Éditions Éditis, 2009. Claude Alexandre est décédée en août 2010.

    Photographie Claude Alexandre {PNG}


  • A.G. | 30 octobre 2012 - 18:58 2

    La critique de Jacques Drillon dans Le nouvel Observateur (30-10-12) : Sollers en mille et quelques pages :

    Jean Paulhan disait de Charles-Albert Cingria que, chez lui, le moindre petit mot, « mais », ou « il pleut », avait « six étages de caves ». Chez Sollers, tout a six étages de caves : les mots, les phrases, les citations, la pensée, le style, les intentions. On se demande si le format du journal où il publie n’aurait pas aussi, par hasard, six étages de caves.

    Dans ce recueil de textes (beaucoup d’entretiens, aussi, étincelants), il laisse deviner les souterrains de ce monument qu’il s’élève à lui-même, depuis « la Guerre du goût ». Parfois il vous y guide, armé d’un lumignon, nouveau Virgile d’une sollersienne comédie. Et l’on comprend pourquoi le pape, pourquoi le « Journal du dimanche », pourquoi « le Nouvel Observateur », pourquoi Sarkozy, pourquoi tel éclat de rire énorme, tel ricanement silencieux, telle connerie à la télé...

    La lecture de ces mille grosses pages enseigne cela : ne pas se fier à ce que l’on croit savoir de lui (la télé, les journaux, le pipole), mais le lire ; et d’une. Ne pas se fier non plus à son intelligence, à son insolence prodigieuse, à son talent, tous trois à l’étroit dans un seul volume, comme dans un costume trop serré, mais empiler ses livres sur une seule table ; et de deux. C’est alors seulement qu’on pourra descendre avec lui des étages sombres vers les caves lumineuses. On ne le regrettera pas.

    Jacques Drillon


  • V.K. | 16 octobre 2012 - 01:10 3

    L’Express et la littérature. A signaler ce grand moment de défoulement de Jérôme Dupuis et la réponse de Philippe Sollers.

    Philippe Sollers, ou l’art de l’enfumage

    Par Jérôme Dupuis (L’Express), publié le 12/10/2012 mis à jour le 16/10/2012

    Philippe Sollers fait paraître Fugues, recueil de ses articles. Moment fatidique : est-il vraiment meilleur essayiste que romancier ?

    La réponse de Philippe Sollers à notre article

    C’est le nouveau mantra que l’on vous chuchote comme un terrible secret à Saint-Germain-des-Prés : "C’est pour ses articles que Sollers restera. Faites passer." Même ses plus indéfectibles thuriféraires propagent aujourd’hui cette antienne. Ce n’est pas très aimable pour la vingtaine de romans que l’auteur de Femmes a publiés depuis un demi-siècle, ainsi passés par pertes et profits, mais soit. Après La Guerre du goût (1994) et Discours parfait (2010), un volumineux recueil (plus de 1100 pages) de ces fameux articles parait justement aujourd’hui. Son titre : Fugues. Le patron de Tel Quel y a réuni préfaces, interventions diverses, entretiens, bribes de conversations et même une "improvisation dans un taxi à Rome, entre la Trinité des Monts et la place Saint-Pierre" (la Via Crescenzo devait être encore bien embouteillée ce jour-là, puisque, sur à peine deux kilomètres, le maître parvient à disserter sur le Temps, Bernin, Pluton, Flaubert, Maupassant, la morale, Céline, les gnostiques et les manichéens...) Alors, que valent vraiment ces Fugues, grâce auxquelles Philippe Sollers devrait "rester" ?

    Virgile, Dante, Hugo et moi. Il en est pourtant au moins encore un qui pense, lui, que Sollers passera à la postérité pour ses romans. Philippe Sollers lui-même. L’auto-célébration continuelle du romancier Sollers par l’essayiste Sollers est un grand classique... Dans Fugues, le Salvador Dali de la NRF (le Catalan avait au moins l’excuse d’avoir vaguement inventé le "truc"...) atteint des sommets. A propos de Paradis, paru en 1981 : "Cela est très vaste, et, par essence, poétique. La Légende des siècles de Hugo ou la Divine Comédie de Dante sont des rassemblements prodigieux. Quand Dante écrit, il rassemble tout depuis Virgile. C’est l’ambition de Paradis". Sur Drame, publié en 1965 : "Il s’agissait de donner au récit toute la puissance conceptuelle dont il est capable. Vous y trouvez, je crois, la plus grande réussite jamais observée quant à une description concrète de l’expérience de l’être-là". Et il y en a des dizaines de la même eau, qu’il serait fastidieux de relever...

    Chiffres cruels. Le moment est peut-être venu de mesurer l’impact réel de cette géniale production romanesque, disponible en collections de poche grand public (Folio, Points...). Il faut bien l’avouer, on est presque gêné de révéler les chiffres qui vont suivre, établis par l’institut Edistat. Alors, sur l’ensemble de l’année 2011, à combien d’exemplaires s’est vendu Drame, cette grande réussite de l’expérience de l’être-là ? Réponse : 11. Paradis et ses continents métaphysiques très vastes" ? Exactement 99. Le coeur absolu ? 77. Portrait du joueur ? 68. Et Femmes, son "best-seller", plafonne à 884. En un mot comme en cent : les romans de Philippe Sollers ne sont pas lus. Certes, il pourra toujours se consoler en se souvenant que Lautréamont n’avait pas vendu un seul exemplaire de Maldoror de son vivant... Dès lors, l’on comprend mieux le virage tactique de ses aficionados, pour lesquels ce sont ses articles qui "resteront". Mais est-ce si sûr ? Décryptons un peu ces Fugues.

    "Comme vous savez... " Un tic de langage traverse de part en part les onze cents pages de Fugues. C’est ce "comme vous le savez", que lance d’un air entendu Sollers à ses interviewers - pour la plupart d’une complaisance confondante - ou à son lecteur. Dès la quatrième de couverture, on en trouve deux occurrences. "La strette, comme on sait, est la partie d’une fugue précédent la conclusion, etc". Ou encore, à propos d’Heidegger : "Etre et temps, seuls sujets. Vous savez, l’ouverture ek-statique, etc". Figure rhétorique très révélatrice : sous couvert de sceller une complicité, cette formule vise en fait à exclure et signifie : "Vous ne savez pas, mais moi, Philippe Sollers, je sais". Plutôt que de faire partager son savoir, comme on pourrait légitimement l’attendre d’un recueil d’articles sur les arts, Sollers culpabilise son lecteur. Exemple  : "Vous savez que Saint-Ambroise est noté par tous les théologiens comme celui qui a le plus insisté sur le quicumque, c’est-à-dire sur la façon dont ça se fabrique avec le qui". Eh bien non, nous devons le confesser, nous ne "savions" pas que Saint-Ambroise avait insisté sur le quicumque et la façon dont ça se fabrique avec le qui...

    "Ce qui n’a pas été remarqué... " Autre tic sollersien, les formulations sous-entendant qu’il est le seul et le premier à avoir vu certaines choses cruciales dans les grandes oeuvres du passé. "A ma connaissance, je suis le seul à avoir souligné que dans les Chants de Maldoror..." ; " A propos de Nietzsche, j’ai aussi remarqué, ce qui semble inaperçu, que etc". Mais faut-il prendre ces rodomontades pour argent comptant ? Quelques exemples : "Je crois qu’aujourd’hui encore Picasso n’a pas été compris sur cette question de la représentation des corps féminins", écrit-il. Ah, bon. Apollinaire s’est-il employé à autre chose dès son premier article sur le peintre, dans La Plume, en 1905, voilà plus d’un siècle  ? Plus loin : "Oh, comme c’est curieux que personne n’ait remarqué dans le Christ mort de Manet le serpent qui est en bas avec l’évangile de saint Jean." Les commentateurs de l’époque ont pourtant signalé ce fameux serpent dès la première exposition publique du tableau au Salon de 1864, il y a 150 ans... Ou encore, cette phrase qui se veut lourde de sous-entendus : "Ce n’est pas par hasard que Freud est mort à Londres, et ce n’est pas par hasard non plus que Marx est enterré à Londres". Ne serait-ce pas tout simplement parce qu’il y est mort le 14 mars 1883 ?

    Le coup de Finnegans wake. Quelque soit le sujet, Sollers dégaine sans crier gare Finnegans wake, de Joyce, quintessence du livre hermétique, "roman le plus illisible du monde", selon l’Américain Tom Robbins. Personne n’étant parvenu à le terminer, l’invoquer constitue une arme imparable, qui relève de l’intimidation intellectuelle (la poudre aux yeux, en bon français). Lautréamont (page 55) ? Finnegans Wake. Artaud (page 803) ? Finnegans Wake. Le sexe (page 686) ? Finnegans Wake. Et, bien entendu, Sollers (page 812) ? Finnegans Wake. Variante orientale  : le "coup de Sun Zi", penseur chinois du VIème siècle avant J.C. Même usage, même modalité, même terrorisme intellectuel. Encore une fois, on est ici aux antipodes de ce que l’on pourrait attendre d’un grand intellectuel jouant les passeurs. Il y a beaucoup de bluff chez l’auteur de Poker. Mais ses coups sont si prévisibles ! Et les cartes inlassablement les mêmes, usées jusqu’à la trame à force d’être manipulées : Artaud, Bataille, Lacan, Fragonard, Debord, Heidegger, Joyce... On n’en finirait pas de citer, dans Fugues, les vains monologues qui n’ont pour seule fonction que d’en "mettre plein la vue". Un seul échantillon, pioché quasiment au hasard : "Supposons que quelqu’un se mette à dire ’Je suis ce que je dis’, ou plus exactement ’Je dis que je dis que je suis dit’. ça s’appelle un événement précis qui n’est plus la sortie d’Egypte ou si vous préférez un hiéroglyphe matriciel, mais l’interruption christique de la nécessité de reproduire les corps, etc".

    Rires. Nombre d’interviews de Fugues sont parsemées de la mention "Rires", intercalée entre les propos du maître (jusqu’à douze pour le seul Entretien pour Cuba). Philippe Sollers fait partie de ces personnes - on pourrait aussi citer le comédien Daniel Prévost - qui rient de leurs propres mots. Loin de nous l’idée de critiquer le rire (nietzschéen, forcément nietzschéen...). Mais, à observer les mines consternées des invités lors de la prestation de Sollers à Ce soir (ou jamais), l’émission de Frédéric Taddéï, le 11 septembre dernier, on peut se demander si, désormais, il ne fait plus rire que lui. Ce soir-là, les commentaires en direct sur les réseaux sociaux ont été d’une violence qui a étonné jusqu’à ses plus fidèles partisans. Dans un texte de Fugues, où il parle de lui à la troisième personne, Sollers forge un néologisme pour décrire son rire intérieur : c’est "risable", dit-il. Oui, voilà un mot qui pourrait tout à fait s’appliquer à son nouveau recueil.

    Source : www.lexpress.fr/

    ***

    La réponse de Philippe Sollers sur son site

    sur fond sonore de Marseillaise...

    Surtout ne pas manquer le dernier numéro de Transfuge, titré Désertez !, où je suis traité d’une façon encore trop modeste de « génial encyclopédiste ». Mon livre, Fugues, (Gallimard, 1120 pages, 2012, 30 euros, c’est-à-dire au moins 10 livres à 3 euros), devrait s’appeler en réalité Transfugues, et a été, comme tel, parfaitement identifié par les camarades de Transfuge. La conséquence immédiate a été le très brillant article du beau Jérôme Dupuis dans L’Express, qui a réussi ce prodige de faire un éloge dithyrambique de mon livre, de façon apparemment négative. Je reconnais bien là la marque de ce magazine incomparable qu’est L’Express, dont la surveillance à mon égard ne faiblit pas une seule minute dans le temps. J’ai eu pendant des années le soutien actif, toujours apparemment négatif d’Angelo Rinaldi, très grand romancier français célébré dans les colonnes de son propre journal, L’Express, et désormais membre très affaibli de l’Académie française, elle-même de plus en plus effondrée.

    Un seul héros, à part moi, se dégage de l’histoire contemporaine, Jean d’Ormesson, implacable vivant, qui, après avoir incarné François Mitterrand au cinéma, met en scène son double historique qui n’est autre que Napoléon, et qui va bientôt, partout, incarner Aragon, mort glorieusement assis au Comité central du Parti communiste français. Voilà un résumé d’histoire dont on peut attendre que L’Express tire toutes les leçons, sous la plume du beau Jérôme Dupuis. L’interminable agonie du Parti communiste français devait donc passer par Mitterrand et Bousquet, Aragon et le Comité central du Parti communiste, pour la plus grande gloire de la confusion américaine généralisée, dont le sinistre et croûteux peintre Edward Hopper, loué partout dans la presse colonisée française, montre déjà le visage désastreux, au moment où surgit la grande peinture de De Kooning (1) et Pollock, inspirée par la liberté européenne de Picasso.

    François Hollande, en Afrique, risque sa vie face au terrorisme du Mali. L’époque est grave, prions pour lui.

    Si vous voulez en savoir plus sur l’essence du tweet et « le mariage pour tous », voir le site du Point du vendredi 19 octobre, sous le titre Philippe Twitters.

    Philippe Sollers, Rome, dimanche 14 octobre, 19h30.

    (1)Voir Ph. Sollers, De Kooning, vite, dans La Guerre du Goût,

    Folio n°2880, p.123-161

    Source : Intervention du 14 octobre 2012

    Voir en ligne : http://www