"Martin Veyron, spécialiste de l’Amour Dessiné est un voyeur privilégié. Ses dessins nous montrent - et nous cachent - les tiroirs du grand jeu de Philippe Sollers".
Article du 4 février 2006 complété le 26 juillet 2009 par l’ajout d’un entretien avec l’écrivain Pierre Bourgeade.
29/06/2015 : Ajout conférence Sollers, Savigneau, à Nantes
19/08/2016 : Ajout Portrait du Joueur à Apostrophes
Quatrième de couverture
Le héros de Portrait du joueur est né à Bordeaux où il revient visiter les lieux de son enfance. Maisons et jardins détruits, remplacés par un supermarché agressif, égalisation et transformation partout, il ne reconnaît plus rien, sauf ses souvenirs brûlants d’autrefois, ceux des vignes et de la lumineuse douceur de vivre, "sudiste".
Ce roman est d’abord celui de la mémoire. C’est aussi, grâce au personnage de Joan, une journaliste de vingt-deux ans, la confrontation cruelle et comique entre deux générations, celle "de 68" et celle "d’après 68". Là encore, tout a changé : références, moeurs, langage. Triomphe du cynisme et de la confusion médiatique imposée par le "Nord", drôlerie grinçante du temps.
Mais le personnage central, discret, subversif, est une jeune femme de vingt-huit ans, Sophie, médecin à Genève. Sa rencontre avec le narrateur fait basculer le récit dans une expérience érotique très singulière qui nous est minutieusement racontée. Il s’agit d’une communication exclusivement physique à travers des scènes construites à l’avance, et décrites, par Sophie elle-même, dans des lettres, d’un érotisme verbal poussé à l’extrême, qu’on lira sans doute avec stupeur. Ce texte se rapporte à l’édition Broché.
Exergue
Attaquez à découvert, mais soyez vainqueur en secret...
Le grand jour et les ténèbres, l’apparent et le caché ; voilà tout l’art.
Sun Tse
Le début
Eh bien, croyez-moi, je cours encore ... Un vrai cauchemar éveillé ... Avec, à mes trousses, la horde de la secte des bonnets rouges... Ou verts... Ou marron... Ou caca d’oie... Ou violets... Ou gris... Comme vous voudrez... Le Tibet de base... Singes, hyènes, lamas, perroquets, cobras... Muets à mimique, tordus, érectiles... Hypermagnétiques... Venimeux... Poulpeux... Un paquet de sorciers et sorcières ; un train d’ondes et de vibrations... Moi, pauvre limaille... J’ai cru que je n’en sortirais jamais, j’ai pensé mille fois devenir fou comme un rat dans les recoins du parcours... Ils ont tout, ils sont partout, ils contrôlent tout, ils avalent tout...
Mais qui ça, ils ?
Ah, voilà !
Tout simplement, eux. Ils. Ils et elles, bien sûr...
La fin
Les bateaux n’arrêtent pas de passer, passer. Passer, c’est tout ce qu’ils veulent dire.
[...] Hier, après la pluie, il y a eu un grand arc-en-ciel, à l’est.
Tout est sec, aujourd’hui. Mouillé, sec, le battement est d’une rapidité enchantée. On dort, tout est humide. On se réveille, tout est essoré, repassé, net.
Je revois les jours de pluie, à Bordeaux : tout le monde dehors, signal de fête. Visages des femmes, ravis. On court faire des achats, on prend l’eau sur les joues, c’est bon pour le teint, comme à Londres. Et puis la chaleur, fondant du Sud. Est-ce que ce n’est pas trop ? Est-ce que le raisin ne va pas brûler ?
Non, il dort là, tranquillement, pressé, broyé, exalté, réglé. Il a pénétré l’autre côté du temps. Il peut attendre. Ici, peinture et musique. Art des souterrains. Art de l’exposition finale. Ça se ressemble. Ça se rejoint.
Je referme les yeux, et je me vois tout à coup pousser mon attelage, là-bas, jusqu’au bout, vers l’ouest, là où les avions descendent et clignotent, des chevaux de vent et de nerfs, souples, rapides, écumants, volontaires, leurs crinières brillent dans le couchant, personne ne les remarque, ils galopent au milieu des bateaux, chevaux et bateaux, le rêve, ils se faufilent et foncent vers l’horizon rouge, sur le mercure déjà nocturne de l’eau, je les tiens à peine maintenant, ils m’échappent, ils ont leur idée, leur cri d’attraction muet, ils se sont débarrassés de moi, ils filent, ils sont ivres, je sens leurs muscles jouer sans efforts, leurs encolures impatientes, vibrantes, ils se sont réfugiés ici avec moi, en moi, ils vont se fracasser sur la ligne invisible, mais peut-être pas, comment savoir, ils frôlent à peine le canal bouillonnant du soir, je les laisse, je lâche les rênes, ils veulent passer eux aussi, et peut-être vont-ils passer, malgré tout, museaux et naseaux comme directement vaporisés dans l’envers.
Morceaux choisis
Bonheur (la provocation du)
J’aime à la folie le Concile de Rome de 330
Mysogine, moi ?
Les Identités Rapprochées Multiples
Les lettres de Sophie
Olga invite le joueur chez elle
Critique SDM
Sollers, génial truqueur ? Suite de Femmes. Poursuite d’un journal intime devenu spectacle, du carnet de bord d’une vie devenue fourre-tout (cf. l’article de J. P. Amette, dans Le Point du 21 janvier 1985). Sollers apparaît ici, comme dans Femmes, baroque et voluptueux, gai et radoteur, libertin et vantard, virtuose et bavard, en "état d’ébriété graphomaniaque". Principaux sujets abordés : "la double comédie, parallèle qu’est la sexualité" (J. Folch-Ribas) — la vie intellectuelle — l’édition — le journalisme. Irritant et séduisant.
VOIR AUSSI :
Les Identités Rapprochées Multiples , Portrait du Joueur
Les Lettres de Sophie , Portrait du Joueur
Mysogine, moi ?, Portrait du Joueur
Françoise Verny alias Olga Maillard , Portrait du Joueur
Critique , Portrait du Joueur
Entretien Pierre Bourgeade - Sollers
Grâce aux archives sonores que notre ami Philippe Di Maria [1] a mis à la disposition de pileface, nous vous présentons ci-dessous un entretien entre l’écrivain Pierre Bourgeade et Philippe Sollers réalisé le 2 mars 1985 sur France Culture [2].
Cet entretien est intéressant à double titre :
— d’une part parce que Sollers s’explique longuement sur Portrait du Joueur, roman qu’il a publié en décembre 1984, sans doute le roman le plus autobiographique qu’il ait écrit jusque là. Sollers revient sur le jeu et la pensée du jeu (les échecs), la cohérence profonde de son oeuvre et de sa pensée au-delà des contradictions apparentes, sur l’effervescence et les contradictions des années 60-70 (et la "fidélité" qu’il continue à porter à cette période), le lien entre érotisme et mystique (rappel de l’importance de Bataille), le catholicisme, la théologie, le pape Jean Paul II, sa foi [3], la liberté féminine, enfin son rapport à la politique (la gauche est au pouvoir depuis trois ans), etc.
—
d’autre part parce qu’il est l’occasion de réécouter la voix de Pierre Bourgeade, écrivain protéiforme qui nous a quitté le 12 mars dernier. Dans les années 1970, les relations entre Bourgeade et Sollers n’ont pas toujours été exemptes de tensions — notamment au moment de la période dite théoriciste de Tel Quel —, mais, au début des années 1980, un rapprochement s’est opéré entre les deux hommes et le ton a changé. C’est d’ailleurs Pierre Bourgeade qui a décidé d’inviter Philippe Sollers lors de cette émission qui s’appelle " Passage du témoin ". Il faut également noter que Sollers venait de publier en 1984 dans la collection L’Infini un roman de Pierre Bourgeade, La Fin du monde [4], et publiera ensuite deux recueils de nouvelles — Éros mécanique en 1995 [5] et L’Argent en 1998 —, et un essai, L’Objet humain en 2003 [6].
A.G.
1. L’entretien (30’).
Présentation de Thomas Ferenczi.
2. Fin (5’09).
L’écrivain est un homme d’opposition.
Conférence à Nantes : Sollers, Savigneau, Bourgeade (extrait)
Conférence donnée à Nantes par Philippe Sollers, écrivain, en compagnie de Josyane Savigneau, critique littéraire au Monde et biographe, et Bruno Blanckeman, professeur Université Rennes 2, le 25 février 2009 (extrait).
Portrait du Joueur à Apostrophes

Philippe Sollers
Portrait du Joueur
Dans Apostrophes de Bernard Pivot, janvier 1985. Thème de l’émission : « Jeux de mémoire » réunissant quatre écrivains avec Sollers, qui ont publié chacun un roman autobiographique.
Alain Robe-Grillet (Le Miroir qui revient), Jean-Louis Curtis (Une éducation d’écrivain) et l’écrivain suisse-allemand Friedrich Dürrematt (La Mise en Œuvres).
Crédit : www.INA.fr
[1] Philippe Di Maria a écrit un recueil de nouvelles : La cage d’escalier.
[2] A l’automne 1984, le journal « le Monde » mettait sur pied une émission originale, « Passage du témoin », sous la responsabilité de Thomas Ferenczi.
[3] La foi ? Oui. Sollers, quinze ans plus tard :
« fede è sustanza di cose sperate
e argomento de le non parventi
— Avez-vous la foi ? — Oui... non — Êtes-vous croyant ? — Oui... non..., etc. Voici ma réponse : ma foi, c’est la substance des choses espérées et l’argument des invisibles (rires). Il s’agit bien d’un joyau précieux... Bonne réponse, n’est-ce pas... »
Ph. Sollers, La Divine Comédie, 2000.
[4] Denoël "L’Infini".
[5] Rééd. Folio n° 2989.