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Méditerranée - Jean-Daniel Pollet, tel quel (I)

La Mer intérieure

D 9 juin 2010     A par Albert Gauvin - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Pour M.
Pour Xavier P. [1]

« Aujourd’hui, autrefois, ailleurs. »

« Mais si l’on était regardé ? »

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« J’ai vu Méditerranée. C’est dans mes rêves dorénavant. Je n’arrive pas à travailler aujourd’hui parce que j’ai ce film en tête. Ceux qui n’aiment pas ce film, s’il en est, sont mes ennemis. » Francis Ponge.

Dans le dernier numéro de la revue Transfuge, Yannick Haenel célèbre Le génie de Jean-Daniel Pollet — et « son chef-d’oeuvre méconnu : Méditerranée » que Godard cite dans un certain nombre de ses films, y compris le dernier, Film Socialisme —, au point d’en être, selon Haenel, « secrètement, le saint patron » [2]. Haenel rappelle à cette occasion un texte que Godard avait « écrit dans les Cahiers du cinéma  ». Ce texte de Godard, écrit en 1964, ne sera publié, c’est vrai, qu’en février 1967 dans le numéro 187 des Cahiers à l’occasion de la première sortie en salle du film de Pollet. Le numéro des Cahiers comportait d’autres textes sur Méditerranée, tous écrits par des membres du Comité de rédaction de Tel Quel (Jean Ricardou, Jean-Pierre Faye, Marcelin Pleynet et Philippe Sollers). Dans l’entretien avec J-D. Pollet que l’on trouve dans le DVD du film, le réalisateur le précise : « A l’époque, ce ne sont pas les Cahiers du cinéma qui ont porté le film, mais le groupe Tel Quel. » Il faudra de fait attendre le numéro de septembre 1968 des Cahiers pour que Jean-Louis Comolli, alors rédacteur en chef de la revue, livre un article en partie consacré au film [3].
Il faudrait écrire l’histoire de la programmation, de la réception et de la perception de Méditerranée, ainsi que des commentaires divers auxquels il a donné lieu, depuis cinquante ans, selon les conditions historiques, idéologiques et politiques du moment. Des témoignages existent à travers les entretiens que donnent P-A Boutang, Jean-Paul Fargier, J-D. Pollet, Ph. Sollers, Antoine Duhamel, Jean Douchet et quelques autres dans le DVD publié en 2006, ils sont irremplaçables mais ce sont des témoignages d’après-coup. Si l’on se reporte aux textes de l’époque, on s’aperçoit que la perception et l’analyse de Méditerranée varient. Il y a — là aussi — un avant et un après mai 68 et, avant comme après, un regard qui change en fonction de la place accordée au « politique » (une certaine conception du politique « au poste de commandement »), à la théorie et à la spécificité de la pratique cinématographique. L’exemple de Godard est, à cet égard, significatif, mais celui de Jean-Paul Fargier aussi. Nous livrons quelques pièces "inédites" à la fin de ce dossier (voir Annexes).

Mais commençons par l’année 1967 et le dossier publié dans « Les Cahiers du cinéma ». Il avait pour titre « La Mer intérieure ».


Et d’abord, puisque Yannick Haenel nous incite à le relire, le texte de Jean-Luc Godard [4]...

« Impressions anciennes »

Que savons-nous de la Grèce aujourd’hui... Que savons-nous des pieds agiles d’Atalante... Des discours de Périclès... A quoi pensait Timon d’Athènes en grimpant au forum... Et cet écolier de Sparte pendant que le renard mangeait son ventre. Elargissons le débat... Que savons-nous de nous-mêmes, hormis que nous sommes nés la il y a des milliers d’années... Que savons- nous donc de cette minute superbe où quelques hommes, comment dire, au lieu de ramener le monde à eux comme un quelconque Darius ou Gengis Khan, se sont sentis solidaires de lui, solidaires de la lumière non pas envoyée par les dieux mais réfléchie par eux, solidaires du soleil, solidaires de la mer... De cet instant à la fois décisif et naturel, le film de Jean-Daniel Pollet nous livre sinon le trousseau complet, du moins les clés les plus importantes... les plus fragiles aussi... Dans cette banale série d’images en 16 sur lesquelles souffle l’extraordinaire esprit du 70, à nous maintenant de savoir trouver l’espace que seul le cinéma sait transformer en temps perdu... Ou plutôt le contraire... Car voici des plans lisses et ronds abandonnés sur l’écran comme un galet sur le rivage... Puis, comme une vague, chaque collure vient y imprimer et effacer le mot souvenir, le mot bonheur, le mot femme, le mot ciel... La mort aussi puisque Pollet, plus courageux qu’Orphée, s’est retourné plusieurs fois sur cet Angel Face dans l’hôpital de je ne sais quel Damas...

Jean-Luc GODARD.

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Méditerranée. Cahiers du cinéma n° 187, février 1967. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Le dossier sur « Méditerranée » des Cahiers du cinéma était présenté ainsi :

De « Méditerranée », les « Cahiers » reparleront « quand un cinéma parisien voudra bien programmer un spectacle Pollet » écrivait ici-même Weyergans en 1964. Il aura donc fallu attendre trois ans pour trouver ce cinéma-là (« Quartier latin ») et qu’y soit créé un circuit (celui de la "Première Chance") plutôt exceptionnel. Mais enfin, puisque l’on a pu voir à Paris depuis le 8 février « Méditerranée » et « le Horla » (jugés tous deux insuffisants par le comité de sélection du dernier festival de Tours), nous livrons plus loin nos premières impressions sur celui-ci et — fidèles à notre promesse — reparlons de « Méditerranée ».
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Deux textes, l’un de Philippe Sollers, l’autre de Marcelin Pleynet, analysaient la démarche spécifique du film.

Une autre logique

Quand j’ai vu « Méditerranée », ce qui m’a frappé c’est d’abord cette variété, cette discontinuité des images, c’est le fait que tout le film est fondé sur ce que j’appellerai une loi d’analogie générale qui me paraissait recouper exactement certaines tentatives littéraires contemporaines.
Qu’est-ce que j’entends par loi d’analogie ? C’est justement que le problème de continuité qu’on se pose en écrivant ou peut-être en tournant un film comme « Méditerranée » pourrait s’énoncer de la manière suivante : De quel droit passer d’une chose à une autre ? Qu’est-ce qui nous permet de passer d’une chose à une autre ? Le problème, qui est résolu en général par tout le Cinéma jouant de ressorts univoques (unité de lieu et de temps toujours conserves, équivalents au cinéma, de l’unité de temps et de lieu du théâtre) me semblait ici posé autrement on entrait vraiment, comme on peut avoir l’impression d’entrer avec certains livres modernes, ou du moins quand on écrit certains livres, dans un espace et une temporalité absolument formalisés où se déclencherait une correspondance généralisée et réversible, une correspondance à perte de vue.


Méditerranée Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Loin d’accumuler les choses au hasard, ce qui est essentiel, il me semble, dans ce film, c’est justement la manière dont, depuis la première image jusqu’à la dernière, il se développe comme une écriture sur l’écran... un dévoilement de significations, qui va lentement de droite à gauche, de gauche à droite, qui s’enfonce, qui revient, repart... Ce mouvement est celui d’une continuité dialectique retrouvée à travers des éléments discontinus et reliés par intersections discrètes : on croit voir finalement sur l’écran une sorte d’espace cubique systématiquement exploré, d’espace où la couleur elle-même est un relief exploré. Ici, on ne peut jamais établir si nous sommes dans le rêve, l’imagination, la perception, la mémoire. Toutes ces distinctions sautent et on trouve une sorte de communauté dédoublée, ou justement ne se pose plus le distinction veille/sommeil, imaginaire/réel, dedans/dehors.
Tout le film fonctionne pour moi, et a fonctionné tout de suite, et de plus en plus à mesure que je le voyais et que je me le « racontais », comme une oscillation et un passage à l’intérieur de cette écriture, que je pourrais évoquer par l’image d’un ampéremètre, dont l’aiguille varierait suivant les tensions. On passe dans le film de significations très plates à des significations beaucoup plus élevées, sans qu’il s’agisse d’une « valorisation » mais simplement d’un trajet : ici, un banc « vaut » une pyramide, un laminoir est aussi important (ou beau) qu’une statue de dieu, qu’un tableau. Ainsi (puisque tout le film est fait de séries), dans une série qui part de blocs de ciment dans l’eau, très neutres, et qui ont une charge signifiante proche de zéro, on arrive, par gradations, à un temple grec ou la complexité formelle, donc la charge signifiante, passe, si on veut, à « cent ». Tout le film est construit sur cette oscillation entre des éléments « plats » et « profonds », qu’ils soient antiques ou modernes. De là vient, pour moi, le pouvoir « magique » du film que j’ai essayé, par un texte sans « images », un texte en quelque sorte « abstrait » (c’est-à-dire placé comme sur la surface aveugle de l’image, sur le tain du miroir qu’est l’image) de scander et de réciter sous forme de double (au sens ou les figures égyptiennes, par exemple, sont l’image concrète de leur double et hantée par lui).
Ecriture, et oscillation de la signification, il y a aussi un troisième élément, qui me parait capital, c’est celui de la distance. Ce qui donne à ce film sa force et son efficacité, c’est une sorte de suspense généralisé de la sensation, obtenu par un contrôle rigoureux des distances. Qu’est-ce que quelque chose de « sacré » par rapport a quelque chose de « profane », sinon une construction et, à la limite, une structure de distances, qui soit à la fois accès et interdiction ? Ce qui est tenu pour sacré, c’est l’ambivalence, quelque chose qui à la fois attire et repousse, qui appelle et rejette. Toutes les formes du sacré sont ambivalentes : or le sujet de ce film est évidemment une question posée au sacré, à l’ensemble des mythologies méditerranéennes (égyptiennes, grecques) en tant, bien entendu, qu’elles nous sont totalement incompréhensibles, que nous les transformons en objets « culturels ». Cependant, si nous interrogeons formellement ces objets (ces statues, ces temples) si nous les mettons formellement en rapport avec des objets d’aujourd’hui dont la fonction inaperçue est celle de jouer pour nous comme mythes (par exemple, les lieux ou notre individualité disparaît : hôpitaux, usines), il va se produire une contamination réciproque de ces éléments, ils vont se réactiver les uns les autres de façon subversive. Dans « Méditerranée », l’élément central est cette table d’opération de clinique où une jeune fille est allongée, une jeune fille que nous voyons en train de « mourir ». Mais c’est aussi la table sur laquelle se rencontrent les éléments les plus inconciliables (un haut fourneau et un temple grec, la mer et le feu, un taureau et une fleur) pris dans leur distance d’énonciation (c’est-à-dire « isolés ») et cette table est l’écran lui-même. L’isolation dont je parle, qui joue comme élément d’un mythe à construire, Pollet en dit ceci : qu’il s’agit d’un temps fort (d’un idéogramme).
En somme, il s’est préoccupé à chaque fois de toucher une espèce de centre qui n’était jamais le même et dont lui-même aurait fait partie. A chaque fois qu’il filmait, il était donc dans une sorte de présent marqué : ce présent, ensuite, a été recomposé à l’intérieur d’une absence animée qui l’absorbe et le disperse par condensations et déplacements, par accumulation en profondeur d’un élément pluriel (visage à travers le temps ou l’espace, visage réel ou sculpté) et extension de la chaîne dont il fait partie (vie, mort, mythe, réel). Ces éléments contradictoires trouvent donc leur identité à l’intérieur d’un mouvement d’exposition qui les groupe, les souligne el les annule en maintenant leurs contradictions.
L’art d’aujourd’hui est peut-être celui de la présence, non pas de l’enregistrement en direct de quelque chose qui « se passe », mais un art, un cinéma de la présence différée : présence littérale et en même temps partielle, une présence qui présente une absence et, ici, un film qui manifeste un autre film invisible dont la parole injectée dans le film raconte les glissements. Cela produit finalement un résultat d’une intensité à côté de laquelle toute « histoire » devient superficielle : cela donne une autre logique, fragmentée, allusive, intense, qui est celle de la représentation du fonctionnement réel de la représentation.

Philippe SOLLERS.

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Le texte de Marcelin Pleynet sur Méditerranée date — c’est à noter — de 1963. C’est le plus engagé théoriquement dans la réflexion sur la spécificité de la pratique cinématographique.

La pensée le cachant

Avec « Méditerranée », Jean-Daniel Pollet a mis en oeuvre quelque chose de tout à fait nouveau au cinéma, qui interroge et fait apparaître la qualité proprement cinématographique, non plus comme scintillement intelligemment anecdotique et littéraire, mais comme fonction créatrice : j’entends la question du « réalisme » de la figure.
Le vocabulaire cinématographique nous sera ici d’un piètre secours. En effet, si l’on se fie au titre de ce film et à sa longueur (un moyen métrage), on pensera qu’il s’agit de ce qui est communément appelé un documentaire... Qu’en est-il ? Et puis, qu’est-ce que ça veut dire « Méditerranée » ? Ce n’est pas simple clause de style si j’ai commencé en parlant de « nouveauté », le public en général est beaucoup trop habitué à trouver la même marchandise sous diverses étiquettes pour savoir lire un livre, voire un tableau ou un film pour la première fois ; non prévenu il est plus ou moins entraîné à ne lire que ce qu’il a déjà lu, à ne voir que ce qu’il a déjà vu... et c’est ainsi qu’il me paraîtrait tout à fait naturel que des oeuvres comme « Méditerranée » soient précédées de cet avertissement paradoxal : avant de voir ce film il vous faudra l’avoir vu [5]. Qu’il s’agisse de la mise en scène de J.-D. Pollet, ou du texte de Philippe Sollers, la composition de « Méditerranée » semble d’ailleurs prévoir et comprendre un tel problème de lisibilité ou de visibilité, comme l’on voudra ; pas un aspect du film qui ne soit aussi à lui-même sa propre définition, définition tout aussi bien de ce que nous appellerons la réalité Cinématographique, que du vocabulaire formel. Le texte de Ph. Sollers qui accompagne le film est à cet égard très significatif, se refusant à commenter ce que nous voyons, Sollers en établit un double où ne cesse de se déplacer cette notion de double... chacune des parties, la mise en scène et le texte, étant l’une par rapport à l’autre et réciproquement, une analyse critique de la perception comme réalité objective.
Pour commencer par le commencement, qu’on voie tout d’abord le titre, auquel il faut accorder le sens que l’on peut communément entendre par « Méditerranée » (le plus grand nombre des images ont, en effet, été filmées dans ces pays qui bordent la mer Méditerranée), mais qui joue aussi, n’en doutons pas, et certainement beaucoup plus justement, sur la définition de l’adjectif méditerranée, qu’on trouve dans le Littré, à savoir : « Qui est au milieu des terres ». Prenons un moment cette définition à la lettre et demandons-nous : qu’est-ce qui est au milieu des terres ? C’est par cette seule question que nous pénétrerons le film de J.-D. Pollet ; étant bien entendu que ce n’est pas nous, que ce ne sera jamais nous qui répondrons à cette question mais le film. La pensée qui est au milieu des terres... cette question « qu’est-ce qui est au milieu des terres » cache le film de ce qui est au milieu des terres ... C’est dire que jamais l’un sans l’autre ils ne se révèlent. Leur dissociation — cet article — suspend le choix (le jugement) et ne peut introduire qu’un sens forcé et fragmentaire... C’est là la force des oeuvres qui utilisent la fragmentation comme moteur.


Méditerranée Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Voyons à présent ce que ces fragments ont de particulier, et au-delà des séries enchevêtrées qui composent la figure du film, ce qui ne cesse de nous requérir :
Le temple de Bassae
La mer
Les ruines de Palmyre
Une course de taureau
Une allée au centre d’un jardin abandonné
Venise
Une mise à mort
Un tableau de Jacopo Bellini
Peut-être une orange
Le couloir d’une clinique
Une maison abandonnée
Une jeune fille se coiffant
Ou boutonnant sa blouse
Ou tenant une fleur
Le dieu Horus
Le couloir d’une clinique plusieurs fois tandis qu’un visage aux yeux clos passe sans s’éloigner tandis que sur une table d’opération, la mort peut-être, frappe et que de plus en plus précisément nous sommes atteints signe de la contestation par une tête de femme sculptée d’époque romaine
Ou encore c’est un blockhaus en ruine qui est touché
Ou encore c’est le taureau qui tombe
Mais quelle femme, quelle maison, quelle fleur, quel dieu, quel érotisme, quelle ruine, sinon à chaque fois et d’une façon toujours identique et nouvelle l’évocation de la multiplicité subjective (femme, dieu, maison) à travers la multiplicité objective que cette femme évoque. Chargées, c’est-à-dire ouvertes sur notre sensibilité mémorative tout aussi bien historique que culturelle, les représentations choisies par J.-D. Pollet nous introduisent à chaque moment au sein d’une subjectivité qu’elles transcendent ; ouvertes et fermées (multiplicité subjective de la maison, multiplicité objective des maisons évoquées) ces représentations analogiques devaient comprendre l’Histoire et le Sacré pour éviter l’emprise d’une histoire et d’un sacré, et s’inscrire hors de toute revendication mythique. Ce sera entre autres un des mérites de cet admirable film que l’utilisation qu’il fait de l’analogie. Certes il n’est pas le premier, mais par exemple entre l’utilisation de l’analogie par Eisenstein dans disons « Octobre » et l’utilisation de l’analogie par J.-D. Pollet dans « Méditerranée » nous avons le champ de tout ce qui sépare le grand Cinéma d’hier, du cinéma d’aujourd’hui. Lorsque Eisenstein passe, à travers une série de citations religieuses, d’un Christ baroque à une idole des Esquimaux dans l’intention d’illustrer la devise du général blanc Kornilov : « Au nom de Dieu et de la Patrie », nous restons en quelque sorte sur le plan d’une même image en perspective. c’est le visage d’une unité qui à travers sa multiplicité commande une perception unique (projet ici évidemment visé par E.) ; lorsque J.-D. Pollet et Ph. Sollers établissent une analogie entre la femme vivante et la femme morte (mourante) : « et si en même temps quelque part dans un quelque part inimaginable quelqu’un se mettait tranquillement à vous remplacer », la distance qui s’établit n’est plus un point de fuite dans la perspective du même, mais l’abîme où sombre la femme morte et d’où semblable à la morte jaillit se coiffant la vivante. On sait qu’en entreprenant « Octobre » Eisenstein avait I"ambition de se rapprocher « d’un cinéma purement intellectuel, libéré de ses limitations traditionnelles, incarnant idées, systèmes, concepts dans des formes directes qui supprimeraient le recours aux transitions et aux paraphrases » [6], cette ambition qu’Eisenstein n’abandonna jamais tout à fait même après le boycottage d’ « Octobre » et l’échec de « Que viva Mexico », le film de J.-D. Pollet la réalise. C’est qu’aussi J.-D. Pollet dispose des divers travaux menés dans ce sens et dans tous les domaines depuis le début du siècle, et que la pensée dans laquelle Eisenstein envisageait son oeuvre, ayant au cours de ces vingt dernières années considérablement évolué, notre perception offre aujourd’hui aux jeux de l’analogie et de sa « lecture », une réalité qui ne peut se résoudre qu’à travers la complexité analogique. Autrement dit, au lieu d’instituer un sens unique et sentimental (image unique commandant et résolvant une série d’images) le film de J.-D. Pollet institue dans le sens (l’image) la multiplicité des sens (des images) possibles s’offrant comme justification et comme contestation au vertige de la totalité, totalité qui ne peut jamais apparaître que dans le dessein de la multiplicité et de la fragmentation. Ainsi si l’on veut s’en tenir à un niveau anecdotique on peut voir dans « Méditerranée » presque autant de films qu’il y a de plans. Pour ne donner que quelques exemples, il se peut très bien que tous les plans soient commandés par la jeune femme qu’on emmène à la salle d’opération, comme il peuvent l’être par cette autre jeune femme en train de se coiffer, mais pourquoi ne le seraient-ils pas tout aussi bien par la villa abandonnée, par le fil de fer barbelé, par l’accordéoniste qu’on ne voit qu’à peine, par un des spectateurs de la course de taureau, par un spectateur qu’on ne voit pas, puisque aussi bien ils dépendent de chaque spectateur du film (« Mais si l’on était regardé ? »). Que confier à cette couche anecdotique, systématiquement ouverte et décevante, qui se refuse il cristalliser les significations. Qu’est-ce que ce refus peut bien vouloir signifier ? Peut-être tout d’abord ceci que donner à choisir c’est donner à voir... J’entends bien, nous sommes au Cinéma («  un spectacle dont on sait bien pourtant qu’il ne viendra pas du dehors ») [7] qui ne donne pas à regarder. Nous nous étions déplacés pour une représentation colorée, une aventure résolue en 40 minutes sous la grille des lieux communs, et nous nous trouvons brusquement placés en face de la réalité d’une figure qui refuse de se laisser épuiser, qui se présente à nous non plus vécue mais à vivre (non plus vue mais à voir)... autrement dit le film va constamment se présenter à nous comme question du vu (du vécu), comme la question non plus de ce qui est fait mais de ce qui se fait dans ce qui se contre. Si donner à choisir c’est donner à voir, et si donner à voir c’est donner à vivre, à faire, si l’on accepte cela on entre dans une aventure que seule une réponse à la question « Qu’est-ce que voir ce que l’on vit ? » peut éclairer.
On tombera facilement d’accord avec moi sur ce fait que vivre ce que l’on voit c’est le prendre comme moteur du vécu, c’est le réfléchir et le prendre comme moteur de la réflexion, c’est le penser. Ainsi le film de J.-D. Pollet, expérience sans précédent, nous entraîne à vivre cette pensée « qui est au milieu des terres », la pensée le cachant... expérience à vivre ce qu’il dit et qui se présente à nous voilée comme une pensée (une image) [8] qui attend d’être comprise (reconnue) pour trouver son nom : Méditerranée.

Marcelin PLEYNET (1963).

Je rappelle que ce texte de Pleynet est de 1963. Il manifeste une acuité et un intérêt peu communs pour le cinéma et le dispositif cinématographique. On en aura la confirmation quelques années plus tard dans deux importants entretiens que Pleynet accordera à la nouvelle revue Cinéthique (« Économique, idéologique, formel... », entretien avec Gérard Leblanc et Jean Thibaudeau, dans le n° 3, printemps 1969 [9] ou encore « Le point aveugle » (n°6, 1970) ainsi qu’aux Cahiers du cinéma (« Sur les avant-gardes révolutionnaires », dans le n° 226-227 de janvier-février 1971 consacré à S.M. Eisenstein) [10].
Ceux qui ont pu voir Vita Nova, le film de Pleynet et Florence D. Lambert (2008), ont pu le vérifier début avril 2010 : Vita Nova est l’un des très rares films à s’inscrire dans la démarche de pensée initiée par J-D. Pollet dans Méditerranée.

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Deux autres textes de membres du Comité de rédaction de Tel Quel figuraient au dossier : le premier de Jean Ricardou [11], le second de Jean-Pierre Faye [12].
Sollers raconte qu’au festival de Knokke-le-Zoute, en 1963, Jean Ricardou était debout après la projection de Méditerranée et criait : « Bravo ! Bravo ! », et Sollers ajoute : « il était tout seul ! »

« C’est la mer allée avec le soleil »

Si l’on est tenté d’assimiler la Méditerranée à un bouillon de culture, c’est aussi, qu’en cet espace, vie et mort ont atteint une densité peu commune. Evoquer leur frontière constitue donc d’une certaine manière pour le documentaire assez particulier de Pollet et Sollers au-delà du tourisme I’accueil du sens même de cette géographie. Sens rapprochements. Qu’on énumère les principes de mise en rapport selon lesquels cette machine fonctionne : ordre des images, séries, commentaire, musique, mouvements de la caméra, etc., on les constate fort nombreux. Cette multitude nous assure que les quelques pléonasmes du film (musique singulièrement liante et en elle-même contestable, répétitions partielles d’un excellent texte jusqu’à des adéquations à l’image) trahissent, en leur excès, le désir de jeter l’esprit dans une frénésie du rapprochement. Et comme nous sommes encore du côté de la vie, c’est à la face obscure de la frontière ambiguë que les relations s’alimentent. Cette frénésie annexe naturellement les champs culturels où fourmillent déjà les contacts. Par le relais des mythologies, tout, avec une accélération galopante, montre du doigt le mourir : l’orange, fruit défendu, instaurant la mort ; amphores de la barque, urnes funéraires ; le vieux pêcheur, soudain Charon... Notre esprit est astreint à fonctionner selon les mécanismes de l’obsession.
Ce serait peu. Lorsque ce branle spécifique a été donné à l’esprit, seuls subsistent deux moyens de s’y soustraire. Fuir : quitter la salle au plus vite, ou, comme en témoignent ailleurs les rires des femmes angoissées aux spectacles d’épouvante, refuser magiquement le film, le siffler sous le couvert d’une esthétique. (Ces deux attitudes ont abondé au dernier Festival du Film Expérimental de Knokke-le-Zoute ; mais sur quelle esthétique pouvait s’appuyer la portion siffleuse du public, puisqu’elle consommait sans sourciller — et peut- être avec délectation — d’insignifiantes altérations de pellicule, d’agressives manducations de macaronis, des pornographies dérisoires ? Au postulat de la Mise en Image de « Méditerranée » peut seule s’opposer avec décence, pour l’instant, l’idée d’une Mise en Scène que représenteraient Minnelli, Hawks et maint autre.)
Certains, sans doute, cependant, ont réussi à transpercer l’obsession, à risquer l’épreuve fascinante que cette machinerie rend possible. Puisque tout me rappelle ma mort, autant mourir ici, maintenant, à cette pierre, ce reflet, cette herbe. Que ceux qui meurent leur vie, en effet, s’abstiennent. Voici une occasion — sont-elles si fréquentes ? — de vivre sa mort sans personne interposée.

Jean RICARDOU.

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Entre vue et voix

Ici, tout est dans la nuque. On est prié de l’appuyer au dossier, si (comme dans les studios de l’Ermitage) on dispose de fauteuils de cuir profonds.
Les images passent. On est prié de ne pas percevoir le texte pour lui-même. De ne pas l’écouter...? Mais d’entendre. Les images présentent un divers dispersé. Elles commencent par se donner comme belles, dignes de la peinture, pittoresques littéralement.
Barbelés, falaises, dieu faucon, colonnes, port, dents et masque de peau séché, plage de vagues, danse, pentes, métal rougeoyant, palais italien, feuillages bourdonnants. Image de la stupeur : une table d’opération. Branche d’oranger. Arènes, sang. Blockhaus bariolé, barque, bouées de ciment, arêtes, pyramides. Degrés d’un théâtre à ciel ouvert.
Sans raison apparente ou profonde, elles reviennent, dans des successions différentes. Ne pas chercher à les retenir, à en prendre la mesure. Ce qui passe doit dériver sans retour, et les retours eux-mêmes. II faut se laisser forcer par la succession. Mais revient la stupeur : la table blanche, et un visage clos. Une toute jeune fille : l’image se dessine autour des lèvres, qui se touchent légèrement.
C’est à ce degré que le texte à son tour force la perception. Avec lui ce n’est plus la succession qui viendrait elle-même se doubler. Ce sont des arrêts coupures, points-limites. Peu de mots, ce n’est pas un texte lyrique qui se déchaîne. Peu de description. A dire vrai, il paraît poursuivre tout autre chose, mais quoi ? Il donne à la cantonade de singulières commandes au paysage, il ordonne à l’indicatif, tandis que les plans dérivent et alternent. Passent les uns dans les autres. Sont glissés les uns sur les autres.
Les cartes de la vue sont battues et redonnées. Ce qui bourdonne autour de la vue au fond de l’allée, au long du chariotage (dirait Georges Sadoul) qui va vers la façade italienne désertée, laisse attendre une suite, non une série. Mais qui attend, ici, est perdu.
Rien ne vient vraiment, que la parenté contradictoire du jeune visage étendu et clos et du jeune visage dansant. Danse de la fleur, exaltation de la fleur (disait le relief de Pharsale) que la Jeune fille tient devant ses yeux du bout des doigts, et autour duquel son visage sourit. Maintenant la musique de la danse grecque contamine aussi le tout jeune visage étendu aux yeux fermés.
Et maintenant les plans communiquent, ni par le récit, ni par l’espace, ni par un ordre caché qui découvrirait son chiffre peu à peu. Par les coupures mêmes, peut-être, par les décisions de les suspendre. Par les mouvements presque immobiles que ces suspensions laissent voir. Le mufle du taureau tourne autour de l’épée plantée, le jeune visage aux yeux fermés se déplace à l’horizontale. Les yeux riants tournent ou oscillent autour de la fleur tenue. Le blockhaus aux longues traces de peinture lavée est terre à la droite du plan. La bête tourne inlassablement sa tête massive autour de l’acier planté. Sous la jeune tête riante aux cheveux dénoués, la main boutonne une robe de toile claquant dans le vent.
Ce sont les paroles brèves et presque inopportunes qui coupent et ordonnent les plans. Qui annulent et détruisent toute similitude, en omettant de la désigner, en la laissant basculer dans le plan suivant. Le blockhaus, mufle massif - mais aussitôt pétrifié et défiguré. La coloration descend vers un gris toujours plus blanc et osseux, arrête la main vive qui boutonne la robe de toile froissée. Revient vers les couleurs et laisse revenir la voix. La voix dicte quelques indications. La bête agonisante est maintenant à nouveau dressée. Toute vue est davantage altérée. Le fond des vagues se mêle en grisaille. Falaises et mer sont prises dans un réseau de blanc métal barbelé. La vue descend vers le noir tandis que son et voix un instant continuent. Rien n’a eu lieu — que le lieu toujours changé. Quiconque s’est raidi pour saisir n’a peut-être rien perçu. Choses et paysages épais sont suspendus à des fragilités. Ce paysage sans cesse basculé n’a tenu qu’à un fil de vision, perçu à peine mais jamais pose, abandonné à une conscience latérale de ce qui la détruit tout le temps, conscience d’une mort dont il n’est même pas question. Cette succession dans la vue est efficace pour certains, plus poignante qu’un récit et sans dire pourquoi.

Jean Pierre FAYE.

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Le film

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Dans la revue Cinéthique n° 5 (juin 1969), Sollers revient sur Méditerranée.

Cinéma / Inconscient / « Sacré » / Histoire

Le sacré est une lacune de déchiffrement ; comprendre le sacré, c’est passer d’une langue à une autre dans la même langue.
Ce qui disparaît, c’est précisément la possibilité de « projection ». Dans Méditerranée, le sujet ne se présente pas comme « divisé ». Il est introuvable.

Dès que vous verrez la mer apparaître devant vous derrière des fils de fer barbelés, vous entrerez dans cette double articulation de l’image et du texte qui amorce une lecture. Un des titres du film a été à un moment La Seconde Vue. Vous pourrez alors suivre le dessein géométral commun au déplacement réglé des séquences et à la condensation algébrique du texte qui le recoupe tout en restant, dirait-on, parallèle à la pellicule et comme décalé d’elle, asymptotique par rapport à elle.

Un tel parallélisme donne à l’ensemble des mouvements et des plans la valeur d’un cube dont il serait possible de répéter la formation lente par balayage ou effacement des surfaces.

Chaque séquence a ainsi le coefficient d’une écriture dédoublée comparable, dans son englobement large et mobile, à celle de l’anaglyphe égyptien. Le film entier, se construisant comme des séries de hiéroglyphes monumentaux, appelant l’espace du Livre des morts et sa « psychostasie » (pesée des actions lors du jugement moral), relève ainsi de la définition qu’on a pu donner de l’écriture égyptienne : tantôt la silhouette (des hiéroglyphes) correspond du point de vue de l’observateur, à un seul angle de vision ; le soleil, l’oeil et la bouche de l’homme sont dessinés de face, le ciel, le pied humain, le lion de profil ; certains objets (le bassin, la ville circulaire) apparaissent, dans l’écriture, vus en plan. Tantôt les angles de vision sont combinés. Le signe de chemin montre celui-ci vu d’en haut, mais les buissons qui le bordent (au nombre de trois) sont vus de côté. Le taureau, la vache ont les cornes de face et la tête de profil. Les « masques », c’est-à-dire tout ce qui peut dissimuler quelque chose d’important, de significatif, sont, à dessein, supprimés soit par « décalage vertical » (le vautour et le cobra représentés au-dessus des corbeilles dans lesquelles ils reposent), soit par transparence (le signe du bassin figuré en coupe de sorte que l’eau de ce bassin est visible). Enfin les échelles sont multiples. Les signes égyptiens ne sont pas répartis au hasard mais d’après des règles strictes... C’est pourquoi les scribes les distribuent à l’intérieur des carrés invisibles auxquels nous avons donné le nom de quadrats.

La double articulation du film, appuyée sur cette monumentalité, insiste sur le mouvement perpétuel de la représentation, dans sa production séparée et chiffrée, dans son « autre scène ». Reste à « voir » cette scansion répétée.

La double articulation de base se retrouve ainsi logiquement transférée dans les corps féminins opposés (la morte, les vivantes) qui sont à lire sur fond « sacrificiel » (statues et taureaux) et portent la contradiction à son maximum d’intensité.

ICI TOUT EST AU MOINS DEUX FOIS.

Par ailleurs la géométrie signifiante est fondée, ancrée sur la couleur traitée dans sa ressource et sa masse. La couleur est avant l’écran, de même que le film a lieu d’abord dans la salle.

La visée de cette écriture est claire : élever sur des ruines et dans l’arène à la fois désertée et sanglante d’une clôture, la possibilité et le calcul d’une sortie par permutations, assimilable à une mutation logique procédant par blocs et pans mythiques entiers. La révolution idéologique sort de la Méditerranée : l’histoire traverse, en l’évaluant, toute mémoire.

li faut souligner les trois seuls éléments « modernes » qui viennent s’articuler sur les références égyptiennes et grecques : la table d’opération, — lieu des greffes ; le haut fourneau et le laminoir — industrie des fusions — la fête populaire, enfin, où l’on peut un instant capter, comme au-dessus de la ligne d’horizon oculaire, le geste contemporain de deux mains de femme manifestant ce qu’une stèle du musée du Louvre met en scène sous le titre de L’Exaltation de la fleur.

Entre ces éléments et les temples, la course de taureaux et l’eau ont pour fonction de marquer la profondeur organique, matérielle. Contact de l’eau et du sang (du feu). Chaque plan est repris, consumé sur ce fond incessant et contradictoire.

Méditerranée réussit à mon sens une approximation radicale de la fonction mythique marquée par le verbe grec mueîn , « clore les yeux et la bouche », et qui donne sur trois plan simultanés :
dromena : les choses agies,
legomena : les choses dites,
deiknumena : les choses montrées.

Il ne s’agit pas pour autant de « sacraliser » ce film : l’important est simplement de noter qu’il résout, sur un point clé de l’idéologie, à la fois l’ineptie religieuse et son envers complice : le blasphématoire.

Philippe Sollers, Cinéthique n° 5, juin 1969.

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Cinéthique 7/8.
Archives A.G.
Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Puis c’est au tour de Jean-Paul Fargier de publier un long texte dans le numéro 7/8 de Cinéthique, Vers le récit rouge, texte dans lequel Fargier entreprend de lire Méditerranée en lien avec le roman de Sollers Nombres (publié en avril 1968). En voici des extraits.

Vers le récit rouge

Dans le mode de poésie que Méditerranée inaugure, la matière première est la représentation.

Entre les plans fixes qui partent d’un plan général (des ruines dont le centre est occupé par la tête, à terre, d’une statue) et amènent, peu à peu, cette tête de statue jusqu’au très gros plan, les scènes de spectacle sont organisées par des raccords : 7 à 19 la corrida, 54 à 58 la fête grecque. Dans cette dernière « série », on observe même le jeu de la dialectique des espaces in et off : l’accordéon dans le champ au plan 54 et 55 ne l’est plus au plan 56 (gros plan du visage de l’accordéoniste) et 57 (plan sur la danseuse à la fleur), mais reparaît en 58 ; étant donné que la bande-son garde continuellement présente la musique de l’accordéon, il se produit, aux plans 56 et 57, la fameuse dialectique des deux espaces. Les plans 137 à 142 (jeune fille grecque se coiffant devant un miroir) sont organisés par ce même type de raccord avec, en plus, ici, l’utilisation du miroir. D’autres plans, par exemple ceux du vieux grec ramant (79 à 82), sont reliés selon cette même logique au mouvement productif du film ; au contraire, il se trouve soumis à une autre logique. Tous les exemples cités forment des blocs de plans intégrés dans une suite qui n’obéit plus à l’ordre de la linéarité discursive. De la même façon, des représentations de spectacles sont convoquées dans un processus qui n’est plus celui de la représentation et du spectacle. Ce qui ne manque pas de produire un certain ébranlement de la conscience, une machinerie meurtrière, un piège.

Il faut donc avancer, continuer à se laisser porter de « l’autre côté ». Méditerranée sans texte serait peut-être encore un film mais ne pourrait plus porter ce sous-titre « La seconde vue ».

Le facteur le plus troublant, remarque Freud, dans l’écriture hiéroglyphique, c’est qu’elle ignore la séparation des mots. Les signes se succèdent sur la feuille à égale distance les uns des autres et l’on ne sait à peu près jamais si tel signe fait encore partie de celui qui le précède ou constitue le commencement d’un mot nouveau.

L’écriture de Méditerranée a moins à voir, en dernière instance, avec l’écriture hiéroglyphique qu’avec celle du rêve ou, plutôt, s’en démarque au même endroit que celle-ci. Car, en ce qui concerne le système d’expression du rêve, la situation est beaucoup moins favorable que dans le cas des langues et écritures anciennes. C’est que ces dernières sont, après tout, destinées à servir de moyen de communication, donc à être comprises d’une façon ou d’une autre. Or, c’est précisément ce caractère qui manque au rêve. Le rêve se propose de ne rien dire à personne et, loin d’être un moyen de communication, est destiné à rester incompris. L’écriture qui produit Méditerranée s’apparente à la fois à l’écriture hiéroglyphique et à l’écriture de l’inconscient.

De cette écriture spécifique, il nous faut maintenant essayer de saisir le fonctionnement. La règle la plus apparente de cette logique est le retour des plans. Le moins que l’on puisse dire est que ce retour est imprévisible, qu’il se produit selon des lois difficilement chiffrables. Des plans reviennent plus souvent que d’autres : on compte par exemple deux plans de deux filles grecques, l’une qui se coiffe, l’autre qui danse mais on ne réussit pas tout de suite à les distinguer ; 22 fois apparaît l’opérée ; 7 fois le visage noir d’une momie ; 6 fois un lingot de métal en fusion et 5 fois la pince d’un haut-fourneau, etc. Par contre une seule fois, une vierge à l’enfant — tableau de Jacopo Bellini, seul « représenté » chrétien du film. Ces comptes, loin de nous éclairer, déplacent le centre productif de cette écriture. Ce qui est important, en effet, c’est que les plans reviennent : ainsi est brisée la linéarité qui est succession d’éléments uniques.

Relance incessante, emboîtement ininterrompu : l’infinitude de ce jeu s’indique en un vocabulaire connotant l’enlèvement des bornes (inconnu, lointain, multiple, double, incessant, redistribué, autres et les mêmes de la même façon et différemment, échappant au jeu, rien n’est fermé, inimaginable, imprévu, la moindre chose est aussi vaste que la plus vaste, le point de vue se situe également partout, invisible, remplacé, irrésistible). Dépossédé de sa position de spectateur (de destinataire d’une communication)... «  et si l’on était regardé » ... il est ensuite invité à entrer dans le jeu où il n’y a pas de dehors ; enrôlé dans ce mouvement, «  conduit progressivement en aveugle à travers chaque première vision erronée » (première vision qui est sa nécessaire et inévitable initiale participation au jeu), il est remplacé, pris au piège de la substitution, de la non-identité à soi... «  et si, en même temps, quelque part, dans un quelque part inimaginable, quelqu’un se mettait tranquillement à vous remplacer... » Piège meurtrier s’il en est, qui ne tue en fin de compte (et ne peut tuer) qu’une certaine idée de la mort.

La mort que Méditerranée filme est celle-là même dont le jeu est la cause : la perte de l’identité à soi. Ainsi, à la tâche spécifiquement impartie au cinéma par Cocteau (« filmer la mort au travail »), ce film en substitue une autre : faire voir poindre l’infini, l’infini qui point, l’infini-point. Car l’infini, ici, ne tombe pas du ciel ; il n’est pas reproduit dans le film mais produit par lui ; il est le terme d’une germination, la non-fin de ce mouvement (cinéma = mouvement) «  clair et sûr », qui « décollé » de lui-même, distribue maintenant les distances et les rôles — de l’autre côté, continue dans la trame sa fonction inlassable.

Jean-Paul Fargier, Cinéthique n° 7/8, 1970 [13].

LIRE AUSSI : Emmanuel Gratadour : Méditerranée (1963) de Jean-Daniel Pollet. Documentaire et montage.

*


ANNEXES

La spécificité cinématographique et la politique « révolutionnaire »

A. Tel Quel versus Godard

Mentionnons ici, puisque l’occasion de ce dossier nous a été donnée par le rapprochement que Yannick Haenel effectue entre le cinéma de Godard et celui de Pollet, que le rapport à Godard, à la spécificité cinématographique, à la politique, et de ceux-ci à Méditerranée, n’est pas aussi simple que pourrait le faire croire les illusions rétrospectives et les citations sorties de leur contexte ! Ainsi, dans le numéro 3 de la revue Cinéthique du printemps 1969, Marcelin Pleynet et Jean Thibaudeau pointaient sans concession les ambiguïtés de la position de Godard — du Godard de l’époque et dans le contexte de l’époque — en ces termes :

« Cinéthique. — Quels sont, parmi les films que vous avez vus, ceux qui vous semblent politiques ?


Archives A.G. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

Pleynet. — Je crois que le concept de « politique » ne peut finalement pas être opérant appliqué à la production cinématographique. En effet, comment pourrions-nous dire d’un film qu’il n’est pas politique. Des Souliers de saint-Pierre à La Chinoise. en passant par Le gendarme se marie, tous les films sont politiques. Et ce dans la mesure où ils sont, plus ou moins consciemment, je vous I"accorde, déterminés par l’idéologie dominante. Ce concept d’idéologie étant à mon avis bien autrement opérant, dans la mesure où il signale dans l’effet que l’on prend en considération, ici l’effet film, le vide plus ou moins grand qu’y laisse la théorie — vide qui fait toujours appel d’air pour l’idéologie dominante. La question qui peut se poser aujourd’hui quant au cinéma doit être me semble-t-il du genre quels sont les films qui d’une façon ou d’une autre paraissent être déterminés par un travail théorique ? C’est-à-dire un travail qui tenterait de penser le cinéma comme ce que Louis Althusser nomme « spécificité différentielle ». Or la seule réponse que l’on puisse faire à cette question, c’est qu’il n’y a pas aujourd’hui une seule pratique cinématographique qui s’inscrive dans une perspective théorique. Il y a des films politiques et il y a des films plus ou moins politisés, mais ce sont tous sans exception des films investis par l’idéologie bourgeoise, et ce essentiellement dans la mesure où leur pratique est empirique. N’est-il pas étonnant qu’après la vogue structuralo-linguistique que l’on vient de traverser (et dont les revues de cinéma ne se sont pas privées de se faire l’écho) cette question de la spécificité du cinéma ne se soit jamais réellement trouvée posée, si ce n’est en Russie dans les années 20. En France plus qu’en aucun autre pays le cinéma a donné lieu à une littérature aussi considérable que niaise (je pense aux critiques ésotériques sur Hitchcock, Minnelli, Ford... que sais-je ? — pour ne pas parler des essais d’esthétiques).

Thibaudeau. — Pour répondre à cette question, je m’appuierai sur les différents reproches que Godard adresse à Pollet, dans son interview du premier numéro de Cinéthique [Janvier 1969. A.G.]. Et d’abord, que dans « Méditerranée », la fonction théorique l’emporte sur la vertu militante, car la lutte des classes n’y parait pas.
Il est vrai que ce film est entièrement démarqué de son référent explicite — la Méditerranée —. Autrement dit, voilà un film qui se produit, mais ne re-produit pas. Godard regrette qu’il n’y ait pas la lutte des classes, d’autres regretteraient le voyage touristique, ou le documentaire, ou l’histoire d’amour ou de trafic de drogue que ça aurait pu être, si bien que « Méditerranée » n’est pour ainsi dire pas diffusé. Et, sans doute, il est possible de faire avancer, au cinéma et ailleurs, la lutte des classes, au même titre que les affaires du Club de M. Trigano ou n’importe quoi. Pourtant, il est non moins nécessaire de chercher à poser la lutte idéologique au niveau « spécifique différentiel » d’une pratique particulière. Par sa dé-construction systématique des phénomènes représentatifs, et la construction rigoureuse de séries signifiantes, « Méditerranée » accomplit un travail positif de critique du cinéma ; c’est-à-dire un travail révolutionnaire, même s’il n’inclut pas les signifiés politiques de films comme Main basse sur la ville, Le vent des Aurès ou Z. (Mais réduire le périple méditerranéen à un voyage dans quelque chose comme la mort — encore que, au coeur du film, l’héroïne est vivante, sur une table de chirurgie — rend assez bien compte malheureusement de la réalité politique actuelle.
Si je m’attache à ce que dit Godard, c’est que celui-ci, par sa pratique du montage (au sens où l’entendait le meilleur cinéma soviétique muet) se pose, à peu près seul, la question du cinéma comme production idéologique : en avance par sa pratique, Godard se trouve de quelque façon obligé d’affirmer son idéologie, que l’on pourrait qualifier d’anarchiste-droitière, qui, bien sûr, perturbe le jeu des idéologies bourgeoises, mais n’y est pas moins comprise, ignorant profondément ce qu’est au juste la lute des classes — la lutte du prolétariat. C’est pourquoi les films les plus intéressants de Godard sont à mon avis ceux où il se choisit pour tâche de contester l’idéologie mise en oeuvre (Le mépris). Lorsqu’il assume sans rire sa propre version de l’idéologie bourgeoise le résultat est parfois heureux (Made in USA), il peut être aussi suspect (Le petit soldat), ou détestable (l’humanisme d’Alphaville ou de la conversation dans le train dans La Chinoise)... Refusant la fonction théorique au nom d’une lutte des classes à laquelle pourtant il ne participe pas. Godard est donc limité à l’agitation contestataire.


La séquence du train dans La chinoise expliquée par Francis Jeanson.

Je note pour en finir sur ce sujet que dans Tu imagines Robinson [1967. Voir Méditerranée - Jean-Daniel Pollet, tel quel (II). A.G.] Pollet ne s’est pas du tout résolu à écarter les signifiés politiques : s’il a dû en effet renoncer à introduire la Grèce des colonels, il m’a en revanche permis d’écrire un texte qui inscrit dans le film le refoulement de l’Histoire et la critique de l’idéologie bourgeoise qui avait présidé à l’élaboration du film. Finalement, le film ne « se passe » pas en Grèce — il a lieu ici même, où nous sommes.

Pleynet. - Ce que dit Thibaudeau est tout à fait juste, et montre bien que Godard ne s’est jamais posé la question de la spécificité du cinéma, question que par exemple « Méditerranée » peut poser. Avouer aussi ingénument qu’on oppose théorie et fonction militante, n’est-ce pas reconnaître son militantisme comme pratique empirique (pratique en tout cas investie par l’idéologie dominante.

Cinéthique. — Mais la spécificité du cinéma n’est-elle pas liée aussi aux conditions de production des films ?

Pleynet. — Sans doute aussi n’ai-je pas dit que la spécificité du cinéma ne se trouvait pas liée à ses conditions de production. Une pratique qui ne penserait pas les conditions de production de son objet, serait une pratique empirique (non théorique). Incapable de penser sa spécificité. En ce qui concerne le cinéma, vous avez des théories psychologiques, des théories formelles...

Cinéthique. — Christian Metz...

Pleynet. — Par exemple. Il faut bien dire que quelle que soit l’importance du travail effectué par Metz à partir du modèle linguistique, importance qui est grande, le silence qu’il garde quant à la fonction idéologique, et quant aux déterminations économiques de l’objet qu’il prend en considération... il faut bien dire qu’une telle attitude non seulement laisse le champ libre à l’idéologie dominante, mais encore dans la mesure où cette attitude peut se donner comme scientifique, vient justifier l’idéologie dominante. Si nous considérons, face à ce point de vue « formaliste », celui de Godard que Thibaudeau rappelait tout à l’heure... nous nous apercevons que dans un cas comme dans l’autre... un des aspects de la spécificité tend à se donner comme totalité spécifique... c’est-à-dire à censurer, à refouler hors de son champ une partie de l’activité réelle de l’objet considéré, vide qui encore une fois ne manquera pas d’être comblé par l’idéologie dominante. [...] »

Dans l’entretien qu’il accorde en janvier 1971 (soit deux ans plus tard) aux Cahiers du cinéma (n° 226-227 sur Eisenstein et les avant-gardes révolutionnaires), Pleynet revient sur l’articulation spécifique du cinéma aux différentes pratiques du tout social et l’articulation de la réflexion théorique à une révolution politique et idéologique. Il écrit alors à propos de Méditerranée et de l’évolution de Godard :

« Dans le cadre des problèmes de l’avant-garde, cela est évidemment sensible pour le grand cinéma soviétique et pour ses deux représentants les plus prestigieux Eisenstein et Vertov. Dans un tout autre contexte et toute proportion quantitative gardée, je dirai pour ma part que c’est également ce que je lis comme déterminant dans la production de Méditerranée, à savoir l’apport théorique de Sollers, qui peut se définir comme une intervention scientifique tranchante dans le champ idéologique, et dans la production des derniers films de Godard. J’ai dit, je crois dans le numéro 3 de Cinéthique, que s’il le voulait, Godard pourrait un jour réaliser des films théoriquement conséquents — il faut dire aujourd’hui qu’avec un film comme Pravda, Godard se révèle comme le plus important et le plus conséquent des cinéastes d’avant-garde. Mais, et cela sans que joue en aucune façon comme réserve, ici encore je distinguerai soigneusement entre la pratique cinématographique de Godard et les propos théoriques qu’il peut être amené à tenir. [...] Godard a été quelqu’un qui, pendant très longtemps, s’est trouvé aveuglé par des préoccupations formalistes dans des films historiquement datés mais qui ont exercé une pression qu’on ne peut ignorer sur l’histoire du cinéma, c’est-à-dire qu’ils ont remis à l’ordre du jour, dans le cinéma français, une accentuation formelle d’ordre moderniste, qui n’est pas négligeable, loin de là — quoique ces films restent limités par un horizon idéologiques dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est sans grand intérêt. Puis il y a eu Mai 1968, qui a été à plus ou moins longue échéance déterminant pour Godard. [...] » [14].

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B. Jean-Paul Fargier versus Tel Quel (1972)

Quelques mois plus tard, les principaux rédacteurs de Cinéthique — J.-P. Fargier et Gérard Leblanc — rompait le « front commun » avec Tel Quel... pour défendre les positions de Godard. Dans un numéro de la revue « VH 101 » (1er trimestre 1972) consacré au « cinéma d’avant-garde », Fargier — qui avait pourtant consacré une longue et enthousiaste analyse à Méditerranée (« Vers le récit rouge ») dans le numéro 7/8 de Cinéthique — s’en prenait aux positions de l’avant-garde surréaliste et de Tel Quel en critiquant les deux films censés représenter les deux mouvements : « L’âge d’or » de Luis Bunuel et... « Méditerranée » de Pollet/Sollers. Au nom du Prolétariat et de « la politique au poste de commandement ». Le titre de l’article (bien oublié aujourd’hui) : « La relève de la garde » [15] !

En voici les passages qui concernent « Méditerranée » :

« [...] MÉDITERRANEE, par ceux qui immédiatement reconnurent ce film, ne fut pas d’abord considéré comme subversif, comme idéologiquement antagoniste à la bourgeoisie. Et ce, pendant plusieurs années. Le prouvent les textes de Ricardou (« C’est la mer allée avec le soleil »), de Faye (« Entre vue et voix »), de Pleynet (« La pensée, le cachant »), de Sollers (« Une autre logique ») publiés dans le numéro 181 des « Cahiers du Cinéma » en février 67 : qu’on les relise aujourd’hui et l’on s’apercevra qu’à ce moment-là il n’est rien dit de plus qui ne puisse être (ou n’ait été, ainsi qu’en témoigne le texte de Pleynet daté de 1963) déjà dit quatre ans plus tôt. La nouveauté que ces textes considèrent réside dans l’introduction au cinéma de certains procédés déjà utilisés dans la littérature moderne : ce (se) faisant MÉDITERRANEE : met en jeu « interroge et fait apparaître la qualité cinématographique [...1 comme fonction créatrice », autrement dit creuse la spécificité cinématographique. Notons qu’en 67 le « fond » matérialiste antique n’est pas encore lu, quelques années plus tard le statut de ce film a changé : il est défini par nous (cf. « Vers le récit rouge ») comme matérialiste, idéologiquement allié à l’idéologie prolétarienne, mieux : comme chemin obligé de toute politique cinématographique révolutionnaire. Et Julia Kristeva (dans le numéro 9/10 de Cinéthique, in « Cinéma pratique analytique, pratique révolutionnaire ») désigne en MÉDITERRANEE « le cinéma analytique de la société capitaliste moderne » [16] (et, contentons-nous de le noter pour l’instant, dans le même mouvement, désigne en la seule oeuvre d’Eisenstein « le cinéma révolutionnaire », ce qui a pour effet de censurer Dziga Vertov comme l’attention exclusive pour le film de Pollet/Sollers censurait le travail signé Groupe Dziga Vertov et par là ce que l’un et l’autre visent : mettre la politique au poste de commandement d’une pratique artistique).

Nous avons aujourd’hui des raisons de penser que cette position est erronée : nous avons aussi des raisons d’écrire que celle des surréalistes à l’égard de L’AGE D’OR relevait d’une idéologie parfaitement définissable aujourd’hui comme interne à la bourgeoisie.

L’analyse qui attribue une position révolutionnaire à MÉDITERRANEE ne met pas au jour beaucoup plus d’éléments que les textes de 63 et/ou 66 : l’importance de la répétition, le travail sur la Représentation, la logique autre qui gouverne la succession des plans, le jeu du « commentaire », le « fond » méditerranéen, tous y sont déjà repérés (même si ce repérage reste superficiel) à la mesure de leur importance fonctionnelle, fictionnelle : déjà même dans le texte de Sollers, sous un discours structuraliste pointe ce qui bientôt (en 69/70) justifiera le changement de statut idéologique du film, la position du sujet dans l’inconscient, dans la logique du signifiant. De tous ces éléments, il est alors tout simplement tiré parti . Ce qui change, des premiers aux seconds textes, ce n’est donc pas la description du mécanisme qui structure le film (même si elle va en s’approfondissant), c’est l’évaluation de ses effets, la mesure de sa portée idéologique. Et ce que nous proposons aujourd’hui ce n’est pas une nouvelle description de ce mécanisme mais une évaluation idéologique autre .

Mais auparavant : que s’est-il donc passé en l’espace de quelques années (de 67 à 69) qui ait pu produire les conditions (et/ou la nécessité) de la posturation en révolutionnaire de MÉDITERRANEE ? Que le passage d’une analyse dominée par la linguistique et son idéologie structuraliste à une lecture dominée par la psychanalyse n’apporte rien de nouveau mais seulement déplace l’importance attribuée aux éléments repérés, indique bien que les raisons de ce changement de statut idéologique ne relèvent pas principalement d’un ordre intra-sémiotique, mais politique : ce changement est à comprendre dans un large mouvement idéologique par lequel certains intellectuels et artistes, acculés par l’aggravation des luttes de classes en (et après) Mai 68 à prendre parti ouvertement pour la bourgeoisie ou le prolétariat, découvrent soudain des vertus subversives à leurs pratiques antérieures : contraints de se révolutionnariser sous peine d’apparaître de plus en plus nettement comme réactionnaires, ils peuvent ainsi, sans changer de pratique mais en renversant simplement les discours qu’ils tiennent sur elle, prendre des postures, à leurs yeux, avantageusement révolutionnaires. Il faut noter ici que ce mouvement prend appui sur le modèle althussérien de la pratique théorique , révolutionnaire par principe parce que se coupant de l’idéologie source d’illusions, de mystifications : à partir de là (et au moment même où Althusser rectifie sa théorie), une série de pratiques tout aussi révolutionnaires est inventée comme tenant lieu de pratique politique révolutionnaire : écriture de « textes modernes », production de « films matérialistes », « nouvelle pratique de la peinture », etc.

Toutefois fallait-il que ces pratiques nouvelles présentent dans leurs champs respectifs de très nets aspects de transformations, des ruptures aiguës. Et c’était bien le cas de MÉDITERRANEE (et, d’une manière générale, des textes mis en valeur par Tel Quel).

Sur quelles transformations internes à la pratique cinématographique reposait le changement de statut idéologique qui, après Mai 68, fut accordé à MÉDITERRANEE ? Et pourquoi le permettaient-elles ?

La vision du fonctionnement de ce film dépend de la saisie du contre quoi il se met en branle : MÉDITERRANEE ne se constitue que de la destruction des mécanismes cinématographiques qui règlent dans la quasi-totalité des films l’investissement, la circulation et la reproduction élargie de l’idéologie bourgeoise. Par leur négation active il vise à déconstruire le système idéaliste de la Représentation. Cette opération a lieu selon les règles que j’ai ailleurs (cf. « Vers le récit rouge ») analysées de façon minutieuse et détaillée ; il n’est pas nécessaire de les reproduire ici. Nous rappellerons simplement ces quelques traits fondamentaux :

1. Par la succession de plans extrêmement raréfiés en éléments représentés, sans rapports narratifs, sans support scénarique, est pris au piège l’habitude des spectateurs (forgée à la fréquentation des codes idéalistes) de rechercher des signifiés extérieurs au travail des signifiants, d’additionner les référents pour avoir la signification (la représentation du monde ou de l’univers intérieur d’un Sujet).

2. Par la répétition des plans, leur retour et l’imprévisibilité de leur retour sont déconstruits la linéarité, le récit, la représentation comme restitution d’une présence.

3. Par les raccords dans la texture est déconstruit le raccord spatio-temporel, autre support de la continuité métaphysique.

4. Par l’enchaînement des plans selon la logique de l’inconscient, la « logique du signifiant », par leur renvoi infini de l’un à l’autre se trouve raturé le « vouloir-dire », la signification comme communication d’un message d’une conscience à une autre conscience, d’un sujet (défini par son cogito) à un autre sujet.

5. L’infinitisation du sens dissout le sujet convoqué à interpréter un message et le pose comme un point dans la chaîne des signifiants, comme un signifiant parmi les autres.

6. Le texte re-marque le fonctionnement du film qui le comprend : il n’est pas un commentaire.

7. La domination de la chaîne par des signifiants (dialectiquement articulés) de castration [17] — et d’inceste contrevient à la fonction double impartie à l’art par l’idéalisme : conjurer l’angoisse de castration (et de mort), détourner de l’interdit majeur. Ici, MÉDITERRANEE excède la censure de l’inconscient.

Si l’idéalisme est conçu comme un, monolithique et réduit à l’idéalisme subjectif, la déconstruction de celui-ci pourra très bien passer pour l’Autre de celui-là, pour son antagonisme. Telle réduction fondait la méprise à laquelle aboutissait l’analyse qui repérait bien le contre quoi MÉDITERRANEE jouait l’idéalisme subjectif, mais manquait le point de vue où cette opposition s’enracinait : l’idéalisme objectif. Identifiée d’abord comme matérialiste (mécaniste), l’idéologie qui structure le film put être prise pour révolutionnaire, c’est-à-dire polir une réflection active des contradictions objectives du réel selon le point de vue du prolétariat. A tort ; car s’il est vrai que MÉDITERRANEE fait fond du matérialisme antique et d’un certain matérialisme mécaniste qui préside à la découverte et à la théorie de l’inconscient, il est non moins vrai qu’aujourd’hui — c’est-à-dire après l’irruption du matérialisme historique et du matérialisme dialectique le matérialisme mécaniste régresse à l’idéalisme objectif et n’occupe que la place d’une contradiction interne à la bourgeoisie : place qui est quand même celle d’une brèche insuturable dans son idéologie, d’une plaie ouverte par ce qui permit l’invention du marxisme : la constitution du prolétariat en classe appelée à renverser la dictature de ses exploiteurs. Que les positions du prolétariat ne soient pas aujourd’hui telles qu’elles lui permettraient d’occuper le terrain de la théorie des pratiques artistiques explique l’accueil favorable que « notre » erreur reçut dans certaines couches de la petite-bourgeoisie toujours prêtes à trancher à la place de la classe sous la direction de laquelle elles doivent pourtant se mettre. [...]

L’avant-garde oublie un peu trop vite de qui elle est l’avant-poste, de quelle classe. Car elle est contradictoirement le lieu du camp idéologique de la bourgeoisie où l’idéologie prolétarienne retentit avec le plus d’intensité, trouve le plus d’échos favorables mais en même temps le poste le plus avancé dans la lutte contre l’idéologie prolétarienne. Se leurrant sur son propre compte, elle trompe l’oeil de la bourgeoisie qui prend de tels soubresauts pour un retournement décisif, et celui de la petite-bourgeoisie qui voit un saut qualificatif dans une simple rupture, car si c’est d’un détachement que l’avant-garde se constitue il ne faut pas perdre de vue devant qui elle marche un pas ou deux en avant et que, ce faisant, elle protège. Il ne s’agit cependant pas de minimiser d’une accélération de sa marche les effets sur ce qui la suit : les distances s’allongent, les rangs s’éclaircissent, se rompent, se désagrègent. Et c’est bien pour cela que la bourgeoisie réprime ses avant-gardes, les modère, tente de les résorber, de les mettre au pas ; ce sont des armes à double tranchant. Nous pouvons donc dire que la forme d’avant-garde dont il est ici question désigne en ceux qui la reconnaissent et s’y reconnaissent l’une des fractions de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie intellectuelle qui peut rallier le prolétariat. Mais ce ralliement nécessite une transformation radicale, l’abandon des positions de l’idéalisme subjectif (fût-elle subversive à son égard), un changement de terrain.

Ce terrain nouveau n’est pas celui, comme nous l’avons cru d’abord (cf. Vers le récit rouge), où joue MÉDITERRANEE car il n’est pas investi d’une idéologie antagoniste à l’idéalisme subjectif mais seulement par l’idéalisme objectif . MÉDITERRANEE n’est qu’un nouveau terrain pour l’idéalisme.

Si L’AGE D’OR subvertit (affole) le Sujet, lui fait perdre la raison en mettant en scène les déraisons qui profondément le déterminent, MÉDITERRANEE le dissout dans un mouvement objectif, matériel qui le décentre. Telle déconstruction aggrave, plus encore que la perturbation interne de l’idéalisme subjectif, la crise de l’idéologie bourgeoise. Il ne faut pas perdre de vue que le film de Pollet et Sollers (1963) se produit dans l’après-coup des contradictions inter-impérialistes marquées par la seconde guerre impérialiste mondiale, la victoire des peuples colonisés dans les guerres de libération nationale, la victoire des masses chinoises. Après-coup qui se caractérise au niveau idéologique par le renouvellement critique de l’idéalisme subjectif l’expansion de l’existentialisme, le regain du surréalisme (mais Breton n’est plus qu’un pontife essoufflé) et d’un autre côté par l’apparition de pratiques ne relevant plus de cette forme d’idéalisme mais d’une autre qui met l’objet à la place du sujet, la totalité à la place de la conscience : méthode structurale dans les sciences humaines, nouveau roman, nouvelle critique, Tel Quel. MÉDITERRANEE est l’irruption dans le champ du cinéma de cette nouvelle forme d’idéalisme (et non pas, comme le dit Pleynet in Cahiers du Cinéma n° 226—227, le produit d’une « intervention scientifique tranchante dans le champ idéologique » [18], formule que nous n’aurions pas signée à ce moment — janvier 71 — mais qui quelques mois plus tôt ne nous aurait pas paru erronée). Si ce film dissout le Sujet par la déconstruction et la fissuration du discours qui le supporte, attention : le Sujet qui est ici détruit est et n’est que celui que (qui) fonde l’idéalisme subjectif. Mais fissurer un discours et déconstruire son sujet, ce n’est pas encore les transformer en leur contraire, en leur Autre, même si c’est cet Autre qui a provoqué la fissure. Ce contraire — le matérialisme, l’idéologie prolétarienne, le reflet actif des contradictions réelles du point de vue du prolétariat — s’entendent à le forclore ensemble, main dans la main, l’idéalisme subjectif et l’idéalisme objectif.

Fissurer, déconstruire c’est sans doute pour l’idéalisme objectif dépasser l’idéalisme subjectif (car il n’est plus possible aujourd’hui à une avant-garde artistique de se constituer d’une position même subversive à l’intérieur de l’idéalisme subjectif), c’est aussi et en même temps prendre sa relève aux avant-postes de l’idéologie bourgeoise en remplaçant le couple Amour/Révolution par le tandem Ecriture, inconscient/Révolution. Aussi Tel Quel a-t-il raison de se définir (et par là de définir les positions objectives que nous avons occupées avec lui et d’autres, qu’il continue à occuper avec ces mêmes autres) comme « nouvelle avant-garde formelle occupant le terrain autrefois investi par le surréalisme », et s’il est ajouté « et donc le prenant nécessairement à revers », nous savons comment entendre ce re-vers, cette relève , où, ne cherchons pas à le masquer, nous avons pris notre tour... de garde.

Une pratique antagoniste à celles déterminées par la mise en scène de l’idéalisme sous toutes ses formes se dessine à travers le travail du groupe Dziga Vertov (Pravda, Luttes en Italie), une pratique qui ne se prétendra d’avant-garde qu’à viser la constitution de celle, politique (le Parti), du prolétariat et à se mettre sous son commandement. »

Jean-Paul Fargier, VH 101 n° 9, 1972.

Méditerranée. Photogrammes. VH 101 n° 6, décembre 1972. Manet, <i>Lola de Valence</i>, 1862.

*


Annexe 2

Bassae, 1964

Ce court métrage de J-D. Pollet est la seule version dont nous disposons. Une autre version avait été réalisée avec un "commentaire" de Sollers que Pollet n’a finalement pas retenue, préférant le commentaire d’Alexandre Astruc. La version "Pollet-Sollers" a disparu (cf. entretien de Sollers dans le DVD susmentionné).

Dans Méditerranée, il y a l’apparition brusque d’un temple grec d’Apollon, epicourios qui veut dire Apollon Guérisseur. Pollet a été fasciné et a réalisé un film entièrement consacré à ce temple fabuleux perdu dans la montagne. Ce temple donne l’impression d’une aiguille sur terre indiquant une sorte de nord énigmatique. Son aspect majestueux gris-bleu et les nuages qui s’engouffrent en lui confèrent une dimension fantastique. À la vue de ces images, j’ai écrit un texte où je convoquais les présocratiques grecs, notamment Héraclite pour donner une impression de sacré. Pollet n’a pas aimé et n’en a pas voulu. Il a demandé à Alexandre Astruc un texte quasi touristique tandis que je me refusais à faire dans le tourisme. Nos relations se sont un peu détériorées.

Ph. Sollers, La divine perception, 2007 [19].

GIF
*

Je ne connais pas le texte de Sollers qui devait accompagner Bassae. Je sais juste que Pollet en fera lire des extraits à Sollers dans un autre de ses films réalisé beaucoup plus tard, et intitulé, comme par hasard, Contretemps (1986-1987) [20]. Dans Tours d’horizon (éditions de l’oeil, 2004), Suzannet Liandrat-Guigues et Jean-Louis Leutrat écrivent :

Il existe deux versions de Bassae qui diffèrent par le commentaire, l’un de Alexandre Astruc, l’autre de Philippe Sollers. La seule copie disponible est celle avec le commentaire d’Astruc. Il est cependant possible de comparer les deux textes. Ils partagent un certain nombre de thèmes : le caché, le mélange de commencement et de fin (création et fin du monde), la désintégration (ou déconstruction) ; des métaphores convergentes (tas d’ordures chez l’un, tout à la ferraille chez l’autre), un double mouvement d’éloignement et de rapprochement est indiqué par chacun. Ces points communs résultent de suggestions provenant des images de ruines. Ils ont ceci de commun également qu’ils ne nous apprennent rien d’objectif sur ce temple (comme ils le devraient dans un film du type documentaire). Hors cela, l’opposition est totale. Le commentaire d’Astruc est plus traditionnel, emphatique, il se veut organiquement lié aux images. La métaphore contenue dans les mots fûts ou troncs pour parler d’une colonne entraîne sans surprise la référence à la forêt, aux arbres, etc., les nuages qui traversent le ciel évoquent de grands vaisseaux fantômes... Astruc utilise également un savoir sur les sacrifices humains qui se déroulaient non loin de Bassae. Parmi les montagnes environnantes, le sommet du mont Lykaion, ou Likeo, était le siège d’un culte primitif à Zeus exigeant des sacrifices humains et des scènes rituelles d’anthropophagie (de là les expressions ,« ce charnier », « ce jardin d’horreur », l’allusion aux victimes consentantes et à leur sang fumant sur l’autel, etc.). Le mot Dieu, ou la référence à une quelconque divinité sont absents chez Sollers qui fait tout au plus allusion à une énigme sur l’origine du monde ; le « nous » de Sollers s’oppose au « je » d’Astruc (quel est d’ailleurs ce « je » qui semble renvoyer d’abord au cinéaste : « Je multiplie les points de vue », et qui se proclame in fine « le Verbe » ?) ; le ton emphatique d’Astruc s’oppose à celui neutre de Sollers dont le texte est du même esprit que celui de Méditerranée. L’existence de ces deux versions est une modalité imprévisible du dédoublement.

Gilles Deleuze définit le cinéma moderne comme un va-et-vient entre la parole et l’image. Nous aurions avec Pollet un exemple de cette modernité, le va-et-vient se produisant en l’occurrence entre l’image et deux paroles. Ce que le texte dit, ce qu’il accorde à l’image, le sens vers lequel il semble la tirer diffère du texte d’Astruc à celui de Sollers. Mais eux-mêmes sont happés par l’image ; la relation d’appropriation ou de désappropriation se produit dans les deux sens. Le temple dépourvu de toute fonction, abandonné, dépossédé — desdichado, c’est une idée qui ressort de ce qui est montré. La hantise et la fascination sont dans les mouvements de caméra et dans leur retour, dans les plans trop rapprochés, etc. Le « commentaire » de Sollers, à l’instar de celui de Méditerranée, n’explique rien, ne décrit rien. Celui d’Astruc à vouloir être trop près d’elles crée un effet de malaise (comme quand un acteur surjoue) et assez curieusement obtient un effet d’éloignement. Un texte de Sollers de 1962 (« L’œil écoute »), dévolu aux films de Jean Cayrol et Claude Durand, dit ceci qui s’applique parfaitement à Bassae tel que le montre Pollet : « Ces lieux sont hantés par une parole qui renvoie à leur significations passées ou imaginaires. Une parole s’exerce devant des images : elle en donne la profondeur, c’est-à-dire le contenu latent. Elle leur correspond non pas au niveau du commentaire pléonastique, mais dans le monde d’une mythologie privée. Ce que je vois, je le sur-vois toujours. » Il parle de « ces images survivantes, démenties, confirmées, par le texte qui leur sert de support rêveur [21]. » Par conséquent, la « sortie par permutations » s’effectue grâce au texte et à l’accord, ou au désaccord, entre ce texte et des images dites « survivantes ».

Un double décalage se manifeste : entre images et paroles, et entre une impression première d’évidence et une opacité par excès de clarté. Il induit un trajet mental qui est nécessaire pour percevoir, comprendre, « traverser ». Les ellipses de l’averse ou de la transformation de la colonne en pierre sont imperceptibles ; les ellipses entre voir et entendre (il n’y a pas d’articulation entre eux) sont apparentes mais leurs effets sont perceptibles à retardement, le temps d’une traversée. Il y a le visible et l’invisible, le voir et l’entendre. Du visible cache de l’invisible relatif : non pas un invisible absolu, mais un invisible qui, dans un autre contexte (esthétique, catégoriel), serait donné à voir. L’ellipse dans Bassae appartient pour l’essentiel à cet autre visible tapi dans l’invisible relatif. Non pas dans les articulations d’un ordre séquentiel, dans la coupe, mais dans les articulations ou leur absence entre voir et entendre, entre visible et invisible. Le changement d’aspect ici repose sur l’approche des frontières où ce qui est s’abîme, il est le moment où le monde se laisse voir sous un angle nouveau. (p. 108-109)


Annexe 3

Le temple d’Apollon à Bassae 1964 (2018)

Voici, révélé par Sollers sur son site le 20 septembre 2018, le texte que Sollers avait écrit pour le film de Pollet qui lui préféra le commentaire d’Astruc. Un tout autre film.

Le temple d'Apollon à Bassae

*****

[1En souvenir de la séance du 11 février 1969 que nous avions programmée au « Studio Aurore », à Lille.

[2Voir Film Socialisme, Jean-Luc Godard, Jean-Daniel Pollet. Sauf erreur, Méditerranée n’est pas cité dans les Histoire(s) du cinéma. En tout cas, le film n’est mentionné dans aucun des index des quatre volumes publiés chez Gallimard/Gaumont en 1998. Il est vrai toutefois que certains plans de statues égyptiennes y font penser.

[4Repris dans le Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard — recueil de textes et d’interviews donnés par le cinéaste et réunis par Alain Bergala — publié en 1985 aux Éditions de l’Étoile.

[5Le film n’eut-il pas un moment pour sous-titre « La seconde vue » ? (note de M.P. ainsi que les trois notes qui suivent).

[6Cité par Marie Seton in « Eisenstein ».

[7II y a gros à parier pour que Ph. Sollers entende par là que ce que nous voyons n’est pas sur l’écran.

[8« l’image solidaire de chaque idée se présente aussitôt que cette idée surgit » (Hervey de Saint Denys).

[10Cf. note précédente.
Voir aussi de Jean-Louis Baudry, autre membre de Tel Quel, « Cinéma : effets idéologiques produits par l’appareil de base » (Cinéthique, n°7-8, 1970) et de
Julia Kristeva, Méditerranée (une analyse) (Cinéthique n°9/10, avril 1971).

[11Jean Ricardou restera membre de Tel Quel jusqu’à sa démission le 15 novembre 1971.

[12Jean-Pierre Faye quittera la rédaction de Tel Quel le 15 novembre 1967 et créera en 1968 une revue "rivale" : Change (voir Ph. Forest, Histoire de Tel Quel, p. 288).

[13Dans le même numéro : J.L Baudry, « Effets idéologiques produits par l’appareil de base »

[14Quarante ans plus tard, Pleynet se livrera à une critique minutieuse de Godard dans une analyse de son Histoire du cinéma.

[15Article bien oublié aujourd’hui et par son auteur même qui n’en parle pas dans son entretien avec Ironie (cf. Méditerranée). Inutile de dire que les relations avec Tel Quel — et quelques autres « compagnons de route » de Cinéthique (j’en étais) — se sont momentanément « refroidies » après cet épisode ! A.G.

[16Voir, sur Pileface, Méditerranée (une analyse).

[17Notons ici un détail qui ne le fut pas dans le texte de Cinéthique 7/8 : un signifiant de castration se trouve dans les plans du dieu Horus qui châtra Seth, lequel lui avait arraché un oeil (autre signifiant de castration). (Note de J.-P. F.)

[18Voir ci-dessus.

[19Voir Sur J-D. Pollet.

[21Ph. Sollers, L’intermédiaire, Seuil, 1963, p. 161.

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2 Messages

  • Albert Gauvin | 20 septembre 2018 - 14:46 1

    Retour aux Grecs. Voici, mis en ligne le 20 septembre 2018 par Sollers sur son propre site, Le temple d’Apollon à Bassae, avec le texte que Sollers avait écrit en 1964 pour le film de Jean-Daniel Pollet Bassae. Pollet lui préféra alors un commentaire d’Alexandre Astruc. C’est donc un nouveau et tout autre objet filmique que propose aujourd’hui Sollers avec son propre texte de 1964. On le rapprochera évidemment de Beauté, réalisé en 2016 où est cité un autre film de Pollet : Méditerranée que vous pouvez revoir ci-dessus.


  • A.G. | 14 mai 2012 - 16:36 2

    Méditation sur le temple antique par Édouard de Mirand

    « Le petit amas rectiligne de pierres taillées, qui présente aujourd’hui l’aspect d’une pièce intégralement ouverte au ciel brûlant, devait abriter dans la pénombre de sa cellule la statue du dieu. On est donc là, au c ?ur même de ces décombres, devant le panorama d’un édifice naïf qui jamais n’occupa la fonction d’un habitat humain. » La suite sur paroles des jours.

    A lire en marge des films de Jean-Daniel Pollet Méditerranée et surtout Bassae.