9. « Il lui faut bien plus apprendre à reconnaître l'obscur comme l'incontournable, et tenir éloignées de lui les préventions qui dévastent le haut règne de l'obscur. Ainsi l'obscur se tient séparé des ténèbres, simple et complète absence de lumière. L'obscur est le séjour secret du clair. L'obscur garde le clair en lui. Ils s'appartiennent l'un l'autre. C'est pourquoi l'obscur possède sa propre limpidité. Hölderlin, vraiment nourri d'antique sagesse, dit dans la troisième strophe de son poème Mémoire :

"Mais que me tende,
Pleine de l'obscure lumière Quelqu'un l'odorante coupe."

La lumière n'est plus éclaircie quand le clair explose en pure clarté, "plus claire que mille soleils". Il est difficile de préserver la limpidité de l'obscur, c'est-à-dire d'éviter le mélange de la clarté qui lui est étrangère et de trouver la seule clarté qui convienne à l'obscur. Lao-Tse dit (chap. XVIII, trad. V. v. Strauss): "Celui qui connaît sa clarté se voile en son obscur." À cela, joignons la vérité que chacun connaît, mais que peu supportent: la pensée mortelle doit se laisser descendre dans l'obscurité de la profondeur des fontaines pour voir une étoile en plein jour. Il est plus difficile de préserver la limpidité de l'obscur que d'obtenir une clarté qui ne veut luire que comme telle. Ce qui ne veut que luire n'éclaire pas. » (Heidegger.)