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Martha Argerich joue Frédéric Chopin

avec un interview d’Olivier Bellamy par Alain Veinstein (22-03-10)

D 4 mars 2010     A par Albert Gauvin - C 4 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Chopin

Vous croyez connaître Chopin, que la lourde George Sand faisait semblant d’aimer sans l’entendre. Sa tombe, au Père-Lachaise, est sans cesse couverte de fleurs venues du monde entier. Son corps est enterré là, mais son coeur ? Voici [1] : « Au moment de l’autopsie, on préleva son coeur, selon le voeu exprimé par le mourant. Il fut plongé dans un vase de cristal rempli de cognac, placé dans une urne, et celle-ci, rapatriée à Varsovie par sa soeur Ludwika, fut enfermée dans un double coffre d’ébène et de chêne, et déposée dans les catacombes de l’église Sainte-Croix. En 1878, le neveu de Chopin obtint que l’urne fût transférée dans la nef de l’église où elle fut scellée dans un pilier. Elle y est toujours. » Des chercheurs ont demandé, paraît-il, à pratiquer sur ce coeur un test ADN pour savoir de quelle maladie cardiaque Chopin était mort. Mais l’ordre des Lazaristes auquel appartient l’église Sainte-Croix s’y est opposé en disant que les morts doivent pouvoir reposer en paix. Évidemment.
Le coeur musical de Chopin bat dans un pilier d’église. On oublie trop que c’est un coeur polonais révolutionnaire, exilé à Paris en 1830, après la sanglante répression russe contre la Pologne, pays martyr.

Philippe Sollers, Le Journal du Dimanche du 28 février 2010.

Sur le pilier contenant le coeur de Frédéric Chopin à l’Église Sainte-Croix de Varsovie, il y a une citation de l’Évangile de Matthieu : « Car là où est ton trésor, là aussi sera ton coeur » [2].

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Martha Argerich

Le 22 février 1810 Frédéric Chopin naît à Gelazowa Wola (duché de Varsovie) [3]. Le 22 février 1965 commence le traditionnel concours Chopin de Varsovie. Ce jour-là, Martha Argerich joue les Études op. 10 n° 1 et 4, le Nocturne op. 15 n°1, la Polonaise op. 53, dite « Héroïque », et les vingt-quatre Préludes.
Le 5 mars 1965, il y a quarante-cinq ans, presque jour pour jour, Martha Argerich joue le Scherzo n° 3 de Frédéric Chopin (Scherzo : de l’italien scherzo, plaisanterie. Morceau de musique vif et gai).
Le 13 mars 1965, elle devient le septième Premier Prix de l’histoire du concours.

En février dernier Deutsche Grammophon a publié Martha Argerich plays Chopin [4], Olivier Bellamy « Martha Argerich. L’enfant et les sortilèges » (Éditions Buchet-Chastel) et Pascale Fautrier, « Chopin » (Folio biographies [5]...

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Martha Argerich, la biographie

Olivier Bellamy, bien connu des auditeurs de Radio Classique, vient de consacrer un livre enthousiaste et passionnant à Martha Argerich. Étrangement, c’est la première biographie de la géniale pianiste argentine, née en 1941 et célèbre depuis plus de cinquante ans. Bellamy s’explique sur la genèse de son livre dans le dernier numéro de la revue Classica (mars 2010) [6].

La première fois que j’ai rencontré Martha Argerich, dire que je suis tombé sous le charme est un euphémisme. C’était à La Roque-d’Anthéron en août 2000. Petit à petit, nous sommes devenus amis. En 2002, je lui ai dit que j’aimerais écrire un livre avec elle. Elle s’est mise en colère : « Je ne m’intéresse pas à moi. Je m’intéresse aux autres ! » Ce n’était pas le bon moment. Six mois plus tard, je suis revenu à la charge en lui proposant d’écrire quelque chose sur elle en interrogeant ses amis. Elle a trouvé l’idée amusante et m’a laissé faire. Cela a bien duré quatre ou cinq ans. Quand j’ai apporté le manuscrit à Martha, elle l’a lu tout en travaillant le Concerto n° 1 de Beethoven qu’elle devait jouer à Pleyel. Elle m’a signalé trois ou quatre erreurs que j’ai corrigées, mais n’a rien changé sur le fond. Certains détails de sa vie sont très intimes, très personnels, voire douloureux. Elle ne m’a rien dit et n’a à aucun moment voulu modifier, adoucir, enjoliver ou retirer quoi que ce soit. Peu avant la sortie du livre, je l’ai revue à Bruxelles. Elle travaillait du Liszt chez elle. Vers deux heures du matin, elle s’est levée, a allumé une cigarette et m’a dit après bien des hésitations : « Tu sais. Je donne l’impression de ne pas m’intéresser à ton livre... Mais ça me touche beaucoup que tu l’aies écrit. » J’ai pris l’air dégagé, mais j’ai senti mon c ?ur fondre.

- Martha Argerich. L’enfant et les sortilèges. Biographie. Éditions Buchet-Chastel.

Pour en savoir plus lisez :
l’interview d’Olivier Bellamy sur pianobleu.com
l’interview de Martha Argerich par Olivier Bellamy Reine et esclave

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Et écoutez l’entretien d’Olivier Bellamy avec Alain Veinstein. Martha Argerich y interprète Chopin (22 mars 2010, 38’45).

« Martha Argerich est un vrai personnage de roman. »
« Tout son jeu est un roman. »

Le livre ne déçoit pas. On y suit la vie aventureuse de cette pianiste hors du commun que la citation de Baudelaire citée en exergue résume bien : « Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté. » La musique, les amours, les drames, les villes traversées [7]. La manière de travailler (la nuit le plus souvent), l’éparpillement, les révoltes, les concerts annulés et la gloire. La vie libre d’une femme libre. « Une guerre [...] de logique bien imprévue », mais « aussi simple qu’une phrase musicale » [8].

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Chopin, à nouveau.

Pourquoi ne pas l’avouer : j’ai longtemps été insensible à la musique de Chopin. Quand certains amis essayaient de me convaincre, j’écoutais distraitement, poliment. La virtuosité me séduisait, bien sûr, mais, non, pas moyen de me laisser emporter. J’étais en quelque sorte prisonnier des interprétations stéréotypées, biographiques et musicales, du compositeur. Mais Chopin — La Polonaise n°6 — joué par Martha Argerich ! Quelle révélation ! Tout est, décidément, dans l’interprétation.

Il faut bien entendu écouter Chopin interprété à Varsovie, depuis Varsovie.

C’est là qu’en février et mars 1965 Martha Argerich — elle a vingt-quatre ans — donne ce qu’il est désormais convenu d’appeler un "concert de légende". Olivier Bellamy y consacre un chapitre au milieu de sa biographie. Vous en lirez quelques extraits ci-dessous. Bellamy écrit de manière très juste :

« En l’écoutant, on se dit que le Chopin de Martha Argerich possède une grande noblesse naturelle. Les accès de passion sont passés au crible d’un sens esthétique raffiné, sans rien de forcé et sans esbroufe. Avec un jeu clair et pur, elle fait entendre toute la trame polyphonique, que Chopin a héritée de Bach, et laisse s’épanouir son écriture chromatique issue en droite ligne de Mozart. » (je souligne)

Voilà.

Écoutez. C’était il y a quarante-cinq ans.

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Le concert de Varsovie, 1965

Extraits

Nous sommes le 22 février 1965. En dehors de la Polonaise, Martha Argerich interprètera les Études op. 10 n° 1 et 4, le Nocturne op. 15 n°1 et les vingt-quatre Préludes.

Chopin, Polonaise n°6 dite Héroïque (6’42)


Martha Argerich : Chopin Polonaise N°6
envoyé par ClassicChannel

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Etude Op 10 n° 1 (1’54)

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Chopin, Scherzo n° 3 (6’49)

Le 5 mars 1965, Martha Argerich interprète le Scherzo.

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VARSOVIE

Concours Chopin 1965

Unique manifestation d’envergure à reposer exclusivement sur les oeuvres d’un seul compositeur, le concours Chopin de Varsovie est un véritable mythe.

[...] Les dates du septième concours de Varsovie étaient fixées du 22 février au 13 mars 1965. Le 22 février correspond au jour de la naissance de Frédéric Chopin.

[...] Le 22 février, [Martha Argerich] jouait les Études op. 10 n° 1 et 4, le Nocturne op. 15 n°1, la Polonaise op. 53 et les vingt-quatre Préludes. Le journal Stolica s’est enthousiasmé à son tour : « De nombreux pianistes parmi les plus éminents du monde ont tenté de jouer la difficile Étude op. 10 n° 1 depuis l’enregistrement d’Horowitz, mais aucun n’y a réussi aussi brillamment que Martha Argerich. Dès le début, la phénoménale Argentine aux doigts d’acier parvint à suggérer une grande variété de climats, avec d’extraordinaires traits virtuoses de main droite, presque des éclairs ; sa rapidité et son articulation dans cette étude demeurent inégalées. » Le 5 mars, elle poursuivait avec l’Étude op. 25 n° 10, la Valse brillante op. 34 n° 1, la Barcarolle et le Scherzo n° 3. Le 10 mars, le Nocturne op. 55 n° 2, la Sonate n° 3 op. 58 et les trois Mazurkas op. 59. Le 13 mars, elle terminait avec le Concerto en mi mineur. L’ovation fut sans cesse grandissante. Peu à peu, chacun se familiarisait avec les aspects les plus saillants de son jeu et entrait dans les subtilités de son art. « Son piano fut comme un murmure », titra le principal journal polonais, qui s’extasiait sur sa manière d’intégrer tous les détails les plus subtils du génie de Chopin à sa très forte personnalité musicale.

Le 13 mars 1965, Martha Argerich est devenue le septième Premier Prix de l’histoire du concours Chopin. Une semaine plus tard, on pouvait lire dans la Trybuna Mazowiecka : « Personne ne saurait disputer le premier prix accordé à la pianiste argentine Martha Argerich. Son jeu éblouissant, sa perfection technique, son interprétation toute d’éclat et de virtuosité romantique surent gagner la faveur du public dès les premiers instants. Son interprétation des mazurkas se révéla aussi dansante et mélodieuse que véritablement suspendue aux plus hauts sommets. » C’était la première pianiste d’Amérique du Sud à remporter cette récompense sacrée entre toutes. Les Argentins en furent particulièrement fiers. [...]

Olivier Bellamy, Martha Argerich, Buchet Chastel, 2010.

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Quarante-cinq ans plus tard...

Et Chopin ? Vous serez cette année dans le jury du concours de Varsovie...

Martha Argerich : Chopin est terriblement difficile. Il y a longtemps que je ne l’ai pas joué... C’est mon amour impossible. Il est très jaloux.

Entretien avec Olivier Bellamy, Classica, n° 120, mars 2010.

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Martha Argerich joue le Concerto pour piano n°1 de Chopin

Japon, 1996

« Pour Martha Argerich, il semble qu’il y ait le Japon et le reste du monde. [...]
Le caractère des Japonais la ravit. Elle les trouve intelligents, subtils, et goûte par-dessus tout leur façon « indirecte » de s’exprimer. Il faut toujours décrypter et interpréter leur discours. [...]
Au Japon, Martha a la certitude d’être aimée, malgré ses contradictions, ses humeurs et ses paradoxes. Elle, si poreuse et si soucieuse maintenant de ne pas être trop envahie, apprécie la distance et la réserve des Japonais. « Ici, on me fiche la paix », traduit-elle. »

Olivier Bellamy, Martha Argerich.

Concerto n°1 -1/4

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Concerto n°1 -2/4

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Concerto n°1 -3/4

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Concerto n°1 - 4/4

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De nombreux enregistrements des oeuvres de Chopin interprétées par Martha Argerich sont en écoute sur ce site.

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[1Pascale Fautrier, Chopin.

[2

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La Pologne catholique

A noter que le 31 août 1980, étaient signés les accords de Gdansk entre le gouvernement communiste polonais et le syndicat Solidarność. Après la signature des accords, Lech Walesa se précipita au-devant de ses camarades en brandissant le stylo avec lequel il avait apposé sa signature. Il s’agissait d’un énorme stylo avec le portrait de Jean-Paul II, premier pape polonais de l’Histoire. Le catholique Lech Walesa voulait par là signifier que le pape avait guidé son bras. Les accords prévoyaient aussi qu’une messe serait retransmise dans tout le pays par la radio d’État, une première sous le régime communiste. La messe retransmise fut une messe célébrée à l’église Sainte-Croix.

Lech Walesa et son stylo lors la signature des accords de Gdansk sur le site de l’INA.

[322 février (acte de baptême) ou 1er mars 1810 (date à laquelle il fêtait son anniversaire) - Frédéric François Chopin est mort à Paris 17 octobre 1849.

[4

JPEG - 23.1 ko
Publié le 22 février 2010

[5Voir Pascale Fautrier, Chopin, Folio biographies, février 2010.
L’écrivain présente son livre dans ce court extrait : Chopin à la conquête de Paris et sur France Inter le 1er mars 2010 (30’) :

*

Martha Argerich sera en concert les samedi 6 et dimanche 7 mars 2010, Salle Pleyel à Paris. La première soirée recréera l’atmosphère d’une manifestation atypique du paysage musical : le Festival de Lugano. Martha Argerich et les autres musiciens interprèteront des oeuvres de Beethoven, Rachmaninov, Debussy, Sergei Taneyev et Béla Bartók. Le lendemain le concert sera dédié au tango. Au programme : des oeuvres originales et transcrites d’Alberto Ginastera, Carlos Guastavino, Astor Piazzolla [[Ce concert sera diffusé en live. Voir détails du programme ici.

[6Dans ce numéro de Classica, un entretien de Martha Argerich avec Olivier Bellamy et la suite du feuilleton d’Alain Duault sur Chopin.

[7Le livre est structuré en vingt-deux chapitres qui ont tous pour intitulé un nom de ville : de Buenos Aires à Paris, en passant par Vienne, New York, Varsovie, etc...

[8Rimbaud, Guerre.

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4 Messages

  • anonyme | 22 juin 2010 - 15:20 1

    Mon cher Mathieu, si vous ne pouvez pas la voir en peinture, écoutez la.


  • Mathieu | 21 juin 2010 - 21:20 2

    Moi je ne conseille pas du enfant et sortilège, ou plutôt devrais-je dire, cette magazine à ragots où il n’est question que des amis et des ex-maris jaloux des capacités de cette femme, ou que sais-je, elle en profite pour critiquer les autres et ses anciens amants, tout ça dans sa propre autobiographie.....c’est pas très beau tout ça....

    Elle détale toute sa vie en proclamant qu’elle déteste les interview et les publicités et s’imagine être une génie tout en vociférant qu’elle déteste qu’on dise ça d’elle (!! Vous n’êtes ni Bach ni Beethoven à ce que je sache, je ne suis certes pas un instrumentiste mais quand-même je suis artiste peintre et je n’oserai jamais dire ça de moi.....puis un peu d’honnêteté est toujours à désirer, même dans la prétention.....) Très prétentieux et pas du tout authetique. Je comprends Bellamy qui dit qu’il voudrait emporter Martha dans le désert mais que ça serait un enfer !!


  • A.G. | 23 mars 2010 - 19:26 3

    Olivier Bellamy / Martha Argerich

    Du jour au lendemain


  • Sokolnitz | 4 mars 2010 - 21:10 4

    Ca m’a fait extrêmement chaud au coeur, en tant qu’amoureux de Chopin depuis des années, de lire quelques lignes de Sollers sur lui. Par contre, le Chopin d’Argerich n’est pas forcément mon préféré. Elle est sublime dans les deux concertos dirigés par Charles Dutoit.