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Itinéraire d’un fumeur pas gâté !

Lutte anti-fumeurs et "bio-politique"

D 18 février 2008     A par Ben Merienne - C 2 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


Décidément, P. Sollers a raison : l’Etat souhaite de plus en plus que nous mourions, toutes et tous, en bonne santé ! En tant que fumeur, un jour ou l’autre, je vais certainement trépasser d’un cancer du poumon ou de la gorge ou d’un accident de voiture ou d’une crise cardiaque ou, tout bonnement, d’une mort naturelle. Bref, je sais que ma propre vie, que je le veuille ou non, est une maladie mortelle. Elle ne me goûte donc qu’à la condition où je ne voue pas à l’égout ce que l’actuel chant des sirènes de l’immortalité-techniquement-assistée tente à me faire précisément oublier : la certitude de ma propre mort. Tout simplement. Mais, entretemps, je suis en fait déjà intoxiqué et confronté à un certain type de « cancer » : celui des mesures disciplinaires, d’exclusions et de discriminations, dont le Politique, servilement relayé par la Société et ses hauts parleurs, m’accable, moi, simple fumeur. Ainsi...

D’abord, depuis bien longtemps déjà, je ne fréquente désormais plus que des amis qui fument. Ces dernières années, je me suis en effet, volontairement, éloigné de ces amis qui non seulement me désignaient immédiatement le jardin ou la terrasse ou le balcon ou encore le caniveau pour en griller une, mais aussi qui, « pour ton bien », me disaient-ils, ne cessaient pas de me moraliser, sermonner sur « les dangers du tabac » - surtout, bien entendu, pour mon plus proche entourage. Donc, afin de me libérer de la baveuse « moraline » anti-tabagique, je n’ai plus, aujourd’hui, que des amis fumeurs. C’est mieux ainsi ! Avec eux, je suis certain d’une chose : de passer une bonne soirée de discussion, arrosée et enfumée. Mais, je l’avoue : j’ai peur ! Ces amis deviennent de plus en plus rares ! Je peux compter sur les doigts d’une main mes amis actuels. C’est vous dire leur rareté. Par ailleurs, certains de mes (ex) amis (fumeurs) se sont convertis, très rapidement et à mon grand étonnement, au camp des « non fumeurs ». Je risque donc, un jour, de me retrouver seul à savourer mon péché cancérigène.

Mais, dieu merci, j’ai la chance de partager mon existence avec une femme - n’ayant, sur 40 ans, goûté qu’une seule fois à la nicotine dont « la saveur, me disait-elle, était répugnante » -, qui désormais sait que la cigarette constitue, pour moi, un excellent partenaire-jouissance pour et ma propre santé et celle de mon entourage ! En effet, depuis le jour où, pendant plus de 48 h, j’avais décidé de cesser de m’empester et, par la même occasion, d’empester les autres, elle n’est plus du tout dupe de l’immense pouvoir pacifiste, créateur et économique de la cigarette sur ma personne ! Elle sait assurément que la cigarette possède ce pouvoir, grandiose et incompréhensible au regard des obsédés de « la santé de la sécu », de calmer mes ardeurs caractérielles ; de refreiner mes pulsions agressives ; d’anesthésier certaines de mes lourdes angoisses ; d’apaiser mes chagrins ; de supporter mon labeur quotidien et les bêtises et inepties de mes prochains ; de doper mes relations et ouvertures aux autres ; de penser la canaillerie ambiante plutôt que de flinguer, à coups de carabine, ses représentants ; d’inspirer mes écrits ; de secouer et nourrir tendrement mes réveils ; de me faire voir et déguster des paysages insoupçonnés ; de branler mes tympans ; de m’économiser des consultations médicales intempestives ; d’atténuer mes plaintes hypocondriaques ; de m’éviter, peut-être, un quelconque « déclenchement psychotique » ; d’accroître ma concentration... . Bref, mon épouse, en 48 h, a donc compris que le fait de m’interdire de fumer risquait de se payer cher aux niveaux de la santé financière, relationnelle, sociale, créative, physique et psychique de notre couple ! Ah, la tendre lucide ! Apparemment, le Politique, lui, l’est moins ! Disons qu’il est plutôt acide ! Diluer le désir dans l’acide hideux de l’Economie, ça le connaît en effet ! Nous y reviendrons.

Après, il y a les cafés. En France, depuis le 1er janvier 2008, la chose est faite : les « bars-tabac » se sont mués en « bars-anti-tabac » ! Le Politique comme nouveau dieu...obscur ! Il suffit qu’il commande que tel désir rejoigne impérativement les tréfonds du néant pour que la chose, ignominieusement, se produise à la lettre : « Tu ne fumeras point dans les « bars-tabac » et restaurants ! » En Belgique, par contre, le dieu est clair-obscur ! La chose est en effet en cours, en voie d’être réalisée. Pour le moment, il suffit qu’un café vous serve, me semble-t-il, de la nourriture (quelques sandwichs ou saucisses fraîches ou morceaux de fromage) pour que, loi oblige, la cigarette y soit prohibée. Or de tels cafés, à Bruxelles comme ailleurs, sont nombreux. Donc, les cafés « pour fumeurs » deviennent, à l’instar de mes amis, rares. Mon café « pour fumeurs » préféré est situé à Schaerbeek, à la chaussée d’Helmet. Là, j’ai réellement l’impression de me retrouver dans un espace de « résistance » contre l’invasion des « non-fumeurs » ! Là, les non-fumeurs - bien que tolérés, acceptés, parfois, certes, hués- y sont effectivement très rares. Dans ce café, c’est décidément le monde à l’envers. Mais je m’y sens bien. Je sais, lecteurs, que je suis en sursis, qu’en 2010 tous les cafés me seront certainement interdits en Europe. Et alors ? Cet ultimatum ne fait que donner plus de goût à mon péché actuel. Je le déguste d’autant mieux que ses jours, dans ce café de la chaussée d’Helmet, sont comptés.

Et puis, il y a les restaurants. Depuis plus d’un an, vous l’avez compris, je ne les fréquente plus. C’est normal ! Il n’y a plus de cendriers et les fumeurs sont gentiment priés de fumer, pluie ou non, froid ou non, neige ou non, brasero ou non, leur cigarette dehors. Les restaurateurs, souvent contre leur gré, se soucient apparemment plus de ma bombance que de ma jouissance nicotinée. Ils n’y peuvent rien. Ils n’ont fait, sans bruits ni tumultes, que courber l’échine. Bravo !

Pour terminer, comment m’empêcher quelques réflexions autour de cet avertissement accolé à mon paquet de cigarettes mentholées : « Le tabac nuit à votre santé » ? Impossible. Donc, je livre, ici, deux de mes innombrables réflexions au public. Premièrement, de quelle « santé » s’agit-il au fond ? La physique ? Morale ? L’organique ? La mentale ? Psychique ? Financière ? On le sait, il ne s’agit que de la santé des organes (poumons...). À l’instar des Experts auxquels nos chaînes télévisées nous enchaînent, l’actuel Pouvoir (politico-scientifique) ne sait apparemment pas - ne veut pas savoir - que les « organes » sont toujours habités, pour reprendre Artaud, par « quelqu’un ». Plutôt que de voir « quelqu’un » ou un être humain subjectivement singulier, ce Pouvoir, à la vision « bouchère » (Legendre), ne voit en fait qu’un amas d’organes ou de « viandes » à OBJECTIVEMENT contrôler, analyser, diagnostiquer, évaluer, expertiser, opérer, réparer, peser, charcuter, recycler, greffer, cloner.... Et ce sont précisément ces organes qu’il tente à « préserver », mordicus, du désir supposé nocif de ce « quelqu’un ». Soyons en effet honnêtes, si « le tabac nuit à la santé » des organes, le désir humain de tabac - en fait, tout désir ! - nous est donné comme tout aussi « nuisible » que le tabac ! Dit autrement, dans la lutte anti-fumeurs c’est, outre « le déficit de la sécu », le désir qui est bel et bien visé et attaqué. Demain, le désir d’alcool, même modéré. Après-demain, enfin déjà, le désir de penser le monde. Quels seront les prix sociaux de cette (ces) scélérate(s) attaque(s) ? Nous le verrons. Deuxièmement, c’est un constat, ces dernières années, l’intérêt pour « la santé » de nos « organes » occupe de plus en plus de place chez nos médias. Pourquoi ? Parce que coloniser notre bios ou notre substance vivante, c’est ce que le Pouvoir biopolitique, pour reprendre M. Foucault, exige. Comme le dit M. Foucault : « Le contrôle de la société sur les individus ne s’effectue pas seulement à travers la conscience ou l’idéologie, mais aussi dans le corps et avec le corps. Pour la société capitaliste, c’est la biopolitique qui compte le plus, le biologique, le somatique, le corporel. » Ailleurs, il dit plus clairement : « La vie est devenue maintenant (...) un objet de pouvoir. » Faire marcher au pas le bios - après la conscience - des citoyens au rythme frénétique de l’Economie et de ses exigences, c’est assurément se prémunir de toute insurrection, même timide, de leur part. Bref, pour paraphraser P. Sollers, il est certain que l’avenir qui se dessine à nous n’est autre que celui-ci : « Soignez-vous plus pour penser moins ! » Pire : « Ne pensez plus ! Organes-y-vous pour le garde-à-vous ! »

Ben Merieme Mohamed
Fumeur... philosophe.


A propos...
Sollers, on le sait, est un adepte de la cigarette au bout de son porte-cigarette. Il s’est exprimé dans son Journal du mois, sur la récente interdiction de fumer dans les lieux publics.

Cette tribune des lecteurs est dans la trace de Sollers, qui, en tout, prône la liberté, mais il est non moins vrai que la liberté des uns s’arrête là, où commence celle des autres.

Pour ma part, si je vois comme un bien l’interdiction du tabac dans les restaurants - contrariété au goût - ...dans les transports publics où il constitue une gêne pour les non-fumeurs ou dans les lieux publics de passage "obligé", aurais aussi trouvé très acceptable que les lieux publics, de convivialité (bars...) fréquentés librement, n’entrent pas dans le cadre de la règlementation. On aurait pu laisser le choix au patron de l’établissement. Libre au client de choisir un établissement avec ou sans tabac. Ce qui aurait été une façon de prendre en compte la part de liberté à laquelle ont aussi droit les fumeurs.

C’est au double titre des positions propres de Sollers sur le sujet et de cette part de liberté inaliénable pour chacun, que nous publions cette Tribune des lecteurs sur ce site dont le focus est et reste
"sur et autour" de Sollers.

V.K.

Sur pileface, voir aussi :

Le journal du mois, janvier 2006

Des bouffées de...

Le cigare de Freud

Le journal du mois, août 2006

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2 Messages

  • Zoé | 12 novembre 2008 - 21:48 1

    Que les sociétés pharmaceutiques se réjouissent, que l’alcool coule à flot (1E le verre d’alcool en soirée étudiante... 50E la bouteille de vodka en discothèque... et pour le financement des soirées... les étudiants ont tout prévu : pause café, thé, jus de fruit chimiques et petits gâteaux écho+ sous couvert de convivialité, préparant la prochaine biture express) Quoi que... faut bien rembourser les cabines fumeurs installées, les nuages de fumée embaumant gracieusement la transpiration des danseurs et des sueurs d’alcool... puis nouveauté : petits gâteaux chocolatés laissés à portée de main : éponger l’alcool ??
    Freud laissait en suspens que ses théories pourraient être obsolètes avec l’avancée des nouvelles technologies... qu’il se réjouisse six pieds sous terre, le refoulement deviendrait : abrutissement majoré sous couvert d’une sainte vérité prônée : Moralité. Tant que ça jouit à l’Élysée, la France peut se remettre au travail... merci les médoc’. Mais réjouissons non : "le tabac c’est tabou, on n’en viendra tous à bout !". Encore une chance pour "les petits bouts"... ils n’auront plus qu’à se représenter le culot.
    VG


  • an691 | 20 février 2008 - 18:37 2

    Il est évident que ce décret (même pas une loi, aucun débat, aucun vote) va beaucoup trop loin, et ce qui est peut être encore plus inquiétant, c’est tous les mensonges qui l’entourent.

    1) Le tabagisme passif : les chiffres sont bidonnés, il n’y a qu’à prendre ceux des études officielles, voir l’interview video de Philippe Even, pneumologue, ancien doyen Necker enfants malades, à ce sujet (sur dailymotion), ou l’appel de Rene Molimard : "Alcool, tabac. Gare au pavé de l’ours, un appel à réagir"

    2) le refrain "ailleurs tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes", c’est FAUX ! En Angleterre et Irlande les pubs ferment à la pelle, en plus en Irlande la conso de tabac augmente ! En Italie ça recommence à fumer partout ...

    L’Etat outrepasse ses fonctions, c’est tout, 14 millions d’adultes ont droit à des lieux privés ouverts aux public.

    Quant au refrain "à Paris tout va bien", c’est se moquer du monde : Il n’y a qu’à voir les bars de quartier, sans parler du grotesque et de la bêtise consistant à chauffer l’extérieur en plein hiver !!

    Pour des bars non fumeurs ? ET pour des bars fumeurs ?

    http://forum.barfumeur.com

    (forum, pétition, actions, liens)

    Note : Sollers très mollasson sur le sujet dans son journal du mois, pas très étonnant remarque ...

    Voir en ligne : Décret imbécile